Elsa

J'ai beaucoup marché aujourd'hui. Je me suis perdue. Je me suis retrouvée. Les rayons du soleil sur mes joues ont un goût de larmes salées. J'ai trop pleuré. Je ne sais même pas pourquoi. Parce que je suis triste que ce soit fini ou peut-être parce que je suis soulagée.

Tomber amoureuse, ce n'est pas comme dans les contes de fées. C'est beaucoup plus simple et beaucoup plus compliqué. Beaucoup plus simple parce qu'il n'y a pas d'horrible sorcière ou de dragon à combattre. Beaucoup plus compliqué parce que la fin heureuse n'est pas garantie. Au début, ses mots, sa peau, ses baisers formaient un cocon rassurant. Et puis le cocon est devenu brouillard. Je n'y voyais plus clair. Je ne savais plus s'il était le monstre ou le prince charmant. En fait, il était les deux à la fois. Voilà pourquoi l'amour n'est pas comme dans les contes de fées : parce que le monstre n'est pas tapi là où l'on croit. En fait, il n'y a pas de monstre. Il n'y a que des gens qui changent de visages au gré des jours. Et on ne sait jamais quel est leur vrai visage. Celui des jours radieux ou celui des jours pluvieux ? Au fond de moi, je voulais croire qu'il suffisait que je m'adapte pour retrouver la merveilleuse personne qu'il avait été au début. J'ai essayé de changer pour faire renaître ce que j'aimais chez lui. J'avais toujours l'espoir que ça pouvait s'arranger.

Mais il suffisait de si peu pour le contrarier.

Pour que fleurissent sur ses lèvres des phrases qui ressemblaient à des javelots.

Pour que le matelas sous nos peaux se transforme en ring de boxe.

Pour que le silence et la honte m'écrasent, signant sa victoire par K.O.

Jour après jour, ma confiance en moi s'effondrait. Tout ce que je faisais était critiqué, remis en question. Il était le dieu omnipotent ; celui qui savait tout, celui qui avait toujours raison, celui qui me dirigeait comme un pion. Je me sentais tellement nulle que j'ai fini par croire que la façon dont il me traitait était normale, que c'est tout ce que je méritais. Parfois j'avais l'impression que quelqu'un s'était introduit en douce sous ma boîte crânienne pour reprogrammer mon cerveau. Le « Moi jamais, j'accepterais ça », « Si jamais un mec me manque de respect, je le quitte sur-le-champ », moi aussi je l'avais proclamé. Comme toutes les autres. Tout ça, c'est de la théorie. On ne sait jamais ce qu'on est capable d'accepter une fois que l'amour est en jeu.

Mais la semaine dernière, c'est allé trop loin. D'un coup, je l'ai regardé et son visage m'a paru moins beau que d'ordinaire. Comment avais-je fait pour ne pas voir cette bosse sur son nez auparavant ? Et, soudain, ça m'a sauté aux yeux : les imperfections, la laideur de notre relation. Comme si l'écran de fumée était tombé, laissant place à une vérité hideuse et terrifiante. Ce n'était pas normal. Ce n'était pas ça, l'amour.

J'ouvre mon smartphone et je me connecte pour parler à Maelyss. C'est grâce à elle que j'ai eu le déclic. J'ai découvert le tchat grâce à une petite annonce dans mon fil d'actualité. Commentonsaime est un refuge pour les cœurs abimés, les personnes un peu perdues dans leur relation qui ne savent pas quoi faire, quoi penser. Maelyss est une « chasseuse de brouillard ». Elle démystifie les relations un peu floues, elle disperse la culpabilité mal placée, elle révèle la violence que le cœur refuse de voir. Et surtout elle plante des graines d'espoir.

Elsa : Voilà, je viens de rompre avec lui. Je l'aime toujours, même si je sais que c'est débile après ce qu'il m'a fait.

Maelyss : Ce n'est pas débile. On ne contrôle pas ses sentiments. Comment lui as-tu annoncé ? Par message ?

Elsa : Non, je tenais à le lui dire en face. Je voulais prendre soin de nos adieux. Notre rencontre était belle ; j'aurais aimé que la fin le soit aussi. Parce que tout ce dont on se souviendra, c'est du début et de la fin, non ? Ce sont les deux moments-clefs d'une histoire.

Maelyss : Pas forcément. Le milieu, ça compte aussi. Au début, on joue avec des illusions. À la fin, on vit une désillusion. Le milieu, c'est la vérité d'une histoire. Imagine une mélodie avec une jolie note au début et une jolie note à la fin, mais tout le reste est bancal. Ça ne fera pas une belle musique, n'est-ce pas ? Maintenant imagine une jolie musique qui ne comporte que deux fausses notes, au début et à la fin, ça restera tout de même un morceau agréable à écouter. Peut-être que tu n'es pas prête à affronter le milieu de ton histoire ?

Elsa : Il y avait beaucoup de fausses notes dans notre relation, mais je m'arrangeais pour ne pas les entendre. Je sélectionnais les notes. Je me repassais en boucle celles qui étaient jolies. Je me composais ma propre mélodie. Le reste, c'était du vacarme inaudible.

Maelyss : Et qu'en as-tu fait de tout ce vacarme ?

Elsa : Je l'ai mis au cachot de mon cœur pour l'oublier. Mais maintenant je l'entends hurler.

Maelyss : Et que vas-tu faire ?

Elsa : Je vais l'écouter jusqu'à ce qu'il s'apaise.

Maelyss : Est-ce que tu veux aller porter plainte ? Je peux t'accompagner dans cette démarche si c'est ce que tu souhaites.

Elsa : Non, je n'ai pas envie de lui causer des ennuis ni que mes parents soient au courant. De toute façon, ça ne va rien réparer. L'insouciance, une fois qu'elle est fanée, on ne peut plus la retrouver. J'ai juste besoin de parler.

Maelyss : Tu es au bon endroit. Ici personne ne te jugera.

Elsa : Il m'a donné deux cent euros pour que je ne raconte à personne qu'il m'avait forcée à coucher avec lui. Ça m'a déçue. Comme si on pouvait tout effacer avec un billet de deux cents euros. Comme si tout ce qui comptait pour lui, c'était son image, sa réputation. J'ai trouvé ça moche. Ce n'est pas comme ça que j'avais imaginé nos adieux.

Maelyss : Tu as bien fait de rompre avec lui. Une personne comme lui ne mérite pas la moindre place dans ta vie. Es-tu en sécurité en ce moment ?

Elsa : Je crois que oui.

Maelyss : Il y a quelqu'un avec toi ?

Elsa : Non. Je suis toute seule sur le trottoir.

Maelyss : Tu devrais rentrer chez toi.

Elsa : Ne vous inquiétez pas. Je suis à deux pas de ma maison. Et puis je l'aime bien, ce trottoir.

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Voilà la fin de cette histoire qui peut-être vous a paru étrange... N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé