5 || La fille à la jupe orange
Océane pleurait dans mes bras. J'avais beau la bercer, rien n'y faisait. Les passants nous jetaient des regards haineux. Ma fille criait dans la rue silencieuse en cette fin de journée.
Je continuais d'avancer, faisant fi des coups d'œil et des murmures nous concernant. Je gardai la tête haute, mon bébé sur mon avant-bras droit, mes sacs de courses plein à craquer pendant de mon bras gauche.
De temps à autre, il m'arrivait de jeter des regards noirs et emplis de menaces à des hommes qui m'interpellaient, leurs paroles débordantes de sous-entendues.
Je me montrai forte et les ignorai. Du haut de mes vingt-huit ans, j'avais vécu bien pire que leurs provocations. De plus, je ne pouvais pas flancher, je devais m'occuper de ma fille. Cela faisait déjà 18 mois que je le nourrissais, la berçait, la soignait. Je venais il y a peu de commencer à lui apprendre à marcher. Enfin, j'avais essayé bien plus tôt, mais elle n'y arrivait et j'avais donc compris que cela était trop difficile pour elle si tôt. Ce n'était pas le premier bambin à qui je faisais face, mais je ne pouvais pas faire comme la première fois...
Elle me posait souvent des problèmes, m'empêchait de dormir, mais qu'importe. Elle était mon soleil dans la journée pluvieuse, ma lumière dans la nuit noire, ma raison de vivre dans ce cauchemar. Elle était tout. Ma fille...
Je la regardai d'un regard attendri alors qu'elle avait arrêté de crier. Elle ne dormait pas comme je m'y étais attendue. Au lieu de cela, elle de fixait de ces magnifiques yeux bleu océans. Ces deux perles venant tout droit des abysses lui valaient son prénom.
J'adorai y perdre mon regard, dans ses iris qu'elle tenait de son père. Père que j'aimais de tout mon cœur. Cet homme avait été tout pour moi, et je lui avais fait la promesse que j'aimerais notre fille comme je l'avais aimé lui.
Ils ont tous les deux la manie de tenir leurs yeux de leurs pères, tiens... pensai-je soudain.
Non je ne devais pas penser à ça. Je ne devais pas penser à lui. Trop tard, les regrets me submergeaient de nouveau. Toujours plus forts. Tandis que ma conscience savait que j'avais pris la bonne solution, mon cœur refusait cette idée.
Je me souvenais encore avoir laissé ce petit mot avec lui. Je l'avais confié temporairement à cette femme, déjà entourée de nombreux bambins. Je ne sais plus à quoi elle ressemblait, ma vue, à ce moment-là, était bien trop floutée par mes larmes. Une seule image d'elle me revint ; c'était son sourire triste et pincé.
Qu'avait-elle bien pu penser de moi ce jour-là ? Probablement pas du bien, et je le comprenais. Je n'aurais pas éprouvé une miette de compassion ou de compréhension à sa place, en me voyant ainsi. Sans oublier que la femme avait du en voir beaucoup comme moi. Ses yeux avaient sans aucun doute exprimé toute la répugnance qu'elle ressentait envers moi. Et mon cerveau, comme le protecteur qu'il avait toujours été, avait fait en sorte d'oublier ces yeux qui m'auraient détruite de l'intérieur. J'en étais sûre.
Je secouai la tête. Je m'étais promise d'oublier et de ne plus culpabiliser. Il vivait forcément une belle enfance, dans une belle et famille qui l'aimait de tout son cœur. Je portai ce jour-là la même jupe que j'avais vêtue onze ans plus tôt. Je me devais de tourner la page. Pour moi, pour Océane.
Je m'arrêtai devant le passage piéton, le feu étant rouge. Je pris l'occasion de cette courte pause pour poser les sacs qui me cisaillaient le bras de leurs lanières. J'observai d'un œil las les trainées rouges qui recouvraient mon avant-bras et profitai du fait que j'avais le bras libre pour écarter une mèche ébène des yeux de ma fille.
Les piétons autour de moi recommencèrent à bouger, notre feu était passé au vert. Je me précipitais pour récupérer toutes mes courses, le feu ne durerait pas éternellement.
Une main claire vint prendre un sac et alors que je m'apprêtais à crier sur le voleur, une douce voix sortit de ses lèvres.
— Madame, je vais vous aider.
Je le fixais, abasourdis. Personne n'avait jamais voulu aidé la pauvre femme au bébé que j'étais. Mais ce n'était pas cela qui m'avait le plus troublé. Non... C'était ses iris, l'un chocolat, l'autre bleu ciel.
Il me regardait, la tête penchée, le regard interrogateur alors que je continuai à pointer mes yeux dans les siens. La mâchoire m'en tombait, sous le coup de la surprise.
— Madame ? tenta-t-il prudemment. Vous allez bien ?
— Je- Oui... Merci petit, articulai-je difficilement.
Je me remis en mouvement et portais un sac de l'autre côté de la route. Une fois sur le trottoir, il posa les deux sacs dont il s'était occupé et me sourit doucement. Je détournai le regard. Je ne voulais – pouvais – pas affronter son regard.
Ce ne pouvait pas être lui. « Le monde est petit. » qu'on disait. Je n'y croyais pas. Il ne pouvait pas être minuscule à ce point. Ce n'était pas possible. Je ne voulais pas y croire.
Et pourtant... peu avait ces yeux vairons. Ces pigmentations que je connaissais par cœur. Je les avais gravées au fond de ma mémoire et de ma rétine. Les larmes me montaient aux yeux, rien ne pourrait les arrêter.
— Dis-moi, mon garçon, quel est ton nom ?
— Euh... hésita-t-il.
Sa famille l'avait bien éduqué, j'étais heureuse... Non ! Ce ne pouvait pas être lui.
Ce. Ne. Pouvait. Pas. Être. Lui.
— Romain. Je m'appelle Romain.
Romain... Ils avaient choisi ce prénom-là pour moi.
— Merci pour ton aide, Romain, fis-je malgré ma gorge nouée d'émotion.
Suite à ces mots, je repris mes achats et continuais ma route sans un mot de plus.
Mais mon cœur me semblait plus léger tandis que je levai les yeux au ciel bleu azur, comme son œil gauche.
Il avait une famille en or, et c'étais tout ce qui me suffisait.
Mon cher fils.
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