Chapitre 2
Assise sur la banquette de ma fenêtre, je regarde les gouttelettes dévaler le long des carreaux. Le ciel d'un bleu éclatant a laissé place aux gris sombres et pluvieux du mauvais temps. Il faisait pourtant encore beau, quelques heures plus tôt, lorsque nous nous sommes entraînés avec ma sœur. Heureusement pour nous, alors que les trombes d'eau se déversaient dans la ville, nous étions bien à l'abri au château.
L'entraînement fut rude. Mon abdomen me fait quelque peu souffrir et j'ai pu découvrir, en me changeant tout à l'heure, un énorme hématome. Comme je m'en doutais, c'est Shazi qui a gagné, je ne suis pas peu fière de lui avoir décoché un uppercut en pleine mâchoire.
Avec un rictus je me détourne, mettant fin à ma contemplation pour retourner à mes occupations.
Il ne me reste que quelques broderies à faire avant d'en avoir fini avec la somptueuse robe de Lydi, l'une des dix filles du roi, dont Shazi fait partie. Son père n'est pas un Sidaris, mais ses quatre femme le sont, ainsi que ses dix-sept enfants. Il voue une réelle fascination pour ceux de notre espèce, ce qui ne manque pas d'agacer ma sœur. Je pense que ma mère respecte plus le roi qu'elle ne l'aime. Mais elle a toujours aspiré à rendre le monde meilleur et a dû lutter pour que, nous, Sidaris, ne soyons plus dominés par les Darnien, ceux qui n'ont pas de capacités.
Alors que je m'apprête à faire ressortir mon aiguille, un bruit sec se fait entendre à ma droite. Je sursaute et ne manque pas, par la même occasion, de me piquer le bout du doigt. La pièce dans laquelle je suis n'est que partiellement illuminée. Seules quelques bougies éclairent mon travail et le visage d'un Tibalt désolé.
- excusez-moi Madame la Comtesse, j'ai laissé s'échapper ma bobine.
Mon apprenti a beau n'avoir que dix ans, il est bien mieux élevé que les princes vivant dans ce palais. Je lève les yeux au ciel.
- On en a déjà parlé ensemble, Tibalt. Je t'aime beaucoup mais si tu continues à m'appeler Madame la Comtesse, je te pique avec mon aiguille. On est bien d'accord? Dis-je, en pointant mon aiguille vers lui, prête à mettre ma menace à exécution.
J'affiche un tel sérieux qu'il ne peut s'empêcher de bafouiller sa réponse.
- Ou...oui, Madame Théna. Il récupère sa bobine avec une telle précipitations qu'il manque de la faire tomber une nouvelle fois. Un petit rire m'échappe.
Il est vrai que c'est un peu exagéré de ma part de le reprendre de la sorte mais je n'y peux rien. J'ai horreur de ce titre, autant que Shazi déteste mes courbettes exagérées lorsque je soupe avec elle et toute la famille royale.
Tibalt, mon jeune apprenti, reprend son travail avec le sérieux et la précision dont il fait preuve depuis qu'il a été recueilli au château.
Le pauvre garçon habitait aux frontières de la zone neutre. Sa famille a été décimée par des Erezian, malgré l'interdiction de combattre dans ce périmètre. On m'a rapporté ce que le jeune homme avait vécu. J'ai beau avoir connu les horreurs de la guerre, à cet instant précis, je ne peux que grimacer de douleur en repensant à cette sordide histoire.
J'observe mon jeune apprenti s'affairer sur sa tâche. Il est assis à même la table et découpe un empiècement de tissu. Ses cheveux sont blanc et en bataille à force de vouloir tout le temps les ramener en arrière. Avoir les cheveux blanc est un signe distinctif chez les fileurs de nuages. J'en ai moi même hérité.
Le silence est revenu dans la pièce. Un calme apaisant. Quelques minutes passent, le temps s'écoule et la nuit commence à tomber. Je donne mon dernier coup d'aiguille et admire les derniers détails de la robe. Un petit sourire de satisfaction étire les commissures de mes lèvres. Il n'y a aucun doute, Lydi va adorer cette nouvelle toilette.
*
Il est déjà bien tard, lorsque je marche, déterminée, dans les couloirs du château. Les bras chargés de la volumineuse robe de tulle et de soie rose poudrée que m'a commandée la princesse, j'essaye désespérément d'arriver le plus vite possible dans l'aile des appartements royaux et de ne surtout pas me prendre les pieds dans cet amas de tissus. Je ne croise que quelques servantes et gardes sur mon chemin, ce qui n'est pas pour me déplaire. Si je trébuche, j'aimerais qu'il y ait le moins de témoins possibles.
Certaines servantes que j'ai croisé m'ont bien proposés leur aide. Mais j'ai décliné poliment à chaque fois. Je préfère que personne ne touche à mes créations avant les essayages. Quelques épingles sont encore accrochées à la robe et celles qui ne font pas attention se piquent à chaque fois, c'est pour cela que je préfère m'occuper moi même de cette tâche.
Lorsque j'arrive dans le couloir aux immenses murs rose poudrées, couleur emblématique de la maison Elzana, je peux voir que la chambre de Lydi est grande ouverte et illuminée. J'entends les rires des filles à l'intérieur. Je me positionne au seuil de la porte et toque trois coups avant d'entrer. Je remarque qu'il manque fleur et Maisie pour que les onze filles du roi soient toutes présentes. Elles se retournent de concert et deux d'entre elles se mettent à hurler avec hystérie. Assise sur le divan rose, comme le reste de la chambre, Shazi me regarde avec un sourire moqueur tandis que Lydi et Odette se précipitent sur moi.
- Tu l'a enfin terminée. Le bal est demain, j'étais à deux doigts de me présenter avec la robe de la dernière fois. s'exclame la propriétaire de la robe avec un ton de reproche.
- Elle est magnifique, mais je la voyais plus fournie. Surenchérit sa sœur.
Je lève les yeux au ciel. En ne me prévenant que cinq jours avant je pouvais difficilement faire un miracle. Surtout lorsqu'on perd une journée entière à choisir le modèle de la robe. Ne tenant pas compte de leurs remarques, j'invite Lydi à s'installer sur le marche pieds. Elle se dépêche d'enlever sa robe avec difficulté, aidée de sa sœur et de Marinel.
Le vêtement gisant sur le sol, la jeune femme, maintenant en sous-vêtements, se précipite à l'endroit indiqué. Je lui passe la robe au-dessus de sa tête blonde et laisse les pans du tissu tomber d'eux même sur sa silhouette menue. Quelques fils de tissu s'accrochent aux écailles d'un blanc laiteux de ses épaules. Je les décroche délicatement sans abîmer les fibres et attache les lacets de son corset faisant attention à ne pas la piquer avec les épingles restantes. Une fois prête, la princesse accourt vers le miroir le plus proche, ce qui ne la mène pas loin puisque la chambre en est remplie, pour s'y admirer.
Avec un geste que je qualifierais d'exagéré, une main sur la bouche et, les yeux embués de larmes, elle se tourne vers moi.
- elle est vraiment magnifique, comme je me l'imaginais. Tu as vraiment bien fait de me convaincre de mettre moins de tulle. Ça aurait vraiment fait, si je puis reprendre ton expression "meringue". Elle mime ses derniers mots avec des guillemets et l'emploi de façon exagérée comme si le mot était difficile à prononcer.
Je remarque que certaines de ses demi-sœurs se cachent pour rire, dont Shazi. J'ai moi-même du mal à contenir mon fou rire. Je me rappelle avoir bataillé avec elle pour enlever un maximum de couches, et pourtant, la robe est toujours beaucoup trop volumineuse à mon goût. Heureusement, celle-ci n'est pas pour moi. Et je sais que malgré toutes ses réflexions et exagérations elle est vraiment très contente du résultat.
Je la voit se retourner pour toiser ses sœurs, ce qui ne manque pas de les faire rire de plus belle. Elle se détourne pour pouvoir continuer à s'admirer.
- Je te remercie d'avoir été d'aussi bon conseil. Déclare-t-elle le port de tête bien haut comme si elle voulait l'allonger plus qui ne le peut.
- Merci à toi de m'avoir écoutée.
Exténuée je m'installe aux côtés de Shazi et place ma tête sur son épaule.
- pas trop fatiguée? Elle me demande tout en posant sa tête sur la mienne.
- Fatiguée est un euphémisme pour décrire mon état actuel. J'ai tellement mal au dos par ta faute que j'hésite à me présenter demain au bal.
- Plaint toi, maman m'a fait un entraînement du tonnerre cette après-midi. J'ai risqué ma peau plusieurs fois.
Je rigole et elle en profite pour me faire une pichenette sur le bras.
- Aïe, tu ne penses pas m'avoir fait assez de bleus pour la journée. Je me masse là où elle a visé.
- Comme si tu n'avais jamais vécu pire.
Elle a raison, nous avons accompagné le bataillon de notre mère plusieurs fois et la première à encore aujourd'hui un goût amère pour moi et ma soeur. Nous étions à peine âgées de treize ans lorsque nous avons été détachés du groupe. Shazi, curieuse de nature, avait selon elle vu et un véritable Épicerf, une créature légendaire dont maman nous contait souvent l'histoire plus jeune. Nous l'avions donc tracé. Mais sur le chemin nous avons fait une mauvaise rencontre, qui me vaut, encore aujourd'hui, une large cicatrice sur le ventre. Je grimace en repensant à ce souvenir.
D'un regard las, je contemple la scène sous mes yeux. Lydi est en pleine discussion avec Odette et Marinel, sa sœur et sa demi-sœur, sur les accessoires qu'elle portera demain pour le bal. A ma droite, ma sœur est en grande conversation avec l'une de mes cousines, Anélia. Toutes les filles de cette pièce discutent de tout et de rien comme si la nuit n'était pas déjà bien avancée. Comme si le sommeil n'aurait jamais raison d'elles. A cette réflexion mes paupières se ferment peu à peu, ma tête repose toujours sur les épaules de ma sœur et je me laisse bercer par les conversations, n'entendant plus que les mots sans comprendre les phrases.
C'est alors qu'un claquement m'arrache aux bras de Fallone (créature dont les bras seraient si doux que des pétales de chrysanthèmes). J'ouvre un œil pour voir ce qui se passe et constate avec abattement qu'il s'agit de la mère de Lydi et Odette, Reine Antoinette. Je me lève, toujours fatiguée, mais non sans respect et fait une révérence, plus bas que les princesses de cette pièce puisque ce titres le leur permet.
- Il est temps pour vous toutes d'aller vous coucher. Déclare t-elle
Je pensais qu'elle allait nous refaire un de ses sermons sur les joies et bienfaits d'une bonne nuit de sommeil pour notre peau encore si délicate et peu marquée par la vie comme elle aime à les faire, mais non. A la place elle me propose de faire un aller direct dans mon lit. Je ne me fais pas prier et me dirige vers la sortie. Mais avant d'avoir pu en franchir le seuil, j'entends:
- une minute Théna.
Je me retourne et la vois me faire signe de son doigt d'approcher.
- Viens par ici mon enfant. J'ai une ou deux choses à te demander. Poursuit-elle
Je décide de cacher ma déception, affichant un léger sourire fatigué sur mon visage. Je m'approche, comme elle me l'a demandé et attends que les filles sortent, à l'exception de Lydi. J'entends quelques ricanements dans le couloir, j'aimerais tellement être à leur place en cet instant. La Reine m'affiche un large sourire. Je sens que la nuit va être longue.
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