Chapitre 4

Assise sur un banc comme à mon habitude lors des récréations, je tue le temps en regardant les garçons jouer au football. Pourquoi ce ne sont que les garçons et jamais les filles qui prennent le ballon ? Elles pourraient jouer, aussi !

Je trouve cela injuste et anormal. Mais de toute façon, courir après une balle ne m'intéresse pas. À la place, je m'imagine des filles jouer contre les garçons. Elles amènent le ballon jusqu'au but adverse à une telle vitesse que l'équipe masculine n'a pas le temps de bouger le petit orteil. Ils ont reçu la défaite de leur vie.

— Salut... Je peux m'asseoir ?

Mon cerveau m'avertit qu'une situation anormale est en train de se produire. Je rêve ou quelqu'un me parle ? Mon corps enclenche l'état d'alerte. Je me retourne en direction de la voix qui vient de m'interpeller : celle de Théo. Le garçon se trouve devant moi, accompagné d'un sourire gêné. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Peut-être veut-il se sentir moins seul. Il a pourtant des amis avec qui il reste une grande partie de son temps...

Incrédule, j'accepte tout de même de me décaler pour l'inviter à s'asseoir à côté de moi. Les premiers instants me semblent étranges. C'est même particulièrement gênant, à vrai dire. Je n'ose à peine penser, ce qui me dérange. Refuser sa demande aurait été plus judicieux... Puis d'un coup, il se met à me parler :

— Je l'ai trouvée super ennuyeuse la leçon sur les aires urbaines. Tu ne trouves pas ?

Je sursaute presque tant je suis surprise, mais c'est toujours mieux que le silence de plomb d'avant. Du moins je trouve. Quoi qu'il en soit, il me faut appliquer la règle à toujours suivre dans ce genre de situations : je réponds à sa question.

— Je suis d'accord, je préfère largement l'Histoire ! m'exclamé-je avec plus d'entrain que je n'aurais pensé.

— Oui, moi aussi ! Mais le programme de cette année ne m'intéresse pas trop. Je suis surtout passionné par le Moyen-Âge.

— J'aime bien aussi cette période. Mais ma préférée reste L'Antiquité.

— Ah, l'Antiquité ! Moi aussi j'aime bien. M'imaginer que tous ces évènements se soient déroulés il y a si longtemps me parait fou.

Décidément, nous avons pas mal de points communs. Nos périodes historiques préférées restera notre sujet de conversation jusqu'à la fin de la récréation. Je suis presque déçue d'entendre la sonnerie nous interrompre. Je me lève et, avec Théo, retourne en cours.

Dans la salle d'Histoire, tout le monde sent bien que les vacances d'automne vont bientôt arriver. Surtout Monsieur Cardot : le pauvre n'essaye même plus de calmer l'indiscipliné Maxime.

Pendant que le professeur dispute son cours de géographie, je repense à ce qu'il vient de se passer. Je me demande bien quelles raisons ont poussé Théo à venir me rejoindre. Comment peut-on sérieusement s'intéresser à moi ? Je reste toujours en retrait et ne parle jamais à personne.

Comme il est à côté de moi en cours, je pensais qu'il en profiterait pour me parler. À la place, il écoute attentivement Monsieur Cardot. C'est dommage, j'aurais aimé discuter un peu plus des raisons qui le font adorer le Moyen-Âge... Mais qu'est-ce que je raconte, moi ? Je m'en fiche qu'il me parle ou non ! Je suis très bien toute seule, à regarder ma fenêtre.

D'ailleurs aujourd'hui, un champ de fleurs aux mille couleurs envahit la cour de récréation. De toutes, c'est le rouge qui domine. Voilà une couleur que je suis loin d'apprécier. Elle est très vive, presque violente pour moi. Ce n'est pas pour rien que le rouge est la couleur du sang. J'aurais préféré des fleurs aux teintes plus douces.

Déçue, je me retourne pour écouter le cours. Le professeur vient de poser une question : « En quelle année a eu lieu la bataille de Verdun ? » 1916, Evidemment ! Je le sais !

— 1916, Monsieur.

— Oui, c'est ça.

C'est Louise qui vient de répondre. Par moment, elle m'agace avec son regard fier caché sous ses bouclettes rousses. Elle lève le menton et nous montre un sourire mal dissimulé. Il n'y a pas de quoi être fier à ce point ! Moi aussi, je connaissais la réponse. Il m'aurait fallu participer, peut-être ? Sauf que je déteste cela. Dès que vous levez la main en classe, tout le monde vous regarde, et attend impatiemment votre réponse. Si vous répondez juste, les autres vous jugeront de « fayot » - je ne supporte pas ce mot que certains dans la classe utilisent à tout va. Si vous donnez une mauvaise solution, vous avez juste l'air ridicule.

Conclusion : je préfère garder mes réponses pour moi. Même si entendre la voix aigüe de Louise me voler la reconnaissance du professeur m'insupporte. Quand je pense à ses manières de replacer ses lunettes rouges contre son nez après chaque satisfaction... Je veux bien admettre qu'elle soit belle et intelligente, mais ce n'est en aucun cas une raison pour paraître autant désagréable !

Mieux vaut ne plus y penser ; regarder à nouveau ma fenêtre me changera les idées. Ah oui, j'avais oublié : les fleurs rouges... Je les observe tout de même, jusqu'à distinguer à travers le champ quatre petites formes bouger. Elles sont roses, beaucoup plus agréables à regarder que le rouge. Je préfère tout de même le bleu. Sans trop exagérer, pour n'attirer l'attention ni de mes camarades ni de Monsieur Cardot, j'essaye de me pencher davantage pour mieux les distinguer : ce sont des cœurs. Quatre cœurs qui sautillent et qui respirent le doux parfum des fleurs, le sourire aux lèvres et le regard pétillant. Je les observe s'amuser ensemble avant de me rendre compte :

Cette situation est complètement ridicule en fait.

Tant pis, elle m'amuse. Du moment que personne ne le sait, je n'y vois aucun inconvénient. Observer des cœurs gambader dans un champ de fleurs n'est pas pire que d'admirer des artistes en tenue moulante danser sur le chant des oiseaux. Je dois tout de même avouer me sentir stupide par moment...

Une fois la journée terminée, la soirée est toute à moi. Je rentre vite à la maison, puis rejoins ma chambre non sans éviter le salon où sont installés mes parents. Soulagée d'arriver au terme de la journée, je m'affale sur mon lit. Le silence dans la pièce contraste tant avec le brouhaha du collège qu'il en devient assourdissant.

J'enlace une peluche laissée sur mon lit, et suis du regard un oisillon imaginaire qui virevolte entre les murs. Ses ailes bleues scintillantes l'emmènent dans toutes les directions. Puis, il vient vers moi. Venir vers moi... Inconsciemment, mes pensées me ramènent à Théo. Je me demande pourquoi il est venu passer la récréation en ma compagnie. Il va décidément falloir qu'on m'explique comment il peut s'intéresser à une simple fille seule sur son banc...

Finalement, l'oisillon se pose devant mon sac de cours. Il a raison, je devrais travailler au moins un peu. Je me lève et pars ouvrir mon agenda. Ses pages sont noircies de devoirs. Les professeurs profitent toujours de l'arrivée des vacances pour nous ensevelir sous le travail. Adorent-ils à ce point savoir leurs élèves abattus face à leurs beaux jours de repos envolés ? Je me le demande. Et surtout, je me demande si Théo reviendra me voir avant la fin de la période. Cela me ferait-il plaisir ? Je me le demande aussi.

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