Le mercredi est enfin arrivé. Je suis lentement Monsieur Cardot dans la classe, avec les autres élèves. Certains profitent de l'agitation de début de cours pour faire des remarques sur le crâne dégarni de notre professeur d'Histoire.
- T'as vu comment sa mèche bouge avec le vent ? ricane Maxime qui pense impressionner sa petite amie.
Pour autant Monsieur Cardot le laisse dire, il fait mine de n'avoir rien entendu. Ces gamineries m'épuisent ; elles en deviennent insupportables. Je dois tout de même avouer que ses cheveux solitaires prennent parfois des positions amusantes.
Quoi qu'il en soit de sa coiffure, notre professeur commence à nous poser des questions sur nos connaissances du XXème siècle. Installée à ma place, mon regard se tourne instinctivement vers la fenêtre. Ma fenêtre. Du haut de celle-ci je regarde la cour de récréation. J'aperçois un groupe de danseurs, tous vêtus d'un costume moulant multicolore. Ils réalisent une chorégraphie... assez exotique. Pourquoi pas après tout. Je fais abstraction des "moi je sais, monsieur" incessants et m'y attarde davantage.
Avec eux, les oiseaux chantent et le soleil brille de mille feux. On pourrait presque croire que les plantes s'amusent et rient. Même les dessins animés les plus ridicules n'auraient pas osé nous offrir un spectacle aussi absurde. Je le regarde malgré tout. Il reste plus intéressant que Maxime qui raconte à sa voisine comment il parvient habilement à tourner son stylo bleu entre ses doigts.
Tout en suivant le cours d'Histoire d'une oreille, je continue d'observer la cour de récréation à travers ma fenêtre. Après cette chorégraphie que je ne commenterai pas, une pluie de confettis s'abat sur la cour. Des rouges, bleus, oranges, violets, roses... Tout y passe. Puis, les danseurs se mettent à parler. Ils crient même. Ils crient si fort que je suis sûre que l'entièreté de ma classe les entendrait s'ils n'étaient pas le simple fruit de mon imagination.
Lorsqu'ils cessent de crier, ce sont les bruits de la salle qui attirent mon attention. Mila et Anaïs discutent au premier rang, pendant qu'Hugo joue au morpion avec son voisin. C'est officiel : Monsieur Cardot a déjà perdu l'attention de ses élèves. Eux, ont perdu la mienne : observer ma fenêtre me semble bien plus agréable que de les regarder.
Dans la cour, les danseurs agitent à nouveau leur corps au rythme d'une musique exotique. Je les admire, transportée au gré de leurs mouvements dans un monde merveilleux. Jusqu'à ce que soudain, caché derrière la farandole de couleurs, un autre élément m'interpelle : une petite fille. Une petite fille assise sur le toit rouge cramoisi du préau. Elle regarde devant elle au loin, semble perdue dans ses pensées. A quoi réfléchit-t-elle ?
Je détache mon attention du cours pour l'observer plus attentivement. Ses cheveux violets, soigneusement coiffés en un carré court, sont en partie cachés par un chapeau mauve et indigo qui la rend charmante. Son petit nez et sa fine bouche mettent en valeur ses grands yeux, de la même couleur que ses cheveux. Je les trouve remplis d'une immense tristesse, que la petite fille ne semble pas vouloir cacher. Je me demande ce qui la rend tant malheureuse...
Ses habits, tout comme son visage, sont très élégants. Elle porte une étroite robe mauve et lilas qui lui arrive jusqu'aux genoux. Ses bottes, dont les couleurs suivent avec le reste de sa tenue, cachent l'autre moitié de ses fines jambes. Décidément, elle adore le violet ! Puisqu'elle est assise, complètement recroquevillée sur elle-même, je ne peux pas apercevoir toute sa robe. Je distingue cependant plusieurs ornements qui la rendent très sophistiquée.
- Qu'est-ce que tu regardes ?
Je m'étouffe comme si j'avais avalé de travers. Brusquement je me retourne et fais face à Théo. Mon voisin de classe replace une mèche châtain tombée sur ses yeux bruns, sans doute pour mieux me dévisager. Qu'est-ce qu'il me veut ? Moi, à qui personne n'adresse jamais la parole ! Gênée par son intervention, je réponds presque sèchement :
- Rien...
Son sourire timide, jusque-là dessiné sur son visage, disparaît. Comme ça, d'un coup. Théo décide de clore notre courte discussion et se retourne vers le tableau. Il semble déçu, même si j'ai du mal à cerner sa réaction.
Il m'en veut ? Je dois avouer regretter le ton que j'ai employé. J'ose à peine le regarder maintenant. Mais il n'avait de toute manière pas à me déranger !
Toujours perturbée par ce qui vient de se passer, je me retourne en direction du préau pour regarder la petite fille. Tiens, elle a disparu...
J'aurais aimé l'observer davantage. Tant pis, j'en profite pour me concentrer sur le cours d'Histoire. Je dois dire que mes capacités m'ont permise les années précédentes de garder une moyenne satisfaisante de quinze sur vingt. D'accord, avec davantage d'attention en classe, il me serait facile d'obtenir un ou deux points de plus. Mais peu importe ; je suis satisfaite de mes notes. Je ne vois pas l'intérêt de travailler davantage.
La sonnerie de fin de cours retentit. Nous quittons tous la classe avec plus ou moins d'empressement. Je fais partie des plus lents. Avant que je ne franchisse la porte, Monsieur Cardot m'interpelle :
- Ça va, Léa ?
Aujourd'hui est décidément la journée des questions stupides. Je réponds que oui, sans comprendre où il veut en venir, puis quitte la pièce sans plus attendre. Ma montre indique midi : les cours sont terminés pour cette journée.
Je marche vers la sortie du collège. Une dizaine d'élèves se bousculent pour sortir les premiers. A cause d'eux je me retrouve bloquée quelques minutes de plus du mauvais côté de la grille. A ma droite, certains discutent de leurs activités en club qui les attendent cet après-midi. Je n'ai pour ma part pas prévu de sortir de chez moi. On se demande parfois à quoi je peux occuper mon temps libre. A vrai dire, il y a des jours où je ne saurais le dire moi-même.
Le temps passe vite pour moi. Trop vite. Je suis parfois tellement perdue dans mes pensées qu'une heure entière s'écoule sans que je ne m'en aperçoive. Je me couche tôt et dort beaucoup aussi. J'adore rêver. Tout comme la fenêtre du cours d'Histoire, les nuits me content régulièrement d'étranges aventures qui me font quitter le temps d'un instant le monde dans lequel je vis, et qui pourtant, ne semble pas fait pour moi. Cet univers imaginaire est le seul endroit où je me sens en sécurité.
Même de retour à la maison il me suit encore : devant moi se dessine un mirage d'une adorable famille qui me remarque et me souhaite un bon retour. Je ne peux m'empêcher de les saluer à mon tour, avant de déposer mes affaires au pied du porte-manteau. En me découvrant dans le salon, mes parents ne tardent pas à m'appeler pour le repas. Je marmonne à leur "Ta matinée s'est bien passée, chérie ?", puis m'installe à table.
Les lasagnes de mon père m'attirent plus que leur débat de politique. Elles fondent dans la bouche et laissent un goût chaleureux sur la langue. Malgré tout, savourer n'est pas de mise : je préfère quitter au plus vite ce salon pour rejoindre ma chambre. Moins je supporterai ces repas de famille, mieux je me porterai. Même avec ma grande sœur, rester à table m'était pénible, alors depuis qu'elle est partie pour ses études...
Les escaliers montés, je retrouve enfin ma chambre. Je me place face à ma bibliothèque et laisse un minuscule lutin au chapeau pointu choisir ma lecture de l'après-midi. Il pointe de son long doigt un manga à la tranche colorée. Bonne idée ! J'adore cette série. Elle conte l'histoire d'un garçon solitaire qui se transforme en justicier au coucher du soleil. Rien d'original, mais je la dévore.
Je tourne les pages de droite à gauche machinalement. Je connais cette scène par cœur. Celle-ci aussi... J'ai beau adorer ce manga, un peu de nouveauté serait la bienvenue. Je n'ai jamais senti le temps passer aussi lentement.
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