Chapitre 16
Je marche en direction du collège, mon sac dans le dos, les bras ballants et la tête levée vers le ciel. Ce dernier est teinté d'un gris menaçant aujourd'hui. J'espère ne pas avoir à finir mon trajet trempée.
Derrière la grille, les centaines d'élèves rendent la cour encore plus noire que le ciel. Je me fraye un chemin jusque Théo et ses deux amis. Louise me salue d'un geste de la main qui me fait l'effet d'un tremblement de terre. Depuis que j'ai identifié mes sentiments pour elle, je ne cesse d'y penser. Devrais-je le lui dire ? Sûrement pas ! Rien ne me prouve qu'elle soit amoureuse de moi. Et puis... rien ne me prouve qu'elle aime les filles en général non plus.
La matinée passe et les nuages s'accumulent au-dessus de nos têtes. Ce n'est que lorsque nous arrivons en Histoire que le ciel vient à se déchaîner. Les gouttes de pluie tapotent par milliers contre les vitres. Même en cours de musique, aucune mélodie plus belle et apaisante n'est jusque-là venue chatouiller mes oreilles. A l'extérieur, la cour inondée se remplit d'eau à une vitesse prodigieuse. Elle devient recouverte d'au moins deux mètres de pluie. Heureusement, Murasaki est tranquillement installée sur le toit du préau. Midori, quant à elle, n'est pas là aujourd'hui. J'espère qu'elle va bien.
Au sol, qui s'apparente désormais plus à un lac qu'à une cour de récréation, des poissons nagent tranquillement. Qu'ils paraissent calmes... Rien ne semble pouvoir les perturber. Les observer m'est à la fois fascinant et relaxant. J'ajouterais même amusant. C'est que la plupart des poissons, avec leur queue qui bouge dans tous les sens, nagent de façon complètement ridicule. Certains sont... particuliers. Mon préféré est la carpe verte recouvertes de motifs en forme d'étoiles bleues. L'hippocampe avec une vraie tête de cheval reste tout aussi étrange. Je ris doucement à la vue d'un blob Fish rose pailleté qui se plait dans son rôle de boule à facette. Ma réaction a d'ailleurs attiré l'attention de Maxime, assis devant moi. Il me regarde bizarrement maintenant...
Monsieur Cardot achève son cours et nous invite à ranger nos affaires. Je me dois de quitter mes petits poissons... Il m'est difficile de les abandonner, mais Théo et les autres m'attendent pour sortir. Je passe le pas de la porte. Un seul pied dehors, et déjà la pluie m'écrase de tout son poids. Je suis trempée ! C'est malheureusement ce que je craignais... Pourquoi n'ai-je donc pas pris de sweat à capuche ? Le trajet jusque chez moi s'annonce pénible. J'ai intérêt à me dépêcher.
Je m'active jusque la grille sans oublier de saluer Hugo, Louise et Théo. Soudain ce dernier m'interpelle. Je m'arrête et me retourne :
— Tu rentres à pieds ? me demande-t-il.
— Oui...
— J'ai un parapluie, je peux t'accompagner si tu veux. Je crois que ta maison est proche de la mienne : j'ai juste à faire un petit détour. Tu seras trempée, sinon ! »
Décidément, sa gentillesse me surprend encore. Je le remercie infiniment et accepte volontiers. Nous sommes collés l'un à l'autre sous son parapluie ; cette proximité m'est agréable. Hugo et Louise, quant à eux, s'apprêtent à prendre leur bus. J'aurais bien aimé qu'elle soit avec moi sous le parapluie. Ah, je pense encore à elle ! Je n'en peux plus de garder ce secret pour moi, mais à qui pourrais-je me confier ?
J'ai trouvé. Je sais qu'elle, elle ne me rejettera pas si je lui avoue. Dès ce soir, je l'appellerai.
Théo et moi discutons le long du trajet. Il est plus loquace que Louise, ce qui m'arrange bien. Les silences laissent le champ libre à mes pensées, qui en profitent toujours pour m'envahir. Là, aucune chance qu'elles viennent me déranger.
Jusqu'à ce que, d'un coup, Théo cesse de parler. Je me tourne vers lui : il regarde au loin. Comme toujours son sourire naturel illumine son visage. Je me demande à quoi il réfléchit. Ses pensées l'absorbent-elles tout autant que moi ? Il a l'air serein en tout cas.
Malgré sa présence apaisante, il me tarde de combler ce vide qui m'oppresse. Soudain, une idée me vient. J'aimerais lui dire quelque chose. Quelque chose sûrement bien absurde et inutile, mais qui me semble important. Comment le lui dire sans paraître ridicule ? Comment rester la plus naturelle possible ? Mes craintes me supplient de ne rien dire, mais mon courage me rétorque que je risque de le regretter. Après tout, je n'ai rien à perdre.
Théo est toujours pensif, mais semble ouvert à une intervention de ma part. C'est le moment. Pourtant, alors que j'ai tous les mots que je dois prononcer en tête, ma bouche peine à s'ouvrir. Je n'ose pas...
Enfin, ma voix se fait entendre. Elle remercie Théo de m'avoir abordée ce jour-là, lorsque j'étais seule sur mon banc. Aussi de m'avoir proposé de manger avec eux à la cantine. Elle ajoute que je passe de formidables moments avec lui, Louise et Hugo, et que c'est grâce à lui si je suis avec eux. Elle précise ensuite que ma timidité doit être gênante par moment. Pour cela, elle s'excuse si j'ai parfois des comportements étranges.
Je me suis surprise moi-même en confiant de tels sentiments, comme si ce n'était pas moi qui venais de parler. Tu n'aurais pas dû, petite voix... Je suis sûre que tu l'as mis mal à l'aise maintenant. Je l'ai mis mal à l'aise.
Mais Théo me répond le visage rayonnant. Encore davantage qu'il ne l'était déjà.
— C'est plutôt à moi de te remercier ! Je suis ravi d'être ton ami, tu es vraiment une personne sympa et gentille. Et ce n'est rien si tu es timide, ça fait partie de toi. Au contraire, tu nous apaises, ça fait du bien. C'est comme ça qu'on t'apprécie tous.
Je n'y crois pas : il me trouve « sympa » et « gentille ». Vraiment ? Je... Jamais je n'aurais cru qu'on pourrait penser de telles choses de moi. Et puis... Nous sommes vraiment « amis » ? Je suis tellement touchée de l'entendre le dire ! Même si le sens de ce mot reste encore assez vague pour moi...
La pluie tombe toujours lorsque nous arrivons devant chez moi. Après s'être exclamé que ma maison est vraiment belle, Théo me dit au revoir et s'en va. J'aurais bien aimé qu'il reste encore un peu.
Je passe par le salon saluer maman, avant de monter dans ma chambre. L'impatience me consume, je me dois vite d'attraper mon portable pour parler à Margaux. Elle ne tarde pas à décrocher :
— Et bien Léa, qu'est-ce qu'il se passe de si important pour que tu m'appelles comme ça ?
— Margaux... Je dois te dire quelque chose... Tu me promets de ne rien dire ?
— Promis ! Alors, c'est quoi ?
— Et bien... Je crois que je suis amoureuse.
— Bravo, petite sœur ! Tu es atteinte d'un mal qui touche quatre-vingt-dix-neuf pour cent des jeunes.
— T'es pas drôle ! Et pourquoi un "mal" ? Bref, peu importe. Je ne suis pas seulement amoureuse... C'est pire que ça. En fait, je suis amoureuse d'une fille.
— Je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'il y a de pire ?
A l'entendre, je croirais lui annoncer avoir mangé des pâtes à la cantine : la définition même de la banalité.
— Mais enfin, Margaux : une fille ! Je suis une fille, qui aime une fille ! Je... Tu n'es même pas surprise ?
— Tout ce qui m'importe, c'est que tu sois amoureuse. De qui, j'en ai rien à faire. Enfin, si : ça m'intéresse. Elle est comment ? C'est cette Louise, je parie ?
— Comment tu sais ?
— Je suis ta grande sœur : je te connais par cœur !
Je peux le certifier : Margaux me connaît mieux que moi-même. C'en est effrayant. Aussi plutôt agréable par moment : elle trouve toujours le mot parfait pour me soutenir et me conseiller. Elle en inventerait même de nouveaux au besoin.
Margaux n'a eu que des déceptions en ce qui concerne l'amour, je viens d'apprendre. Pour autant, elle me convainc que de mon côté, je peux tout faire pour être heureuse. J'espère de tout cœur la savoir un jour épanouie sur ceux plan-là. Même célibataire, tant que cela lui convient, j'en serais ravie.
— Surtout, tiens-moi au courant, insiste-elle avant de devoir raccrocher.
L'esprit plus léger, je rejoins mes parents pour le dîner. Nous racontons tour à tour nos journées entre deux bouchées de hachis parmentier. Maman complimente papa sur son chemisier. Leurs intentions l'un pour l'autre sont pourtant assez rares. Au fait, que ressentent-ils pour leur couple ?
Pour eux aussi, mon amour pour Louise ne serait qu'une banalité ? Mon instinct me conseille pour l'instant d'éviter le sujet. Le plus important serait déjà de savoir ce que Louise elle-même en pense.
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