Chapitre 11

Adossée à la façade du collège, je contemple le ciel dont les nuages cachent le froid soleil d'hiver. Le bras gauche de Louise, couvert de son gros manteau rouge, effleure le mien, tandis que je sens l'épaule de Théo de l'autre côté. Hugo, à gauche de son ami, se frotte les mains pour se réchauffer comme il peut.

Je passe désormais la plupart de mes récréations en leur compagnie. Nous nous découvrons chaque jour de nouveaux points communs. Des différences aussi, comme lors de notre débat sur nos séries préférées. Mais ces mêmes différences me font les apprécier chaque fois de plus en plus.

Aujourd'hui, notre discussion suit le rythme des compétitions de gymnastique de Louise et les anecdotes de Théo sur son filleul. Puis, Hugo me lance sur un manga. Il me confie ses théories les plus folles sur la suite de l'intrigue.

— Tu n'as pas encore lu le dernier tome ? je m'étonne. La fin est incroyable ! Tu verras, tu seras surpris.

— Pas encore : je préfère attendre la sortie de l'anime. Mais j'ai hâte !

— Et bien, intervient Théo, vous aimez vraiment les mangas, vous deux.

— On ne comprend rien à ce que vous dîtes, remarque Louise.

Hugo s'amuse de cette dernière réflexion, pendant que je tente au mieux de m'excuser.

— Mais c'est rien, Léa ! s'exclame Louise. Au contraire, c'est génial de vous voir passionnés. Tu aimerais aller au Japon ?

— Oh oui, répondis-je les yeux remplis d'étoiles, j'adorerais ! D'ailleurs, j'ai décidé d'apprendre le japonais.

Au tour d'Hugo d'avoir des étoiles dans les yeux, ou plutôt une galaxie entière. Il m'envie tant de pouvoir prononcer quelques phrases basiques de cette langue orientale : j'en suis honorée.

Nous formons un véritable groupe à nous quatre. Un groupe... d'amis ? Ai-je le droit de les considérer comme tels ? Je me le demande. La définition de ce mot m'est assez floue.

Voilà maintenant plusieurs semaines que je ne passe plus mon temps sur mon banc, près du préau. Des sixièmes en ont profité pour s'y installer. Du moins, à condition que « se mettre debout et jouer dessus » est la définition de « s'y installer ». C'est étrange de pouvoir apercevoir mon banc de l'autre extrémité de la cour. L'observer me rappelle tant de souvenirs... Même si j'apprécie m'asseoir dans ce nouveau petit coin, qui semble désormais presque appartenir à nous quatre, j'aimerais bien proposer à Théo et les autres d'y retourner de temps en temps.

Oui, j'y retournerai. Non plus seule, mais avec eux. Et même seule, après tout, rien ne m'en empêche. J'aimerais aussi que quelqu'un se décide à le repeindre, ce vieux banc. Cet orange n'est décidément pas terrible.

Contre moi, je sens Louise trembler de froid. Hugo, quant à lui, frictionne toujours ses mains.

— Je n'en peux plus, se plaint-il. Faite venir le printemps !

— A ce stade, c'est carrément l'été que je veux, réplique Louise.

Je m'inscris avec eux au club des frileux. Même les garçons qui courent après leur ballon de football gardent leur gros manteau. Théo est le seul d'entre-nous à ne pas se plaindre de la température. Je l'envie tant ! Chaque année, mon corps souffre le martyre face à cet air glacial. La chair de poule et les claquements de dents ont beau tenté de riposter, rien n'y fait.

Je trouve cependant cet hiver moins pénible, en compagnie d'eux trois. Les récréations passent plus vite. Beaucoup plus vite. C'est agréable d'avoir des personnes avec qui discuter, s'amuser, et passer du temps, même si j'apprécie aussi rester seule de temps en temps. En fait, je n'arrive pas à décider ce que je préfère...

La pause terminée, nous nous apprêtons à rentrer dans la salle de Monsieur Cardot. Avant de s'installer à ma table, je croise le regard de Mila qui me salue timidement. Je l'ai trouvée tellement gentille lorsque nous avons joué le jour de la neige. J'aimerais lui reparler, mais comment être certaine de ne pas la déranger ? Peu importe, de toute façon elle vient déjà de s'asseoir à sa place.

Comme toujours en Histoire, le chauffage envahit la pièce. Cette chaleur me fait tant de bien après le froid glacial de la cour. Théo, en revanche, se plaint qu'il a trop chaud. Sans réfléchir que je me mets à baisser le thermostat du radiateur, à ma droite. Lui qui me convenait pourtant parfaitement... Je ne comprends pas ce qui m'a pris. Théo ne m'a rien demandé en plus ! Je n'ai pas pour habitude de passer les désirs des autres avant les miens. Je me pensais plus égoïste ; le suis-je réellement ?

Décidément, je me pose trop de questions aujourd'hui. Je devrais jeter un coup d'œil à ma fenêtre, histoire de penser à autre chose.

Du haut de celle-ci, je remarque Murasaki sur le préau. Midori s'y trouve également. Elles discutent et s'amusent toutes les deux. Leur complicité me réchauffe le cœur. Les voir ensemble me rappelle que je dois l'appeler, elle. Il me tarde d'entendre la sonnerie, pour sortir du cours.

Voilà qu'elle retentit. Pressée, mais malgré tout toujours plus lente que les autres, je quitte la salle de classe. Puis, après avoir salué Théo, Hugo et Louise de la main, je sors du collège. Je n'attends pas d'être de retour chez moi pour prendre mon portable et appeler le contact « Margaux ».

J'attends qu'elle réponde. J'espère au moins qu'elle le fera. Je sais qu'elle n'a pas cours à cette heure, mais elle doit être occupée...

Je commence à perdre patiente, je devrais réessayer plus tard. Soudain, j'entends enfin sa voix cristalline qui m'est familière :

— Allô ? Léa, c'est toi ?

— Oui Margaux, c'est moi.

Cette fois-ci, j'ai un peu réfléchi à ce que j'allais pouvoir lui dire, pour éviter de paniquer. Je lui demande tout d'abord rapidement des nouvelles. Elle m'assure qu'elle se porte bien. Ses cours lui prennent plus de temps cette année que les précédentes, mais elle va pouvoir se reposer dès les prochaines vacances. J'en profite pour lui proposer :

— Justement en parlant de vacances, ce serait sympa si on pouvait se voir toutes les deux. On ne passe plus beaucoup de temps ensemble et ça me manque un peu...

J'attends sa réponse, qui tarde trop à venir à mon goût. Ai-je mal fait ? Je n'aurais pas dû lui demander, je le savais ! Puis, Margaux met fin à mon angoisse. Elle répondant :

— Oh oui, moi aussi ça me ferait plaisir ! Tu sais que je suis débordée en ce moment, mais je trouverai le temps. Je te rappelle dès que possible pour programmer ça.

— Ça marche, dis-je d'un air qui trahit ma joie.

— Désolée d'être moins disponible, ajoute-t-elle, mais tu peux m'appeler quand tu veux, je serai là pour toi.

Nous continuons de discuter quelques instants. Elle me pose plusieurs questions et je dois dire être étonnée de constater qu'elle s'intéresse autant à moi. Margaux ne cessera décidément jamais d'être attentionnée et à l'écoute. On dirait Théo. Je suis presque arrivée à la maison lorsque nous raccrochons. Il ne me reste que quelques mètres avant d'entrer chez moi. Je cours dans ma chambre sans me préoccuper du « Bonsoir, chérie » de ma mère. Une fois chez moi, mon corps est encore gelé par le froid d'hiver, mais les paroles de Margaux m'ont réchauffé le cœur. J'ai hâte de passer enfin du temps avec elle, avec ma grande sœur.

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