Chapitre 38 ⋅ Le feu et la glace

— Bonsoir ! Je suis Oikawa Tooru, le petit-ami de Fusae ~

Jamais, au grand jamais, Fusae n'aurait cru voir un jour la stupéfaction sur le visage de son père, et pourtant ce fut le cas. Il lui sembla même que sa mâchoire allait se décrocher lorsque son volleyeur de voisin se présenta ainsi, armé de ses manières charmeuses et de sa haute stature, à leur sortie du Shinkansen. Elle-même n'avait pas su cacher sa surprise et son embarras à ces mots, qui l'avaient fait rougir jusqu'à la pointe de ses cheveux – d'autant qu'ils n'en avaient pas encore parlé entre eux. Un long silence s'était ensuivi dans le brouhaha de la gare, constellé pour l'adolescente des battements effrénés de son cœur que l'angoisse n'aidait nullement à calmer, jusqu'à ce que sa belle-mère sorte de son mutisme pour tendre la main à son accompagnateur.

— Bonsoir Tooru, je suis Saori, la belle-maman de Fusae, le salua-t-elle avec une joie non dissimulée. Et voici Haru, son petit frère.

— C'est un géaaant ! couina le garçonnet de sa petite voix ahurie, avec non plus des étoiles mais toute la galaxie dans les yeux.

— Salut, toi ! C'est rigolo, t'as les mêmes yeux que Sae-chan. T'as quel âge ?

Il n'avait rien fallu de plus à ces deux-là pour tomber sous le charme musical du volleyeur, sur les épaules duquel fut bientôt hissé tout naturellement le petit Haru extatique. Difficile d'en dire autant pour le père de la fratrie qui restait en retrait, à les toiser d'un œil inquisiteur. Fusae réprima un frisson d'effroi. Elle l'avait bien sûr prévenu qu'elle venait accompagnée ce week-end, mais n'avait à aucun moment mentionné un quelconque petit-ami, cantonnée à un rapide « ami proche » à mi-voix, pour la simple et bonne raison qu'elle n'osait pas le définir comme plus que ça. Ils n'avaient encore jamais sérieusement qualifié leur relation d'amoureuse – même après leur baiser au clair de lune ou ce trajet en train collé l'un à l'autre. Et ça, son père tout comme elle ne s'y étaient vraisemblablement pas attendus.

— Bonsoir papa, le salua la lycéenne d'une voix timide après s'être approchée de lui à pas comptés, son voisin sur les talons. Je te présente Tooru, mon... petit-ami.

— Enchanté monsieur, enchaîna le concerné avant qu'elle ne s'emmêle dans ses hésitations. Je suis ravi d'enfin faire votre connaissance ~

Masaru lui répondit par un simple hochement de la tête, son regard acier empreint comme toujours de cette froideur à glacer le sang que sa fille n'avait jamais réussi à intégrer ou déchiffrer. Était-il en colère ? Déçu ? Contrarié, à n'en point douter. Impossible cependant d'en être totalement sûr car c'était ce même visage de marbre que Fusae avait toujours connu. Son cœur se serra ; le week-end s'annonçait sur le fil. Et Saori d'à nouveau y jouer les funambules :

— On y va ? J'ai réservé un restaurant de monjayaki dans le centre !

— Des monjayaki ? C'est pas la version tokyoïte des okonomiyaki ? s'enquit Tooru, non sans décocher une œillade qui voulait tout dire à sa petite voisine.

— C'est cela, acquiesça sa belle-mère avec un sourire, ravie par son intérêt. Je pense pas que Fusae ait déjà goûté, alors j'ai pensé que ce serait une bonne idée d'essayer. Tu en as déjà mangé, toi ?

— Pas vraiment. Enfin, ma sœur a essayé de nous en faire une fois, mais ça s'est pas bien terminé... Du coup, je suis content d'essayer ça avec Sae-chan ~

Ce disant, le volleyeur glissa distraitement une main sur la taille de Fusae, qui rosit d'embarras dans la seconde, mais ne put se résoudre à le repousser. Elle sut aux coups d'œil furtifs des deux adultes que cela ne leur avait pas échappé. Si sa belle-mère ne releva pas plus que cela, son rire se mêlant au brouhaha de la gare, ce ne fut pas le cas de son époux. Son regard acier, celui dont avait hérité sa fille, se fit plus scrutateur sur les deux adolescents. Il ne put cependant rien dire car déjà Saori les invitait à se mettre en marche. Fusae hésita un instant avant de s'exécuter, dans la crainte que tout explose. Il n'en fut pourtant rien ; le sourire chaleureux de Tooru se heurta à l'iceberg qu'était son père, et c'est dans un étrange malaise que la petite famille sortit de la gare en direction du restaurant.

Les monjayaki n'étaient pas tout à fait comme les okonomiyaki. Bien sûr, la pâte était moins consistante, et les assaisonnements différaient radicalement, donnant au plat un goût moins relevé, plus caramélisé, que les capricieuses pupilles de Fusae parvinrent à apprécier. Cependant, ce qui changeait du tout au tout pour l'adolescente, c'était bel et bien les circonstances dans lesquelles elle les goûtait. Son regard survola la tablée où se chevauchaient les ambiances, dans une cacophonie des plus perturbantes. Entre les crépitements du teppan intégré à la table, les voix de Tooru et de sa belle-mère menaient le plus gros de la discussion : questions, remarques, compliments, comparaisons entre Haru et le neveu d'Oikawa... tout y passait pour étouffer la tension qui reprenait le dessus à chaque silence. Car si elle avait vaguement participé à la conversation çà et là – surtout à l'initiative de son voisin qui lui retournait chaque question avec un naturel déconcertant – son père, lui, n'avait pas prononcé le moindre mot. Elle s'attendait presque à le voir s'exprimer avec pour expliquer son silence plus que pesant.

— Tu as bien mangé, ma chérie ? finit par demander Saori avec douceur.

Un sourire tendre, presque maternel, étirait ses lèvres. Le même que sa mère lui avait adressé quelques heures plus tôt à son départ de Sendai. Son cœur se serra ; elle ne pouvait pas lui retourner ces sentiments. Alors elle répondit après un raclement de gorge :

— O-oui oui, j'ai... c'était très bon...

— Ah, ça me fait plaisir ! Tu sais, c'est ton père qui a eu l'idée de te les faire goûter. Il m'en a parlé l'autre jour, mais il avait peur que ça ne te plaise pas.

— Saori, intervint ledit père de sa voix grave afin de la faire taire.

— Quoi ? C'est vrai... ! C'est important de le dire aux gens, quand on les aime !

La jeune fille se crispa sur son siège, foudroyée par cette déclaration. Ses yeux glissèrent sur le verre de saké devant l'assiette de sa belle-mère, à peine siroté et pourtant déjà bien assez actif dans ses veines pour qu'elle perde ainsi sa contenance. Ceci dit, elle se doutait bien que, même prononcés sous le poids de l'alcool, ces mots venaient du fond du cœur. Un soupir tremblotant lui échappa. Aimer, c'était un bien grand mot, surtout pour son père avec qui tout autre qualificatif aurait été mieux adapté que celui-là. À vrai dire, ce verbe avait plutôt le don d'attirer son attention sur celui qui se tenait à sa gauche, sur son rire mélodieux face à la douce ivresse qui s'emparait de sa belle-mère, sur la chaleur réconfortante qui s'échappait de son corps près du sien et dans laquelle elle avait une folle envie de se nicher.

— Fusae, la héla son père avec sa rudesse habituelle, l'arrachant dans un tressaillement à sa contemplation discrète de Tooru. Tu veux reprendre un monjayaki ?

— Ah, euh... non, ça va aller, je...

— Tu es sûre ? On peut en re-commander si tu as encore faim.

— Ça va, merci mais... je n'ai plus faim, donc...

— C'est vrai que t'as pas beaucoup mangé, Sae-chan. Tu vas rester une crevette si tu continues comme ça ~

Cette taquinerie valut à Tooru un regard surpris, presque offusqué, de la part de Fusae qui s'en trouva bouche bée. Elle eut de la peine à assimiler ce qu'il venait de se passer, tandis que sous ses nerfs tendus par le stress, tout s'accélérait. En temps normal, ça ne l'aurait pas gênée qu'il la charrie ainsi, et elle savait parfaitement qu'il avait dit ça pour détendre l'atmosphère. Or là, dans ce contexte tout particulier, avec ce malaise croissant qui lui enserrait le cœur et les sentiments contradictoires que cette rencontre avec son père engendrait, ça avait un étrange arrière-goût de trahison.

— Ç-ça va aller, je... j'vais juste... prendre de l'eau, je crois... bégaya-t-elle dans sa nervosité, avant de tendre le bras pour attraper la carafe au bout de la table.

— Ah, attends Sae-chan, l'interrompit son voisin, en se redressant pour lui donner ce qu'elle voulait.

Malheureusement pour la lycéenne, qui ne pensait pas que c'était encore possible, tout empira. Dans son geste si rapide qu'il en devint brusque, Tooru bouscula la coupelle de sauce okonomi qui trônait près de son assiette. Son contenu se renversa sur la table à la vitesse d'un ras-de-marée, jusqu'à éclabousser la jupe en jean de l'artiste. Cette dernière recula contre son siège en couinant de surprise, alors même que son voisin pivotait entièrement vers elle.

— Merde ! Pardon pardon, Sae-chan, c'est de ma faute, débita aussitôt le fautif en louchant sur la tache qu'il venait de faire sur son vêtement. A-attends, j'vais nettoyer ça...

Trop hébétée par sa soudaine panique, émotion qu'elle n'avait que rarement aperçue chez lui, Fusae ne répondit pas. Elle le laissa faire, regarda sans un mot l'étrange trait de rose qui se dessinait au coin de ses pommettes et le tremblement à peine perceptible de son bras, quand il attrapa sa serviette pour l'humidifier et nettoyer la macule sur sa jupe dans un geste machinal mais hâtif. Quelques secondes s'écoulèrent en silence, rythmées par les tapotements de Tooru sur le tissu qui résonnèrent dans tout son corps et la firent rougir jusqu'à la dernière de ses cellules, avant que sa belle-mère ne reprenne la parole – et elle se rappela qu'ils n'étaient pas seuls.

— Ah la la, mon garçon, tu fais pire que mieux, commenta-t-elle avec amusement, le cou tendu pour apercevoir ce qu'il faisait.

— Aha, oui, reconnut le concerné dans un petit rire nerveux, en se grattant l'arrière de la tête avec embarras. J'avoue que je fais un peu comme ma mère quand elle se salit, mais c'est pas une as de la lessive...

L'adulte sourit, puis prit appui sur la table pour se lever.

— C'est pas grave, mon grand. Viens, Fusae, on va aller régler ce problème dans les toilettes.

— Euh... hésita-t-elle, peu certaine de vouloir laisser Tooru seul avec son père. D-d'accord, j'arrive.

Ses pupilles accrochèrent l'éclat mordoré de celles de son voisin, dont le coin des lèvres se retroussa dans un sourire encourageant, et l'adolescente se leva pour emboîter le pas à Saori. Le dernier coup d'œil qu'elle jeta par-dessus son épaule, en direction des deux hommes assis en quinconce, ne la rassura pas du tout. Cependant, sa belle-mère la pressa à l'intérieur des W.C., et le brouhaha du restaurant disparut derrière la porte.

Fusae s'assit au bord de l'ottoman en cuir noir qui traînait dans le fond de la pièce. Son regard hésitant croisa celui de Saori, un peu vitreux à cause de l'alcool, mais débordant d'affection, qui la fit baisser les yeux instantanément. Mal à l'aise, elle se focalisa plutôt sur la raison pour laquelle elles se trouvaient là. À la lumière des W.C., elle put constater la faible étendue des dégâts. Au fond, il n'y avait pas énormément de sauce ; un peu de produit détachant, et cela partirait vite à la machine. Un soupir franchit à nouveau ses lèvres frémissantes.

— Tu veux que je t'aide ?

Elle leva les yeux vers sa belle-mère, qui s'était rapprochée pour inspecter distraitement la tache de graisse qui maculait désormais sa jupe. Lui prenant délicatement des mains la serviette de Tooru – et elle s'aperçut dans un rougissement qu'elle l'avait toujours entre ses doigts – l'adulte entreprit de nettoyer à sa place le tissu sali à coup de frottements discrets et mécaniques. De longues secondes durant, la plus jeune ne dit rien, le regard rivé sur celle qui avait épousé son père voilà maintenant dix ans.

Saori ne lui avait jamais fait de mal, que ce soit physiquement ou mentalement. Chaque fois c'était elle la touche de douceur contre laquelle elle ne pouvait rien, la lumière au milieu des ténèbres de Tokyo. Elle s'efforçait de trouver des choses à faire pour que sa belle-fille ne s'ennuie pas, bâtissait des ponts entre son demi-frère et elle, et tempérait la rudesse dont son mari pouvait faire preuve à son égard. Fusae aurait dû l'aimer, elle n'avait aucune raison de la détester. Alors pourquoi y avait-il toujours cette impression qu'elle essayait de remplacer sa mère ? Pourquoi, à la place de ses courts cheveux châtains, qui biquaient sur les pointes et rehaussaient son teint de pêche, l'adolescente voyait-elle plutôt la longue cascade des boucles ébène de sa mère ? Pourquoi dans ce geste si anodin que constituait le nettoyage de sa jupe, trouvait-elle un écho de sa mère qui soignait ses bobos d'enfant ? La culpabilité se resserra sur sa poitrine.

— Vous avez l'air de bien vous aimer, avec Tooru.

La remarque de Saori la fit tressaillir, d'autant qu'elle l'agrémenta d'un regard complice sans cesser d'essuyer son vêtement, et Fusae ne put que s'emmêler dans ses rougeurs et dans ses mots. Baissant la tête, elle se cacha derrière le rideau de ses cheveux – et pour la seconde fois dans la journée, elle fut bien contente de ne pas les avoir attachés.

— A-ah ? Sans doute, je... j'imagine que oui.

— T'en as pas l'air tout à fait certaine, rit son interlocutrice. Vous ne vous aimez pas ?

— Si si, ce... c'est juste que je sais pas trop, avoua-t-elle dans un murmure. S'il m'aime ou pas, je veux dire...

Elle déglutit, mal à l'aise. C'était étrange d'avoir cette discussion avec sa belle-mère, quand elle ne l'avait jamais eue avec sa propre mère. Était-ce une mauvaise chose ? C'était là toute la question, qui portait les échos de ses pensées un peu plus tôt. Saori esquissa un sourire amusé, comme si elle revivait à travers sa belle-fille ses premières amours adolescentes.

— S'il n'y a que ses sentiments à lui qui t'inquiètent, c'est déjà une bonne chose, ça veut dire que t'es sûre des tiens.

— Hein ? Non non, je... j'ai pas dit ça, s'empressa-t-elle de corriger, mais déjà les sourcils de sa belle-mère se fronçaient de confusion.

— Donc... tu ne l'aimes pas... ?

Fusae détourna le regard avant de hausser les épaules, mal à l'aise. Être mise de la sorte face à ses ressentis par sa belle-mère avait quelque chose de particulièrement effrayant. Ce n'était pas comme avec Yuna, où elle pouvait nier en bloc et faire dériver la conversation, ou bien comme avec Tooru lui-même, où même si ce n'était pas toujours facile, elle pouvait retourner la situation à son avantage. C'était une adulte, qui s'y connaissait plus qu'eux trois dans ce domaine et pourrait habilement avorter toutes ses tentatives d'esquive.

— Je pense que tu devrais en parler avec lui, chère Sae-chan, lui confia-t-elle en tapotant le bout de son nez avec la serviette, et la mention du surnom que Tooru lui avait attribué la fit rosir.

— Je sais pas trop... souffla-t-elle, ce qui arracha un rire à sa l'adulte.

— C'est important de le dire aux gens quand on les aime, tu sais. J'ai peut-être un verre dans le nez, ma chérie, mais j'étais sérieuse quand j'ai dit ça tout à l'heure.

Les éclats de sa voix cristalline rebondirent contre les carrelages qui ornaient les murs avant d'être engloutis par le silence. Fusae tourna à nouveau la tête vers sa belle-mère, dont les lèvres maquillées de rose étaient à nouveau retroussées dans ce sourire tendre. Maternel. Alors qu'elle n'était même pas sa mère ? Pourquoi avait-elle envie de se jeter à son cou, à cet instant-là ?

Saori mit fin à ces questionnements en se redressant hâtivement. Elle tituba une seconde, encore sous le coup de l'alcool, mais se stabilisa dans un gloussement qui eut le mérite de provoquer celui de la plus jeune. Son sourire s'agrandit face à cette réaction à laquelle elle ne s'attendait visiblement plus, puis elle lui tendit la main sans attendre :

— Allez, ce serait bien qu'on aille les rejoindre avant qu'ils ne s'entretuent.

— Ah ? T-tu crois vraiment que papa le déteste ? s'inquiéta aussitôt Fusae, en saisissant néanmoins la main qu'elle lui offrait pour se relever.

— Hum, non, je ne pense pas, répondit sa belle-mère dans une moue pensive. Il a juste été surpris par la nouvelle, rien de grave. De toute façon, je doute qu'il soit possible de détester un garçon comme Tooru, n'est-ce pas ?

Le clin d'œil entendu qu'elle lança à l'adolescente la fit rougir, même si elle ne répondit pas. Seul un énième rire lui brûla les lèvres, inespéré en de telles circonstances, à tel point que sa culpabilité vis-à-vis de sa propre mère s'écailla légèrement en plusieurs paillettes de soulagement. Loin d'elle l'envie de l'enlacer déjà, c'était trop tôt. Or cela suffisait pour l'instant à la rassurer un peu. C'est sur cette pensée que Fusae la suivit hors des toilettes publiques, puis à travers le petit restaurant de monjayaki, jusqu'à rejoindre leur petite table au fond de la salle.

Tooru et le père de Fusae ne s'étaient pas battus, loin de là. Ils étaient en vie, sans une égratignure ou le moindre froncement de sourcils pour venir plissée leurs traits, et toujours attablés à la table. C'était à croire que belle-mère et belle-fille n'étaient pas parties. À vrai dire, c'est en grande discussion que la jeune artiste trouva les deux, enfin autant que possible pour la porte de prison qu'était son papa. Ce dernier hochait la tête par intermittence, et répondait à tout par un seul mot ou deux, à en croire le mouvement limité de ses lèvres, mais n'avait pas l'air contrarié. Quant au volleyeur, il avait même l'air plus calme que d'ordinaire, la voix étonnamment posée et moins maniérée. Il retrouva cependant bien vite ses habitudes sitôt que son regard mordoré tomba sur la silhouette de sa petite voisine, et il s'illumina, littéralement.

— Ça va mieux, Sae-chan ? s'enquit le brun lorsqu'elle s'assit à nouveau près de lui, et elle opina du chef.

— O-oui oui, t'en fait pas, merci... lâcha-t-elle dans un sourire qui se voulait rassurant.

— Tant mieux alors ~

Une pointe de soulagement colorait ces quelques mots, mais Fusae n'eut pas réellement de s'interroger là-dessus, car son voisin se fendit d'un sourire en coin terriblement craquant, qui réduisit sa réponse au néant. Hébétée, elle se perdit pendant une seconde ou deux dans cet océan d'airain, où tout et rien semblait trouver un sens. Puis le tintement des couverts que le serveur venait débarrasser la – les – ramena à la réalité. Elle s'éclaircit la gorge pour se ressaisir.

— Donc, euh... de quoi vous parliez ? demanda-t-elle, l'air de rien.

Ce disant, la jeune fille croisa le regard malicieux de Saori en face d'elle, mais ne s'en formalisa pas. Ce fut Tooru qui répondit :

— Ton père m'expliquait ce qui était prévu pour demain.

— Prévu ? répéta-t-elle, interpellée par cette annonce. On fait quelque chose de particulier, demain ?

Fusae regarda tour à tour son père et sa belle-mère afin d'obtenir une réponse, en vain. Le premier était toujours aussi bavard et la seconde, même si elle cachait difficilement son enthousiasme, ne semblait pas vouloir en dire davantage. Même Tooru ne pipait pas mot, la curiosité tout aussi piquée par ce suspens éternel. Il leur fallut attendre que le serveur ait débarrassé toute la table, et ait déposé l'addition devant son époux pour que Saori daigne lâcher un ou deux indices.

— On va aller visiter Tokyo-Est, indiqua-t-elle de ce sourire enthousiaste. Je ne vous dis rien de plus, mais préparez-vous à marcher, demain. Vous allez voir, ça va être chouette !

La confusion s'empara de la lycéenne, qui sentit mille questions naître et mourir sur ses lèvres à cette annonce ô combien troublante. Où iraient-il ? Que feraient-ils ? Que pouvaient bien avoir prévu son père et sa belle-mère ? L'adulte ne leur dirait-elle vraiment rien d'autre ? Les laisserait-elle frustrés par cette mise en appétit digne du supplice de Tantale? Elle se laissa gagner par l'inquiétude, peu emballée par l'idée d'ignorer où elle se retrouverait. « Je n'aime pas trop sortir sur des coups de tête sans savoir où je vais », avait-elle un jour confié à son voisin, quand il avait voulu la traîner aux confins du monde pour un baiser sous la lune. Le souvenir de cette soirée lui chatouillait encore les lèvres et l'âme, d'ailleurs. Pouvait-elle là aussi passer un bon moment, en étant tenue dans l'ignorance la plus totale ? Son cœur ne savait pas trop quoi en penser, à en croire ses battements irréguliers comme l'aiguille d'une boussole qui a perdu le nord.

Et comme l'étoile du berger dans le firmament, Tooru lui montra le chemin. Sa main chaude et rassurante vint englober la sienne à l'ombre de la table, dans une façon bien à lui de lui dire qu'elle n'avait rien à craindre. Si elle tressaillit, perturbée par ce contact soudain qui ne lui avait que trop manqué, Fusae s'y raccrocha doucement. Oui, c'était vrai. L'inconnu avait lui aussi ses douceurs à partager, et cette soirée sur la plage de Sendai en était la preuve irréfutable. Un frisson lui courut sur la colonne vertébrale en même temps que leurs doigts s'entremêlaient langoureusement, et elle soupira d'aise. Il fallait faire confiance à la vie.

Wooow je suis dans les temps, pour une fois ~ Pas de baiser, pas encore, mais les deux-trois prochains chapitres en auront, c'est promis ♡ J'espère néanmoins que vous avez apprécié ce chapitre, et si c'est le cas, n'hésitez pas à voter et commenter. Merci encore de lire cette histoire, vous êtes des lecteurs géniaux ♡

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