Chapitre 33 ⋅ Éclaircies

La mère de Tooru était une femme éblouissante, dans tous les sens du terme. Plus grande que la moyenne, avec une silhouette de guêpe, de longs cheveux bruns et soyeux, et un visage de poupée aux traits joliment sculptés, il n'y avait aucun doute sur sa parenté avec le capitaine d'Aobajohsai. Même sa façon de parler et de bouger dans l'appartement, en fredonnant une chanson récente au titre imprononçable, évoquait celles, certes moins féminines et plus réservées, de son fils maniéré. Aussi, lorsque ce dernier annonça qu'il était rentré et qu'elle pivota vers Fusae et lui, un sourire radieux sur les lèvres, la jeune artiste ne put que constater que les chiens ne faisaient en effet pas des chats.

— Maman, je te présente Ichihara Fusae.

La façon dont son prénom roula sur la langue d'Oikawa la fit frémir, d'autant que c'était la première fois qu'elle l'entendait le prononcer en entier. Il avait lâché sa main depuis qu'ils étaient entrés dans son immeuble, par souci de simplicité pour monter les escaliers, mais c'était comme s'il la tenait encore un peu. En tout cas, c'est l'impression qu'elle avait avec ces étincelles qui brûlaient dans sa poitrine. Ça lui donna le courage de sortir de son mutisme : elle se courba machinalement devant l'adulte qui la regardait curieusement.

— Bonjour, madame, la salua-t-elle.

— Ichihara ? répéta l'adulte, tout en fronçant le nez sans que ça ne parvienne à l'enlaidir. Oh, tu es la fille de Chise-san, non ? Je me disais, tu lui ressembles beaucoup.

L'adolescente se redressa, le visage confus. Même Tooru à côté d'elle semblait surpris. Elle aussi connaissait sa mère ? Et l'appelait par son prénom, qui plus est ? Y avait-il une seule personne qui ne sache pas qui c'était, dans ce fichu quartier ? Le compliment la fit cependant rougir doucement ; là où on lui faisait d'habitude remarquer sa ressemblance avec son père, ici ça changeait du tout au tout, et ça n'était pas pour lui déplaire.

— Quoi ? Me regarde pas comme ça, Tooru, je vois souvent sa mère au supermarché et on discute, fit sa mère dans un haussement d'épaules, avant de désigner la silhouette de Fusae derrière lui. Vous aussi, vous discutez bien, les jeunes.

— Donc Sae-chan, voici ma mère, soupira le volleyeur, un poil embarrassé, tandis que l'interpellée s'empourprait au fil des secondes – cette dame n'avait décidément pas sa langue dans sa poche.

— Appelle-moi Rei, c'est plus simple. Et fais-la entrer Tooru, on ne laisse pas les invités dans le genkan !

S'il grogna pour la forme, alors même que sa mère s'éloignait dans le couloir, Tooru s'exécuta. Il se retourna à demi vers elle pour lui décocher un sourire malicieux, et l'invita à le suivre dans l'appartement. Fusae lui emboîta le pas dans un sourire. Leurs mains se frôlèrent sur le chemin de sa chambre, et elle crut un instant que leurs doigts allaient s'entremêler, mais à la dernière seconde, juste avant qu'il n'ouvre la porte, son voisin fit volte-face. Ce fut si soudain que la jeune fille failli lui rentrer dedans, et le volleyeur la stabilisa d'une main sur l'épaule avant qu'elle ne se casse la figure.

— Ma mère va te poser plein de questions, déclara-t-il soudain, lorsqu'elle leva un regard interrogatif vers lui.

— A-ah ? couina-t-elle, les joues pétillant de rose – ils étaient proches, trop proches pour qu'elle en fasse abstraction.

— Rien de méchant, t'en fais pas, elle est juste curieuse. Mais je préfère te prévenir avant que tu ne t'imagines des choses.

Les rougeurs ne disparurent pas, mais cette dernière phrase parvint à l'intriguer, et elle fronça les sourcils.

— Que... quel genre de chose ?

— Je sais pas, sourit-il, avant de lui administrer une pichenette sur la joue. Mais t'as une imagination débordante, donc j'anticipe ~

— Hum, se renfrogna-t-elle, sans pour autant se dérober à ses doigts. Rappelle-moi un peu qui a cru que j'étais amoureuse de lui parce que je l'avais dessiné en secret, alors que c'était absolument pas le cas ?

Sur cette réplique un peu trémolante sur les bords, les pupilles de Fusae accrochèrent les siennes. Le coin de ses lèvres se redressa dans un sourire amusé qui fit danser son cœur, et l'espace d'un instant, un élan de fierté la saisit à l'idée de réussir à lui couper l'herbe sous le pied. Puis il se pencha un peu plus vers elle, ses lèvres effleurant sa joue puis le lobe de son oreille lorsqu'il susurra contre ses cheveux :

— C'était pas le cas ? Parce que maintenant ça l'est, Sae-chan ?

Les lèvres de l'intéressée tremblèrent, ainsi que son cœur et son corps tout entier. Elle eut bien de la peine à affronter son regard narquois dès lors qu'il se redressa, mais elle s'en efforça, quand bien même ses joues s'enflammaient à nouveau. Comment diable faisait-il ? Et pourquoi était-ce aussi frustrant ? Non content de réussir à la faire rougir plus que nécessaire, Tooru laissa échapper un petit rire suffisant qui résonna dans sa peau, avant de se retourner le temps de déposer son sac de cours dans sa chambre. La seconde d'après, sans doute pour la troubler un peu plus, il effleurait le bras de l'adolescente pour l'inviter à le suivre en direction du living-room, où les attendaient sa mère déjà attablée au kotatsu et deux tasses fumantes de thé oolong.

Comme l'avait prévu son fils, Oikawa Rei lui posa une ribambelle de questions qu'elle peina à toutes retenir. Quel âge avait-elle ? Quel était son plat préféré ? Était-ce vrai qu'elle comptait étudier à Geidai ? Cela faisait-il longtemps qu'elle dessinait ? Se coiffait-elle tout le temps comme ça, avec deux chignons ? Qu'elle ne se méprenne pas, ça lui allait à ravir mais ça avait l'air sacrément difficile à faire... – et la jeune fille s'était emmêlée dans son élocution en voulant la remercier, les joues écarlates.

— Une autre tasse de thé ? lui proposa aimablement Rei, tandis que Tooru se fendait la poire à sa gauche.

— N-non merci, c'est très gentil.

Elle se retint d'ajouter que le thé avait le don d'agiter ses nuits. Si elle avait pris une première tasse par politesse, Fusae préférait éviter de devenir somnambule à cause d'un malheureux bol d'eau chaude aromatisée.

Par ailleurs, son visage était suffisamment brûlant comme ça. Sa proximité avec Oikawa, qui était assis juste à côté d'elle, lui permettait de sentir la chaleur corporelle qui émanait de lui. Pire, même, comme leurs mains reposaient sur leur cuisses, elle sentait celle du garçon frôler la sienne par intermittence, et ça ne l'aidait clairement pas à y voir plus clair.

— Sinon... la dernière fois que je l'ai croisée, ta mère me disait que tu étais à Tokyo, reprit la mère d'Oikawa dans un sourire, visiblement très intéressée. Tu y vas souvent ?

L'adolescente se tassa un peu sur son zabuton, peu emballée par ce nouveau sujet de conversation. Elle n'en voulait pas à sa mère, qui avait dû inconsciemment laisser glisser cette information entre quelques banalités, ni même à la mère d'Oikawa, qui cherchait visiblement à la connaître un peu mieux sans mauvaise pensée. Or ça restait difficile d'en parler comme ça, et le regard en coin que son voisin lui lançait montrait qu'il le savait bien, lui aussi. Alors après une inspiration un peu tremblotante, elle expliqua à contrecœur :

— Mon père vit à Tokyo, et... comme je vais le voir une fois par mois, j'y vais assez souvent, oui...

— Oh, je savais pas ! Ça doit vraiment être une belle ville... !

Les mains crispées sur ses genoux, à l'abri de la couverture du kotatsu, Fusae acquiesça pour la forme, bien que ses pensées soient tout autres. La capitale pouvait être la plus belle ville du monde, elle ne l'avait jamais vraiment visitée et chaque souvenir qui y était associé n'était pas positif. Tout ce qu'elle retenait de Tokyo, c'était son angoisse croissante à mesure que le Shinkansen filait vers le sud, la pollution et les foules étouffantes sitôt qu'elle descendait du train, et surtout, sa relation plus que houleuse avec son père.

— Enfin, je n'ai jamais vraiment pu aller visiter la capitale, déclara rêveusement la mère de son voisin. On voulait y aller quand Tooru était petit, mais ça s'est jamais fait avec l'arrivée de Takeru. Et maintenant c'est encore plus compliqué avec le travail...

Perdue dans le nuage de ses pensées noires, l'artiste peina à rester concentrée sur les dires de son interlocutrice. Ce sujet avait eu le don de lui rappeler l'imminence du prochain week-end chez son père qui, bien que décalé d'une semaine, commençait à lui miner le moral. Elle faillit bien sombrer totalement dans la négativité, d'ailleurs ; ce qui la retint in extremis fut une caresse soudaine sur le sommet de sa main gauche, celle qui frôlait çà et là celle d'Oikawa. Et si elle tressaillit, jetant un coup d'œil alerte à son voisin qui demeurait immobile et ne la regardait même pas, Fusae ne put se résoudre à le repousser : son auriculaire s'enroula discrètement autour du sien, dans une façon bien à lui de faire comprendre qu'il était là, qu'il savait.

— Bref, fit alors Rei en face d'eux, sans remarquer le jeu de doigts qui se déroulait à l'ombre du kotatsu. Je vais pas t'embêter avec mes histoires de jeunesse.

— Tu vas carrément finir par l'assommer, maman ~

— Tooru !

— Non non, vous ne m'embêtez pas, s'empressa de protester l'adolescente – quoique léger, le contact avec son voisin et son intervention l'avaient galvanisée. C'est juste que... je partage pas trop votre enthousiasme pour Tokyo.

— Je comprends, ma jolie, ça ne doit pas faire le même effet d'y aller tous les mois par rapport à une fois de temps en temps.

Un sourire-grimace se forma sur ses lèvres ; c'était là les mots adéquats, et ils lui réchauffaient le cœur. Le doigt de Tooru se resserra imperceptiblement autour du sien, signe que malgré son silence, il suivait les moindres échanges de la conversation.

— Enfin, soupira l'adulte, en reposant sa tasse de thé après l'avoir finie. Je suis contente d'avoir pu rencontrer la fille de Chise-san. Tu es aussi adorable que ta maman le prétend.

Et tandis qu'elle bafouillait des remerciements maladroits, les joues en feu, Fusae ne manqua pas le coup d'œil furtif que Rei glissa sur son fils. Pourtant, elle n'eut pas le temps de trop s'attarder dessus, puisque l'adulte reprit la parole, les yeux pétillants de curiosité.

— Mais dites-moi du coup, vous vous êtes rencontrés comment ? Au supermarché aussi ?

Un ange passa. L'honnêteté était-elle vraiment la solution dans des cas comme ça ? La jeune fille déglutit, sentant la panique monter au fil des secondes qui meublaient ce silence. Un mensonge, un mensonge, un mensonge... Était-ce seulement une bonne idée de mentir, vu ses talents inexistants dans ce domaine ? Après tout, son voisin le lui avait plusieurs fois fait remarquer, et s'il était le digne fils de sa mère, Fusae se ferait griller à la première syllabe.

— Euh... c'était un peu... comment dire...

— Au parc près de la pharmacie, déclara soudain Tooru, l'interrompant au passage. Le chien de Sae-chan voulait manger mon ballon de volley, et il m'a presque sauté dessus pour l'avoir, du coup... voilà.

Muette d'hébétude, l'adolescente mit quelques secondes à réagir, le regard tourné vers son voisin. Il était nonchalamment accoudé à la table, le visage reposant au creux de sa paume libre, nullement perturbé par ce qu'il venait de dire. Ce n'était pas tout à fait un mensonge, mais ce n'était pas toute la vérité non plus. Pourtant sa mère sembla le croire, puisqu'elle partit d'un petit rire amusé.

— Je vois, c'est... insolite comme rencontre, commenta-t-elle en cachant ses lèvres derrière une main pour masquer son second gloussement.

Et encore, ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Une bonne chose que Tooru ne lui avait pas tout dit, ou bien elle se tordrait de rire sur le sol à ce compte-là. Les joues rosissantes de honte, Fusae ne dit rien, se concentrant plutôt sur la pression qui se renforçait autour de son auriculaire.

— M'enfin, ça ne t'aurait pas fait de mal que ce chien prenne ton ballon, reprit Rei, une fois son rire tari.

— C-comment ça ? tressaillit Tooru à côté d'elle, se redressant légèrement – et la jeune fille aurait juré qu'il avait pris appui sur sa cuisse pour ce faire.

— Tu t'entraînes trop, mon poussin, et tu sais ce que j'en pense.

Ce disant, la femme tendit le bras au-dessus du kotatsu pour lui ébouriffer les cheveux avec affection. Le volleyeur grogna, cherchant à se dérober aux papouilles de sa mère, et il se recoiffa machinalement juste après. Sa réaction eut le mérite d'arracher un pouffement à Fusae qui, quand bien même elle tenta de l'étouffer dans son poignet, n'échappa aucunement au volleyeur. Si ses yeux s'écarquillèrent autour de ses iris mordorés, il lui donna un discret coup de coude dans le bras.

— Hé, c'est pas gentil de te moquer, Sae-chan, t'es censée tenir avec moi en tant qu'invitée ~

— C'est même pas toi qui a servi le thé, lui reprocha sa mère en secouant la tête, sans réellement y croire. Donc concrètement, c'est mon invitée, Tooru-chan ~

L'artiste ricana de plus belle, cette fois d'un rire plus éclatant, plus libéré. C'était terriblement embarrassant devant cette femme qu'elle rencontrait pour la première fois, mais elle n'en avait cure. Ce rire donnait l'air d'avoir attendu des semaines avant de sortir, et c'était trop bon.

— Pardon, désolée, je... j'te soutiens... répliqua-t-elle, en se mordant la lèvre pour retenir ses gloussements, en vain.

— Je crois que je vais changer de voisine, bougonna le volleyeur. L'actuelle me persécute trop.

Un nouveau rire lui tordit les entrailles. Ça n'avait pas de prix de voir son si confiant voisin perdre contenance devant sa mère. Plus que tout, Fusae avait l'impression de le découvrir sous un nouvel angle encore, et aussi impressionnée fût-elle, ça avait une saveur si particulière qu'elle ne pouvait pas la chasser de son esprit. Encore une fois, les étincelles vacillèrent au creux de sa poitrine ; elle pria tous les dieux qu'elle connaissait pour que le vent ne les éteigne pas.

Son regard revint sur Rei en face d'eux, elle aussi hilare face à l'air faussement renfrogné de son fils. Elle était en train de rassembler distraitement les tasses désormais vides de thé sur un plateau en bambou.

— Vous... vous voulez que je vous aide ? s'empressa de proposer la jeune fille, poussée par la politesse.

— Non, t'en fais pas pour ça, c'est gentil. Ça devrait être à Tooru de le faire, à vrai dire, si tu es son invitée.

— Oh non non, Sae-chan a choisi son camp, marmonna le concerné en haussant les épaules, l'air exagérément déçu. Je m'en voudrais d'aller contre sa volonté ~

L'adulte roula des yeux, tant médusée qu'amusée par les manières de son fils, mais n'insista pas. Elle s'en alla avec son plateau pour disparaître dans la cuisine, où les bruits de vaisselle entrechoquée et les clapotis de l'eau la séparèrent définitivement de leur conversation. Si Fusae la suivit du regard un instant, le visage de son voisin tourné vers elle et sa moue boudeuse attirèrent bien vite son attention. Elle sentit un sourire malicieux pétiller sur ses lèvres, et il lui fut difficile de le réprimer.

— Traîtresse, lâcha-t-il alors, et cette fois encore elle gloussa, les joues brûlantes de joie derrière la manche de son uniforme.

— Vois le bon côté des choses : grâce à ça, tu ne dois pas faire la vaisselle, argua-t-elle dans un murmure.

— Mouais, t'es qu'une traîtresse quand même.

Les sourcils arqués d'insolence, l'artiste le contempla un instant, avec ses cheveux encore ébouriffés après la caresse de sa mère et les joues gonflées par sa pseudo colère. C'était en totale opposition avec l'éclat de malice qui miroitait dans ses yeux rivés sur elle, et ça lui arracha un autre rire. Un sourire finit par gagner les lèvres de Tooru, qui s'abandonna à cette joie inopinée.

Lorsque le silence revint dans la pièce, quelques secondes plus tard, uniquement brisé çà et là par les bruits de vaisselle qui s'échappaient de la cuisine, les flammes dansaient encore dans leurs yeux. Ils ne s'étaient pas lâchés, toujours reliés par leurs auriculaires discrètement entremêlés sur la jupe de la jeune fille, et elle s'y raccrochait en silence. De plus, elle aurait pu jurer avoir senti son pouce caresser le sommet de son genou à plusieurs reprises, sans que ce soit totalement involontaire.

— M-merci, murmura-t-elle alors, après un long silence loin d'être désagréable entre eux.

— De ? fit-il dans un petit rire, confus.

— De m'avoir soutenue quand... j'veux dire, par rapport à mon père.

Tooru esquissa un sourire moqueur qui servait sans doute à balayer ses remerciements, mais ça ne parvint qu'à la faire rougir de plus belle : ses pupilles s'attardaient encore sur son visage, en retraçaient les moindres traits, et ça lui retournait l'esprit tout entier. Or pour une fois, elle ne voulait pas baisser les yeux. Loin de ses vagues d'inspirations aléatoires et subites, Fusae souhaitait se noyer dans le mordoré de ses iris qu'elle ne se lasserait sans doute jamais d'admirer. Là, elle avait envie d'être au centre de son attention, de le voir compter ses tâches de rousseur et de lui tenir la main jusqu'au bout de la nuit.

C'était un désir soudain, très profond, qu'elle avait envie de voir satisfait, qu'importe combien il la déstabilisait. Et à en croire la pointe de rose qui colorait les joues de son voisin, elle n'était pas la seule. Ça n'aurait pas dû l'interpeller, et pourtant ce fut le cas, car elle ne parvint pas à détacher son regard de ce détail. Sa voix vibra alors sur sa peau, écrasante, un poil craquelante sur les bords, quand il avoua du bout des lèvres :

— Me regarde pas comme ça, ça me donne envie de t'embrasser.

À ces mots, les flammes qui lui coloraient le cœur s'étendirent jusqu'à ses joues en un temps record. Elle poussa un soupir tremblotant, alors même qu'un frisson lui courait sur la colonne vertébrale. Et cette pression sur ses doigts qui se resserrait imperceptiblement, à la fois tendre et possessive... Comment pourrait-elle tenir ? Comment pourrait-elle être encore vivante à la fin de la journée avec tout ça ? Cela valait-il même le coup de lutter ? Le volleyeur trancha pour elle dans un raclement de gorge qui se voulait détaché, les yeux baissés vers le kotatsu :

— Tu veux... tu veux rester manger ce soir ?

La soudaineté de la question là fit tressaillir, elle qui était encore dans l'étendue de ses pensées après sa déclaration précédente – combien de choses, de gestes, de mots, s'était-elle imaginés en ces quelques secondes ? – avant de se ressaisir.

— Euh... je veux pas déranger ta mère...

La seule réponse de Tooru fut un sourire, ce sourire narquois face auquel son cœur s'emballait bêtement et sur lequel son regard s'attarda une seconde de trop, puisqu'il s'agrandit. Et il tourna la tête vers la cuisine.

— Maman ? Sae-chan peut manger avec nous, ce soir ?

Sa voix chantonnante rebondit contre les murs de l'appartement et dans sa cage thoracique, si bien qu'elle retint son souffle un instant. De longues secondes s'écoulèrent ensuite, intangibles, entre le moment où son exclamation s'évanouit dans l'écho de la pièce et celui où le robinet de la cuisine cessa de couler. Des pas suivirent, éthérés sur le parquet des lieux, et enfin la silhouette élancée d'Oikawa Rei se découpa dans l'embrasure de la porte, un torchon de vaisselle à motifs hamsters dans la main, et un large sourire aux lèvres.

— Bien sûr, Tooru-chan ~ Mais dans ce cas, autant inviter Chise-san aussi, tu ne crois pas ?

Le temps s'arrêta, lourd, si lourd comparé au cœur de l'adolescente qui s'envolait un peu plus vers les nuages. Enfin, pour ce qu'il en restait, car c'était comme s'ils se dissipaient, comme si la brume se levait enfin sur certains aspects de sa vie qu'elle n'avait que trop longtemps cherchés à comprendre. Là, tout était beaucoup plus clair : en voyant son cher voisin les inviter, elle et sa propre mère, à dîner avec eux, Fusae ne pouvait plus ignorer ses propres envies et ce que le ciel lui offrait. Un futur avec Oikawa Tooru était désormais possible.

Ça avance un peu, un touuut petit peu, là, non ? 🥰

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