Chapitre 30 ⋅ Entrelacs
La vie reprit son cours avec la délicatesse d'une brise printanière. Fusae ne vit pas passer le week-end, ni le début de la semaine qui suivit, emportée par la cadence assommante du quotidien. Elle ne revit pas beaucoup Oikawa, à l'exception de quelques brèves minutes le soir, entre leurs deux immeubles qui luisaient sous le soleil couchant. Le temps d'une ou deux taquineries, le volleyeur aimait à lui chantonner son sempiternel « Sae-chan » avant de rentrer chez lui sur ce sourire qui avait le don de lui retourner l'esprit.
Il n'y eut aucune mention de leur étreinte. Si les souvenirs tanguaient dans l'esprit de l'adolescente, irrémédiablement présents, pas une seule fois ils ne vinrent animer leurs conversations, la troublant plutôt jusque dans les tréfonds de ses rêves. La chaleur de sa peau contre la sienne, la tendresse qui s'en était dégagée, le besoin irrépressible et spontané qui les avait poussés l'un vers l'autre, et bien d'autres détails si nombreux que la nuit ne suffisait jamais à tous les lister. Tout se répétait en boucle, et le matin la noiraude se levait avec un nouveau détail de cette embrassade pour lui emmêler les pensées. Et ce sujet, lui ne l'abordait pas non plus, que ce soit en face ou dans des messages – car ça, il y en avait, des messages. Principalement des memes, que le volleyeur lui envoyait et qu'elle ne comprenait pas toujours, auxquels elle s'efforçait de répondre à chaque fois ; la bonne humeur de Tooru était revenue, et ça, pour rien au monde elle n'aurait su l'ignorer.
Ce jour-là n'échappait pas à la règle. Fusae rentra éreintée de sa journée au lycée, où elle avait raté son plat en cours de cuisine après avoir rêvassé un peu trop longtemps, et où elle s'était vue obligée de rester après le tout dernier cours pour recevoir un sermon par son professeur principal pour « utilisation abusive de son téléphone portable ». Ce n'était que la deuxième fois qu'elle se faisait surprendre à l'utiliser en cours, et pour sa défense, elle avait simplement cherché à comprendre la dernière vidéo que lui avait envoyée son voisin, rien de bien méchant. Cependant ça avait été suffisant pour que l'enseignant menace d'appeler sa mère. C'est donc un poil démoralisée qu'elle pénétra dans sa rue, le pas traînant, presque las.
— Coucou, Sae-chan ! la salua comme à son habitude Oikawa, quelques pas derrière elle.
Elle n'aurait pas su dire pourquoi – enfin, bien sûr qu'elle aurait su, mais plutôt mourir que de se l'avouer – les étincelles pétillèrent dans sa poitrine au son de sa voix. Lentement, Fusae pivota vers lui. Il se tenait à quelques pas d'elle, rayonnant dans son uniforme beige à tartan, le sac sur l'épaule. Son regard mordoré lui courut sur le visage, sur ses yeux puis ses taches de rousseurs, avant d'aviser sa moue dépitée.
— Ça va pas ? s'étonna-t-il, sans se départir de son sourire. Je te manque tant que ça, au lycée ?
— Hum, pas vraiment, tu m'attires surtout des ennuis, marmonna-t-elle en cessant néanmoins de marcher pour l'attendre, les joues rosissantes face à son sous-entendu.
— Quel genre d'ennuis ? s'enquit curieusement le volleyeur, une fois à sa hauteur, visiblement amusé par l'idée de réussir à l'enquiquiner jusque dans son lycée.
— Je me suis pris un sermon à cause de tes vidéos débiles, figure-toi.
— Mes vidéos ? Ton prof aime pas les théories des anciens astronautes, c'est ça ?
— Mais non, pesta-t-elle en roulant des yeux, même si elle n'était pas réellement agacée par ses remarques. Il a surtout pas aimé que j'en regarde pendant le début du cours.
Un « oh » de compréhension lui échappa, avant que ses lèvres ne se fendent d'un sourire goguenard – ce sourire qui avait le don de lui taquiner les nerfs. Et, appuyant un bras sur son épaule frêle qui lui arrivait sans mal au niveau du coude, il se pencha pour lui répondre à voix basse.
— Allons, Sae-chan, je sais que tu ne peux pas te passer de moi, mais il faut écouter en cours, chantonna-t-il contre son oreille.
— Hum, fit Fusae pour toute réponse, un instant troublée par la tiède proximité entre eux – et ça la perturba d'autant plus de se dire qu'ils s'étaient déjà retrouvés dans de plus compromettantes positions. J'aurais plutôt tendance à croire que c'est toi qui peux pas te passer de moi... vu toutes les vidéos que tu m'envoies.
Sur ces mots, l'adolescente risqua un coup d'œil furtif vers son voisin au-dessus d'elle, dont le coin des lèvres s'était redressé dans un sourire sans qu'il ne cherche à répondre. Le même rictus se refléta alors sur ses propres lèvres, vainqueur. Un point partout, la balle au centre.
Ils s'arrêtèrent de marcher. Les deux portes de leurs immeubles se dressaient de chaque côté des deux adolescents, irrémédiablement rivales. Les voilà arrivés à destination. Un soupir brûla les lèvres de Fusae ; ils étaient sur le point de se séparer. Déjà. Voyant qu'il n'y avait à l'horizon que le blanc aveuglant des ciels d'automne, elle se figura qu'il était encore tôt, et un coup d'œil vers l'écran de son portable le lui confirma. Seize heures sonnait à peine.
— T'as pas entraînement, d'ailleurs ? demanda-t-elle en levant le nez vers lui.
S'il n'avait pas bougé de son point d'appui, Oikawa ne répondit pas tout de suite ni ne la regarda, songeur. Avec une vue si proche de son profil, l'artiste eut ainsi tout le loisir de le détailler du regard pendant quelques secondes, des pores de sa peau à la courbe de ses lèvres, de ses cheveux ébouriffés par le vent à son grain de beauté au coin de sa mâchoire. Là, seulement, il baissa les yeux sur elle, yeux qui pétillèrent d'une lueur moqueuse quand il s'aperçut que sa voisine l'observait encore. Elle piqua un fard, sans pour autant baisser les yeux.
— Je sais, je sais, c'est « purement artistique », la devança-t-il avec suffisance, comme elle ouvrait la bouche pour protester.
— Hum, bougonna-t-elle aussitôt, prise de cours, même si elle ne nia pas. Ça répond pas à ma question...
Le brun gloussa, lui effleurant inconsciemment la joue du dos de sa main dans le tressaillement de ses épaules – et ça jamais elle n'aurait pu en faire abstraction – puis consentit à lui donner des explications une fois son rire tari.
— Vu qu'on va pas aux nationaux, avec les autres troisième année, on a quitté le club pour préparer les concours d'entrée à la fac, répondit-il laconiquement, avant de hausser les épaules. Du coup, plus d'entraînement.
— Je vois... C'est pour ça que tu rentres aussi tôt, en ce moment.
— Yep, acquiesça-t-il dans un sourire. Je vois que tu surveilles mes allées et venues, petite stalkeuse ~
— Ha, rit-elle nerveusement, non non, j'ai clairement mieux à faire que de stalker.
L'adolescente secoua la tête pour appuyer ses propos, ce qui ne fit qu'agrandir le sourire d'Oikawa. Ses joues s'enflammèrent un peu plus sous le regard narquois du volleyeur, et son bras toujours sur son épaule ne l'aidait clairement pas à rester de marbre, mais elle s'efforça de ne pas se laisser davantage troubler, s'éclaircissant plutôt la gorge pour poursuivre d'une voix hasardeuse.
— Mais sinon... reprit-elle en se rappelant un détail de leur discussion. T'avais pas dit que tu ne voulais plus aller à l'université, justement ?
— Si si. Je veux jouer en pro, à vrai dire, déclara-t-il tout naturellement.
Elle n'était pas surprise par cet aveu. Comment aurait-elle pu, de toute façon ? Le volleyball était sa passion, son premier amour, même. Son voisin l'avait pratiqué pendant la moitié de sa vie, et excellait dans ce domaine ; il était né pour ça. Ce choix de vie était évident. Aussi évident que Geidai pour la jeune artiste, dont les doigts picotaient d'impatience autour de son crayon à chaque fois que ce rêve lui traversait l'esprit.
— Alors tu devrais pas rester dans le club pour t'entraîner, plutôt que de réviser pour l'université si tu ne comptes pas y aller ? fit-elle remarquer, songeuse.
— C'est pas que j'en n'ai pas envie, petite voisine, mais c'est un peu une tradition pour les troisième année de laisser la place aux plus jeunes après les nationaux.
— Ah... oui, vu comme ça...
— Du coup, comme je n'ai pas besoin d'intégrer une prestigieuse école de Tokyo... reprit-il d'une voix traînante, dans une manière de capter son attention, j'ai pas mal de temps libre, maintenant.
L'allusion à son objectif de toujours la fit rosie – à croire qu'il lisait dans ses pensées – mais en dépit du sourire qui lui chatouillait le coin des lèvres, elle s'efforça de rester concentrée sur la conversation. Ses yeux se plissèrent une ou deux secondes, comme elle cherchait ses mots, avant de remonter son visage jusqu'à accrocher son regard.
— Tu n'en profites pas pour passer du temps avec ton neveu ? De ton temps libre, je veux dire.
— C'est ce que j'ai fait hier et avant-hier. Mais Takeru m'a dit de le laisser tranquille parce que je l'empêche de réviser son évaluation de japonais, lâcha-t-il dans un bougonnement qui arracha un rire à Fusae.
— Je le comprends, ce pauvre garçon... il faut dire que t'es pas facile.
— Hé, c'est méchant ça, Sae-chan !
Sa réplique presque enfantine fut accompagnée d'une pichenette sur le front de la jeune fille, qui recula instinctivement la tête, même si elle ne put réprimer le gloussement qui la démangeait face à cette moue boudeuse. Et si ses lèvres pleines deumeurèrent pincées quelques longues secondes, elle vit l'air offusqué disparaître peu à peu de son visage d'ange pour laisser place à l'amusement. Son cœur palpita ; c'était jouissif d'inverser les rôles, pour une fois.
Leurs rires s'évanouirent bientôt dans le brouhaha de la ville. Ils n'avaient pas bougé, toujours debout au milieu de la rue, en plein dans cette zone neutre entre son foyer et celui d'Oikawa. De part et d'autres de la chaussée, leurs immeubles s'élevaient vers les cieux. À un moment ou un autre, leur discussion prendrait fin, ainsi que leur temps ensemble, mais... elle n'en avait pas tout à fait envie. La bulle dans laquelle ils s'enfermaient n'avait rien de désagréable.
— C'est quand le prochain week-end chez ton père ? demanda alors son voisin, brisant le silence qui s'était installé entre eux.
La question fut si subite et inattendue que Fusae lui décocha un coup d'œil ahuri, avant de baisser aussitôt la tête en remarquant qu'il avait les yeux rivés sur son visage. Et elle de s'emmêler dans son élocution :
— Euh... la semaine prochaine, répondit-elle après un rapide calcul. E-enfin, c'est encore loin de toute façon, et je... Pourquoi tu veux savoir ça, en fait ?
Ses iris coulissèrent tout naturellement vers lui, qui sourit et haussa les épaules d'un air nonchalant.
— Oh, ben... pour savoir si je dois garder mon téléphone allumé pendant la nuit, des fois que tu m'appelles à nouveau ~
— Ha, c'est pas drôle, marmonna l'adolescente sans pour autant être vraiment vexée par ses mots.
— Un petit peu quand même, avoue, susurra-t-il en réponse, avant de se redresser, levant ainsi le bras qui était sur son épaule.
Un énième rire brûla les lèvres de Fusae, mais elle secoua quand même la tête, ne serait-ce que par fierté. Son regard acier balaya la rue, déserte à l'exception de leurs deux silhouettes dans le soleil des fins d'après-midi, et elle poussa un soupir dont elle n'aurait pas su définir l'origine. Le vent frais lui caressait l'épaule, à cet endroit même où Oikawa s'était appuyé sur elle pendant de longues minutes, et l'absence soudaine de chaleur lui semblait tout à coup bien plus pesante. Là, ils y étaient. Ce moment qu'ils avaient tant repoussé avec force mots et taquineries. L'heure était venue de rentrer.
L'artiste prit alors une grande inspiration et se tourna vers Tooru, prête à le saluer, quand il lui coupa l'herbe sous le pied :
— C'est quand même la loose de rentrer aussi tôt, déclara-t-il pensivement.
— Hein ? tressaillit-elle, déboussolée, avant de se renfrogner en saisissant ce qu'il voulait dire. C'est ce que je fais, je te signale.
— Mais non, je disais pas ça pour toi, Sae-chan, fit-il aussitôt dans un petit gloussement qui lui retourna l'esprit.
Elle ne répondit pas, se contentant de lui jeter un regard à la fois méfiant et confus, qui l'incita à poursuivre.
— C'est juste que d'habitude, je fais du volley jusqu'à pas d'heure, du coup je sais pas quoi faire en rentrant des cours maintenant.
Un sourire quelque peu triste sur les bords plissa les traits de son visage sans pour autant l'enlaidir – oh ça, non – si bien que Fusae sentit le peu de colère qu'elle éprouvait à son égard s'évaporer aussi sec. Ses yeux s'attardèrent longuement sur lui tout entier, alors qu'une idée folle germait dans son esprit. Elle le regretterait sans doute plus tard, oui, et toutes ses cellules tremblaient d'appréhension à l'idée de verbaliser ses pensées. Pourtant, c'était plus fort qu'elle. Et les mots sortirent d'eux-mêmes :
— Tu veux venir chez moi ?
Son bredouillement lui valut une œillade surprise de la part d'Oikawa. Il la considéra plusieurs secondes sans mot dire, pris de court, avant de retrouver sa contenance. Sa contenance et son maudit sourire en coin.
— Tu es tombée sur la tête, Sae-chan ? susurra-t-il, ce qui lui fit aussitôt regretter sa proposition. Je ne te pensais pas comme ça ~
— Hum, non je... En fait je pensais à... bredouilla-t-elle avant de s'interrompre, à la recherche de ses mots. Ma mère achète souvent des dorayakis pour le goûter et puis... j'ai pas trop de devoirs à faire ce soir... On peut juste rester dans ma chambre à discuter, et t'es pas obligé d'accepter hein, mais... si t'as peur de t'ennuyer... t'es le bienvenu.
Cette fois, Fusae était aussi rouge qu'un panneau stop en prononçant ces mots, mais elle n'avait pas envie de baisser les yeux. Son voisin avait pris une place trop importante dans sa vie pour qu'elle hésite autant. Et puis, peu importe les efforts ses efforts pour paraître naturelle en le lui proposant, il parviendrait à la taquiner sur ce détail ou un autre – elle commençait à le connaître. De toute façon, ça ne pouvait pas être pire que la fois où elle lui avait vomi sur les pieds. Non, elle n'avait plus le droit de baisser les yeux, même face à cet air suffisant qu'elle avait appris à apprécier, tant d'un point de vue artistique que humain. Il lui sembla alors que les mille étincelles rugirent plus fort que jamais elles n'avaient rugi dans sa poitrine, quand enfin Tooru sortit de son mutisme pour lui répondre de cette voix traînante qui la hantait jusque dans les plus sombres heures de la nuit.
— Je te suis, Sae-chan.
Hop, nous y voilà ! Du fluff, encore, et ce n'est pas fini oupsss — j'espère que vous appréciez ça ~ J'espère aussi que vous avez aimé ce chapitre, et si c'est le cas, n'hésitez pas à voter et commenter ! Le prochain chapitre n'est pour l'heure pas encore entamé. Je vous avais prévenu que je risquais de perdre mon avance avec le travail, et c'est le cas. Du coup, pour la semaine prochaine, avec le 11 novembre je pense être dans les temps, mais après, la publication risque de s'espacer, et j'en suis désolée. Ceci dit, merci encore de lire cette fanfiction, ça me touche vraiment jusqu'au fond de mon petit cœur, et je vous embrasse tous (enfin, à distance, aha).
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