Chapitre 16 · D'autres remèdes

Le silence planait dans la petite cuisine du foyer Oikawa. Recroquevillée sur un tabouret de bar, Fusae laissait son regard traîner un peu partout. Du verre d'eau servi par son voisin quelques secondes plus tôt, en passant par le comprimé déposé juste à côté, puis au reste de la cuisine toute entière. Le garçon l'y avait abandonnée pour disparaître dans sa chambre, et en dépit de toute la fébrilité qu'elle ressentait et de sa migraine lancinante, elle débordait de curiosité. C'était la deuxième fois qu'elle entrait chez son voisin, ce qui ne manquait pas de la troubler encore un peu. Elle ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'œil autour d'elle pour découvrir cet habitat à la fois si semblable et si différent du sien.

— Encore à rêvasser, petite voisine ?

Elle se tourna vers Oikawa, qui était revenu de sa chambre. Il avait troqué son élégant uniforme à carreaux contre un survêtement aux couleurs d'Aobajohsai. Encore une fois, la jeune fille était rattrapée par ses désillusions : jamais elle n'aurait pensé que son voisin puisse être aussi... relâché.

— Tu n'en veux plus ?

Il avait baissé les yeux vers le comprimé de paracétamol qui n'avait pas bougé de sa place initiale. Fusae s'en empara et répondit avec précipitation :

— Euh... si si. C'est juste que...

— Que ?

— T-t'es sûr que c'est pas trop fort pour les migraines ? Enfin, je sais pas, mais apparemment les ligaments, c'est une grosse blessure quand même...

L'adolescente n'eut même pas le temps de finir sa phrase qu'Oikawa éclata de rire, engloutissant dans son hilarité ses moindres protestations. Elle pinça les lèvres, piquée au vif, mais alors que les insultes à son égard fusaient dans son esprit, son rire s'évanouit dans le silence de la pièce.

— Je t'accorde que c'est violent comme blessure, concéda-t-il avec amusement, mais c'est juste du Doliprane pour quand je force trop sur mon genou, pas une ampoule de morphine, d'accord ?

Tout en disant cela, il s'accouda sur le plan de travail en face d'elle, de l'autre côté de l'îlot central, pour mieux la regarder sous ses longs cils sombres. L'espace d'une brève seconde, si brève , Fusae se laissa happer par sa posture lascive et nonchalante, plus picturale que jamais. Elle retint son souffle, tandis que ce qu'il disait s'emmêlait dans son crâne. Puis dans un battement de cils hébété, la jeune artiste sortit de sa transe aussi vite qu'elle s'y était plongée.

— D'accord, je vois...

Elle détourna les yeux de son interlocuteur pour les baisser vers le plan de travail sous ses doigts, presque honteuse. Pour une fois qu'Oikawa lui proposait son aide, sans rien attendre en retour, elle se méfiait de lui. C'était ridicule, d'autant que sa migraine ne se dissipait pas. Un soupir vaincu dépassa ses lèvres, ainsi qu'un autre mot qui lui brûla la langue au passage :

— Merci, murmura-t-elle à l'intention d'Oikawa.

— Mais de rien, c'est à ça que sert un voisin, non ?

Ledit voisin ponctua sa phrase d'un gloussement satisfait. L'adolescente ne releva même pas et engloutit son médicament, ainsi que le verre d'eau qui l'accompagnait, en s'efforçant de faire abstraction de son regard mordoré qui ne la quittait pas – à croire qu'il veillait à ce qu'elle le prenne bien. Quand elle eut fini, toutefois, elle comprit à son sourire goguenard qu'il ne s'agissait pas de ça :

— Par contre, Sae-chan, arrête de me mater en scred ou je vais finir par croire que tu crushes vraiment sur moi ~

Et sur un clin d'œil éloquent, il se saisit du verre pour le mettre au lave-vaisselle, tandis que Fusae piquait le plus gros fard de sa vie. Elle s'apprêta à bredouiller des excuses, dire que ce n'était pas du tout le cas, qu'elle l'admirait juste, qu'il n'avait pas besoin de se faire des films... Tout disparut dans le néant quand Oikawa se tourna à nouveau vers elle. Sans se formaliser de ses rougeurs qu'il avait lui-même causées, loin de ses taquineries de quelques secondes auparavant, il proposa tout naturellement :

— Tu veux que je te raccompagne ou tu préfères qu'on reste là le temps que le cachet fasse effet ?

Fusae resta muette quelques secondes, déstabilisée par ce brusque revirement. Bien sûr, il avait toujours cet air suffisant, presque guilleret, qui habillait ses traits. Toutefois, il avait l'air on ne peut plus sérieux dans son offre. Elle se ressaisit en secouant la tête.

— Non non, je vais y aller, murmura-t-elle. J'ai encore des devoirs, je dois sortir mon chien, et... bref, j'ai des trucs à faire.

— T'es sûre ?

— Oui oui, merci. Et t'en fais pas, je vais rentrer toute seule.

— Comme tu le sens.

S'il avait brièvement froncé les sourcils à la mention de Kabu, dont le souvenir devait être encore douloureusement frais dans sa mémoire, Oikawa n'insista pas. Il raccompagna la jeune fille jusque dans le couloir. Alors qu'elle s'engageait dans les escaliers, le brun s'autorisa un dernier sourire moqueur, nonchalamment appuyé contre le chambranle de sa porte d'entrée :

— T'es sûre que ça va aller ? Ou je dois m'attendre à voir la police débarquer pour me poser des questions parce que t'es morte en tombant dans les escaliers ?

— Je sais encore marcher, mais merci de t'en inquiéter, grommela-t-elle, en lui adressant une œillade assassine par-dessus son épaule.

— Si tu le dis, mais c'est pas moi qui me suis ramassé avant de vomir sur les pieds de mon charmant voisin ~

La pique fit mouche. Fusae poussa un long soupir à fendre l'âme – il allait lui rappeler cette histoire pendant encore longtemps ? – mais à l'exception d'un regard blasé, elle ne répondit pas. Oikawa se fendit d'un nouveau sourire malicieux, satisfait de cette réaction qu'il cherchait de toute évidence à déclencher. Elle s'arrêta sur son visage, sur son sourire et sur ses yeux, le temps d'une fraction de seconde où tout sembla s'arrêter. L'avait-elle déjà dessiné, cet air-là ? Elle s'en détourna aussi sec, irritée par ses propres réactions. Quand elle reprit sa descente, toutefois, à l'ombre du couloir, un sourire titilla furtivement les lèvres de l'artiste.

Plus tard dans la soirée, au dîner, l'ambiance avait changé du tout au tout. Fusae et sa mère se faisaient face, séparées par la petite table de la cuisine et deux assiettes de raviolis, sous la lumière crue des néons de la pièce. L'adulte était revenue un petit quart d'heure auparavant de l'aéroport, les yeux rougis par un au-revoir sans aucun doute déchirant avec Minako. L'absence de cette dernière planait au-dessus de la pièce, d'ailleurs. C'était comme ça à chaque départ de l'aînée pour l'université. Des pleurs, du chagrin, des embrassades, puis le silence, et enfin seulement, la vie reprenait son cours. La cadette se demandait si les mêmes effusions de larmes secoueraient son petit foyer quand elle partirait elle-même à Geidai. Un peu égoïstement, elle espérait que oui, comme elle souhaitait que ça eût été le cas chaque fois qu'elle était partie chez son père.

L'adolescente sentit un nuage de noirceur l'envahir à cette pensée. Son père était pourtant bien loin, et il ne prenait certainement pas la peine de penser à elle. Alors pourquoi s'entêtait-elle à le faire ? Un soupir lui brûla les lèvres sans jamais les dépasser. Il fallait encore qu'elle se renseigne pour Yuna, qu'elle s'assure que son prochain week-end chez son père ne soit pas celui où sa meilleure amie fêtait son anniversaire. Fusae s'éclaircit la gorge et posa ses couverts.

— Maman ?

Le regard triste que sa mère leva sur elle la laissa interdite quelques secondes. Était-ce vraiment une bonne idée de parler de ça maintenant ? Il le fallait quand même un peu. Elle poursuivit d'une voix hésitante.

— T-tu sais quand je dois partir chez papa ?

Chise haussa les sourcils, prise de court. Le silence tangua quelques instants dans la discussion, avant qu'elle ne se décide à parler, un léger sourire au coin des lèvres.

— C'est bien la première fois que tu me poses cette question, marmonna l'adulte, songeuse. D'habitude, tu fais tout pour éviter le sujet.

— J'aurais bien aimé continuer comme ça, mais Yuna veut savoir quand je pars pour que je puisse être là pour son anniversaire, expliqua-t-elle du bout des lèvres.

— Je vois. Écoute, je vais lui envoyer un message et on verra ce qu'il répond, d'accord ?

La noiraude hocha la tête sans grande conviction, puis retourna à son plat. En face, sa mère se leva pour commencer à faire la vaisselle, la laissant ainsi seule face à son assiette de raviolis. Fusae grimaça. D'habitude, elle raffolait des plats occidentaux, mais ce soir-là, ça n'avait pas la même saveur.

Un clignotement sur sa droite attira son attention, détournée de son plat depuis quelques secondes déjà. Son téléphone. Intriguée, elle le déverrouilla, prête à trouver un message de Yuna ou une camarade de classe qui a besoin d'aide pour les devoirs, mais ce fut contre toute attente le nom d'Oikawa qui s'afficha à l'écran.

« Je vois que t'es pas morte, petite voisine, c'est rassurant »

Fusae fronça les sourcils et baissa un instant les yeux sur sa table, perdue. Comment pouvait-il savoir à quoi elle ressemblait ? À la seconde où elle trouvait une potentielle réponse à ses questions, un nouveau message l'interpella.

« Regarde par la fenêtre, andouille »

Et c'est ce qu'elle fit. Non sans un coup d'œil furtif en direction de sa mère pour s'assurer qu'elle était bien occupée, l'adolescente laissa son regard vagabonder de l'autre côté de la vitre, contre laquelle était apposée la table. Ses pupilles glissèrent sur les briques et les innombrables fenêtres, jusqu'à s'arrêter sur celle dont s'échappait de la lumière, celle où il y avait une silhouette qui se détachait du reste, celle qu'elle reconnaissait sans mal pour l'avoir admirée encore et encore pendant des mois. La fenêtre en face de la sienne.

Le bras d'Oikawa s'agitait de gauche à droite dans le cadran pour attirer son attention. Il sourit en voyant son regard blasé se poser sur lui depuis l'autre côté de la rue, et désigna son smartphone. Un message venait d'illuminer le sien.

« T'es occupée ? J'aimerais te briefer pour le match de samedi. »

Pour toute réponse, la jeune fille harponna un de ses raviolis avec sa fourchette avant de brandir l'ustensile au niveau de son visage, pour lui faire comprendre qu'elle dînait. Il ne s'en formalisa pas, acquiesçant doucement sans se départir de son air amusé, avant de baisser les yeux sur son téléphone. Elle l'imita.

« OK, j'ai compris, j'te recontacte plus tard. Bon app' »

Fusae leva les yeux de l'écran juste à temps pour le voir faire un furtif salut militaire en guise d'au revoir, ce sempiternel sourire narquois au coin des lèvres, puis tirer les rideaux derrière lui. Par ce simple geste, la lumière en provenance de sa chambre disparut de la façade de l'immeuble, et il ne resta bientôt que l'obscurité sauvage de la rue. L'adolescente contempla encore quelques instants la fenêtre d'Oikawa, qu'elle connaissait pourtant presque par cœur après tous ces mois. C'était étrange, comme sensation, de se dire que maintenant elle lui parlait, alors que jamais auparavant elle n'en avait vraiment eu envie – ou presque. Elle se détourna finalement de la rue dans un pouffement irrépressible, qui ressemblait autant à un rire qu'à un soupir.

— Qu'est-ce qui te fait rire ? s'enquit sa mère en lui jetant un regard tantôt amusé, tantôt curieux par-dessus son épaule.

— Oh, c'est rien, juste un message de Yuna.

L'adulte haussa les sourcils de surprise, puis, tout en s'essuyant énergiquement les mains, esquissa un sourire tendre. Seuls les clapotis de l'eau qui coulait et de la vaisselle qu'on lavait accompagnait ses mots.

— Ta migraine est partie, je vois.

Ce n'était pas une question, mais un constat. Un constat que la jeune fille faisait elle aussi, soudain consciente que la douleur avait enfin quitté son front. Ainsi donc Oikawa ne l'avait pas empoisonnée ? L'ébahissement s'empara d'elle et de son visage l'espace d'une seconde. Sous le regard inquisiteur de sa maman, elle se sentit rapetisser un peu.

— Oui, le voisin m'a filé un médicament, expliqua-t-elle à mi-voix.

— Le voisin, hein ?

Trois haussements de sourcils suggestifs. Deux yeux désireux de connaître ses secrets les plus enfouis. Un sourire complice. Fusae crut un instant voir en sa mère un reflet de Yuna. Et les mots dépassèrent ses lèvres en même temps que sa pensée.

— C'est pas vrai, tu vas pas t'y mettre toi aussi ?

Le rire discret de la matriarche lui répondit, pour aller lézarder les murs de la cuisine. La plus jeune se laissa bercer une ou deux secondes par ce sentiment de bien-être, avant de sauter sur ses pieds pour aller aider sa mère. L'absence de Minako était encore palpable, bien sûr. Mais peu à peu, le foyer Ichihara reprenait vie.

Heya~ J'essaie de limiter les NDA mais c'est compliquay. J'espère que ce chapitre vous a plu et, au risque de me répéter, si c'est le cas, n'hésitez pas à faire pleuvoir les étoiles et les commentaires hihi. Enfin petit message pour vous partager le dessin qu'une copine (kuku CatnipWiseGirl64, allez la lire, elle écrit une fanfic sur Haikyuu en plus) a fait de Fusae bb –la dessinatrice dessinée, ça me fait trop rire– et je craque, elle est magnifique ouin ♡

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