Chapitre 15 · Un air de famille
Le soir venu, Fusae avait la tête grosse comme une pastèque quand elle rentra chez elle. L'économie savait parfois piquer son intérêt, mais la plupart du temps, elle avait simplement envie de plonger son crâne dans une bassine d'eau froide à la sortie du cours – surtout à quelques jours de ses règles, qui la rendaient chaque fois irritable au possible. De plus, Yuna et elle avaient été rejointes par leur camarade Yoshita à la sortie des cours pour un rencard pendant le week-end et, peu résolue à laisser sa meilleure amie rater sa chance avec le garçon, elle avait renoncé à la voir l'accompagner au match d'Oikawa. Aussi, la noiraude fut bien contente qu'il soit encore trop tôt pour croiser son voisin dans sa rue, ou elle ne l'aurait sans doute pas supporté. Ses messages l'avaient suffisamment travaillée pour la journée.
— Je suis rentrée, soupira-t-elle lorsqu'elle passa le pas de la porte.
C'est Kabu qui l'accueillit à peine ces mots prononcés, traversant le couloir à toute allure pour la saluer joyeusement. La jeune fille lui accorda une caresse sur le museau, avant de se laisser tomber sur la marche du genkan avec fatigue et de retirer ses chaussures. En attrapant ses pantoufles, elle s'aperçut que le bout d'un des deux chaussons était mâchouillé en partie. Effarée, elle contempla longuement son chien, qui avait les oreilles suspicieusement baissées et le regard fuyant. Soupir. Trop fatiguée pour lui passer un savon, elle laissa simplement tomber ses chaussons et se résolut à passer la soirée en chaussettes.
— Ah, ma chérie, tu tombes bien ! s'exclama une voix qu'elle reconnaîtrait entre mille quand elle entra dans le séjour.
L'adolescente leva les yeux vers la petite silhouette familière qui se dessinait dans le couloir vers les chambres, et elle fronça les sourcils.
— Maman ? T'es déjà rentrée du travail ?
— Oui, je n'allais pas laisser ta sœur partir toute seule à l'aéroport, surtout sans lui dire au revoir !
— Hum, j'avais oublié qu'elle repartait ce soir.
— Dis plutôt que c'est tout ce que t'attendait pour pouvoir récupérer ma chambre ! s'exclama Minako depuis ladite chambre.
Non sans un court détour par le couloir pour adresser un doigt d'honneur à sa sœur, Fusae se rendit dans la cuisine afin de trouver un remède à sa migraine. L'aînée repartait à Hakodate pour son huitième et dernier semestre à l'université de Hokkaido, ce qui, malgré leurs chamailleries incessantes, chiffonnait un peu sa cadette. L'appartement serait vide, sans elle.
— Bon, je retourne l'aider à finir sa valise, indiqua leur mère alors que la noiraude fouillait les placards en quête de paracétamol. Tu nous aideras à descendre ses bagages ? L'ascenseur est en panne.
— Encore ?
— Oui, encore. À se demander s'il n'y a pas un petit lutin des ascenseurs dans cet immeuble ~
Sa phrase résonna dans le couloir, tandis que la plus jeune escaladait le plan de travail pour accéder aux placards du haut. Où était-il, où était-il... ? Au bout de plusieurs minutes à chercher dans le vent, incapable de mettre la main sur une simple boîte de doliprane, elle redescendit bien vite de son perchoir pour se passer de l'eau sur le visage. Maudite migraine qui ne se dissipait pas, maudit match d'entraînement auquel elle ne pouvait pas échapper, maudit voisin qu'elle n'avait pas pu s'empêcher de dessiner. Son regard d'acier s'attarda sur son chien, qui la regardait curieusement, la tête penchée sur le côté.
— Tu sais que c'est en partie de ta faute, ça ? grommela-t-elle, bien qu'incapable de vraiment lui en vouloir.
Sans surprise, Kabu ne répondit pas, préférant renifler la jambe de sa maîtresse. Cette dernière se massa le front, dans une vaine tentative de faire disparaître la douleur, puis jeta un coup d'œil à son téléphone portable qui clignotait sur le plan de travail. Sans doute un nouveau message d'Oikawa, et elle ne se sentait pas de lui répondre maintenant. De rage, elle retourna le téléphone portable, écran contre table, pour ne plus voir la diode s'allumer par intermittence.
— Fusae ! Ton aide ne serait pas de refus !
La voix de sa maman retentit dans l'appartement et dans son crâne, lui arrachant un soupir de douleur. Malgré tout, elle s'empressa de la rejoindre, Kabu sur ses talons.
Même s'il n'y avait que deux bagages à charger au bas de l'immeuble, le voyage fut fastidieux. Sur les trois étages à descendre, l'immense valise de Minako se bloqua par trois fois dans les escaliers, toujours au même endroit. Entre son mal de crâne et le gros sac-à-dos de sa sœur qu'elle avait dans les bras, Fusae n'était pas au bout de ses peines. Bien qu'elle ne veuille pas accompagner sa sœur jusqu'à l'aéroport, elle avait prévu de faire un saut à la pharmacie en bas de la rue, et le temps qu'elles mettaient à tout descendre approximait l'éternité. Elle ne cessait de jeter des coups d'œil nerveux à sa montre, dont les aiguilles se rapprochaient dangereusement de l'heure de fermeture du commerce et de celle où Oikawa rentrait habituellement chez lui.
Lorsque la petite famille déboucha sur la rue, le crépuscule avait déjà fait tomber son voile doré sur la ville. Inconsciemment, les pupilles de l'adolescente fouillèrent les lieux à la recherche de cette silhouette qu'elle redoutait tant, avant de pousser un soupir rassuré, tandis qu'elle suivait d'un pas traînant la grosse valise à roulettes jusqu'à la voiture. Les secondes battaient dans son crâne comme la douleur discontinue qui ne la quittait plus. Au moment où sa mère et sa sœur tentaient de charger le lourd bagage dans le coffre du véhicule, cependant, où sous ses yeux le cadran de la montre annonçait dix minutes fatidiques avant la fermeture de la pharmacie et où elle s'apprêtait à abandonner sa famille pour courir jusqu'au commerce, il fallut que le destin lui envoie son pire atout.
— Oh, coucou Sae-chan ~
L'intéressée sursauta en reconnaissant, bien amèrement, la voix d'Oikawa Tooru. Il se tenait là, à quelques pas d'elle et de la voiture, vêtu du survêtement blanc et turquoise de son club. Fusae resta hébétée quelques secondes face à sa présence et son sourire suave, avant de se ressaisir. Elle le salua d'un hochement de tête, puis lui montra d'un discret mouvement sa mère et sa sœur à côté d'elle – qui ne l'avaient pas entendu arriver, trop occupées à faire entrer la grosse valise dans le coffre de la voiture – dans une demande silencieuse de la laisser tranquille. Son regard mordoré glissa sur sa gauche, avant de s'illuminer quand il comprit. De travers, toutefois, pour le plus grand déplaisir de Fusae.
— Vous avez besoin d'aide ? proposa-t-il contre toute attente, en s'approchant de la voiture.
Mère et fille sursautèrent au son de cette voix inconnue, la première se cognant même contre le battant du coffre dans le processus, avant de pivoter vers Oikawa et son sourire charmeur.
— Ah, pardon pardon, grimaça Oikawa dans une moue excessivement obséquieuse.
— C'est rien mon garçon, c'est moi qui ne fais pas attention.
L'adulte esquissa un sourire pour balayer son geste, enchantée, tandis que Fusae commençait à se demander si ce n'était pas une malédiction familiale de se blesser quand son voisin était dans les parages. Les yeux de sa mère s'illuminèrent.
— Oh, mais tu es ce jeune homme qui est venu l'autre jour, non ? Tooru-kun, c'est ça ?
— C'est exact ~ Et vous, c'est Chise-san ?
Ladite Chise hocha vigoureusement la tête, toujours cet imperturbable sourire aux lèvres. La mâchoire de ses deux filles se décrocha presque de stupéfaction. Oikawa venait-il vraiment d'appeler sa mère par son prénom en toute sérénité ? Comme si c'était la chose la plus normale à faire avec une voisine qu'on n'a vu qu'une fois dans sa vie ?
— Tiens, toi qui es costaud, ça t'embêterait de m'aider à charger la valise de ma fille dans la voiture s'il te plaît ? Elle est un peu trop lourde pour mon vieil âge.
— Votre fille ? Sae-chan part en voyage ? s'enquit le volleyeur, et son regard taquin glissa sur l'intéressée, qui tressaillit et lui jeta un regard peu amène.
Un rire amusé échappa à l'adulte, qui secoua la tête puis entreprit de raconter à son voisin tout ce qui l'amenait à charger une si grosse valise dans le coffre de sa petite voiture de ville. Oikawa eut même le droit à un curriculum vitae des membres de la famille et des détails aussi croustillants qu'inutiles sur leur vie de tous les jours. Fusae comme sa sœur furent ainsi traversées par la même envie de s'enterrer de honte.
— Tu le connais d'où ? souffla Minako à sa cadette en désignant le garçon qui écoutait avec une fascination exagérée ce que babillait leur mère. Oh mais... c'est pas le gars de l'autre fois à qui t'as promis des baskets ?
— Oui, enfin non ! se corrigea Fusae devant le regard suspicieux que son aînée lui lança. C'est rien, c'est juste... il habite en face de chez nous...
— Ah ouais ? Et t'es pote avec un mec aussi mignon ? Petite veinarde, va.
— Mais non, on est pas vraiment amis...
— Ah, je voiiis... vous entretenez ce genre de relation ~
Elle appuya sa réplique d'un haussement de sourcils narquois et d'un sourire complice, qui achevèrent de plonger la cadette dans l'embarras. Aussitôt Fusae secoua la tête, les joues picotant d'une chaleur inattendue. C'est pas vrai, elle allait pas s'y mettre aussi ?
— Non, ce n'est pas ce genre de relation, pesta-t-elle à mi-voix, mais sa frangine haussa les épaules avec nonchalance.
— Peu importe, tu fais ce que tu veux, petite sœur. Par contre, faut que je leur mette un stop ou on est partis pour deux heures là.
Sans même laisser le temps à la plus jeune de protester davantage, Minako se rua aux côtés de sa mère pour s'interposer entre Oikawa et elle. Elle adressa au brun un sourire poli par-dessus son épaule, accompagné d'un « désolée » des plus mielleux, avant de se focaliser sur sa mère.
— Maman, je sais que tu kiffes raconter les détails les plus malaisants que tu connaisses sur tes filles à des inconnus, expliqua-t-elle tandis qu'Oikawa gloussait derrière elle, mais j'aimerais bien éviter de rater mon avion en fait.
— Ah t'en fais pas, ma chérie, on est dans les temps et... commença-t-elle avant d'apercevoir l'heure sur sa montre. Oh oui, en effet, il faut qu'on y aille ! À la prochaine mon petit Tooru ! Enfin « petit »... tu me comprends !
Nouveaux rires de politesse, qui s'évanouirent brutalement lorsque Minako referma la portière de la voiture après y avoir fait entrer sa mère. Elle échangea un regard exaspéré avec sa sœur, comme si c'était une mauvaise habitude à laquelle elles ne pourraient jamais échapper et salua Oikawa du bout des lèvres. Chise fit un petit signe de la main – au volleyeur ou à Fusae, cela restait un mystère – puis démarra le moteur. En faisant le tour du véhicule pour aller s'installer sur le siège passager, l'aînée frôla du bout des doigts le crâne de sa cadette dans un geste qui se voulait affectueux.
— Fais pas trop de conneries sans moi, la morue.
— Étouffe-toi dans ton sommeil.
Sur cet au-revoir des plus fraternels, l'étudiante laissa échapper un ricanement et s'engouffra dans l'habitacle de la voiture. Le moteur vrombit, arrachant un nouvel élancement dans le crâne de Fusae. Elle réprima cependant sa grimace autant que possible, le temps que le véhicule sorte du stationnement et s'éloigne, avant de disparaître au bout de la rue. De longues secondes s'écoulèrent ensuite, intangibles, silencieuses. Suffisamment creuses pour laisser à la nuit le temps de s'installer un peu plus sur la ville. Et enfin un soupir de dépit échappa à la jeune fille.
— T'as l'air au bout de ta vie Sae-chan, fit remarquer Oikawa, et elle se rappela seulement de sa présence.
— Ça va, j'ai juste un peu mal au crâne, c'est tout...
La faiblesse dans sa propre voix intrigua son voisin, qui pencha la tête sur le côté pour mieux l'examiner, un peu comme Kabu l'avait fait quelques instants plus tôt dans l'appartement. Elle se gifla mentalement. Venait-elle vraiment de comparer son voisin à son chien ?
— Tu devrais prendre un médicament, argua-t-il.
— Je sais, je vais justement aller en acheter à...
Le sang glacé par l'appréhension, elle s'interrompit brusquement pour regarder l'heure sur sa montre : l'aiguille avait dépassé la demie depuis plusieurs minutes déjà.
— La pharmacie est fermée, soupira-t-elle en fermant les yeux et en se maudissant. Putain, faut que j'aille en chercher en ville...
Oubliant son interlocuteur, elle sortit son portable pour lancer une recherche des officines les plus proches. Ses doigts se murent fébrilement sur l'écran tactile, portés par la panique grandissante et la douleur qui tambourinait dans son crâne. Il était hors de question pour elle de passer une nuit blanche à cause de cette migraine. Le souffle court, elle commençait à faire défiler les adresses suggérées, quand la voix de son voisin retentit à nouveau tout près d'elle.
— Au pire, Sae-chan, susurra-t-il, j'en ai chez moi si tu veux.
Dans un tressaillement, ladite Sae-chan releva brutalement la tête à ces mots, pleine d'espoir. Leurs regards se heurtèrent, ce même éclat de métal qui avait toujours le don de trouver écho dans le crépuscule.
— T-t'es sérieux ? laissa-t-elle échapper de surprise et il se fendit d'un sourire.
— Oui enfin, c'est si t'en as envie, petite voisine. Il doit me rester des anti-douleurs de quand je me suis pété un ligament, et ils sont encore valables il me semble, donc...
Oikawa laissa la fin de sa phrase en suspens, dans l'attente d'une réponse. Elle le contempla longuement, interdite. Cette proposition était si inattendue, si inespérée, et pourtant si bienvenue. Tout à coup, il donnait l'impression de rayonner dans la nuit, plus éblouissant encore que la lune au-dessus d'eux. Mille coups de crayons n'auraient pas pu retranscrire cette expression authentique, hélas. Le souffle bloqué dans la gorge, la jeune artiste baissa les yeux sur la main qu'il lui tendait, symbole d'une offre qu'elle avait une folle envie de refuser comme d'accepter. Le temps s'arrêta. Et dans un soupir tremblotant, Fusae glissa les doigts dans la paume de Tooru.
Pour une fois que ce cher volleyeur est gentil, on peut marquer ce jour d'une pierre blanche ~ Je mets moins de NdA tout simplement parce que je ne sais pas toujours quoi raconter xD Par contre, n'hésitez pas à voter et commenter si ça vous a plu, ça me fait toujours très plaisir de vous lire et de vous répondre. Encore merci de lire cette histoire ♡
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