Bonus #2 ⋅ Les éclats du soleil
Ce bonus aurait dû être publié il y a 2 jours, pour l'anniversaire de Tooru. Malheureusement, mon inspiration fluctuante a fait que... voilà. J'espère qu'il vous plaira quand même, surtout que c'est un format un peu particulier. Bonne lecture ~
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— Sae-chan, tu viens jouer avec nous ?
La voix de Tooru traversa la plage et les caresses du vent pour atteindre l'esprit occupé de Fusae. Non sans quelques secondes de battement, où elle traça quelques détails du bout de la mine, elle leva le nez de son carnet à dessins pour contempler celui qui rythmait sa vie depuis plusieurs années déjà. Il se tenait à quelques pas d'elle, un ballon de volley sous le bras, et un sourire charmeur à faire craquer toutes les filles de la côte Est en un clin d'œil à peine. Oui, peut-être bien qu'elle tombait à nouveau amoureuse en le regardant ainsi. Son cœur frémit, ainsi que les deux petites silhouettes agitées qui bondirent à ses côtés.
— Oh oui, maman, viens !
— Il nous faut un quatrième joueur !
— Et puis quand tu joues, papa triche moins !
— Comment ça, je triche ? s'offusqua aussitôt Tooru, une moue décidément trop mignonne sur les lèvres, avant de les attraper en plein vol. N'importe quoi !
Aussitôt les gloussements enfantins lui répondirent, pour exploser en cris de joie dès que les enfants furent en proie aux chatouilles. Un sourire se fraya un chemin sur les lèvres de l'artiste ; Miro et Noa tenaient ce côté taquin de leur père, à n'en point douter. Il y avait beaucoup de choses qu'ils avaient héritées de lui, à vrai dire : leurs jolies boucles brunes qui dansaient dans le vent à chaque fois qu'ils couraient sur la plage, leurs joues rebondies sur lesquelles elle se plaisait à plaquer des baisers rieurs, ou bien ce sourire malicieux – même si Tooru jurait y voir le sien, de sourire – à qui on ne pouvait rien refuser. Même leur peau, plus dorée que celle toute pâlotte de Fusae, rayonnait sous le soleil argentin comme japonais. Bien sûr, les jumeaux ressemblaient aussi à leur mère sur certains détails, ne serait-ce que pour leurs iris bleu acier, qu'elle avait appris à apprécier à travers eux, et cette même pluie de taches de rousseurs qui avait fini par apparaître sur leurs pommettes avec les années. Toutefois les faits étaient là : ils avaient hérité du charme ravageur de leur volleyeur de père.
— Tu joues dans mon équipe, dis ? s'enquit Noa, le cadet de dix minutes et sans nul doute le plus calme des deux, en se rapprochant pour lui attraper la main.
— Je veux bien, sourit-elle, avant de consentir à se lever, mais tu te souviens que je ne sais pas très bien jouer, n'est-ce pas ?
— C'est pas grave ça, papa te laisse toujours gagner, donc ça compense !
Si elle gloussa, un poil rose d'hébétude à ces révélations – les rougeurs ne disparaîtraient jamais – Fusae vint prendre place sur le terrain de beach volley à pas comptés. Elle baissa un regard hésitant sur sa robe d'été, certes légère mais à longueur de cheville, ce qui ne serait de toute évidence pas le plus pratique pour faire du sport. Pas le temps de s'inquiéter davantage, cependant, car la voix de Tooru s'éleva de l'autre côté du terrain :
— Sae-chan, je peux envoyer ? demanda-t-il avec prudence, et quand elle acquiesça dans un sourire, le même frémit au coin des siennes.
Et il jeta la balle. C'était un lancer facile, en cloche et lent, pour lui laisser le temps de se positionner et de le renvoyer aisément sans trop demander d'efforts ou se blesser. En somme, une passe parfaitement adaptée à son niveau, à sa tenue et aux conditions particulières du terrain – comme on pouvait s'y attendre de la part d'un passeur de niveau international avec près de dix ans de carrière derrière lui. Enhardie, elle parvint à rattraper le ballon pour le dévier maladroitement vers le petit Noa. C'était catastrophique, Tooru pouvait au moins lister quinze défauts différents à cette passe bancale, mais il leva quand même un pouce vers le haut :
— Nice pass, Sae-chan ! s'exclama-t-il, tandis que son petit coéquipier courait à toutes jambes pour la faire passer de l'autre côté du filet.
— C'était très nul, tu peux le dire, lâcha Fusae dans un petit rire à son intention.
— Mais non, la femme d'un passeur ne peut pas faire de passes nulles enfin ~
Et il lui décocha un sourire enjôleur qui acheva de la faire fléchir, bien sûr. Elle secoua la tête dans un petit rire. Jamais son ancien voisin ne cesserait son petit jeu de séduction avec elle, et sa Sae-chan n'était pas sûre de réussir à s'en lasser un jour. Comme un écho à cette promesse tacite, l'alliance de Tooru voltigea à son saut, s'envolant aussi haut que la chaîne en argent nouée autour de son cou le permettait, et scintilla sous l'éclat du soleil. Elle passa un doigt nerveux, presque machinal, sur son propre collier caché sous le tissu de sa robe. C'était lui qui l'avait choisi, qui avait proposé de les garder contre le cœur plutôt qu'à l'annulaire, par souci de pratique sur le terrain ou au dessin – et elle avait gracié les dieux pour cette suggestion quand ses mains s'étaient mises à gonfler comme des ballons de baudruche lors de sa grossesse, l'empêchant de dessiner comme elle le souhaitait. Oui, tellement de temps et de choses s'étaient passés depuis sa rencontre pour le moins catastrophique avec Oikawa Tooru.
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Une étrange volupté régnait sur l'appartement aux murs tout juste décorés de dessins et de cartes postales de l'autre bout du monde. C'était un de ces moments de calme après l'amour, chargés d'une tendresse inconditionnelle et de promesses de lunes et d'étoiles, sur lesquels le temps n'avait aucune prise. La main de Tooru traçait des arabesques sur son bras, sans s'arrêter, inconsciente de son geste, comme une extension des battements de son cœur ou de sa respiration pourtant encore haletante. Fusae avait l'impression d'être au sommet du monde avec lui. Alors les mots étaient sortis tout seuls :
— Dis, Tooru, tu veux des enfants ?
Aussitôt les caresses cessèrent, et le volleyeur recula pour la contempler soucieusement, ses sourcils charbonneux froncés par une émotion qui fit craindre le pire à celle qui venait de parler.
— T'es enceinte ?
— Hein ? Mais non, je... j'me demandais juste si t'en avais envie un jour...
Un jour. Quand ils auraient un appartement plus grand. Quand Tooru aurait un poste titulaire dans l'équipe, et Fusae son diplôme. Quand ils auraient dépassé la barre symbolique des vingt-cinq ans au moins. Quand ils se seraient lassés de n'être que tous les deux, prêts à se partager avec un être qui exigerait toute leur attention et celle de l'autre. Oui, ce jour-là peut-être.
Il resserra son étreinte autour d'elle avant de répondre à mi-voix.
— Pas pour le moment, je t'avoue...
Une petite moue lui pinçait les lèvres. Dans un regard nerveux, elle balaya les traits de Tooru comme pour le dessiner encore et encore. Lui leva les yeux pour accrocher les siens, les lèvres incurvées par un sourire moqueur et pourtant tendre.
— Pourquoi, t'en veux un maintenant, toi ?
— Non, ça va, je t'ai déjà toi comme enfant, le taquina-t-elle en effleurant du bout des doigts sa moue boudeuse.
— Hé ! Je te rappelle que c'était pas très enfantin, ce qu'on a fait y'a dix minutes.
Elle pouffa de rire.
— C'est vrai, c'est juste que... pour l'instant je suis bien rien qu'avec toi. Mais ça me déplairait pas d'en avoir un jour.
— Ah oui ? Et t'en veux combien ?
Ce disant, il s'était penché vers son visage, suffisamment pour que le bout de son nez effleure sa joue – sur laquelle il plaqua un baiser inconscient au passage. Elle gloussa, d'un rire un peu niais qu'elle ne contrôlait pas tout à fait même après des années de couple, tandis que sa large main de volleyeur épousait son bas-ventre d'une façon peut-être trop naturelle pour que ce ne soit une coïncidence. Un frisson lui échappa, comme à chaque fois entre ses bras. L'esprit déjà à la dérive, Fusae dut se concentrer pour lui répondre.
— Hum, je sais pas... autant que tu veux bien me donner ? suggéra-t-elle dans un sourire ingénu, et Tooru gloussa en réponse.
— Si ça ne tenait qu'à moi, on en aurait six pour faire une équipe de volley.
Aussitôt, la jeune femme écarta les yeux de stupéfaction, alors même que lui arborait un visage pensif, un poil tenté par cette folle idée. Elle roula maladroitement sur le dos pour mieux lui faire face, et s'enquit d'une voix hésitante :
— Tu... t'y penses pas sérieusement quand même ?
Leurs regards s'affrontèrent, éclats de malice mordorée contre l'acier incrédule de ses yeux, jusqu'à ce que les lèvres de Tooru se plient dans un sourire suffisant – quand bien même il tentait de le retenir en se mordillant les lèvres. Tout céda cependant très vite ; hilare, le volleyeur l'attira entre ses bras, contre les battements effrénés de son cœur et dans cette chaleur où elle aimait tant à se nicher. Et tout contre son oreille, il la rassura sans beaucoup d'efforts :
— Je rigole, gloussa-t-il entre deux baisers qui la firent rosir. T'en fais pas, ma Sae, je veux pas six enfants... enfin, sauf si t'en as envie ~
— Non non, je suis pas sure de vouloir supporter six mini Tooru au quotidien.
— Hé, c'est méchant ça, Sae-chan !
— T'as qu'à pas te moquer de moi...
Son bougonnement était à peine audible, étouffé par la couverture et par la peau tiède de son cou ; pourtant lui l'entendit, et s'il protesta de vive voix, son ancien voisin resserra son étreinte autour d'elle dans un délicieux envol de papillons. Le silence se renforça autour d'eux, sans que l'un ou l'autre ne s'en plaigne. Ils étaient seuls au monde dans ce petit appartement de San Juan, où personne ne parlait leur langue à des kilomètres à la ronde – fût-ce le japonais ou le langage de leur couple – aussi c'était comme être sur un nuage. Imperturbable, les mains toujours en pleine balade sur son corps, Tooru poursuivit toutefois sa taquinerie, de cette voix chantonnante à charmer tous les anges du ciel :
— En plus, ce serait bête d'en faire six, tu sais. Dans l'idéal, il nous en faut au moins deux de plus pour avoir des remplaçants ~
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— Embarazada ?
Fusae crut un instant avoir mal entendu, mal compris, mal traduit au fin fond de son esprit. Or les mots du médecin généraliste étaient formels, appuyés par les résultats de sa prise de sang effectuée le matin même et pour laquelle Tooru avait annulé son jogging matinal afin de l'accompagner. C'était inimaginable. Elle cligna des yeux, ouvrit et referma la bouche sans mot dire comme un poisson dans l'eau, et en quelques secondes balaya du regard l'intégralité du cabinet médical, avant de revenir sur le petit homme joufflu qui lui faisait face. Il la contemplait de derrière ses lunettes rondes et embuées, pas plus surpris que ça par sa réaction – aussi austère qu'il puisse paraître, ce médecin connaissait ses patients sur le bout des doigts.
— Mais... vous êtes sûr que ce n'est pas une erreur ? hasarda la jeune femme en remuant de nervosité sur sa chaise.
— Non, à moins que vous n'ayez un taux d'hormones six fois plus élevé que la moyenne et des règles tous les deux mois, vous êtes bien enceinte. De... quatre semaines à peu près.
C'était comme si le monde s'écroulait.
Deux, quatre ou douze semaines, ça n'avait plus aucune importance. Tooru et elle avaient eu cette discussion plus d'une fois dans le passé, avec toujours la même conclusion. Or, tout était passé à la trappe au cours de ces derniers mois : ses commissions en ligne explosaient, les entraînements augmentaient en nombre et en intensité, les matchs officiels s'enchaînaient autant que les vernissages, le tout à l'aube des jeux olympiques de Tokyo pour lesquels ils s'envoleraient dans à peine trois jours. Voilà donc un moment tout à fait inopportun pour que les étoiles décident de s'aligner.
Et pourtant... pourtant Fusae quitta le cabinet avec l'adresse de la maternité la plus proche.
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Tooru resta dans l'ignorance la plus totale des semaines durant. Ses entraînements à la chaîne, ses matchs et son isolement dans le village olympique facilitèrent la tâche autant qu'ils le rendirent à cran, fermé à toute communication, en proie au stress et à la pression d'un jeu de niveau international – et peut-être au manque, aussi. Fusae sentait bien qu'elle lui manquait quand ils s'appelaient le soir, lui coincé dans une de ses chambres luxueuses des hôtels réservés aux athlètes, elle dans sa vieille chambre d'adolescente chez son père... Et lui aussi, il lui manquait terriblement au milieu de tous ces souvenirs et de cette angoisse, mais ça l'arrangeait quand même un peu.
Pas besoin d'éviter son regard, de cacher son ventre de plus en plus apparent sur sa petite silhouette et d'expliquer ses nausées matinales qui ne se dissipaient pas, de lui mentir, tout simplement. Elle n'aurait pas su comment le faire, de toute façon. Si elle s'était améliorée en mensonge avec les années, Tooru savait toujours voir à travers elle et ses humeurs. Peut-être même avait-il senti un changement chez elle au cours de leurs appels, mais il avait eu la décence de ne rien lui dire. Ou bien avait-il simplement attendu qu'ils ne soient que tous les deux, comme ce soir-là où ils purent se retrouver l'espace d'une nuit :
— Dis donc, j'en connais une à qui la nourriture du pays avait manqué et qui s'est fait plaisir, chantonna-t-il alors que Fusae prenait place à ses côtés dans l'étroit lit de sa chambre d'hôtel.
— Je... je rêve ou tu dis que j'ai grossi ?
Ce n'était pas totalement faux – déjà quatre kilos en plus pour cette septième semaine, supposés compenser tous ceux qu'elle avait perdus et n'avait jamais réussi à reprendre, du temps où ils avaient été séparés par deux océans et un continent des mois durant – mais à force de le côtoyer, Fusae commençait à assimiler son art de retourner la conversation en sa faveur. Tooru demeurait le maître dans son domaine, toutefois ; il savait retomber sur ses pattes.
— Je dis juste que t'es la plus sexy des femmes, quoi que tu fasses ~
C'était facile, et ridiculement frivole, pourtant son pauvre cœur entiché par les années n'y résista pas. Pas plus qu'il ne résista à l'assaut de ses lèvres sur les siennes, sur son cou, sur le reste de son corps, ou ne résista à tout ce qui s'ensuivit. Pas qu'elle s'en plaigne ; l'affection qu'ils se portaient ne faisait que se renforcer avec le temps. Or une petite voix dans sa tête lui hurlait d'en parler, quand bien même elle l'étouffait au possible dans les tréfonds de son esprit.
Pas maintenant, pas comme ça.
Le lendemain aurait lieu le match de sa vie. Non pas de sa carrière, car plein d'autres viendraient, mais bien celui de sa vie, celui qu'il avait attendu depuis des années. Iwaizumi Hajime, Ushijima Wakatoshi, Kageyama Tobio, Hinata Shoyo, et bien d'autres encore si nombreux qu'elle avait oublié tous leurs noms, tous ses adversaires de jeunesse, amis ou rivaux, qui avaient fait de lui le joueur qu'il était devenu et la personne tant complexe que complexée qu'il était désormais... tous se dresseraient de l'autre côté du filet d'ici quelques heures pour un énième affrontement – celui pour lequel il se préparait depuis des années, celui de tout une vie.
Et il était hors de question pour Fusae de ruiner son mental de fer avec une telle annonce.
— T'es vachement pensive, ce soir.
Ça avait été murmuré dans le silence de la nuit, entre deux soupirs incontrôlés. Tooru avait roulé sur le flanc, un bras sous l'oreiller sur lequel il s'appuyait avec paresse, et à l'abri de leurs paupières à demi closes, ses yeux la fixaient avec intensité. Il avait remarqué quelque chose, évidemment ; comment avait-elle pu croire une seule seconde que cela lui échapperait ?
— Ah euh... non non, je suis juste fatiguée, répondit-elle dans un souffle, après avoir percuté le sens de sa phrase.
— C'est pour ça que tu m'as demandé d'y aller doucement ?
La mention de sa demande d'un peu plus tôt, alors au bord du vide, la fit rosir jusqu'à la pointe de ses cheveux, d'autant qu'il avait respecté sa volonté sans l'ombre d'une protestation en dépit de quelques taquineries signées Oikawa Tooru. Malgré tout, elle acquiesça sans un mot, comme pour le dissuader de poursuivre sur ce chemin sinueux. Son regard acier s'attarda plutôt sur les longs doigts du volleyeur qui s'agitaient à quelques centimètres de son visage jusqu'à lui effleurer le bout du nez. Un sourire retroussa le coin de ses lèvres malgré elle à ce contact éternellement électrisant, et leurs prunelles s'accrochèrent dans la pénombre.
— Tu peux me le dire, tu sais.
— D-de quoi ? bégaya-t-elle aussitôt en se redressant légèrement, paniquée à l'idée qu'il ait compris aussi vite.
— Le truc qui te tracasse, répondit-il sans la quitter des yeux, avant de poursuivre. Je vois bien que t'as besoin de m'en parler, mais que tu sais pas comment le dire.
Un sourire tendre étira ses lèvres comme ses mots les dépassaient, à faire rater à son cœur un millier de battements, si bien qu'elle hésita un instant à tout lui déballer en quelques secondes. Miroita cependant dans son esprit l'image de sa sélection aux jeux olympiques, et elle s'y raccrocha autant qu'à sa volonté de le préserver en vue du match du lendemain.
— Tooru... commença-t-elle avec hésitation, mais il l'interrompit en se penchant au-dessus de son visage.
— Tu peux tout me dire, Sae-chan.
Cette dernière déglutit lorsque ses iris balayèrent son visage pour compter encore et encore ses taches de rousseurs, mais n'eut le temps de rien ajouter puisqu'il poursuivit, narquois :
— En plus, je pense qu'après tout ce temps on est devenus assez proches, nan ?
— Je sais mais... haleta-t-elle comme Tooru commençait à picorer son cou afin de mieux la faire céder, et il lui fallut toute la volonté du monde pour l'empêcher de continuer. S'il te plaît Tooru, ne... n'insiste pas.
Un éclat de surprise vola à la surface de ses yeux, ses jolis yeux qu'elle connaissait par cœur pour les avoir dessinés encore et encore, mais les dieux soient loués, il ne força pas ses barrières. Seule une moue perplexe persista sur le bout de ses lèvres, ainsi que ses sourcils froncés par l'inquiétude – et elle s'en voulut terriblement de le mettre dans cet état-là – puis il hocha la tête à contrecœur avant de se rallonger à sa place initiale... loin d'elle.
Fusae grimaça en le voyant se détourner d'elle, assaillie par la culpabilité et les regrets. Impossible de dire ce qui l'énerva le plus chez sa propre personne, entre son incapacité à garder un simple secret à peine apparent l'espace de quelques semaines, celle à contrôler ses émotions, ou encore celle à protéger son volleyeur de mari de ses démons. Car les faits étaient là, criants de vérité et particulièrement douloureux. Un ou deux instants passèrent, où ces réalisations lui cisaillèrent la poitrine en même temps que la vue du visage fermé de Tooru – et son taux considérable d'hormones n'aidait vraiment pas à relativiser – puis il ne lui fallut pas plus d'une fraction de seconde supplémentaire pour se jeter contre lui, enserrer entre ses bras menus la taille ferme de son cher voisin et chuchoter contre sa peau :
— Je t'en parlerai demain après le match, promis !
S'il tressaillit, décontenancé par ce geste pour le moins spontané, le passeur ne la repoussa pas pour autant. Dans un petit rire amusé qui fit pétiller son cœur, il referma d'emblée ses bras sur elle, plaquant un baiser sur sa tempe au passage et remontant la couverture sur leurs deux corps entremêlés. Et, le regard perdu sur le plafond immaculé qui prenait mille couleurs sous les lumières de Tokyo, il s'autorisa une ultime question :
— Rien de grave, j'espère, Sae-chan ?
Fusae fit non de la tête, suspendue aux battements de cœur effrénés qui vibraient contre sa joue. Ses doigts trouvèrent ceux de Tooru à l'ombre des draps et ne les lâchèrent plus. L'artiste ignorait si découvrir que l'on allait devenir parent faisait partie des nouvelles graves, or au fond de son esprit embrumé, une petite voix lui susurrait que le jeu en valait la chandelle.
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Le match resterait dans les annales. Des jeux olympiques de Tokyo, du volley-ball ou des J.O. en générale, cela restait difficile à dire. Une seule chose était sûre : on s'en souviendrait.
Fusae ne comprenait pas tout au volley, même après des heures et des heures passées à regarder des rediffusions de match aux côtés de Tooru, même avec les explications du volleyeur données avec tellement de passion et d'enthousiasme qu'elle l'admirait parler plutôt qu'elle ne l'écoutait, même avec ces dizaines de rencontres auxquelles elle avait assisté pour le soutenir et l'encourager sans pour autant retenir toutes les règles. Aussi, c'est sans surprise que le résultat demeura confus pour elle.
Or défaite ou victoire, cela demeura sans importance, car Tooru avait l'air d'avoir tout gagné. Ses yeux et son sourire brillaient bien plus que la médaille suspendue à son cou, et qu'il avait brandie vers le ciel de Tokyo comme pour remercier tous les dieux qu'il connaissait de l'avoir amené là, sur ce podium avec son équipe. Fusae aurait pu faire mille dessins de cette scène si symbolique, de ce Tooru aux anges : il était magnifique.
— Je crois que c'était le meilleur match de ma vie, murmura-t-il lorsqu'elle posa le pied dans les vestiaires après la rencontre.
Ainsi l'avait-il accueillie – peut-être parce que c'était la première chose qu'il voulait lui dire, peut-être parce qu'il n'avait plus que cette phrase en tête. L'euphorie l'avait englouti tout entier, autant qu'elle possédait ses coéquipiers. La plupart d'entre eux avaient d'ailleurs déjà quitté la pièce, là où lui lambinait encore un peu, guère désireux de quitter cet endroit qu'il avait toujours rêvé d'atteindre. Et les autres savaient, ils savaient combien ce match avait été symbolique pour Oikawa Tooru et comme il était important de lui laisser le temps d'assimiler.
Aussi ce fut d'autant plus compliqué pour la jeune femme d'honorer sa promesse. Tooru la prit dans ses bras sitôt qu'il la vit, la serra fort, si fort contre lui qu'elle en eut un instant le souffle coupé et craignit pour son ventre pourtant encore minuscule. Elle peina d'ailleurs à desserrer son étreinte autour d'elle comme à placer ne serait-ce qu'un simple mot de félicitations, interrompue par ses baisers furtifs tantôt sur les joues tantôt sur les lèvres que son volleyeur lui prodigua dans la seconde, si exalté qu'il en oubliait la promesse de Fusae ainsi que les us et coutumes de son pays natal.
— Tooru, on est dans un lieu public, protesta-t-elle dans une vaine tentative de tempérer son ardeur, quand bien même ça la faisait rosir de plaisir.
— Mais je t'aime beaucoup, et je veux te le montrer ~
— Ailleurs que dans le vestiaire, ce serait bien.
— Ah, tu préfères le centre du stade ?
Le hoquet outré qui franchit les lèvres de Fusae à cette suggestion plus que douteuse se heurta aux gloussements du volleyeur, qui s'intensifièrent lorsqu'elle lui frappa doucement le bras – sans réellement lui en vouloir pour autant.
— C'est tellement facile de te faire rougir, Sae-chan, roucoula-t-il contre sa tempe, tandis que ses mains descendaient lascivement sur sa taille.
— T'es insupportable, sérieux...
— Et tu m'as épousé quand même. C'est à se demander si tu n'aimes pas ça, au fond, que je sois « insupportable » ~
Elle leva un regard blasé vers lui, avant de pousser un soupir à fendre l'âme, à court de mots. Et ce garçon allait devenir père ? C'était désespérant. Y repenser la motiva toutefois à ramener un peu de sérieux dans leur conversation. Elle balaya nerveusement la pièce du regard, puis son attention revint sur Tooru.
— Tous... tous tes coéquipiers sont partis, là ? s'enquit-elle avec prudence, afin de s'assurer qu'ils étaient bien seuls.
— Hum oui, il semblerait. D'ailleurs, va bientôt falloir qu'on libère le vestiaire pour qu'ils le désinfecte. Je vais aller me changer...
— Attends.
La voix de Fusae rebondit contre les murs de la pièce, surprenant Tooru autant qu'elle la surprit elle-même. Elle l'avait retenu par le bras, ses doigts crispés autour de son poignet humide de sueur comme l'hésitation et le stress commençaient à poindre dans ses yeux. Il se retourna à demi pour la contempler, interloqué, presque inquiet même.
— Ça va pas, Sae-chan ?
— Je...
Elle s'interrompit, soudain réduite au silence par la peur qui lui nouait la gorge. Qu'allait-il dire ? Faire ? Était-ce seulement une bonne idée d'en parler ? Et si tout changeait après cela ? Et s'il n'en voulait pas ? Lui demandait d'y renoncer ? Et si... ?
— Fusae ?
L'interpelée redressa vivement la tête au son de son prénom complet, pour croiser le regard mordoré qui la hantait jusque dans ses rêves depuis neuf ans maintenant. Tooru ne l'appelait jamais ainsi, sauf en de rares occasions. La dernière remontait au soir de leur mariage, quand il lui avait juré devant la lune et toutes les étoiles du ciel que tout irait toujours pour le mieux du moment qu'ils se faisaient confiance. Ne lui faisait-il pas confiance, à cet instant-là ? Ne lui faisait-elle pas confiance ? Elle baissa les yeux sur sa main qu'elle avait attrapé si spontanément. Ses lèvres se refermèrent en tremblotant à cette idée, puis elle déglutit. Et à défaut de savoir le dire à voix haute, l'artiste choisit d'employer les gestes.
Dans une traction timide et incertaine, elle guida sa main jusqu'à son ventre que la longue robe en tissu ample masquait aisément, sans pour autant limiter le contact. Un soupir d'angoisse lui échappa malgré elle, pourtant il se laissa faire sans un mot. Sa large paume vint épouser la courbe discrète de son abdomen, l'enferma dans sa chaleur et sa protection, vite rejointe par la deuxième main qu'elle plaça sur son autre flanc. Pour qu'il sente, pour qu'il voie, pour qu'il sache.
— Je... la nourriture du pays m'avait manqué, oui, mais... mais c'était pas ça.
Le reste de sa phrase disparut dans l'air lorsque Fusae leva les yeux pour capter les siens, qui s'écarquillaient au fil des secondes. Ses joues s'enflammèrent, en même temps que son appréhension. Et la voix de Tooru craquela dans le silence du vestiaire lorsqu'il reprit la parole :
— T'es enceinte ?
Il lui fallut un instant pour répliquer, à croire qu'en laissant sa question sans réponse, le mystère pouvait encore planer un peu. Pourtant si Tooru avait prononcé le mot, c'est qu'il avait compris. Alors pourquoi hésitait-elle toujours ? Pourquoi avait-elle le cœur en chamade lorsqu'elle hocha la tête, si doucement que c'était à peine perceptible ?
— Oh, bon sang.
Les étincelles crépitèrent au fond de sa poitrine, or ce fut la seule chose qui eut le temps de se passer. Ses mains de volleyeur se crispèrent sur ses flancs, comme s'il était tétanisé et cherchait à s'en défaire, comme s'il ne savait pas exactement quel geste esquisser. Tout se débloqua pourtant naturellement. Guidées par l'inconscient et sans doute un besoin profond, ces mêmes mains finirent par glisser habilement dans son dos pour la faire basculer en avant, vers lui et lui seul. Et sans que le moindre mot ne soit prononcé, dans un écho de leur première étreinte désespérée le soir de sa défaite contre Karasuno, Fusae se retrouva entièrement blottie contre lui.
Un soupir d'aise franchit discrètement ses lèvres, tandis que ses bras menus se cramponnaient maladroitement autour de son torse. Elle eut une folle envie de pleurer de joie à cet instant-là. Tooru la rattrapa avant qu'elle ne tombe, comme d'habitude, avec ses murmures qui savaient calmer la cadence infernale de son cœur.
— Je crois que c'est bon. C'est ça le meilleur jour de ma vie.
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Un sourire se dessina sur les lèvres de Fusae, ridiculement discret dans la brise saline qui balayait la plage de Sendai. Et la voix fluette de Miro traversa le nuage de ses souvenirs :
— Yes, tonton Iwa-chan est là ! Avec Miyako et Rina !
Le temps tournoya sur eux comme une tempête de sable. Fusae se tourna vers l'endroit vers lequel son fils agitait le bras avec enthousiasme, hébétée par le brutal retour dans le présents. Quelques mèches de cheveux s'échappèrent de sa tresse pour lui fouetter le visage, mais elle parvint à distinguer au-delà de Miro et Noa qui s'élançaient vers eux, la grande silhouette d'Iwaizumi Hajime, celle plus frêle de Miyako, et enfin celle minuscule d'une petite fille accrochée aux bras de son père comme si sa vie en dépendait.
— Oikawa, arrête d'apprendre à tes fils à me manquer de respect, grommela le désormais coach sportif en arrivant à leur hauteur.
— Mais ils te respectent, et ils t'adorent autant que moi, Iwa-chan ! répondit-il sans se départir de son sourire angélique. Coucou Miyako-san ~
— Salut Oikawa-kun, sourit l'interpellée avant de se pencher pour plaquer une bise sur la joue des jumeaux qui la saluaient en grande pompe. Vous avez encore grandi, vous deux, vous allez finir par être aussi grands que votre papa !
Miro comme Noa dodelinèrent de la tête, puis écarquillèrent grand leurs yeux acier devant le large chapeau de plage que la jeune femme portait. Amusée, cette dernière l'ôta pour le déposer sur la tête de Miro. Il gazouilla de plaisir, avant de se ruer sur la petite Rina à peine descendue des bras de son père. Noa le suivit d'un pas plus traînant, davantage intéressé par les mouettes et les crabes qui passaient non loin, que par la vie autour de lui. Quant à Iwaizumi, s'il jeta une œillade un peu suspicieuse aux deux garçonnets, il dut se résoudre à s'en désintéresser pour saluer Fusae ainsi que son ami d'enfance.
— Ils sont où, Hanamaki et Matsukawa ? s'enquit-il à l'intention de sa compagne, en scannant la plage du regard.
— Ils amènent les affaires de Rina et le pique-nique, répondit Miyako dans un sourire, qui avait déjà sorti son appareil photo pour mitrailler la plage de son objectif.
— Makki-chan et Mattsun-chan viennent aussi ? Trop bien !
Miro sautilla trois fois sur place en tapant dans ses petites mains, émoustillé par cette nouvelle. À croire que les nuages avaient entendu son souhait, les voix de Matsukawa et Hanamaki résonnèrent au loin entre deux jappements de mouettes et l'épanchement des vagues. Tel un chiot surexcité, il abandonna tout ce qui bloquait ses mouvements pour se ruer sur eux. Rapide et furtif comme une gazelle, il les rejoignit en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Matsukawa l'attrapa au vol, le fit voltiger et bondir dans tous les sens en guise de salut, avant de le percher ses épaules. Et le garçonnet de rire aux éclats, ivre de joie.
— Oï, Captain-kun, pas trop dur le choc culturel ? les salua Hanamaki en détachant ses syllabes à outrance. Tu me comprends toujours ?
— Hé, je parle toujours japonais, Makki ! répliqua Tooru de ce ton enfantin qu'il n'avait pas perdu même à trente ans passés, avant de se redresser avec prétention. Et je n'ai pas oublié les règles du savoir-vivre, non plus.
— Alors commence par retirer ta main des fesses de ta femme.
Fusae rougit violemment à la réplique de Matsukawa, d'autant qu'elle ne s'était pas formalisée du geste pourtant familier du volleyeur à force de vivre en occident. En effet, le choc culturel s'avérait rude sur certains aspects. Les deux se séparèrent d'un même mouvement, l'une embarrassée au possible, l'autre en pouffant d'amusement. Hanamaki siffla, impressionné :
— J'ai bien envie de dire que ça vous réussit pas, l'Argentine, mais en même temps vous avez tellement l'air de vivre votre meilleure vie avec vos deux morveux, que c'est plutôt le contraire ~
— Hé, on est pas des morveux ! protesta mollement Noa, qui s'était rapproché pour tirer sur un pan de sa chemise.
— Quand même un petit peu, marmonna Iwaizumi en regardant d'un mauvais œil sa petite Rina suivre lesdits morveux avec un peu trop d'enthousiasme.
— C'est pas vrai, surenchérit Miro.
— Tu veux qu'on règle ça dans l'eau ? Le premier qui coule l'autre a raison ?
Ainsi furent définies les règles du duel entre les jumeaux Oikawa et les deux anciens de Seijoh – en dépit de leur considérable différence d'âge – et ils s'élancèrent en direction de l'étendue azur de l'océan Pacifique. Iwaizumi les talonnait de près, avec sous le bras une Rina folle de rire et qui se débattait à peine, appelant plutôt sa mère à venir les rejoindre, ce que Miyako fit après s'être emparé de son appareil photo.
Bientôt il ne resta plus que Tooru et Fusae sur la plage de sable blanc. Le regard perdu sur les silhouettes qui couraient vers la mer à l'horizon, l'artiste sentit un sourire lui chatouiller les lèvres en sentant les doigts de son amour de jeunesse caresser les siens, jusqu'à ce qu'ils s'emmêlent sans trop de résistance. Son cœur rata un battement – combien encore en raterait-il à l'avenir ?
— On y va aussi ? suggéra le volleyeur, dont le sourire transparaissait dans ses mots.
— Tu vas me couler, argua-t-elle dans une moue qui se voulait boudeuse.
— Pas mon genre.
Fusae lui jeta une œillade sceptique, qui arracha un ricanement au volleyeur. Oubliant le savoir-vivre qui lui avait été rappelé quelques minutes auparavant, il se pencha alors pour réduire la distance entre eux, assez pour que leurs fronts se frôlent en dépit de sa taille éternellement grande, et que leurs souffles se mêlent. Elle déglutit, l'esprit déjà trouble.
— Et puis... c'est là qu'on s'est embrassés pour la première fois, je pourrais pas te faire ça ici ~
Le sérieux sous-jacent dans sa voix lui arracha un frisson, un long frisson qui remonta sa colonne vertébrale et liquéfia jusqu'au dernier de ses os. Elle eut la folle impression de tomber de nouveau amoureuse, en chute libre vers Tooru. Son regard balaya l'étendue de la mer, qu'elle n'avait pas reconnue jusque-là, avant de se rappeler dans des flashs furtifs la scène de leur premier baiser. La lune, fière et solitaire, son reflet dans la mer, et les mille et un éclats de joie qu'elle ressentis ce soir-là à ses côtés. Elle en rosit.
La prise sur sa main se resserra imperceptiblement, et une nouvelle fois l'artiste fut arrachée à son flot de précieux souvenirs.
— Allez viens, Sae-chan, les autres nous attendent ~
Tooru tira sur sa main pour l'entraîner à sa suite, et Fusae n'hésita qu'une ou deux secondes avant de se mettre en marche. Leurs pas se suivirent, ainsi que les pulsations endiablées de leurs cœurs, tous perdus dans cette symphonie estivale qui n'appartenait qu'à eux. Ils rejoignirent bientôt le reste du groupe, leurs amis d'enfance et de lycée, leur seconde famille, leurs enfants. Et leurs rires s'envolèrent aussi haut que le soleil.
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