Chapitre 8 : Personne pour guider ton chemin

Pour permettre à John et aux anglais de voir les gorilles, il restait un léger détail à régler...

Tantor refusait catégoriquement de distraire Kerchak le temps que les humains étudient le comportement des gorilles ! Tarzane le supplia, rien à faire, il avait trop peur du grand gorille ! Son amie dut alors demander à Tok d'emmener leur chef surveiller le gros bateau britannique à l'horizon. Comme prévu, Kerchak, trop pressé de voir les hommes déguerpir, le suivit sans rechigner.

La voie était libre...  


Le jour initialement prévu au départ, toute l'équipe se regroupa, parée à suivre Tarzane ! Elle vint les chercher à leur campement rangé. Harold ne cachait pas son impatience, Daniel et Quincy portaient tous ses carnets de recherche dans leurs sacs.

Tous étaient d'excellente humeur ; ils allaient enfin atteindre leur but !

Tarzane ouvrit la marche, les Porter à ses côtés. Elle les emmena au-delà des montagnes. Galante, Tarzane prit souvent Harold sur son dos durant le trajet. Ils longèrent un ruisseau en amont, traversèrent des plaines et des forêts de fougères pendant plus d'une heure. Daniel félicita alors la sauvage de tout le chemin qu'elle faisait pour venir les voir tous les jours. Quincy rappela que leur guide adaptait son trajet pour eux : il était évident qu'elle, elle le faisait en lianes ! Kate lui glissa qu'elle avait une bonne raison de le faire... Clayton, tout derrière, traçait des croix sur une vieille carte...

Ils arrivèrent au pied d'un gigantesque arbre recouvert de mousse.

- Où allons-nous maintenant ?

Tarzane se permit de grimper sur le dos de John pour saisir une liane plus haut, puis glissa ses pieds sous les bras du jeune homme et le hissa avec elle.

- John, que fait-elle, où allez-vous ??

- Je n'en ai aucune idée. pouffa-t-il, en haussant les épaules et en s'accrochant aux chevilles de la sauvage.

Ils disparurent dans les branchages plus haut. Les autres attendirent quelques instants et Tarzane revint seule. Sans prévenir, elle mit ses pieds sous les aisselles de Daniel et le monta comme son précédent ami. Lady Emily tendit la main vers Quincy sans le regarder :

- Sir, votre veste, je vous prie.

- Pour sûr, ma Lady. Il ne faudrait pas que vous attrapiez froid !

- Je ne désire surtout pas que ses pieds touchent mes vêtements.


Kate fut la dernière à rejoindre le groupe, cramponnée comme un chaton sur les épaules de Tarzane, absolument terrifiée. Ils étaient sur une solide grande branche à plusieurs mètres du sol, dissimulée par des lianes. Sans s'en rendre compte, Tarzane prit John par la main et continua de les guider. Ils se déplaçaient sur des branches aussi épaisses et dures qu'un pont en rondins. Essoufflée, Kate fit arrêter l'équipe et demanda, extrêmement hésitante :

- Cela vous dérangerait si... Enfin... J'enlevais mon... Corset ?

Les britanniques échangèrent quelques regards.

- Nous pourrons y survivre... dit finalement Daniel, ironique.

Leur amie soupira de soulagement et se débarrassa de son terrible sous-vêtement qui la gênait. Emily, elle, dans sa grande robe taillée sur mesure, n'était point dérangée par ses accoutrements ou par ces efforts physiques. Elle rayonnait, comme d'habitude.

Ils avancèrent encore, à la file indienne, jusqu'à un fourré, où ils s'enfoncèrent.


Kala vit d'abord arriver sa fille et s'avança vers elle. Mais elle s'arrêta quand elle aperçut la chose qu'elle aidait à sortir du bosquet qui cachait leurs nids : un humain. Un homme ! John se figea quand il la vit. Derrière lui, son père essayait de le faire avancer. Le jeune lord se poussa et toute l'équipe britannique émergea du fourré. Surprise, Kala dévisagea Tarzane.  

La sauvage sourit tout à tour à sa mère et à ses amis. Puis, à quatre pattes, elle s'approcha et la rassura : ils étaient inoffensifs. Kala lui reprocha d'avoir désobéit.

- Elle communique avec ? chuchota Emily.

- Je le crois... Peut-être est-ce le chef de la famille gorille.

Ils restèrent où ils étaient, sans trop savoir que faire. Il n'y avait qu'un seul gorille. Et sans compter Tarzane. Les Porter avaient des étoiles dans les yeux et s'avancèrent très doucement, en s'accroupissant peu à peu.

- Qu'est-ce que... commença Kate.

- Laissez faire les professionnels. chuchota Daniel.

Ils étaient aussi silencieux que dans une bibliothèque. Kala les détaillait, méfiante, et interrogeait sa fille. Qui étaient-ce ? Pourquoi étaient-ils ici ?John rejoignit progressivement Tarzane et lui mit la main sur l'épaule. La gorille ne fit plus le moindre geste car elle comprit : Tarzane et cette personne... Sa fille n'avait jamais respecté la consigne de se tenir loin des hommes ! Elle les connaissait depuis un certain temps ! Voilà donc ce qu'elle faisait de ses journées depuis un mois... Trahie, déçue, Kala recula...

- Mère. dit-elle.

- Que... Quoi ? Mère ? Elle est ta maman ?

- Oui.

- C'est vrai qu'il y a un air de ressemblance... marmonna Clayton.

- Incroyable... Tarzane, penses-tu que je puisse lui parler ? Apprends-moi comment tu fais.

Tarzane tendit la main vers sa mère et invita John à faire pareil. Il s'exécuta et Kala observa, en tremblant, les deux humains qui se présentaient à elle. Sa fille indiqua qu'ils étaient les mêmes. La gorille ne réussit pas à s'enfuir : ses yeux s'embuèrent. Sa chère fille, son unique enfant, sa petite protégée, et cet humain... Non... Le plus vieux de la bande arriva à son tour et tendit les deux mains vers elle. Emily s'agenouilla tranquillement et fit de même, ainsi que Daniel, puis Quincy et Kate. Clayton leva les yeux au ciel :

- Qu'est-ce que vous fabriquez ?!

- Vous voyez bien que nous saluons notre ami gorille !

- Quelle belle femelle...

- Vous êtes ridicules, relevez-vous, nous sommes des gentlemans ! De dignes anglais ne se prosternent pas devant des animaux !

- Clayton, nous sommes chez elle !

- Relevez-vous ! Tout ceci est abject, ce singe ne peut vous comprendre ! Debout ! Relevez-vous ! Rele... Surtout, ne bougez pas...

Étonnés du changement de ton du chasseur, les explorateurs levèrent prudemment la tête : au-dessus d'eux, camouflés dans les hauteurs, une trentaine de paires de yeux de gorilles les regardaient silencieusement ! Personne ne bougea, ni ne prononça le moindre mot pendant de longues minutes. Harold eut des crampes. Enfin, Tarzane se dressa sur ses jambes et appela toute sa famille en langue gorille. Tous les primates descendirent, dans un chahut sans nom, à la rencontre de ces étrangers ! Un joyeux concert de cris bestiaux fendit l'air ! Emily et Kate furent encerclées ; l'aristocrate leur offrait à tous un sourire séducteur qui les apaisèrent, tandis que les genoux de l'ancienne bonne furent pris d'assaut par les plus petits. Daniel et Quincy esquivèrent péniblement des doigts dans les oreilles, le nez ou les yeux, leurs chapeaux furent volés et leurs biceps tâtés. Refusant de se laisser approcher, Clayton dégaina son fusil, mais un gorille le lui prit et partit en courant, le chasseur à ses trousses. Le professeur Porter était comme dans son rêve le plus fou : il était entouré de gorilles de toutes tailles qui l'observait aussi curieusement que lui. L'idée de prendre des notes lui échappa totalement et il récitait à voix haute ses remarques, les yeux brillants :

- Animaux doués d'une sociabilité et d'une curiosité enfantines... Très bons réflexes... Point de différence de poids entre les sexes... Membres robustes... Ha ha, et aiment l'amusement... Oups, et très forts !!

Les plus jeunes cousines de Tarzane se jetèrent sur elle, pour la taquiner. La sauvage roula par terre avec et les souleva pour les chatouiller avec ses orteils. John s'approcha. Les gorilles lui montrèrent leurs petits poings et cela le fit rire. L'une d'entre d'eux se jeta sur ses cheveux, à la recherche de poux. Il se laissa faire ; il n'en revenait pas devoir enfin ces animaux ! Tarzane le regardait sourire... Elle était heureuse de partager un peu son élément avec lui. Elle se rapprocha et frotta son bras contre le sien. Kala, dans son coin, ne put se mêler aux siens, le regard rivé sur sa fille. Un bébé lui tirait des mèches de sa chevelure en poussant de grands cris. Sur la tête du jeune lord, la gorille lui répondait.

- De quoi parlent-ils ?

- De toi. De nous.

- Que disent-ils ?

- Que John reste avec Tarzane. déclara-t-elle, toute fière.

Le sourire de John s'effaça.

- Rester ? Tarzane, je croyais que nous en avions déjà...

Un gorille adolescent tomba en plein sur son amie à ce moment-là ! Elle le repoussa en grognant, avant de reconnaître Tok, dans un état de panique considérable ! Avant qu'il ne puisse s'expliquer, Tarzane lui demanda où était Kerchak ! En tremblant, il leva le doigt. Tarzane leva la tête : semblant venir du ciel, l'énorme chef débarqua au milieu du camp des gorilles ! Un silence s'imposa immédiatement ! Le mâle dévisageait chaque visage inconnu avec une haine non feinte. Lady Emily fut la première à décrypter son expression.

- Ho, ho... Professeur ?

Tarzane pâlit.

- Lâche ça, stupide macaque, ou je vais te...

Clayton, désintéressé par tout ce qui l'entourait, réussit à ôter son arme des pattes du gorille. Voyant le fusil, Kerchak poussa le plus violent cri animal jamais entendu par les britanniques, qui crurent mourir de peur ! Sans hésiter, il courut vers le chasseur ! Tarzane se jeta sur ses pattes arrières et ils chutèrent ensemble !

- Partez ! ordonna-t-elle.

Ils ne se le firent pas dire deux fois ! Kerchak balaya la sauvage d'un coup de patte, mais elle se redressa tout de suite et grimpa sur ses épaules, les mains sur les yeux.

- Tarzane !

John ne pouvait la laisser ainsi. Ils échangèrent un regard désespéré...

- Partez ! Vite !

- Viens, John !!

Harold prit son fils par le bras et l'encouragea à prendre la fuite.

- Non, elle...

- Elle sait ce qu'elle fait ! intervint Daniel, aidant le professeur à éloigner son fils.

Tous disparurent précipitamment dans le fourré par lequel ils étaient arrivés. Tarzane lâcha son chef quand elle fut sûre que ses amis soient partis. Kerchak se retint de la gifler, hurla et tous les gorilles baissèrent la tête.


Le soleil se couchait. Encerclés par les gorilles, Kerchak, sa colère toujours présente, faisait les cent pas devant Tarzane. Cette dernière se tenait accroupie, prête à recevoir son courroux. 

Il ne lui avait demandé qu'une seule chose, une : ne pas approcher les humains ! Pour protéger les siens ! Et elle avait été incapable de respecter cet ordre ! Il lui reprocha d'avoir mis en danger leur famille ! Son acte était impardonnable.

Tarzane tenta de se montrer digne et expliqua qu'elle avait agi ainsi en faveur de tous ! Pour que sa famille comprenne qu'il n'y a rien à craindre de l'inconnu, qu'il fallait oser voir plus loin ! Il fallait laisser sa chance à cette espèce différente de la leur et accepter de la connaître avant de la juger ! Elle avait fait ça pour le clan, pour montrer l'exemple ! Pour les générations futures...

Kerchak grogna qu'elle était la dernière personne à qui il confierait son clan !

Des murmures passèrent. Tarzane encaissa. Elle continua : elle, elle avait confiance en ces humains ! Son avis comptait autant que n'importe qui, alors ils devraient leur accorder leur confiance tout autant. Faire confiance en qui on a confiance.

Kerchak répliqua qu'on ne pouvait pas faire confiance à quelqu'un qui en avait déjà trahi une ! Particulièrement celle de sa famille.

Touchée, la sauvage lança un regard désolé à tous ses cousins...

Kerchak décréta que jamais plus un humain ne serait le bienvenu chez eux. Désemparée, Tarzane sortit sa dernière arme et tendit sa main droit devant elle : sa main était identique aux leurs et elle, elle était identique aux membres de sa famille ! Ces deux peuples pouvaient n'en faire qu'un ! Ils se ressemblaient ! Ils avaient tous les mêmes sens, deux mains, un cœur et le sang rouge ! Ils n'étaient pas si différents d'eux ! Elle se mit debout pour appuyer ses dires ! Assez de se laisser faire ! Elle compara tant les deux espèces que quelques gorilles faillirent se ranger de son avis ! Détestant ses manières, Kerchak se mit aussi sur deux pattes et la toisa de toute sa hauteur. Ils s'affrontèrent du regard ! Il la menaça de choisir son camp !

Tarzane explosa : pourquoi avait-il peur de ceux qui étaient différents de lui ?!

Pour toute réponse, il l'empoigna par le col et lui arracha sa chemise ! Sous ses yeux, il la déchira en lambeaux avec ses dents et la piétina ! Singe ou humaine ?! Elle ne put que le laisser faire et serra pitoyablement les poings pour ne pas pleurer. Elle n'aimait plus être nue. Elle n'aimait plus avoir froid. Personne n'intervint en sa faveur. Elle était seule.

Pour clore cette terrible discussion, Kerchak la prévint : elle pouvait suivre ceux qui lui ressemblaient, mais cela ne ferait pas d'elle une des leurs !


° * ° * ° * °


- J'ai cru qu'il allait nous avaler tout crus !!

- Calmez-vous, ma chère. intima Quincy. C'est fini, nous sommes en sécurité, n'est-ce pas, Clayton ?

Ce dernier exhiba son fusil sans rien dire. La nuit était tombée et les britanniques s'étaient regroupés autour des quelques affaires non chargées sur le bateau. Ils buvaient un thé autour d'un feu pour se remettre de leurs émotions de la journée ; certes, ils avaient accompli leur objectif, mais leur unique chance avait été de courte durée...

- Maintenant que nous avons vu les gorilles, nous partirons demain matin, à l'aube.

Harold observa son fils : il avait l'air triste et ne disait mot. Il ne pensait qu'à Tarzane.


° * ° * ° * °


Kala ne vint pas consoler sa fille : elle la voyait dans leur nid, recroquevillée sur elle-même, gémissante... Elle serrait contre elle les lambeaux de chemise... Dans sa position, elle ne pouvait lui apporter aucune aide. Elle la savait déchirée entre sa famille et cet autre monde... Ce spectacle lui déchirait le cœur. Que faire ?



Jour du départ.


Sur la plage, des matelots, que les explorateurs n'avaient jamais rencontrés, vinrent charger les derniers bagages. Tous étaient ravis de retrouver Londres, mais aussi chagrinés de quitter cette île paradisiaque... Caché derrière un rocher, Tommy, le petit chimpanzé, avait les oreilles baissées de tristesse... Daniel s'approcha de Sir Porter :

- Désolé pour vos recherches, Professeur. Je sais que vous teniez à ce voyage.

- Allons, ne prenez cet air abattu ! De retour en Angleterre, je vous aiderai à trouver de nouveaux investisseurs ! rejoignit Lady Emily.

- Vous êtes bien aimables, mes enfants, mais ne vous préoccupez pas de cela : j'en ai vu assez !

- Moi, je reviendrai ! affirma Quincy.

- Sommes-nous prêts, Messieurs et Mesdames ?

Tous hochèrent la tête. Sauf John, qui ne lâchait pas la jungle du regard.

- John ? Nous y allons ?

Le jeune lord soupira tristement, mit son chapeau et avança vers la barque. Un des matelots releva la tête et, après un sursaut, laissa tomber sa chique dans le sable :

- Par tous les diables, c'est quoi...

L'équipe se retourna : Tarzane était là, plantée devant eux. Elle avait mal enfilé le reste des guenilles prêtées lors de l'excursion. Les marins faillirent s'étouffer. Elle regardait le grand bateau à l'horizon, apeurée... Mais résolue.

- Je viens.

- Hein ?!

- Mais...

- Ô, Tarzane !!

John courut à sa rencontre. Clayton souriait.

- Tarzane, je suis navré pour hier ! Je n'imaginais pas... Tu n'aurais pas du...

Elle lui prit la main.

- Mère dit écouter mon cœur...

- Ciel, tu as fait de la peine à ta mère ? Je m'en veux...

- Ici, ailleurs, partout, toujours, mère sera ma mère. Choisir. Vouloir être avec John. Découvrir Angleterre. Avec John.

Il sourit bêtement. Il s'éclaircit la voix et lui offrit son bras :

- Ma Lady, si vous permettez...

Heureuse, elle le lui prit. Emily se rua vers eux :

- Je savais que vous viendriez, ma chère ! La ville va vous plaire, il me tarde de tout vous montrer ! Je vous apprécie beaucoup ! Vous êtes tout à fait attachante, comme un petit chien ! Mais il y a des manières à Londres ! D'abord, je vais vous changer, puis nous allons en parler ! Sachez que notre capitaine est un gentleman et il ne serait pas approprié de lui présenter une nouvelle passagère dans cet état !

Elle pointa du doigt un marin estomaqué et lui ordonna de la suivre avec sa malle. Puis elle poussa Tarzane derrière de grands feuillages...


Quand la barque quitta le rivage, il fut trop tard pour Tok et Tantor, qui avaient foncé à travers les bois, pour dire ''au revoir'' à leur amie ! Un peu plus tôt, ne trouvant pas Tarzane dans son nid, Tok avait demandé à sa tante Kala où elle se trouvait. Elle lui avait répondu vaguement que sa vie était guidée par son cœur et le destin... Bien que manquant cruellement de bon sens, Tok avait compris !

Les deux animaux, rejoints par Tommy, regardaient tristement les humains partir...


Une échelle de corde fut déroulée depuis le bateau pour la vaillante équipe d'explorateurs. Perdant toute élégance, Lady Emily l'escalada en première, trop impatiente de revoir sa petite Britannia ! Kate la suivit, suivit de Quincy. Daniel attendait le professeur.

- Vous allez voir, ma petite, tout ce que Londres a à offrir ! Non, tout ce que le monde a à offrir ! Tout le monde va vouloir vous rencontrer ! Les journalistes, les scientifiques, les écrivains, les monarques ! Vous allez pouvoir approcher la Reine ! Je dois avoir un portrait d'elle, je vais vous la montrer !!

Il grimpa l'échelle quatre à quatre, Daniel derrière lui pour assurer sa sécurité. Ne restaient plus que John, Clayton, deux marins et Tarzane. La sauvage était assise, la mine soucieuse. Elle était vêtue d'un chemisier blanc aux manches bouffantes, délicatement brodé, boutonné jusqu'au cou, cintré par un veston en lin violet, et d'une élégante, mais encombrante, longue jupe jaune. Sa longue chevelure avait été coiffé en chignon et ramené sous un petit chapeau à plumes. Elle ne reconnaissait pas ses mains sous ses gants en dentelle. Elle regardait encore la jungle, tristement. Sa jungle. Faisait-elle le bon choix ? John lui prit les mains pour la rassurer.

- Tarzane, je suis content que tu viennes avec nous. Je pense qu'une séparation aurait été bien trop douloureux pour moi. Cela doit être dur pour toi, mais je te promets que je serai toujours là pour toi.

Elle lui sourit.

- Tarzane reste avec John.

- Oui...

Avec une légère révérence, il lui désigna l'échelle.

- Les dames d'abord.

Tarzane leva les yeux vers le bateau, posa ses mains sur les échelons et entreprit la montée. John passa après elle. Arrivée sur la rambarde, elle s'y installa à califourchon, pour revoir une dernière fois son lieu de naissance. Ça allait beaucoup lui manquer. Elle baissa les yeux vers la raison de son départ.  

- Je te suis. Tout va bien.

Son visage s'éclaira un instant... Puis Tarzane disparut subitement, comme si elle avait été tirée en arrière ! Un silence passa.

- Tarzane ? appela le lord, intrigué.

Il grimpa encore d'un niveau, quand un marin passa par-dessus bord, manquant de le renverser ! John se figea et regarda l'homme échoué dans la barque.

- Montez vite voir ce qu'il se passe ! commanda Clayton.

Il s'exécuta et franchit la rambarde. Ce qu'il vit l'immobilisa sur place : il ne reconnut aucun des membres de l'équipage qui les avaient accompagnés à l'aller. Il fut choqué du nombre de cages en fer présentes sur le pont. Qu'est-ce que cela faisait là ? Il chercha son père du regard sans le trouver. Daniel, soulevé par un immense gars poilu, était emmené vers la cale.

- Tarzane !! John ! À l'aide !! Fuyez !! Mutinerie !

Avant qu'il ne puisse penser à reculer, deux hommes vinrent saisir le jeune Porter par les bras.

- C'est le dernier !

Et ils le traînèrent également vers la cale.

- Que... Arrêtez, que faites-vous ?!

- Mutinerie !! Mutinerie !! s'égosillait Daniel.

Puis il disparut dans la cale. Complètement paniqué, John tenta de freiner son avancée avec ses pieds, en vain. Ces hommes étaient aussi forts que grossiers.

- Père ! Tarzane ! Clayton ! Tarzane !

- Attrapez-la !! hurla une voix.

John vit Tarzane courir sur le pont à une vitesse incroyable, escalader les cages et bondir attraper un cordage. 

- John !

- Pars, Tarzane, je t'en prie !

Il n'arrivait plus à réfléchir : pourquoi ces hommes les traitaient-ils tels des prisonniers ? Les matelots regardaient étrangement la sauvage, hors de leur portée.

- C'est qui, elle, Sir ?!

- Qu'en sais-je vraiment, une nouvelle espèce... Une vulgaire femme-singe.

Le jeune lord tourna la tête : Clayton, très calme, s'allumait un cigare.

- Qu'est-ce qu'on fait ?

- Descendez-la, idiots.

- Clayton !!

- J'ai une conscience, Sir, je ne touche pas aux femmes !

- Eh bien, ne la considérez point comme une femme. En a-t-elle vraiment l'air ?

- Qu'est-ce que cela signifie ?

Il ignora John et leva la tête vers Tarzane.

- Clayton, j'exige des explications ! Vous avez été payé pour nous protéger !

- N'est-ce point ce que j'ai fait ?

- Hé, Sir, c'est qu'elle tape, la dame, et elle gêne !! On en fait quoi ?

- Utilisez le garçon, elle a un faible pour lui.

John vira au rouge. De colère.

- Voyez.

Sans attendre, il tira un coup en l'air pour attirer l'attention de la sauvage et braqua son fusil vers John. Ce dernier le regarda, terrifié. Après un mois passé à ses côtés, il savait que Clayton n'était pas un grand gentilhomme, mais de là à les trahir et à le menacer... Il tomba des nues ! 

- Vous avez perdu la raison ?!

Tarzane bondit sur le mât mais ne trouva aucune prise et dégringola ! Un matelot l'attrapa, elle le mordit férocement, se dégagea et courut vers Clayton. Hélas, trois hommes se jetèrent sur elle et la plaquèrent par terre. Écrasée, humiliée, la sauvage ne pouvait plus bouger.

- Voilà qui est mieux. Ne gaspillons pas une cage avec elle, mettez-la avec les autres.

Les hommes lui attrapèrent les jambes et les bras, la soulevèrent et la jetèrent sans ménagement dans la cale, sans la faire passer par les escaliers ! Elle regarda désespérément le chasseur.

- C'est une dingue, celle-là ! pesta un homme.

- C'est à cause d'elle qu'on a du retard ?!

- Croyez-moi, messieurs, mieux vaut l'avoir ici que sur place. Vous n'auriez pas voulu l'affronter sans ces chaussures.

Il se souvenait très bien de la façon dont elle avait combattu le grand gorille la veille et était ravi qu'Emily l'ait habillée de la sorte. Voilà pourquoi il ne s'était pas plaint, pour une fois, du temps qu'elle avait mit ! John fut poussé dans les escaliers. Il rejoignit son amie et s'assura qu'elle n'avait rien de cassé.

- Navrée de vous accueillir aussi rudement, ma lady, mais je ne pouvais pas vous laisser libre pendant que j'enfermais vos petits amis les gorilles dans leurs cages.

- Pourquoi ? demanda-t-elle, trahie.

- Pourquoi ? Pour les 500 livres que valent ces charmantes bestioles !

- Clayton, non, ne faites pas ça ! supplia John.

- Elle m'a mordu !! gémit un matelot, en dévisageant la sauvage.

- Fermez-la et allez chercher les gorilles. ordonna-t-il en sortant de sa poche la carte qu'il avait tracé la veille.

Le matelot s'en empara vivement et tous les autres poussèrent des cris de victoire.

- Je dois vous remercier, chère Tarzane : sans vous, je n'aurais jamais su où les trouver !

Sur ces terribles paroles vicieuses, la grille se ferma sur eux ! Prisonnière, trompée, angoissée, misérable, Tarzane hurla ! Elle avait quitté son foyer. Elle avait livré les siens. Elle se sentait perdue.  

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