Chapitre 7 : Viens voir ce monde qui est le mien
Plus que 13 jours avant le départ...
Ce matin-là, John était parti se baigner dans le bassin où coulait la cascade. Comme il n'avait pas de vêtement de baignade, il avait gardé son pantalon en toile, remonté jusqu'aux genoux, et son maillot de corps. Il était heureux d'être dans un endroit si paradisiaque. Il se rafraîchissait le visage à quelques mètres d'un groupe de flamands-roses, là où il avait encore pieds. Quand il jeta un regard sur le bord, il se retint de sursauter : Tarzane était là. Les cheveux couvrant sa poitrine, elle ne portait qu'un jupon sale. Elle observait le lord en souriant. John ne savait quoi dire. Grand gentleman, il se baissa dans l'eau pour ne pas se montrer dans sa tenue si peu convenable. Il savait que Tarzane n'y accordait pas la moindre importance mais il ne pouvait s'en empêcher. Bonnes manières obligent. Il la salua de la main, un peu gêné. Son amie s'avança dans l'eau, vers lui. Son visage vira au rouge. Elle arriva à sa hauteur. Elle planta son regard dans le sien avant de plonger et de s'éloigner. La clarté de l'eau permit à John de l'observer nager comme une loutre vers les profondeurs. Il la suivit jusqu'à ce que l'eau lui arrive aux épaules. La tête de Tarzane émergea plus loin, ses cheveux flottants autour d'elle comme des tentacules. Elle tendit la main vers lui. Il n'hésita pas : après tout, il avait confiance en elle. Peut-être trop, d'ailleurs. Il ne pouvait rien lui arriver s'il restait près d'elle, alors il lui agrippa le poignet. Tarzane le tira vers elle et, lorsque leurs visages ne furent qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, elle inspira grandement et plongea, l'emportant avec elle. Ils nagèrent ensemble, main dans la main. John voyait trouble sous l'eau, mais il put distinguer Tarzane cogner sur un gros rocher... Qui n'était autre qu'un hippopotame ! Surpris, John cracha tout son air et remonta à la surface. Tarzane le rejoignit, inquiète, pour le rassurer.
Elle se jeta sur son dos. John sentit ses bras entourer son cou et ses seins, froids, s'aplatir sur ses omoplates. En riant, il lui saisit les cuisses et la remonta plus haut sur son dos. Il prit son pied et se mit à le chatouiller. Mais cela ne lui fit rien, elle était insensible de la plante des pieds. Elle replongea dans l'eau, disparut entre les jambes du lord et remonta d'un coup, sa cheville entre les mains. John bascula en arrière et elle le chatouilla comme il venait de le faire. John, à moitié immergé, faillit s'étouffer de rire. La sauvage étant beaucoup plus forte que lui, il se débattit inutilement. Ensemble, ils rirent aux éclats et continuèrent à chahuter dans l'eau comme des enfants. Elle grimpa encore sur lui et lui ébouriffa les cheveux. Leurs rires retentirent dans toute la jungle.
Mais quand il se retourna, il découvrit, alignés sur la berge, les membres de son groupe qui le regardaient, médusés !
- Père ! s'écria-t-il, surpris.
Il lâcha Tarzane, qui disparut dans l'eau. Tous ses compagnons de voyage le dévisageaient, bouches bées. Harold en première ligne.
- Je... Je peux vous expliquer, il ne se... Nous n'avons...
Il se mit debout et écarta les bras, pour ne rien cacher :
- Voyez, Père, je ne suis pas nu !
À ce moment-là, derrière lui, l'énorme hippopotame surgit de l'eau, Tarzane à cheval dessus. Les lèvres pincées, John n'osa pas se retourner.
- Père !
John ne réussit à parler à son père que peu avant le dîner.
- Pardonnez-moi pour tout à l'heure. Tarzane et moi n'avons eu aucun geste déplacé l'un envers l'autre, croyez-moi, nous...
- Assez, John.
- Je...
- Il n'y a rien à expliquer : je te connais. Je sais qu'il ne s'est rien passé car je t'ai bien élevé.
John soupira de soulagement.
Plus que 11 jours avant le départ...
Les aventuriers montrèrent à Tarzane une nouvelle série de photographies : elle y voyait des villes, des jardins aménagés, des bals, des enfants, des montgolfières, des animaux domestiques, de la neige... Elle voulait savoir ! Tout savoir !
Elle découvrait un tout autre monde, semblant si près pourtant si loin. Elle rêvait de plus en plus de le découvrir...
Plus que 9 jours avant le départ...
La nuit était en train de tomber et ni Tarzane, ni John n'avaient été vu de la journée. Harold se rongeait les ongles d'angoisse.
- Je vous l'avais dit, Professeur, de ne pas faire confiance à cette sauvage ! clamait Clayton.
- Vraiment ? Et quand ? lui rétorqua Lady Emily.
- Elle a du le dévorer...
Harold commença à geindre :
- Mon fils... Mon unique enfant !!
- Cessez de raconter de telles horreurs !
- Nous devrions les recadrer : nous avons assez perdu de temps ! Tarzane doit nous montrer les gorilles, c'était ce qui était prévu ! Nous passons nos journées à les chercher en vain, tandis que John s'amuse dans les bois, tel un vagabond, avec l'une des leurs !
- Cette dame est des nôtres, corrigea l'aristocrate. Nous rentrerons avec elle, car sa place est en ville, comme n'importe quelle femme ! Nous la présenterons à la reine et lui demanderons un nouveau voyage pour revenir !
- Cette sauvage, mettre un pied à Londres ?
- Nous savons tous qu'elle suivrait...
C'est alors que John émergea maladroitement des fourrés. Tous se tournèrent vers lui : ses vêtements étaient sales et déchirés, il avait de la boue sur les mains et la joue, ses cheveux détachés étaient pleins de feuilles. Il regarda un instant son groupe, fautif. Puis, sans rien dire, il s'en alla dans sa tente. Personne n'ajouta rien.
Plus que 8 jours avant le départ...
Personne ne fit attention aux cris de Clayton, qui estimait qu'apprendre à un chimpanzé d'ouvrir et de fermer un parapluie était ridicule et à l'opposé de leur expédition...
- Nous n'avons toujours pas vu la queue d'un gorille !!
Il ne cessait d'exhiber le calendrier...
Plus qu'une semaine avant le départ....
Comme depuis quelques temps, John s'éclipsait la journée : il partait dès qu'il se réveillait. Il ignorait que, tous les matins, Clayton l'épiait courir vers la forêt...
Tarzane avait exactement le même rituel : chaque jour, à peine la brume matinale levée, elle se séparait des bras de sa mère sans la saluer et partait à la rencontre de son ami-homme.
Ils se retrouvaient souvent au hasard,chacun avançant vers la direction de l'autre, et passaient la journée ensemble. Harold était toujours occupé avec le petit Tommy et lorsqu'il faisait trop chaud, Tarzane n'aimait pas étudier. Alors elle poursuivait la fraîcheur ; elle grimpait dans les plus grands arbres de la jungle pour se reposer dans leurs feuillages. John l'accompagnait. Elle l'adorait. Malgré sa force très restreinte dans les bras, il essayait de suivre son rythme dans les lianes. Il avait les mains couvertes d'ampoules, il s'écorchait tout le temps, mais il était très motivé...
Elle lui intimait d'utiliser ses pieds comme appuis plutôt de ses genoux. Elle lui montra comment s'enrouler un bras ou une cuisse autour d'une liane pour mieux s'y balancer.
Elle avait toujours l'excellent réflexe de l'attraper par les bretelles chaque fois qu'il allait chuter. Elle le rassurait toujours d'un sourire et ne se moquait jamais.
Plus que 6 jours avant le départ....
Tarzane emmena John visiter quelques grottes dans les montagnes à dos d'éléphant. C'étaient des cavernes brillantes car leurs parois étaient parsemées de cristaux. Cette jungle regorgeait de richesses inexploitées et John garda bien ce secret pour eux.
Le soir venu, ils dégustèrent des fruits juteux, s'allongèrent sur une colline et contemplèrent les étoiles.
Au moindre coup de vent, ou plutôt dès qu'elle en avait envie, Tarzane aimait se coller au britannique et se frotter la joue contre son épaule, à la manière des félins. John se sentait aimanté par cette femme sauvage. Il veillait à ne jamais s'attarder sur son irrésistible chaîne de grains de beauté qui luisait dans l'échancrure de sa chemise. Il ne voulait plus bouger d'ici. Il voulut lui faire comprendre quelque chose et estima que c'était le moment idéal... Il lui prit la main et l'aplatit contre son buste.
- Sens-tu, Tarzane ? C'est mon cœur, il... Bat très vite parce que je ressens un sentiment... Très fort... Quand je suis avec toi...
Tarzane comprit... Mais rompit cet instant de charme en voulant aussi prendre la main de son ami pour lui faire sentir son cœur à elle sous sa poitrine !
Plus que 2 jours avant le départ...
Lorsque Tarzane arriva au camp ce matin-là, les cheveux lourdement chargés de fleurs multicolores, elle le trouva en plein rangement ! De nombreux nouveaux hommes étaient présents, en train de remplir brutalement des caisses et des malles avec tout ce qui traînait, les toiles des tentes étaient rassemblées près de valises encore ouvertes. Tarzane s'approcha, à la recherche de son plus cher ami...
- Le temps est passé si vite, nous n'avons pas pu voir les gorilles. Il faut retarder notre départ. implorait Harold.
- Impossible, Professeur ; vous étiez prévenu.
Épouvanté, Harold se précipita sur deux hommes qui manipulaient maladroitement tous ses travaux mais le vieil homme n'était pas assez fort pour les arrêter. Mais John n'en avait pas fini avec le chasseur :
- Cette expédition est le rêve de mon père ! Nous pouvons très bien attendre encore...
- Si vous n'aviez pas perdu notre temps à jouer les acrobates avec cette sauvage !
- Vous connaissez son prénom, Clayton !
Il l'ignora complètement et lui lança ses chemises sales dans les bras.
- Cessez de faire l'enfant et rassemblez vos affaires.
Sur ce, il partit. Sentant la colère l'envahir, il se retourna pour s'éloigner aussi mais se cogna brusquement dans Tarzane. À cause du choc, les pétales de fleurs dans ses cheveux s'envolèrent et s'éparpillèrent autour d'eux.
- Tarzane ! Oh, je suis content de te voir. Il y a... Comme un petit imprévu.
- Que faire ?
- C'est le bateau... Notre bateau, pour rentrer chez nous, en Angleterre. Il est là et nous...
- Partir ?
- Oui... Et nous nous demandions, enfin, je me disais, nous avons tous réfléchis et je crois que tu devrais venir.
- Avec John ? À sa maison ?
- C'est cela !
- Partir Angleterre et demain revenir ?
- Ciel, non, je... Cela risque d'être difficile... Un tel voyage nécessite bon nombre de choses...
- Pas rentrer ?
- Non... Enfin, pas dans l'immédiat...
- Tarzane rester. John rester aussi ?
- Oh, Tarzane, si... Je ne peux pas. Je dois rentrer. Mais viens !
- Et famille ?
- Je ne peux pas te promettre que tu reviendras...
Tarzane s'éloigna lentement de quelques pas, en tremblant.
- John veut pas rester avec Tarzane ?
- Je... C'est... Comment te faire comprendre... Je ne veux pas te blesser...
- John !! Le professeur et le capitaine sont en pleine querelle ! Venez m'aider à les apaiser !! appela Daniel, en panique.
- Nom de... J'arrive ! Reste ici, Tarzane, je reviens !
Et il partit. La sauvage resta un moment pantoise. Mais elle ne pouvait supporter l'idée que John allait la quitter. Abattue, elle s'enfuit dans les bois.
Elle se recroquevilla derrière un arbre et éclata en sanglots. Elle ne pouvait se résoudre à se séparer de ce charmant gentlemen ! Elle ressentait une douleur en elle, comme une cassure. Elle n'approuvait pas ce départ ! Elle voulait qu'il reste avec elle pour toujours ! Elle se sentait désemparée... Que faire ?
- Pauvre petite créature... minauda une voix qui la fit sursauter.
Elle se retourna et découvrit Clayton, appuyé contre l'arbre, en train de se curer les ongles avec un canif. Elle leva vers lui des yeux emplis de larmes.
- Navré de vous importuner, Tarzane, mais j'ai cru entendre votre petit cœur s'effriter. Qu'avez-vous ?
- John partir...
- Oh, c'est vrai, vous étiez attachée à ce cher John...
Il s'agenouilla près d'elle.
- Je suis désolé pour vous... John vous aime bien aussi. Quel dommage... Je doute qu'il trouve une fiancée à votre hauteur à Londres...
Elle renifla bruyamment et, avant qu'elle ne s'essuie le nez avec sa main, Clayton lui tendit un mouchoir proprement plié. Elle le prit.
- Cela me chagrine de vous voir dans un tel état. Je ne vois pas comment vous apaiser. À moins que... John pourrait rester encore quelques temps, s'il voyait des gorilles...
- Gorilles ?
- C'est pour cela qu'il est venu, après tout...
- Impossible. Kerchak...
- Non, non, je vous comprends, je ne veux pas vous ennuyer. Nous partirons demain, sans voir de gorilles. Ce n'est pas un drame, ne vous sentez pas responsable de notre départ...
Cette phrase eut l'effet recherché et Tarzane culpabilisa. Elle savait ce qu'il lui restait à faire...
- Tout son travail... Pour rien. Pauvre garçon. Il trouvera d'autres occupations dans sa grande ville, loin d'ici. Voulez-vous venir nous dire ''Adieu'' ?
Il voulut lui tapoter l'épaule mais, dégoûté, y renonça.
- Clayton ? Si John voit gorilles... Il reste ?
- Évidemment. C'est la seule raison pourquoi le bateau patienterait...
- Pas aujourd'hui... Demain, voir gorilles et rester ?
- Vous êtes sûre, Tarzane ? Nous voulons étudier ces animaux, on risque de rester plus longtemps et de vous déranger...
- Rester et voir gorilles ! Demain. Promesse !
- Formidable, Tarzane ! Venez annoncer la nouvelle avec moi !
Revigorée, Tarzane se releva et mit de l'ordre dans ses cheveux. Elle courut au camp pour partager cette décision prise avec Clayton. Cela allait plaire à John !
Mais il restait un petit détail à régler...
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