2.
Je n'avais pas besoin de tourner et retourner cela dans ma tête pendant trois heures pour comprendre que la connerie imposée par Natan, acceptée par Cole, allait devoir être mis en œuvre. J'avais beaucoup de défauts, mais je me devais de reconnaître que le glaçon m'enlevait une épine du pied. Et si ma simple présence à son « concert » m'empêchait de m'excuser, et bien... Je saisissais l'occasion. Rien ne m'empêcherait de m'éclipser de la soirée si cela se révélait trop ennuyeux après tout.
Je sentais bien que Natan trépignait à mes côtés, s'appuyant d'une allure faussement décontractée sur le bord de mon bureau, jouant avec un de mes stylos l'air de rien. Il jubilait, cela se sentait sans même que je n'ai besoin de l'observer. Il n'attendait qu'une chose : que je reconnaisse ma défaite. Je le regardais en coin avant de m'appuyer au fond de mon dossier, croisant les bras sur mon buste pour accentuer mon allure boudeuse. Il adorait croire qu'il avait le pouvoir à certains moments, et flatter son ego de mâle ne faisait jamais de mal. Après tout, je me devais bien de reconnaître que son style décontracté de motard, ses éternels cheveux bruns en bataille et ce sourire à faire damner les petites culottes faisait de Natan Herrero un spécimen très très appréciable. Surtout quand il avait ce sourire éblouissant d'abruti fini.
— Allez garnement, déballe ton sac... Soupirais- je.
S'il avait pu exécuter une danse de la joie en plein milieu du bureau, je pense bien qu'il l'aurait fait. Je lui avais toujours refusé toute sortie en dehors du boulot. Cela faisait bien deux ans qu'il tentait, et qu'il se prenait mon obstination de plein fouet. Et voilà que là, il semblait avoir réussi son coup. Finement joué je devais lui concéder.
— Sérieusement ?
— Oui, sérieusement. Je te dois bien ça pour m'avoir réglé le souci avec brio. Je suis têtue, mais je sais reconnaître ma défaite.
Il haussa un sourcil, sans doute prêt à me sortir une de ses éternelles conneries. Un sourire narquois s'étira sur mes lèvres alors que je me levais pour me planter face à lui.
— Alors, tu changes d'avis Monsieur Herrero ?
— Absolument pas ! Rendez-vous ce vendredi à vingt et une heure devant le bar Le Lounge... Tenue correcte exigée.
Je ne pouvais empêcher mon sourire de se faire carnassier devant cette moquerie à peine voilée. Il me tendait une perche, s'attendant à ce que je la saisisse pour me mettre au défi. Voilà donc l'étendue de la connerie qu'il avait imaginée... Un cerveau pour deux comme je disais. Terriblement craquant, mais tellement prévisible. Peut-être ne lui avait-on jamais appris que la curiosité est parfois un très vilain défaut ? Nul doute alors que je lui ferais regretter la sienne.
Je posais mes mains de chaque côté de son corps, prenant un plaisir non dissimulé à le perturber.
— Qu'appelles-tu tenue correcte Nat ? Je suis étonnée que tu connaisses ce mot...
— Pas une tenue de nonne que tu nous sers tous les jours quoi... Argua t- il avec un air moqueur.
Oh il voulait une tenue qui ne soit pas une tenue de nonne ? Attention au chasseur petit lapin...
— Mais peut-être que tu n'as pas ça... feint- il de s'inquiéter.
— Tu veux parier ? Chuchotais-je sur un ton suave au creux de son oreille.
Il arqua un sourcil, son regard brillant de pensées qu'il n'arrivait pas à dissimuler aussi bien qu'il le croyait. Je le tenais dans mes filets, il allait se faire prendre à son propre piège.
— Si tu arrives à me surprendre, je te donne des cours de boxe gratuitement. Si tu perds par contre... J'ai le droit à un rencard. Mais je suis sûr de gagner... J'ai jamais vu une nonne s'habiller à mon goût...
Aucune des deux solutions ne m'intéressait réellement. Mais je devais reconnaître que les termes de notre pari me faisaient rire, et la tête qu'il allait faire valait bien l'effort. Je me penchais à son oreille, m'amusant à frôler son bras en me penchant.
— D'accord Monsieur Herrero. Si tu veux jouer à cela, jouons. Le chasseur se retrouvera être la proie au final.
Je me reculais légèrement, oubliant le monde présent autour de nous, alors que je provoquais mon cher ami. Il ressemblait tellement à un animal prit dans les phares d'une voiture que cela en était excitant au possible. Natan Herrero était tellement facile à perturber...
— C'est moi qui devrais te donner des cours Nat... Fais attention à toi... Tu vas te brûler à jouer avec le feu.
Je me reculais d'un pas souple, le laissant désarçonné sur mon bureau alors que j'avais attrapé mon sac et que je me dirigeais vers l'ascenseur. J'avais de la chance, c'était l'heure de pause pour déjeuner justement. Cela laisserait le temps au petit derrière moi de se remettre de ses émotions.
Lorsque je débarquais dans le grand Hall avec Nat, une tornade blonde se jeta sur nous avant de se mettre à le fixer avec inquiétude.
— Nat ? C'est quoi cet air d'abruti ?
— C'est son visage naturel ça non Hayley ?
Un grand sourire accroché sur les lèvres, je regardais en coin Nat qui semblait en effet ne pas reprendre ses esprits.
— Mais il a quoi encore ?
— Oh. Il a réussi à me faire venir ce vendredi au concert de Cole. Et il a quelque peu buggé quand nous parlions tenue.
Elle arqua un sourcil alors que nous sortions du bâtiment de verre, son regard gris trahissant sa question muette.
— Il a parié que je n'avais pas d'habits qui pourrait lui retourner le cerveau.
— Oh. Vendredi tu dis ?
Je hochais la tête, ne retenant pas un sourire moqueur en croisant le regard de mon amie. Hayley Cooper, secrétaire de son état, était devenue depuis mon arrivée ma binôme de sortie, beuverie et de drague. Ainsi la facette que je refusais à ce cher Nat, cette chère tornade blonde la connaissait très bien.
— Mais je pige pas un truc... Comment en êtes-vous arrivés à ça ?
Ce fut, à priori, le moment où Natan décida de se réveiller. Tapant des mains avant de désigner Hayley avec un sourire resplendissant. Je n'en revenais pas à quel point ce mec était un gosse...
— C'est notre récompense !
— Ta récompense pour... ?
— Cole a réparé son ordinateur ! Et comme c'est moi qui aie demandé à Cole... Contre l'avis de la furie, eh bien voilà ! RÉCOMPENSE !
Ce fut apparemment le moment où il décida de céder à son instinct primaire : entamer une danse de la victoire sous mon regard blasé et le rire de Hayley.
— Donc je résume, comme Cole a réparé l'ordinateur de Luz, alors que c'est juste le boulot pour lequel il est payé, elle doit se taper une soirée avec toi ?
Je ne pouvais retenir plus longtemps mon éclat de rire face à la mine déconfite de Natan. Comprenant qu'en effet c'était bien gentil mais en soit, Cole avait juste fait le boulot pour lequel il était payé. Aucune obligation réelle donc de mon côté.
— Mais elle a promis... Geignit- il avec une moue se voulant adorable.
— C'est vrai. Concédais-je en soupirant théâtralement.
— Te connaissant ce n'est pas tant la promesse d'y être qui te fait y aller. C'est l'optique de clouer le clapet du garnement face à nous.
Je haussais les épaules, un sourire mystérieux accroché sur les lèvres alors que je fixais Natan. Celui-ci semblait avoir repris son calme, son regard trahissant le sérieux de ses pensées soudaines.
Pendant que des millions de femmes passaient leurs temps à se faire belle le matin en se levant... Moi je faisais l'inverse. Oui sérieusement : j'avais pris le pli de ne faire aucun effort vestimentaire ni de maquillage pour aller travailler... Je passais deux fois plus de temps à chercher un moyen de masquer mes formes, à me banaliser au maximum. Ce qui était pour moi, même au bout de deux ans, une véritable torture. Cela avait l'avantage de me faire passer pour une fille très sage, un mauvais caractère en prime. Mais New York avait beau être énorme, j'avais beau avoir un terrain de chasse très étendu... La majorité de mes soirées en dehors du boulot se faisait avec Hayley. Hayley, amie de longue date de ce cher Natan...
Oui vous deviniez assez bien ce que j'en avais déduit : Hayley avait eu sans doute la langue bien pendue même si Natan ne m'en avait jamais fait écho. Je ne comprenais pas bien son obstination à vouloir me voir en dehors du travail, mais après tout, je ne prenais pas bien de risque en le voyant pour une soirée. Pourtant je ne pouvais rater ce regard sérieux qu'il avait arboré pendant quelques secondes. Je connaissais assez la psychologie pour savoir que derrière cette épaisse couche de connerie et de dérision, se cachaient bien des choses. Beaucoup de choses dans nos discussions trahissaient une évidence : je n'étais pas la seule à avoir des petits secrets. Même s'il me paraissait évident que ses petits secrets à lui ne seraient jamais à la hauteur des miens.
J'avais beau avoir beaucoup d'amitié pour lui, j'étais consciente que trop le laisser entrer dans cette vie ne lui apporterait qu'une désillusion cruelle à la fin. Autant j'étais certaine que la blondinette finirait par s'en remettre, autant faire du mal à ce mec me déplaisait assez. Je tentais bien de vivre au jour le jour depuis mon arrivée ici, mais je savais qu'à terme cela se terminerait. Et je les laisserais ici. Probablement sans aucune explication. Révélant une partie de la cruauté dont je pouvais faire preuve.
— Tu fumes toi ?
Je sursautais, regardant la cigarette que j'avais allumé par automatisme avant de reporter mon regard sur Natan.
— Cela m'arrive...
Cela ne m'arrivait que quand mon cerveau déployait ses capacités en réalité, quand la personne que j'étais réellement prenait le pas sur Luz. Heureusement, l'heure de la pause se terminait, et Nat se contenta de me fixer avec perplexité avant de disparaître avec Hayley dans le building pendant que je terminais ma cigarette. Je m'appuyais contre un mur, soupirant en laissant mon regard balayer la foule se pressant pour retourner au travail. Je me posais la question sur l'intérêt de passer sa vie dans un bureau, une vie si routinière et si... Chiante. Ne trouvant aucune réponse à cette énigme qu'était les gens dit normaux. Je me décidais à écraser ma cigarette avant de jeter le mégot dans une poubelle, n'ayant d'autre choix que de retourner à mon tour à mon « travail ».
Mon après-midi ne fut passé que sur un seul objectif : Finir le dossier pour le lendemain. J'avais déjà perdu ma matinée, et je devais donc compenser cela. Natan n'essaya pas de me parler, sachant très bien que dans ces cas-là je me murais dans un silence total en travaillant. Beaucoup avaient appris à leurs dépens que quand je travaillais, on me foutait la paix. J'avais peut- être foutu la peur de leurs vies à quelques personnes ayant tenté de m'interrompre alors que j'étais concentrée... Et peut-être avais-je saisi la gorge de la personne en lui promettant une mort lente et douloureuse. On ne se refaisait pas totalement apparemment.
Natan était donc assez intelligent pour ne pas le faire, et surtout pour empêcher quiconque de le faire. Il n'avait, à priori, pas envie de savoir si mes menaces étaient sérieuses ou non. Dommage, cela m'aurait bien divertie moi.
Toujours est- il que la nuit était tombée depuis un moment quand j'éteignis mon ordinateur, une sauvegarde de mon travail sur ma clé USB. Je m'étirais avant d'attraper mon casque de moto et mon sac, refermant mon blouson de cuir en un geste. Me retrouvant devant l'ascenseur, je patientais en fermant les yeux, soupirant doucement, et je n'ouvris les yeux que quand le bip caractéristique se fit entendre.
Aurais-je dû feindre d'être surprise de croiser le PDG à une heure aussi tardive dans cet ascenseur ? Peut-être. En tout cas, lui il feignait très bien la surprise. Un petit jeu instauré entre nous. Parce que nos manies trahissaient que nous avions un point commun : nous étions des accros au travail.
— Mademoiselle Atzalé
— Monsieur Angley, quel plaisir.
Et pour une fois je ne mentais pas. Depuis les premiers jours, nous nous croisions régulièrement dans ce minuscule espace, et j'avais pu constater que sous un visage très professionnel, se cachait un dragueur à l'efficacité redoutable. Caleb Angley, toujours impeccable dans son costume de créateur, n'était pas qu'un homme au physique de tombeur. Non. Il avait un regard d'un gris métallique qui trahissait, quand on savait le lire, une perversité sans fond... Alors forcément, ce mec me donnait irrémédiablement des envies de tester sa sauvagerie quand j'en étais trop proche, et je devais prendre sur moi pour rester impassible. Chose assez compliquée quand j'avais la tête emplie d'images très tentantes de lui et moi baisant comme des dingues dans ce minuscule espace... Mais aussi canon et tentant que fut cette tentation ambulante au regard d'acier, je ne pouvais me permettre de l'approcher de trop près. Parce que jouer les idiotes avec cet homme-là n'était pas aussi évident qu'avec le reste des personnes de cette société. Et que Caleb Angley, du haut de ses trente années, n'était rien de moins que le célibataire le plus convoité de la grosse pomme. Ainsi, chacune de ses conquêtes était affichées par les journaux à scandale. Une très très mauvaise idée de A à Z de céder à mes pulsions avec celui-là donc.
— Pourquoi avez-vous travaillé si tard cette fois Mademoiselle ?
— Un souci informatique m'a fait perdre ma matinée. Mais Monsieur Reed m'a aimablement résolu le souci.
— Mon responsable informatique est venu, en personne, réparer votre ordinateur... Quel est le secret pour avoir réussi cela ?
Je ricanais doucement avant de m'appuyer sur la cloison, plongeant mon regard dans celui d'un homme qui me paraissait très curieux d'entendre ma réponse.
— Natan Herrero. En échange d'un prix dérisoire.
Un sourire s'étira sur ses lèvres alors qu'il déployait ses muscles à peine masqués par ce costume de créateur. S'approchant de moi tel un félin.
— Quel prix ?
— Ma présence à un concert demain dans une tenue sexy.
Il fit une moue absolument craquante, m'arrachant un rire sincère.
— Remarquable négociation. J'aurais dû y penser.
— Ou pas.... À trop idéaliser les choses, on finit déçu Monsieur Angley.
— Cela dépend, certaines choses me semblent pourtant meilleures en réalité qu'en fantasme...
Je ne pouvais qu'être d'accord avec lui tant la tentation de le déshabiller avec violence me prenait quand il me regardait ainsi. Ce pur regard de prédateur réveillant sans mal mes plus bas instincts.
L'arrêt de l'ascenseur au rez-de-chaussée sembla nous sauver d'un dérapage inopiné et il descendit aussi vite en se raclant la gorge, me souhaitant une bonne soirée. Je l'observais partir alors que les portes se refermaient, me faisant soupirer de frustration. Une douche froide ne me ferait pas de mal.
— On a dit qu'on baise pas le PDG. On a dit on touche pas. On observe mais on ne baise pas le beau PDG. Pas compliqué putain. On baise tout ce qu'on veut, mais pas dans cette société. C'est pas compliqué putain !
Caleb Angley... Si j'arrivais à berner la totalité de cette entreprise, cela semblait plus complexe avec lui. C'était un homme d'une intelligence très affûtée, très habile pour cerner les gens. Et j'avais sans aucun doute attirée son intérêt. Refusant toute promotion alors que j'avais fait mes preuves depuis un moment. J'avais dû inventer comme excuse qu'en dehors de mon travail je pratiquais des sports de compétitions me demandant énormément de temps. C'était ainsi que j'avais démarré le pole dance. Continuant de m'entraîner aux sports de combats, mais jamais dans la même salle de sport pour ne pas attirer l'attention.
Je secouais la tête en sortant de l'ascenseur, me dirigeant vers ma moto. Il était amplement l'heure de rentrer.
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Correction Septembre 2020
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