Chapitre I : Celui où je fais connaissance ...


Nous arrivâmes à Barcelia en carrosse. Du moins en carrosse volant, conduit par des chevaux volants, des animaux de plus en plus rare d'ailleurs ce qui est bien dommage si vous voulez mon avis, ce qui n'est probablement pas le cas. Ce n'était certes pas le moyen de voyager le plus confortable, au contraire, vous êtes secoué dans tous les sens durant tout le trajet, mais ce sont des créatures magnifiques.

Durant le voyage qui ne dura qu'une bonne heure, ma sœur et ma mère m'interrogèrent sur ce que je pouvais bien avoir fait à Hélène pour être convoqué ainsi. Évidemment je n'en savais rien. Et Paul, le chef des gardes de Barcelia, qui indubitablement écoutait tout ce que nous disions, ne daigna pas nous en informer.

Parce que, même si être convoqué en soi par la Grande Reine de Barcelia était vraiment étrange, la façon dont elle s'y était prise l'était plus encore. Supposons qu'Hélène m'en veuille pour une raison ou une autre, bien que je n'en voyais aucune, je lui avait rendu sa pierre que j'adorais tant. Elle aurait d'abord fait appel aux ambassadeurs et aux envoyés en mission diplomatique, qui tenteraient de désamorcer la chose. Si Hélène n'en démord pas, alors Christophe aurait dû m'accompagner, mais elle n'avait pas voulu de sa présence.

Je sais qu'à Barcelia ils ont la folie des grandeurs, que toutes les autres cités laissent faire plus ou moins, mais la famille royale de Firento cherche toujours un bon prétexte pour s'en prendre à eux, pourquoi pas cette fois-ci ? Comment les Carignan avaient-ils justifié cela ?

Ma mère finit par nous interroger sur notre journée, comme si voler vers Barcelia avec le capitaine des gardes était une chose des plus banales. Je ne sais pas si c'est son retour à la vie normale après douze ans de folie ou si elle tentait de faire bonne figure, mais c'était vraiment étrange. Je laissai en tout cas ma sœur parler. Elle adore ça.

Moi, j'observais Paul qui demeurait impassible. Je ne comprenais pas comment il avait pu finir chef des gardes. Il était assez jeune et avait un côté assez androgyne. Je vous arrête tout de suite, il n'avait pas les cheveux long, ils étaient même assez court, surtout que chez nous un homme important se doit de les avoir aux épaules, mais son visage était assez délicat et son corps assez menu pour un homme, bien qu'il paraissait assez fort physiquement. Quand on le voyait pour la première fois, on ne devait sans doute pas vraiment savoir si l'on était face à un homme ou une femme, même sa voix peut passer pour les deux sexes, bien qu'elle serait assez grave pour celle d'une femme.

- Vous êtes de la famille de Simon Wells ? lui demanda ma sœur.

- Pardon ?

- Mon érudit, Simon Wells, il vous ressemble un peu.

Je tentai de le comparer à Simon. Je ne voyais pas vraiment de ressemblance flagrante, peut-être le même front, mais ça s'arrêtait là. Qu'est-ce que ma sœur avait pris ? Des champignons hallucinogènes ?

- Ma famille est de Barcelia depuis des siècles ! répondit sèchement le capitaine des gardes.

- Votre nom de famille fait penser le contraire pourtant, fis-je remarqué par pur esprit de contradiction.

- Carignan ne paraît pas être un nom Barcelianais et pourtant aucune famille ne l'est plus qu'eux.

Je ne sus que répondre. Ma sœur continua ;

- Peut-être qu'à un moment un membre de votre famille s'est exilé à Firento.

- Dans ce cas, ce serait un cousin très éloigné. Alors pourquoi connaîtrai-je son existence ?

Camille n'eut rien à rétorquer et s'enfonça dans son siège.




Une fois dans la cité magique, nous nous arrêtâmes sur la piste près du palais royal.

Paul nous guida ensuite dans le palais, par les souterrains, passages secrets et autres. C'est n'était absolument pas rassurant. Nous serions incapables de nous diriger si notre guide nous perdait et personne ne saurait que nous nous ferions attaquer si c'était le cas. Parce qu'il semblait que la Grande Reine ne désirait pas que nous soyons vu, peut-être pour nous faire taire à jamais. Mais à part le secret de la double identité de Mathieu Carignan, je ne voyais pas pourquoi elle voudrait tant notre silence, et ce secret-là, nous n'étions pas les seuls à le connaître. La présence de ma mère, avançant la tête haute, et de ma sœur à l'air de défi, me rassurait heureusement un peu.

Nous sortîmes alors des passages secrets pour arriver dans une grande pièce turquoise. Qui était vide à part quelques sofas.

- Attendez là ! ordonna le chef des gardes.

Tous les trois nous nous dévisageâmes légèrement inquiet.

- Tu crois que c'est à cause de la pierre ? interrogea Camille.

Mon cœur se serra en pensant à la pierre des mers, mon amie, que j'avais dû rendre à Hélène.

- Peut-être que c'est à cause du petit cousin d'Hélène, suggéra ma mère.

Nous savions très bien qu'elle parlait de l'ancien chef terroriste, mort il y a quinze ans. Mais encore une fois, ce n'était pas logique.

Paul ouvrit alors une porte argentée et nous invita à entrer.

J'avançai le ventre noué, les jambes flageolantes, les mains moites et le cœur battant.

Mais quand je découvris où l'on avait été emmené, je crois que j'ai été à deux doigts du malaise. Nous étions dans un « petit » salon, de la taille du rez-de-chaussée de ma maison. Il y avait une cheminé, avec des fauteuils tout autour. Et au centre de la pièce, une table basse couleur chocolat. Elle était recouverte de pâtisserie, pichet d'hydromel et verres. Mais ce n'était pas cela qui me choquait. Ni le nombre et la taille des moelleux fauteuils autour de cette table. Non, ce qui me mettait dans un état pareil, c'était les gens assis dedans.

La Grande Reine, vêtue d'une robe à gros pli violette, se leva de l'un des fauteuils, ses deux tresses rousses couvertes d'un voile tombant jusqu'à ses pieds, et m'ouvrit les bras, comme si elle voulait me serrer contre elle. La dernière fois que je l'ai vu, ce n'est pas vraiment l'impression qu'elle m'a donné. Sans doute que la colère a effacé son côté amical pour me montrer celui de manipulatrice.

- Théophile ! Comme je suis enchantée de te revoir !

- Votre Majesté ! bredouillais-je.

J'aurais dû m'agenouiller ou faire la révérence mais j'étais paralysé.

- C'est ta famille je suppose ? Tu nous présentes ?

Je la regardais incapable d'articuler un mot. Elle devait avoir l'habitude de faire cet effet aux gens, puisqu'elle a tendu la main à ma mère, en m'ignorant :

- Vous êtes sa mère je suppose, madame ?

- Charlotte Gironnant Majesté, se présenta-t-elle humblement. C'est un honneur d'être convié à une si prestigieuse réception, affirma-t-elle en jetant un regard aux autres les autres invités.

Ils nous regardaient tous, tout aussi abasourdis que nous l'étions. Aucun ne semblait comprendre ce qui se passait, affichant un air troublé. Peut-être pensaient-ils qu'Hélène avait été enlevée et remplacé par une amie de notre famille ou quelque chose comme cela.

- Voici ma fille, Camille Gironnant !

Hélène la jaugea surprise de ses yeux bleus acier, mais finit par lui sourire.

- J'ignorais que tu avais une sœur Théophile. Je suppose que tu n'as pas de beau-père ?

Elle ignorait que j'avais une sœur mais savait que je n'avais plus de père ? C'était vraiment bizarre. Ce qui suivit encore plus. Elle me prit par le coude, ma sœur également et nous guida jusqu'aux autres personnalités. Camille était, pour une fois, muette. Il faut dire que même chez les sans-visages elle n'avait jamais dû voir un spectacle aussi incroyable.

- Voici Thibault, mon demi-frère ! nous présenta Hélène en nous désignant un homme à l'épaisse chevelure blonde qui fixa sa sœur aîné d'un regard bleu désespéré.

Il nous fit un sourire hésitant. Puis elle nous désigna la femme assise à son côté :

- Son épouse Aradia.

La princesse Aradia était une fée au visage magnifique, aux longs cheveux noirs et libres ayant des reflets couleur prune. Elle nous dévisagea avec un air de totale incompréhension au fond de ses yeux d'or, ses jolies lèvres roses se plissèrent en nous examinant.

- Mon cousin Yves, qui est aussi le premier ministre ! m'expliqua-t-elle en indiquant l'homme assis dans le fauteuil qui nous regardait moi, puis ma mère, avec un air incrédule.

La dernière fois que je l'ai vu, il m'avait menacé et m'avait vraiment effrayé. Mais là, il était vraiment pitoyable. Son visage laiteux reflétait une hésitation qui ne lui seyait pas. Son front déjà bas était plissé sous la réflexion et donnait à ses sourcils touffus aux reflets acajou une forme incongrue, ses yeux verts semblait bien plus ternes que quand il avait son regard calculateur et inquiétant, et sa taille habituellement imposante, lui faisait une étrange silhouette quand il ne l'étendait pas.

- Enfin mon époux, Mathias !

C'était un petit homme sec qui semblait se demander ce qu'il faisait là. Comme nous au fond.

Ma nouvelle meilleure amie s'installa dans son fauteuil et nous désigna ceux qui étaient libres. Nous nous installâmes, un peu tendu évidemment, ce n'est pas comme si je prenais tous les jours une collation avec les grands de ce monde, sauf Kamélia bien sûr, la femme la plus puissante des douze cités, mais c'était une amie. Par contre nous n'avions été reçue qu'une fois chez la Reine Claire, alors les mondanités ce n'était pas encore cela. Et puis ils avaient tous de beaux vêtements, des coiffures impeccables et une telle prestance qu'ils paraissaient totalement à l'aise. Mais ma sœur par exemple avait des cheveux roux ébouriffés et une jupe trouée par endroit, ma mère avait aussi deux tresses brunes sous son voile, mais pas aussi longue et aussi belle que celle d'Hélène et une robe plus sobre, quant à moi, mes boucles brunes avaient décidé depuis ce matin que volait dans tous les sens étaient bien mieux que de rester bien ordonnées. Parfois je me demande si mes cheveux n'ont pas une volonté propre et pour seul but de me rendre ridicule.

Tout le monde s'observait, gêné. Mais la grande Reine dédaigna les explications en nous proposant à tous des infusions, de l'hydromel et des pâtisseries. Nous acceptâmes seulement par politesse, mais en mordant dans un biscuit, je me sentis nauséeux.

Une fois que tout le monde eut les mains occupées, elle nous dévisagea avec bonté. Puis se tournant vers sa famille elle nous présenta.

- Théophile ici présent, ainsi que sa sœur je suppose donc, sont les enfants d'Émile.

Cette fois je fus pris d'une quinte de toux quand je déglutis mon biscuit. Ma mère fit tomber tout ce qu'elle avait dans les mains et Camille se plongea dans sa tasse.

Face à nous, les réactions se firent multiples. Thibault, recracha son hydromel et s'attira le regard réprobateur d'Hélène, Yves fixait sa cousine incrédule, les yeux d'Aradia passait de nos visages à Camille et moi à celui d'Hélène avec un air calculateur et Mathias jaugeait ma mère les sourcils froncés.

- Comment avez-vous su ? questionna Camille en levant les yeux.

Elle s'en était mieux remise que moi visiblement. Il faut dire qu'elle se prenait pour l'impératrice du monde depuis si longtemps qu'elle devait même presque être déçue de n'être que la nièce de la Grande Reine. Mais je fus tout aussi intrigué.

- Il n'y a pas de comment, puisque c'est impossible ! finit par s'emporter Yves.

- Je vais vous l'expliquer à tous, répondit Hélène en ignorant son cousin. C'est grâce à la pierre !

Je songeai à mon amie la pierre des mers qu'elle m'avait plus ou moins accusée d'avoir volé. J'avais fini par lui rendre malheureusement, mais pas avant d'être passé par la case prison, puis évasion, puis sauvetage du monde et chantage. Enfin plus ou moins. Mais savait-elle au moment où j'étais dans ses geôles que j'étais son neveu ? Si c'était le cas pourquoi ne pas me l'avoir dit et envoyé Yves me terrifier ?

- Quand Théophile me l'a remis, poursuivit-elle, j'étais intriguée de savoir comment elle avait pu entrer en sa possession, puisque ses explications étaient assez fantaisistes.

Elle me gratifia d'un sourire complice. Comme si c'était une plaisanterie entre nous. Alors qu'elle m'avait quand même envoyé en prison et menacé tous ceux que j'aimais. Je ne lui répondis donc pas. De plus je n'avais pas encore digéré le fait qu'elle le sache et fasse comme si c'était normal. Ils ne récupéraient quand même pas des membres de la famille toutes les semaines non ? Mais elle, elle continuait son récit normalement, sans même m'accorder plus d'attention :

- Elle m'expliqua que mon frère l'avait emporté avec lui, lors de sa fuite avec Céline, ce que nous soupçonnions déjà. Ils avaient été en danger selon elle et Émile a fini par se réfugier à Firento, où il l'a gardé caché des années. Jusqu'à ce que son fils vienne la prendre. Ensemble ils ont affronté les sans-visages qui voulaient la voler.

- C'est assez confus, commenta son époux.

- Mais la pierre ne peut me mentir. Elle peut me cacher la vérité, mais pas la transformer. Je lui ai bien demandé, pour confirmer, si Théophile était mon neveu. Je ne pouvais y croire. Et pourtant, elle me l'a confirmé. Et m'a même expliqué que le garçon venait de l'apprendre. En me découvrant un neveu, je n'ai pu qu'exiger de le rencontrer, lui et sa famille. Je doutais que mon frère vienne, puisque rien ne l'avait fait venir avant cela, mais tu pourras lui dire qu'on pourra le protéger si c'est ce qui l'inquiète. Et que quoi qu'il se soit passé, trop d'années se sont écoulés pour qu'on puisse lui en tenir rigueur.

Ma mère, ma sœur et moi on échangea un regard paniqué. La pierre ne lui avait pas dit que mon père était mort. J'étais sensé la mettre aux nouvelles. Je n'étais déjà pas doué pour ce genre de chose mais en plus annoncer ça à La Grande Reine en personne....

- La pierre a dû être abusée ! affirma Yves.

- On ne le peut, soutint Aradia de sa voix mélodieuse, semblable au chant du merle.

- Eh bien on a qu'à aller chez eux ! Si mon frère y est, on ne pourra plus douter.... déclara Thibault avec hésitation.

- C'est inutile ! Vous voyez bien qu'ils ont des airs de famille. Regardez leur nez ! Et montrez-nous votre tempe !

Pas besoin de préciser laquelle. Ma sœur et moi, on se fixa avant de repousser nos cheveux du côté droit. On avait le croissant doré de Camillo. Thibault sauta incrédule et nous désigna du doigt en se tourna vers sa femme :

- Tu as vu ! Waouh ! Émile a eu des enfants ! Je ne peux pas y croire !

- Thibault ! aboya l'impératrice.

Il se rassit, mais se mit à rire nerveusement.

- Si tu appelais ton père pour lui demander de venir ! me demanda Aradia. Les incrédules finiront peut-être par l'accepter.

Je ne savais comment annoncer cela à la Grande Reine et le roi de Barcelia. Il avait l'air si content et elle me regardait avec tellement d'affection. Comment leur dire qu'ils ne reverraient jamais leur grand frère adoré, qu'ils ne pourront jamais lui dire adieux, qu'il ne leur avait même pas laissé un mot, qu'un autre membre de leur famille était mort tragiquement, il y a des années de cela, alors qu'eux, ils vivaient leur vie, sans se douter du drame qui s'abattait sur leur eux. Et comment allaient-ils réagir ? Ils avaient l'air si heureux. Ils allaient souffrir. Je me souviens de la douleur que m'avais causée la perte de Camille. Comment aurais-je réagi en la découvrant morte ? Cela m'aurait rendu fou de douleur certainement. Et c'est moi qui allais provoquer tout ça. J'avais vu assez Hélène en colère pour ne pas souhaiter la voir bouleversée.

- Votre frère est mort, il y a douze ans, finit par déclarer ma mère.

Le sourire de Thibault tomba. Il s'avachit. Sa femme lui serra la main, se pencha vers lui et lui susurra quelques mots. Hélène perdit aussi de sa superbe. Elle pâlit, ses lèvres tremblèrent. Yves tendit faiblement une main à sa cousine, mais il nous fixait avec colère.

Mathias nous observa encore plus mal à l'aise que nous. On avait l'impression d'être vraiment des étrangers. Nous on avait fait notre deuil, il y a longtemps, si on pouvait réellement faire le deuil d'un parent. En tout cas, nous avions appris à vivre avec ça. Hélène finit par dégager la main de son cousin. Elle nous sourit faiblement et demanda :

- Explique-moi ce que tu sais Théophile. Pourquoi ton père est-il parti ? Comment est-il mort ?

- Je ne sais pas grand-chose. Il est arrivé mourant chez les démons. Il est parti à Firento. Puis il est mort, tué par Voroï, quand j'avais trois ans.

- Rien de plus ? interrogea Yves.

- Il a rencontré Voroi chez les démons. Et...

J'allais parler de son avertissement pour les fées. Mais mon regard tomba sur Aradia. « Méfie-toi des fées », m'avait-il conseillé. Il ne valait mieux pas le révéler à l'une d'entre elle.

- C'est tout, dis-je.

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