Chapitre 3



Saïd n'eut guère besoin de plus d'informations pour mettre son étalon au galop. Comment pouvoir oublier cette jeune fille au regard craintif qui des années plus tôt avait été enlevé par l'ennemi du peuple ? Comment oublier cette jeune fille qui pendant un bref instant lui avait fait tourner la tête au point de se maudire. À cette époque elle était si jeune mais d'une beauté saisissante.

Il se souvenait de la seule et unique conversation qu'il avait eu avec elle. Le timbre tremblant de sa voix. À cet instant, Saïd s'était forcé à s'arracher de toutes pensées inacceptables. La dernière image qu'il avait gardé d'elle fut le léger sourire en coin qu'elle lui avait offert avant que ce dernier ne s'efface.

Il s'était promis alors de l'oublier.

Ce qu'il avait tenté de faire.

Saïd aurait pu suivre les traces de ses parents en prenant cette jeune femme pour épouse comme l'avait fait son père autrefois. L'écart d'âge n'avait jamais dérangé son père ni même sa mère. Ils s'étaient aimés, adorés. Saïd croyait au mariage pour cette seule et unique raison.

Mais il avait dû s'y résoudre.

Ayant l'impression d'être un monstre, un homme égoïste, sans cœur...dépourvu de toutes émotions.

Il ne connaissait rien d'elle car il s'y était forcé. Seul son nom faisait écho à ses souvenirs.

Savoir qu'elle s'était enfuie aiguisé sa soif de comprendre.

Mais pour l'heure il devait à tout prix la retrouver. Sa garde n'était pas parvenu à le rattraper. Son pur sang arabe était le plus rapide. De ce fait, Saïd avait pris une bonne longueur d'avance.

Farah déplia sa minuscule tente avec bien du mal. Elle n'avait ni téléphone ni papiers sur elle. Ses seuls biens se résumaient à ce seul sac et à cette tente.

Une peur indicible vint lui brûler le ventre. Le silence était pesant. Seul le sable provoquait des petits tourbillons sonores. Mais Farah ne s'avouait pas vaincue.

Elle tenta l'impossible, faire un feu.

- On va y arriver Nabat, je te le promets, murmura-t-elle en remplissant un sceau d'eau pour qu'il puisse s'hydrater.

En prononçant ses mots, Farah savait qu'elle tentait d'y croire.

Elle ferma les yeux un instant, puis les rouvrit, la joue contre la tête de Nabat. La chaleur était insupportable. Elle ignorait si sa réserve serait suffisante. Mais pour elle, hors de questions de retourner au village.

Farah se passa une main dans les cheveux pour se ressaisir et se retourna pour aviser le trou qu'elle avait formé pour le feu.

Elle se frotta les yeux pour essuyer la poussière qui l'empêchait d'y voir clair. Un bruit incertain la fit brusquement sursauter.

Farah tourna violemment la tête en direction de la dune et retint son souffle. Elle pouvait déceler le bruit d'un cheval au galop. Tout son corps se figea. La panique la submergea. Il était trop tard pour fuir ou bien se cacher.

Un voile brouilla sa vision mais elle vit un homme surgir en haut de la dune tel un guerrier sur son cheval noir. Elle hoqueta, dévisageant l'homme entièrement dissimulé. Seul ses yeux lui semblaient visible. Lorsqu'il avança son cheval pour descendre la dune Farah se cacha derrière Nabat, le cœur battant à la chamade.

C'était fini, songea-t-elle en résistant aux larmes.

Saïd descendit la dune rapidement et sauta de son cheval dans quitter des yeux les deux jambes qu'il pouvait apercevoir. Soulagé de l'avoir retrouvé à temps Saïd demeura silencieux et s'approcha lentement. Une tente de fortune était installé à l'inverse du vent. Quelques affaires de survie jonchaient le sable chaud. Prudemment il s'approcha de la jeune femme qui semblait pétrifiée derrière le cheval blanc. C'était presque un moment déterminant pour lui. La jeune fille d'autrefois avait-elle changé ?

De loin, il avait pu apercevoir une mince silhouette et des cheveux noirs de jais.

Saïd contourna le cheval sans plus attendre et lorsqu'il la vit, une lame brûlante vint effleurer ses reins.

Saisi par son regard, Saïd resta immobile et se contenta de la dévisager. Ce n'était plus l'adolescente de ses souvenirs mais une jeune femme dont la beauté mystérieuse le frappa en pleine poitrine.

Sa peau bronzée contrastait avec le teint plus claire de son visage, ses cheveux de jais et trempés jonchaient sa chute de reins. Ses lèvres roses et charnues tremblaient. Ses grands yeux marrons ressemblaient à un voilage glacé et empli de mystère. Saïd ferma le poing. Elle était divinement belle, incroyablement désirable...Bien plus que dans ses souvenirs. D'une main tremblante elle tenta de relever le tissu bleu nuit sur son visage pour le masquer mais il l'arrêta en saisissant son poignet.

Elle hoqueta, les yeux baissés. Une légère brise de vent vint diffuser une odeur de citronnelle agréable qui imprégna son keffieh.

La honte vint lui nouer la gorge lorsqu'il fit descendre sa paire d'yeux sur ses hanches étroites et maigres. Elle était fine comme une brindille capable de se briser à la seul force de ses mains.

- Regardez-moi, ordonna-t-il dans l'espoir de rencontrer son regard.

Tétanisée Farah n'osait pas relever les yeux. L'inconnu ne semblait pas vouloir relâcher son poignet. Les yeux rivés sur les bottes noirs qu'il portait Farah se risqua un regard vers ses hanches larges mais le regretta lorsqu'elle vit un poignard à sa ceinture.

- Obéissez jeune femme, relevez les yeux.

Sa voix était dure comme la sécheresse du désert. Le son était rauque, tranchant, autoritaire. Il s'insinua en elle comme un ruisseaux brûlant.

Forcée de s'exécuter Farah releva les yeux et rencontra les siens. Un fourmillement courut sur son visage puis elle fronça des sourcils.

Cette paire d'yeux d'un vert sombre ne lui était pas méconnu. Elle avait l'impression de les avoir déjà vu quelque part mais où ?

L'inconnu demeura muet. Son regard était de marbre mais puissant.

- Comment t'appelles-tu ? Demanda-t-il d'une voix plus amène.

- Farah, murmura-t-elle avant de rabaisser les yeux.

Elle avait voulu prendre son destin en main. Résulta, elle se trouvait au milieu du désert avec un inconnu dont elle ignorait les intentions.

- N'ayez aucune crainte, je ne vais pas vous faire du mal, déclara-t-il en caressant le flanc de Nabat ; Est-ce que ce cheval vous appartient ?

Farah releva subitement les yeux, prise de panique.

- Oui, c'est le mien, il est à moi, affirma Farah en attrapant les rênes.

- Savez-vous que votre village vous cherche partout ?

Farah n'en croyait pas un mot. Personne souhaitait la revoir revenir à une exception près.

Son oncle.

- Je ne manquerais à personne, murmura-t-elle en avisant son arme.

Il était grand, fort, musclé.

L'inquiétude la submergea.

- Qui...qui êtes-vous ? Demanda-t-elle le ventre noué.

Il s'approcha, brisant la faible distance qu'il y avait entre eux.

- Saïd Al Zufar...

Le cœur de Farah fit un bon dans sa poitrine. Déstabilisée par la découverte de son identité Farah baissa les yeux, la gorge serrée.

- Votre altesse, pardonnez mon impolitesse je...j'ignorais que...

- Allons relevez-vous ! La coupa-t-il en saisissant ses bras pour qu'elle se redresse.

Farah rencontra son regard et se rappela enfin. Ses souvenirs étaient peut-être infime mais elle se souvenait clairement de ce regard magnétique et puissant.

- Si vous le voulez bien, il faudrait reprendre la route, une tempête se prépare.

Farah se recula farouchement opposée à cette décision.

- Je ne partirais pas, non je ne rentre pas !

Malgré l'épais tissu qui recouvrait son visage elle le vit plisser ses yeux.

- Je ne vous ramène pas au village, je veux vous mettre en sécurité.

Sans lui laisser le temps de répondre il la prit par la taille pour la hisser sur Nabat.

Le cœur battant à la chamade Farah se retint désespérément à la crinière de Nabat. Elle aurait cru pouvoir mettre Nabat au galop mais une main puissante vint effleurer sa taille. Elle comprit qu'elle n'avait aucun moyen de le fuir.

Il donna l'ordre à son cheval de les suivre.

- S'il vous plaît ! Laissez-moi partir !

- Et vous laissez mourir ? S'enquit le cheikh d'une voix rauque ; Après le mal que je me suis donné pour vous sauvez la vie six ans plus tôt ?

Elle retint son souffle. Malgré l'épaisse couche de vêtement qu'elle avait sur elle Farah sentit la chaleur de ses mains brûler sa peau.

- Jamais je ne pourrais assez vous remercier votre altesse, mais...je vous en prie laissez-moi partir.

Saïd sentit sa voix trembler.

Si elle voulait partir c'est qu'il y avait une bonne raison à cela.

- Pourquoi avez-vous fui ? Demanda-t-il d'une voix exigeante.

- Je fuis un mariage forcé votre altesse, répondit-elle d'une voix désespérée.

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