Chapitre 15



Ses paroles s'insinuèrent dans son esprit et elle eut grande peine à soutenir son regard déterminé. Elle était presque sûre de lire une folle jalousie couvrir ses yeux verts. Son cœur palpitait si vite qu'elle pouvait le sentir dans ses tempes. Il craignait qu'elle parte, il craignait qu'elle se blesse ou qu'elle soit prise d'une folie stupide. Quel genre d'homme pouvait se montrer si...idéal sans cacher une raison derrière ce vernis de douceur et d'inquiétude mêlées ?

Cet homme puissant réputé pour avoir raflé des guerres était bien trop gentil pour être vrai. Ainsi fut la conclusion qu'elle trouva pour élucider les mystères du cheikh.

- Tu me dévisage avec crainte, nota-t-il en s'approchant.

- Tu es trop gentil tu es...trop protecteur, ta réputation n'est pas celle qui tu me montres.

Un rire grave couvrit le silence mais ce dernier se brisa dans un souffle de vent.

- Ma réputation concerne les batailles que j'ai mené, rectifia le cheikh en la bloquant contre le mur ; Personne ne sait rien de ma vie personnelle.

Farah se recula farouchement mais garda le silence.

- Penses-tu que je suis un monstre ?

- Comment pourrais-je ? S'enquit Farah incapable de le laisser penser une telle chose ; je ne te parle pas de tes guerres mais de tes pensées, de ta personnalité. Elle m'est difficile à décrypter. Ce n'est pas l'image à laquelle je m'attendais.

- Et à quelle image t'attendais-tu habibti ? S'enquit-il d'une voix dure et sifflante.

Farah tint bon face à la menace que représentait son mari.

Il fallait à tout prix qu'elle perce ses craintes tout de suite afin de déceler à quoi pourrait ressembler son avenir.

- Un homme impitoyable, autoritaire, froid et distant.

Farah retint alors sa respiration. Un lent sourire se dessina sur les lèvres de son mari.

- C'est toutes les qualités qu'un homme doit posséder pour gagner une guerre habibti, commença-t-il d'une voix grave ; Impitoyable avec l'ennemi, autoritaire avec ses hommes afin de mener une guerre d'une main de maître. Distant et froid est un choix tactique pour mieux approcher le danger.

Tout ses arguments valaient la peine d'être pensé, songea Farah en se mordant l'intérieure de la joue.

- Moi je pense que tu n'as pas l'habitude que l'on soit gentil avec toi Farah, reprit-il en caressant sa joue délicatement.

- Tu as raison, admit-elle en levant le menton ; Je n'ai pas l'habitude d'être couverte de cadeaux et de gentillesse. Ça me fait peur.

- Tu n'as pas à avoir peur Farah, tu voulais être libre et heureuse, c'est ce que je veux t'apporter.

Il se redressa lentement, le regard profondément ancré dans le sien.

- Je ne joue pas un rôle afin de te séduire, l'homme que je suis restera inchangé, je peux être aussi dur et implacable que doux et tendre avec ma femme.

- Je suis désolé, j'ai paniqué.

Et c'était le cas.

- Tu n'as pas à t'excuser Farah, en réalité j'apprécie ton honnêteté, c'est ce que je veux de ma femme. Pas de secret ni mensonge.

Ces paroles vinrent se loger au fond de son cœur. Farah le croyait sur parole. Jusqu'ici, jamais elle n'avait été déçue.

- Viens, murmura-t-il en l'entraînant vers l'escalier ; Tu devrais manger un peu.

- Est-ce que la nourriture est une obsession chez-toi ? Demanda-t-elle avec sarcasme.

- Non mais la santé de ma femme oui, répondit-il avec fermeté ; Tu es maigre Farah.

- Merci du compliment, marmonna-t-elle en s'installant sur la chaise, tendue et nerveuse.

- Je n'ai pas pour but de te blesser ma douce épouse, lança-t-il d'une voix chaude ; Ta santé m'importe, est-ce que tu vas me le reprocher.

Farah ne répondit pas tout de suite car une réplique lui brûlait les lèvres. La femme d'un souverain se devait d'être en pleine santé pour elle et pour l'enfant qu'elle pourrait éventuellement porter.

Est-ce la raison qui poussait Saïd à se préoccuper tant de sa santé. Et d'ailleurs pourquoi se projeter si loin ?

- Non, je ne te reproche rien.

- Mais ? Dit-il impatient.

Farah haussa des épaules pour se donner l'air de rien.

- Rien, mentit-elle en se servant quelques portions de riz.

- Pas de ça avec moi Farah, quelque chose te brûle les lèvres.

- Je t'assure que rien ne me brûle les lèvres, répliqua Farah avec une assurance qu'elle espérait sans faille ; J'essaye juste de m'habituer à cette attention toute particulière que tu m'apportes.

Le cheikh se frotta lentement la barbe, les yeux plissés comme deux fentes impénétrables. À ce moment-là elle eut l'impression d'être une gazelle sur le point d'être dévoré par les féroces mâchoires du lion.

Pour assurer son mensonge, Farah lui sourit.

- J'espère ma douce, je déteste le mensonge, laissa-t-il tomber en sondant son regard au sien.

Un muscle tressauta dans sa mâchoire virile. Farah ressentit un délicieux frisson courir sur sa peau.

- Parle-moi de toi, lança Farah pour mettre un terme à cette conversation dangereuse.

- Que veux-tu savoir ?

- Comment as-tu géré la pression d'être un cheikh si jeune ?

- Mon père m'a formé pour ce rôle.

- Est-ce que tu l'aimes ce...rôle ?

- Oui, répondit-il sans plus tarder ; Même si parfois j'aimerais me défaire de toutes mes responsabilités.

- Vraiment ? Fit-elle vivement surprise.

- Oui, aussi surprenant que cela puisse paraître, il m'arrive parfois d'être à bout de fatigue.

- Chaque être humain a ses limites, précisa Farah d'une toute petite voix.

Le sourire énigmatique de son mari la fit frémir.

- Je n'ai pas de limites seulement une farouche détermination.

- Tout le monde à ses limites Saïd, rétorqua Farah en mordant dans son morceau de pain.

- La mort peut-être, répondit-il en se penchant en avant : Et toi habibti, quelles sont tes limites ?

Ainsi voilà qu'un autre piège se renfermait sur elle.

- La trahison, le mensonge, la tristesse absolue.

Sa réponse fouetta le beau visage du cheikh qui se rembrunit. Un éclat sombre passa dans son regard mais ne sut dire s'il était dirigé contre elle ou non.

- Approche, ordonna-t-il en courbant son index.

Le cœur palpitant à un rythme fou, Farah poussa sa chaise maladroitement puis se leva les jambes flageolantes. Il repoussa sa chaise tout en lui tendant sa main qu'elle saisit sans hésitation. Petit à petit une confiance s'installait entre eux. Farah se posa sur ses genoux presque naturellement.

- Si tu parles ton oncle, ne t'inquiète pas, je vais bientôt régler cette affaire.

Il referma son bras autour de sa taille, puis crispa ses doigts sur son caftan. C'était pour ainsi dire le premier contact physique qu'ils avaient de réel depuis la cérémonie. Son esprit lui dictait de prendre ses distances mais son cœur et son corps lui soufflaient d'apprécier ce moment. Un nombre incalculable de femmes aurait rêvé de ce moment, songea-t-elle en posant timidement ses mains sur ses épaules.

- Tu penses qu'il ne lâchera pas l'affaire si vite ? Peut-être que je devrais lui rendre visite afin d'apaiser les tensions.

- C'est hors de question ! dit-il d'une voix catégorique ; Cet homme n'a fait que t'humilier parce que ton père a épousé une étrangère, une chose qui n'est pas apprécié dans le pays.

Touchée, Farah retint un triste sourire. Enfin quelqu'un la regardait comme une femme du pays avec du sang arabe et étranger. Hélas, Farah ne savait pas grand-chose de sa mère. Une déchirure intérieure qui la rongeait depuis l'enfance. Pour ajouter à sa douleur, son oncle avait brûlé tous les souvenirs de ses parents comme si ces derniers n'avaient jamais existé. Sa mère était partie, mais elle ne lui en voulait pas. A l'âge de pouvoir comprendre Farah lui avait pardonné.

- Je suis peut-être conservateur mais ouvert d'esprit, ton oncle ne respecte pas les traditions comment ose-t-il faire de toi l'enfant du péché.

Farah grimaça quand elle sentit les doigts du cheikh se refermer plus durement contre le tissu en coton.

- j'espère qu'un jour la raison reviendra à lui, murmura-t-elle en plongeant son regard dans le sien.

Les mâchoires de ce dernier se crispèrent puis sa large main vint de poser sur sa joue. Leurs visages étaient si proches qu'elle pouvait sentir son souffle contre sa peau.

- Tu es trop généreuse et trop gentille Farah, je ne veux pas que ces deux qualités affectent la réalité, dit-il en approchant ses lèvres près des siennes.

Farah n'eut guère le temps de répondre qu'il avait déjà capturé ses lèvres avec une pression exigeante. Farah eut l'impression de ne plus toucher le sol. Une explosion de sensations nouvelles se répandit en elle comme un feu jaillissant. Doux mais à la fois ferme, le baiser du cheikh était une explosion de saveurs. Farah sentit ses propres doigts se refermer sur ses épaules et dut réprimer un gémissement quand il se recula pour l'observer un instant. Saïd observa les lèvres gonflées de sa femme enfin marqué de son sceau et se fit alors une promesse qui allait à l'encontre de la première.

Celle de ne jamais la laisser partir.

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