Chapitre 6
Nous mangeons en silence, la tension entre ma mère et moi étant encore perceptible, même si j'ai été un peu apaisé par les parole de mon père.
J'évite leur regard à tous les deux et ma mère, elle, me fixe, inlassablement, ne regardant même pas ce qu'elle prend sur sa fourchette.
Mon père se décide enfin à briser le silence au bout de dix minutes de calme.
— Dis-moi... Je veux dire, as-tu hâte d'aller chercher tes fournitures scolaires ?
Je hausse les épaules, ne pouvant donner de plus grandes explications.
Les parents, quand ça ne supporte pas le silence, ça raconte n'importe quoi.
Qui demande à son enfant s'il a hâte d'aller acheter du matériel pour l'école ?
Il aurait tout aussi bien pu me demander si l'air était respirable ou si mon crayon écrivait toujours, j'aurais eu la même réaction.
— Je suis sûr que tu trouveras ton bonheur dans le magasin. C'est la période que les élèves adorent. Je suis sûr que toi-même tu te souviens de la première fois où tu es allée les chercher !
Je ne me souviens pas de mes trois ans et il le sait parfaitement. Il ne voulait seulement pas dire «la dernière fois ».
Le repas continue et plus personne ne prononce un mot.
Juste après avoir fini de manger, maman et moi prenons la voiture et nous dirigeons au magasin.
Devant l'entrée, je sens l'appréhension monter en moi. Mon souffle se bloque dans ma gorge, et intérieurement, je me sens défaillir.
Si je me sens mal juste pour aller chercher des affaires, comment je vais m'en sortir lors de la rentrée ?
— Allez Lessy, on ne va pas rester plantées sur le parking toute la journée, tout de même.
Je me force à avancer un pied après l'autre sur le goudron brûlant.
On va juste faire les courses, je pense.
Dans le magasin, il y a tellement de personnes que nous devons jouer des coudes pour atteindre le rayon que nous cherchons.
En voyant tout ce matériel, allant des couleurs simples telles que le rose, le blanc, le noir et le bleu, jusqu'aux couleurs les plus lumineuses, des souvenirs remontent à ma mémoire.
Je cours dans l'allée en rigolant, mes petites jambes peinant à suivre le rythme de mon corps. Derrière moi, mon père me rattrape et me soulève dans ses bras en me chatouillant le ventre.
Une collection de surligneur, des cahiers aux multiples couleurs, une trousse avec des petites fleurs dessus, ... Tout ceci est empilé dans mon chariot, ma mère me listant ce dont j'ai besoin pour l'année.
Mes amies et moi, courant dans les rayons, choisissant les mêmes fournitures.
Mon copain m'embrassant derrière un classeur. Mon père riant et ma mère souriant, contente que je sois des plus heureuses grâce à lui.
Yan.
Je reviens soudainement à la réalité, le visage de Yan dans mes pensées.
J'aurais préféré ne pas le voir.
J'aurais préféré qu'il n'apparaisse pas dans mes souvenirs qui étaient si joyeux.
Pourquoi me hante-il jour et nuit ? Pourquoi tout ce que je vois me fait penser à lui ?
Je tâche tant bien que mal de me reconcentrer sur ce que je viens chercher et non sur le visage de celui qui est ancré dans mes pensées.
Décidant de passer inaperçue parmi ma nouvelle classe, je choisis des affaires aux couleurs simples et peu voyantes, telles que le noir et le blanc.
Au détour d'un rayon, je me fais bousculer et atterris par terre. Je lève les yeux vers le fautif et m'aperçois que c'est Nathan.
— Je suis désolé. Je ne regardais pas où j'allais !
Je souris incapable de dissimuler mon amusement, car il s'excuse pour tout.
— Tu viens chercher tes fournitures scolaires pour la rentrée ?
Je hoche la tête.
— Trop bien, moi aussi ! Tu veux qu'on les finisse ensemble ?
J'acquiesce et il sourit, ravi.
Ma mère arrive derrière moi et, sans que j'aie besoin d'essayer de le présenter, mon ami le fait de lui-même et je lui en suis reconnaissante.
— Bonjour, je suis Nathan. Lessy et moi, on s'est rencontrés sur la plage, ce matin. Et on va à la même école !
On pourrait se croire dans un dessin animé, avec la façon dont il a prononcé sa phrase. Je souris.
— Bonjour, je suis la mère de Lessy. Vous... Euh... Vous êtes amis ?
Elle a dit ça avec un petit sourire gêné. Je sens mon visage se colorer. Pourquoi ma mère se décide-t-elle à poser cette question ici et à ce moment ?
Pourquoi ?
Elle a un manque de tact évident, et je sais qu'elle se demande si on est vraiment amis, s'il arrive à m'accepter avec mon handicap.
— Oui, bien sûr ! Lessy est vraiment une super fille.
Je le regarde avec un air surpris. Nous, amis ? Depuis quand ? Je suis heureuse qu'il me considère comme tel, mais on ne se connait pas le moins du monde.
Ma mère paraît rassurée, et je lui demande en un regard et quelques signes de mains son autorisation pour finir les courses avec Nathan. Elle accepte à mon grand bonheur.
Nathan et moi choisissons nos affaires et je sens revenir en moi les souvenirs et les ressentis des autres fois. Depuis qu'on m'a annoncé que j'irai à l'école cette année, je sens le stress redescendre.
Il est toujours présent, je le sens comprimé ma poitrine, mais il diminue. Nathan et moi, on ne se connait pas, mais on va à la même école. Peut-être qu'une amitié va se construire, peut-être que j'arriverai à lui faire suffisamment confiance pour lui dévoiler d'autres parties intérieures de moi ?
Mais pas ce secret.
En revenant à la maison, ma mère parait tendue et quand elle ouvre la bouche, je m'attends au pire.
- Lessy, Nathan... Tu le connais ?
J'acquiesce, n'arrivant pas à savoir où elle venait en venir.
- Je ne veux pas que tu te sentes mal ou que tu t'écartes de lui, il a l'air vraiment gentil, mais... C'était pareil pour... Yan. Et regarde ce qu'il a fait.
Je suis pétrifié. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me dise ça.
Le souvenir remonte à ma mémoire, mais je ne veux pas y penser. Pas maintenant. Les larmes menacent de couler, mais je les retiens. Je relègue le souvenir au fond de mon cerveau et me reconcentre sur le présent.
Qu'importe ce qu'elle me dira, je ne suis pas bête pour donner ma confiance et mes secrets tout de suite.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top