Chapitre 5

Je rentre à la maison tranquillement, mon carnet sous le bras, regardant les oiseaux voler.

À la maison, mes parents sont à table et discutent de moi. Comment je le sais ? Les regards qu'ils me lancent et leur silence quand j'arrive près d'eux.

Je n'y prête pas attention et monte dans ma chambre, mon refuge, mon endroit personnel.

Dans mon placard, j'ai aménagé un endroit calme, composé d'un matelas, des lumières LED, de quelques coussins et couvertures. C'est mon espace. C'est ma cachette. Quand rien ne va, je vais m'y réfugier, je vais réfléchir. C'est aussi là, lors des jours de pluie, que j'écris. Lorsqu'il y a des invités, j'y vais aussi, ne supportant pas qu'il y ait trop de personnes, trop d'inconnus chez moi.

Encore aujourd'hui, je m'installe confortablement, prenant Lapinou, ma peluche de naissance, dans les bras et repliant les couvertures sur moi. Je ne supporte pas cette façon de parler dans mon dos. Ils ne sont pas discrets et en plus de cela, je sais qu'ils s'inquiètent pour moi, que ma mère veut me renvoyer chez le psychologue.

Elle n'aime pas ce que les médecins ont dit sur moi, il y a deux ans. Elle ne veut pas admettre que ce serait possible.

- Madame Madidet ? appelle un médecin dans la salle d'attente.

Maman se lève de son siège et agrippe sa jupe. C'est un signe de stress. Je la suis dans le couloir, la capuche de mon sweat relevé, la tête basse, les yeux suivant les pieds de ma mère.

Elle s'installa sur la chaise que lui présentai le médecin tandis qu'il allait s'asseoir derrière son bureau.

- Madame Madidet, suite aux derniers examens que nous avons passé à votre fille, nous avons posé un diagnostic, mais il y a quelques... disons, problèmes.

- Comment ça ? Qu'est-ce qui ne va pas ? s'alarma maman.

- Madame, votre fille, muette depuis un peu moins d'un mois, nous cache quelque chose. Lors de cette soirée, elle nous as raconté ce qui s'est passé, mais il y a des éléments manquants comme ont pu le remarquer les enquêteurs. Ils ont essayé de l'interroger une nouvelle fois, mais elle refuse de nous faire savoir ce qu'il y a. De plus, l'équipe doit vous annoncer qu'il se pourrait que votre fille reste muette, car c'est un très grand choc qu'elle a eu. Elle n'aurait jamais dû voir ça et encore moins le vivre en étant si jeune. Malheureusement, on ne peut pas changer le passé. Qu'elle reparle ou pas, elle gardera des séquelles toute sa vie, ç'en est certain.

C'est à partir de ce jour-là que ma mère a commencé à parler de moi dans mon dos. Oui, c'est mes parents, mais je n'aime pas l'idée qu'elle puisse se dire que je suis folle, que je mérite d'être envoyée en hôpital psychiatrique, ou autre.

Je soupire et m'allonge, mon carnet ouvert à côté de moi, les lumières couleurs bleues me faisant de l'ombre.

La tête posée contre mon bras, je somnole à moitié quand, soudain, des petits coups retentissent sur la porte.

Je me redresse et ouvre : ma mère est là.

— Je peux entrer ?

J'acquiesce et elle vient s'asseoir sur le matelas posé à côté de moi.

— Lessy, il faut qu'on parle.

Je me renferme sur moi-même et baisse la tête, contrariée. Je déteste quand on me dit « qu'il faut qu'on parle ». Je sais que ce n'est qu'une expression, que ce n'est pas à prendre au premier degré, mais ça n'empêche pas que je me sens malade à chaque fois qu'on me dit cette phrase. Il y en a beaucoup d'autres qui pourraient la remplacer, mais non, elle choisit elle comme si je devais me dire « Ah oui ! La parole ! Recommençons à parler comme si rien ne s'était passé, comme si rien n'avait changé ! »

— Je veux dire, j'ai besoin de te parler. Chérie, tu ne peux pas rester comme ça. Tu as besoin de parler, de te faire des amies et de faire ta vie. Tu ne peux pas rester muette jusqu'à la fin de tes jours, tout de même ! Je pense sincèrement que tu devrais reprendre tes rendez-vous chez le psychologue. Ça t'a fait du bien, non ?

Je ne réponds pas.

Est-ce que ça m'a fait du bien de voir une personne sensée m'aider, à qui je devrais parler de ce qui ne va pas ?

Une réponse honnête serait non.

— Lessy, je pense sincèrement que tu devrais reprendre les rendez-vous. Tu iras beaucoup mieux après.

Je gribouille furieusement sur une feuille « NON je veux PAS !»

C'est dans ces moments, où quand personne ne me comprend, que j'aimerais tant réussir à parler, à crier, à faire quelque chose mis à part écrire pour m'exprimer. Si seulement je pouvais lui dire que je déteste ma vie, moi et tout le monde. Si seulement je pouvais leur dire à quel point je déteste quand ils se préoccupent de moi, quand ils disent m'aider, mais qu'en fait, ça aggrave juste le problème.

Si seulement...

Je reste figée, les yeux dans le vague, les larmes menaçant de couler. Maman soupire et s'en va, refermant la porte. Je laisse les larmes s'échapper, couler à flot continu. J'en ai marre de les retenir. J'en ai marre d'être si susceptible, si incapable, si... Si moi. J'aimerai être quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui n'aurait pas autant de problèmes, quelqu'un de parfait.

Je sèche mes larmes et redescend de ma chambre. Ça fait plus de douze heures que je n'ai pas mangé, mon ventre gargouille.

En entendant des voix dans la cuisine, je m'arrête net dans l'escalier. Ils parlent de moi.

- Lessy a besoin de se sentir normale, arrête de t'en faire, elle va bien, dit mon père d'un ton calme.

- Elle va bien ? Marc, elle va bien ? Elle ne parle pas, elle se renferme sur elle-même et il faut faire attention à chaque mot que tu dis pour ne pas la blesser. Non, ma fille ne va pas bien ! sanglote ma mère

- Chérie, écoute-moi. Lessy a seize ans. Elle est grande, elle peut se gérer toute seule. Plus tu vas être derrière elle, à vouloir l'aider, tout lui faire, plus elle va se sentir mal et se renfermer. Ne lui parle plus du psy, pour l'instant elle va bien, elle n'en a pas besoin. C'est Lessy, tu la connais. Même avant, elle n'en faisait qu'à sa tête et voulait absolument se débrouiller toute seule, quitte à ne pas réussir et causer une catastrophe.

Maman sourit, probablement à un souvenir.

- Je sais, mais j'ai du mal, murmure-t-elle. Malgré son âge, c'est encore mon bébé d'amour, et j'ai l'impression d'avoir fauté. Si je n'avais pas donné ma permission tout cela ne se serait pas passé. Je suis sa mère, j'aurais dû voir que quelque chose clochait. Je me sens tellement coupable. J'ai peur pour notre fille. Est-ce qu'elle va réussir à s'intégrer à l'école ? Est-ce qu'elle va avoir des amis ? Je suis inquiète pour elle.

- Laisse lui de la liberté, laisse-la agir. Tout ira bien, j'en suis certaine. Avec mes collègues de bureau, on a discuté de nos enfants, car l'un d'eux va bientôt être père. Ils ont appris que Lessy ne parlait pas, pourtant ils n'ont rien dit sur son handicap et en ont juste plaisanté en disant que si elle ne connaissait pas la réponse à une question, ça lui donnerai une excuse pour ne pas y répondre. Je suis sûr que tout ira bien. Personne ne la connait ici, elle pourra repartir de zéro, vivre comme elle le veut, et même si elle ne reparle pas, il n'y aura aucun problème. Arrête de t'en faire, chérie.

Je suis émue par les paroles de papa. Je savais que ma mère se faisait du soucis pour moi, mais je ne pensais pas autant. Mon père a su trouver les mots justes pour l'apaiser, comme toujours, et c'est ça que j'admire dans leur couple.

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