Chapitre 24

Avec difficulté, j'avale ma salive et hoche la tête de haut en bas.

- Lessy, ... Tu... Connait Yan ? Tu sais donc ce... Ce qu'il s'est passé... ?

Nouveau hochement de tête. Les larmes menacent de couler. Je ne voulais pas qu'ils l'apprennent. Pas de cette façon en tout cas.

- Tu as dû être tellement brisé, ma chérie, murmure sa mère en venant me serrer dans ses bras. Ça a dû te faire du mal.

Je ne réponds pas. Si ça m'a fait mal ? Oui. Bien plus qu'ils ne l'imaginent. Je reste coincée dans le passé, les souvenirs jouent derrière mes paupières à chaque action qui me le rappelle. Il m'a brisé.

Ils sont au courant, et cela semble alléger mon cerveau. Il cesse de retenir les larmes et elles coulent le long de mes joues, un goût salé emplit ma bouche. Je renifle. J'ai trop mal. J'ai trop de souvenirs. Mais les parents de Nathan semblent déjà au courant de tout ça, de tout ce qu'il s'est passé cette nuit-là.

- Je n'ai pas tout suivi, chuchote Noah.

Le père de Nathan – et celui de Yan – s'approche de moi et me serre l'épaule. Puis, il me jette un regard. Est-ce qu'il peut leur raconter ? Il attend ma réponse. Il attend mon autorisation.

J'hésite. Mais ils ne méritent pas de rester dans l'ignorance. Ils doivent savoir. Nathan est au courant. Ils devraient l'être aussi. Alors, j'acquiesce. Et il raconte tout. Et moi, je dérive dans mes pensées. Je le vis une énième fois.

En arrivant chez mon copain, ses parents m'accueillent à bras ouverts. Yan est là, lui aussi, comme d'habitude, avec sa cigarette dans la main. Je fronce les sourcils, mais intérieurement, je suis amusée. Il ne changera jamais, toujours en train de se pourrir la santé.

Toute la soirée, nous discutons de nous, de nos amis, de ce que je ferai sans lui.

Vers vingt-et-une heure, son père toque à la porte de la chambre.

— Nous allons à la soirée de Mathilda. Restez sages, le repas est dans le frigo, il y a juste à le faire chauffer. Nous rentrerons vers minuit, je pense.

Pendant deux minutes, je suis restée figée.

Il m'avait dit que ses parents seraient là. C'est la première fois qu'il me ment, ou du moins, la première fois que je m'en aperçois.

Je me suis tournée vers lui, avec un sourire sur le visage, espérant ne pas avoir l'air trop contrariée :

— Tu m'avais dit qu'ils restaient à la maison, non ? C'est ce que j'ai dit à ma mère.

— Si je te disais qu'ils sortaient ce soir, ta mère n'aurait jamais voulu que tu viennes dormir à la maison.

– C'est sûr. Tu as seize ans, et moi quatorze.

— Ne t'inquiète pas, ma chérie. Tout ira bien.

J'ai souri en me répétant mentalement ses paroles.

Ce n'est pas que je ne le crois pas, mais nous avons tout de même deux ans d'écart, et dans un couple, dans une relation, nous n'avons pas les mêmes attentes.

Pour moi, dans une relation amoureuse, je veux des câlins, des baisers, mais aussi de l'attention et qu'il me comprenne, que je puisse me confier à lui dès que j'en ressens le besoin, sans avoir peur qu'il répète tous mes secrets à tout le monde.

Pour lui, qui est plus âgé, c'est différent. Je ne sais pas ce qu'il attend de nous, mais je sais qu'avec sa précédente copine, d'après les rumeurs, ils sont allés loin. Je n'ai aucune idée de ce qu'il faut entendre par là. Mais moi, je ne suis pas comme son ancienne petite amie.

J'espère qu'il le sait.

Nous continuons la soirée dans le calme et j'oublie peu à peu mes inquiétudes et mes doutes.

— Ça te dit un film ?

J'accepte, ravie qu'il me le propose. Nous nous installons dans sa chambre et nous nous blottissons l'un contre l'autre, ma tête reposant sur son torse, sentant ses battements de cœur.

Durant le film, je le sens s'agiter et son pouls s'accélère. Je n'y prête pas attention.

Mais au fur et à mesure, je sens sa main remonter le long de ma cuisse et je le repousse.

— Yan, je te l'ai dit, je ne me sens pas prête pour ça.

– Oui, désolé. Et si on allait se coucher ? Laissons tomber le film, de toute façon, il n'y a pas trop d'actions.

Je me couche à ses côtés et je ne tarde pas à m'endormir, contente d'être auprès de lui, peut-être pour la dernière fois.

Soudainement, je me fais réveiller en sursaut par des bruits de voix. Elles viennent du rez-de-chaussée. Ce doit être ses parents qui reviennent de la soirée, aussi, je ne m'en inquiète pas, et me tourne vers Yan. Il est assis dans son lit, les yeux agrandit par l'horreur, la tête tournée vers la porte de la chambre.

Quand il me voit réveillée, il met un doigt devant sa bouche, me signifiant de me taire. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée, alors j'ouvre la bouche pour lui demander, mais immédiatement, il se couche sur moi, sa main posée contre mes lèvres. Il est angoissé. Terrifié, serait plus exact.

Les voix se taisent et nos respirations synchronisées sont bruyantes dans le silence étouffant qui nous enveloppe. Des pas montent l'escalier. Je sens le cœur de Yan battre plus vite.

Et tout a basculé. La porte s'est ouverte, cognant contre le mur, deux personnes sont entrées. Je ne voyais pas leur visage, ils portaient une capuche. Tout ce que je savais, c'est que Yan me protégeait et que ces personnes n'étaient pas là pour un rendez-vous amical. Dans quoi Yan s'était-il engagé ?

L'un d'eux le sortit du lit d'un coup de pied, et le deuxième m'attrapa par les cheveux. L'angoisse qui entourait Yan me prit à la gorge. Que se passait-il ? Qui étaient ces personnes ? Que voulaient-elles ?

Celui qui me tient m'appuie contre un mur, son biceps contre ma gorge.

- Lâchez-la, elle n'a rien à faire là-d'dans ! rage Yan, tout en se protégeant des coups de poing qui lui pleuvaient dessus.

- Elle a l'air si précieuse pour toi..., murmure l'agresseur de Yan. Donne-nous notre dû et il ne lui arrivera rien, vous pourrez finir votre nuit entre amoureux, d'accord ?

Quel dû ? je me demande intérieurement, n'osant pas ouvrir la bouche.

Je ne peux que regarder Yan se faire frapper, encore et encore. Il ne parait pas vouloir se défendre. Pourquoi ? Pourquoi ne les attaque-t-ils pas ?

- Les gars, je vous ai déjà remboursé !

- Il manque 300 euros, gros ! Donne-les et on te laisse tranquille.

300 euros ? D'où sort-il cette somme ? Et pour quoi faire ?

- Je les ai pas ! Pas encore ! Mais promis, la semaine prochaine. Lundi, je les aurais.

Les deux gars se concertent du regard, celui qui me tient me relâche suffisamment pour que je puisse prendre une goulée d'air. A mes pieds, Yan est encore couché. Même dans le noir, je peux voir des bleus se former là où il a reçu les coups. Il redresse la tête et me regarde. Il semble vouloir me faire passer un message, dans ses yeux, une alarme brille.

- Bon, ok. On te croit, dit celui qui me tient. Tu nous apportes l'argent lundi, dernier délai.

Il baisse son bras et je me précipite vers Yan pour le remettre debout. Les deux gars s'en vont, mais, dans l'encadrement de la porte, le premier s'arrête brusquement et se retourne vers nous. Une lueur amusée brille dans son regard. Amusée, mais malfaisante.

- Ah oui, tu nous donneras l'argent... Si tu arrives à t'en sortir.

Il sort quelque chose de sa poche et le jette sur la pile de papier de devoirs posée sur le bureau. Avant que je ne puisse ouvrir la bouche, ni même aller voir ce que c'est, l'homme part et la chose s'enflamme.

Un briquet.

Immédiatement, les feuilles prennent feu. Les flammes lèchent les murs, se répandent partout dans la chambre. Les draps s'enflamment.

- Sors Lessy, sors !

Mais je refuse de partir sans lui. Je le maintient d'un côté et nous descendons l'escalier. Mon cœur bat à tout rompre, le sang pulse à mes oreilles. Derrière moi, j'entends les flammes se rapprocher, enflammer tout ce qui se trouve à leurs portées.

La porte d'entrée n'est plus qu'à quelques mètres. L'homme est là. Il nous regarde, souriant. Ça l'amuse de nous voir fuir. Il veut faire payer à Yan. Et moi, je me suis trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

- Lessy, je t'en prie, cours et va-t'en, laisse-moi ici, me murmure-t-il à bout de souffle.

- Non, hors de question ! Je ne te laisserai pas ici, je chuchote.

L'adrénaline me donne la force de continuer, d'avancer, malgré la chaleur. L'espoir est proche, je sens un courant d'air frais contre mon visage. L'homme est encore là. Il nous observe. Il sort une allumette et un briquet. Il l'allume. Je sais ce qu'il va faire. L'angoisse me tord le ventre. Il faut sortir. Mais Yan est blessé.

Un nouveau feu démarre devant nous. Pris au piège. Derrière la barrière, l'homme s'en va, tranquillement.

Yan s'assoit au milieu du salon. Je cherche une issue. Il y en a forcément une.

- Lessy, chuchote-t-il.

J'accours à ses côtés.

- Yan ! Que s'est-il passé ? Qui étaient-ils ? Pourquoi ? Quel dû ?

- Lessy, stop. S'il te plait, écoute-moi.

Il tousse, la fumée nous asphyxiant peu à peu.

- Lessy, sors d'ici. Je... Je devais de l'argent à une gang de rue avec qui je m'étais enrôlée il y a quelques années. Lorsque j'en suis sorti, je n'avais pas payé toutes mes dettes. C'est ma faute. Pas la tienne. Alors sors d'ici, appelle la police et les pompiers. Donne leur noms et venge-moi. Je t'en prie.

Les larmes coulent sur mes joues, séchant avant d'être tombées. Il me demande de le laisser. De l'abandonner ici, au milieu des flammes.

- Yan, non. Je ne peux pas partir sans toi. Je...

Il se redresse et s'approche du feu devant la porte, attrape mon poignet et me serre contre lui. Des étoiles brillent dans ses yeux, les flammes s'y reflétant.

- Ne m'oublie pas Lessy, je t'ai aimé dès le premier regard et c'est ton image que j'emporterai où que j'aille à présent.

Puis, il colle sa bouche à la mienne, ses lèvres sèches entrent en contact avec les miennes et il m'embrasse passionnément, comme si sa vie en dépendait.

Et aussi soudainement que cette histoire a commencé, il se décolle de moi, m'attrape par les hanches et me jette de l'autre côté des flammes.

Je hurle.

La police est déjà sur place.

Je pleure.

Les larmes coulent le long des mes joues.

Je me précipite vers la maison.

On me retient. Je me débat.

Je crie. Je m'époumonne.

J'hurle son nom.

Les pompiers arrivent sur place.

La maison est en feu.

Je me débat. Quelqu'un me tient.

Je le frappe. L'insulte.

Peu m'importe le reste. Seul Yan compte.

Je m'égosille. Encore et encore.

On me colle un linge sur le nez.

Et c'est le noir.

Quand j'ouvre les yeux, maman et papa sont là, à côté de moi.

La police aussi. Et des médecins.

Ils remarquent mon réveil.

Et moi, je me souviens.

Yan.

Juste Yan.

Je le déteste.

Je me déteste.

Yan.

Ce prénom qui m'a détruit jusqu'au plus profond de moi-même.

Celui qui me manque.

Yan.

Ce ne pouvait pas être volontaire.

C'était volontaire.

Il m'a sauvé

Il est mort

Yan.

- Votre fille a subi un choc. De ce qu'elle nous a raconté, Yan serait décédé suite au feu qui se serait propagé dans la maison à cause d'une allumette mal éteinte.

- Sérieux Lessy ! C'est ta faute ! C'est toi qui l'a tué ! T'aurais dû rester avec lui et le sortir d'ici ! Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même ! crient-elles. On peut pas rester amies avec une tueuse.

Yan.

Je ne pense qu'à lui.

Dans mes rêves.

Dans mes pensées.

Est-ce vrai ? Est-ce ma faute ?

Je ne peux plus en parler.

Tout reste coincé dans ma gorge.

Tout reste coincé dans mes pensées.

Parler est devenu impossible.

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