Décembre | Agressif et inconnu
Thèmes du mois : Agressif & Inconnu
Agressif et Inconnu : distinction notionnelle
C'est un mythe que de croire que les deux vont de paire : les inconnus ne sauraient être agressifs, du seul fait que s'ils sont inconnus, c'est qu'on ne les connaît pas. S'en suit que si on ne les connaît pas, on ne peut pas savoir qu'ils sont agressifs puisque, de fait, on ne sait qui ils sont. Et plutôt que d'adhérer au sophisme pourtant tentant d'affirmer que pour autant cela ne prouve pas que les inconnus ne sont pas agressifs - à savoir que si on ne sait rien d'eux ils pourraient être aussi bien agressifs que non-agressifs, cela de manière toute individuelle - je préfère affirmer gaiement que non, aucun inconnu n'est agressif, de même qu'aucun agresseur n'est inconnu. En effet, l'agresseur est connu en tant qu'il agresse, et n'est donc de son côté pas inconnu. Plus encore, si l'on aborde un inconnu dans l'optique très explicite de vouloir en être agressé, celui-ci serait incapable d'en venir effectivement à l'agression sans quitter son inconnaissance, de sorte qu'il sera agresseur et non plus inconnu. En résulte que tout inconnu ne pourrait entretenir avec un sujet aucun rapport sinon celui d'inconnaissance, sinon quoi son statut décherrait.
Cette méprise commune, selon laquelle les inconnus seraient agressifs, du fait même de leur inconnaissance, trouve son origine dans un manque de discernement touchant les victimes d'agression. Il est en effet plus confortable pour un esprit de rester serein, et se connaître agressé du fait de connaître un agresseur empêche l'accomplissement de cette sérénité toute naturelle ; c'est pourquoi l'agressé occulte par réflexe l'identité de l'agresseur, le cèle dans les parts brumeuses de sa conscience pour s'en faire un inconnu, nonobstant la contradiction susdite, à savoir qu'un inconnu aurait pu l'agresser. Par amalgame, entre tous ces visages qu'on ne connaît pas et qui se confondent si facilement, tous les inconnus prennent donc la figure de l'agresseur, de sorte que les deux notions semblent se confondre tout à fait.
Voilà une disposition des plus propres à favoriser les névroses en tous genres, pour ce qu'elle assure un développement incontrôlable des peurs et des paranoïas. La solution est très simple, puisqu'il suffit de cesser de considérer l'agressivité comme un danger, pour la voir plutôt en tant que vecteur d'interaction sociétale, c'est-à-dire moyen d'insertion négative dans des groupes sociaux constitués. Faites donc comme mes autres patients : M. Blanche par exemple, supporte d'être poignardé chaque mois avec le sourire dans son voisinage paupérisé ; Mme Evry se laisse couvrir de force toutes les semaines par les racailles locales, sans pourtant ressentir la moindre angoisse ; et M. Grelogne m'a appelé hier pour me dire à quel point il était heureux de s'être si commodément rendu utile aux trafiquants d'organes qui l'avaient enlevé.
Allons, allons, Madame, quand allez-vous donc vous rendre à l'évidence : il n'y a de peurs de l'autre que parce que l'on croit qu'il peut réellement nous nuire, mais en quoi nous nuit-il si, quoi qu'il puisse faire, nous refusons de lui accorder qu'il nous a nui en quoi que ce soit ? Voyez, ça n'est pas si difficile. Enfin, Madame,ne me remerciez pas, je suis là pour ça, à quoi bon toutes ces années d'études en psychologie si je ne peux même pas vous aider ! Moi de même ! Très bien, à la semaine prochaine. Voyez avec Isabelle à l'accueil pour la note.
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