Jeudi | Ceux qui attendent
Thème : Manque
Il y a un homme qui m'attend.
Depuis des années que je le vois.
Je l'ai demandé ce qu'il voulait.
Il m'a juste dit qu'il m'attendait.
- Pas maintenant, je suis occupé.
Je dois encore apprendre et grandir.
- Et après, qu'est-ce que tu feras ?
- J'irai vieillir comme les autres, tiens.
- Vieillir, ça n'occupe pas son homme.
- Alors je trouverai un hobby.
Mieux encore : j'aurai un travail.
Maintenant je suis grand, je travaille.
Et malgré tout l'inconnu m'attend.
Pour quoi faire, pour se rendre où,
Ça, je n'en ai pas la moindre idée.
Au début j'ai cru à un pervers.
Un détraqué qu'irait me violer.
Un trafiquant d'organes en fuite.
Un fou.
Mais personne ne pouvait le voir.
De tous j'étais le seul à l'entendre.
Surtout il se tenait toujours bien.
Jamais agressif ni rancunier.
Il disait juste qu'il m'attendait.
Et quand je n'aurai plus rien à faire.
Rien que de lui dire je suis prêt.
Il m'emportera sans hésiter.
Cependant je m'occupe beaucoup.
C'est si bon de vivre une vie pleine.
Donc je le laisse attendre à sa guise.
Puisque c'est ça qu'il a voulu faire.
Il m'attend aux rayons du matin.
Accroupi sur le bord de mon lit.
Il m'attend à la sortie des cours.
Et dans les vestiaires des gymnases.
Parfois, je me mouille à la piscine.
Puis là, il me tend sa sèche face.
Il m'entend suer, souiller, gémir.
Quand il est temps de baiser ma femme.
J'ignore pourquoi il m'aime autant.
Me colle et me mate sans mi-temps.
M'imite et s'assied quand je m'étends.
Mais je crois simplement qu'il m'attend.
Un beau jour j'ai fini par comprendre.
J'ai remarqué qu'il n'était pas seul.
Il y en a d'autres comme lui.
Une autre suit ma mère à la trace.
Un encore piste ma sœur.
Une aussi s'attarde chez mon frère.
Ils semblent invisibles pour eux.
Comme à ces anonymes des parcs.
Que je vois talonnés de fantômes.
Petits ou grands, à chacun le sien.
Ils sont promenés comme des chiens.
Foulés, semés, jamais gratifiés.
Ils ont les joues sculptées par les larmes.
Ce matin j'ai enterré mon père.
A la fin, un seul veillait encore.
J'ai étreint celui qui l'attendait.
Un jeune blond malingre comme un clou.
- Tu vas continuer à l'attendre ?
- Quoi d'autre, il n'a pas fini de faire.
C'était un grand faiseur que ton père.
Je ne l'ai jamais vu se quitter.
Même mort il voudrait s'occuper.
Puis le blond a rejoint une troupe.
Sur les bancs bondés du cimetière.
Il s'y est fait une douillette place.
Dans l'océan d'attendeurs de morts.
Je me suis retourné vers mon homme.
Et je lui ai promis une chose.
Oui, quand je n'aurai plus rien à faire.
Je le libérerai de ses chaînes.
Et je le laisserai m'envoler.
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