🔧 𝙻𝚊 𝚏𝚊𝚋𝚛𝚒𝚚𝚞𝚎 𝚊̀ 𝚜𝚎𝚗𝚝𝚒𝚖𝚎𝚗𝚝𝚜 🔧
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La vitrine de La Fabrique de Mei était un tel bazar que quiconque n'ayant aucune connaissance en mécanique en détournait aussitôt le regard, de peur de s'y perdre. Quel genre d'individu était suffisamment timbré pour chercher à distinguer quoi que ce soit dans ce fatras de bronze, de cuivre et d'acier, hein?
Les couleurs claires et la décoration choisies par la gérante, Mei Hatsume, représentaient pourtant un atout non négligeable. Au centre du quartier des affaires, débordant de dizaines de boutiques manquant cruellement d'originalité, la sienne détonnait et attirait les touristes malgré eux.
Les locaux s'interrogeaient souvent sur sa logique douteuse : pourquoi ne prenait-elle pas davantage soin de son image de marque? Prodige dotée d'un talent certain en machinerie, elle possédait de plus un sens aigu du commerce, qu'elle avait aiguisé dès l'ouverture de son cher magasin deux années auparavant. Elle était capable de fasciner n'importe quel badaud de ses mots techniques incompréhensibles, à grand renfort de gestes passionnés et de démonstrations extatiques...
Encore fallait-il que les flâneurs aient le courage d'entrer.
Cette matinée-là, tandis que le ciel se couvrait peu à peu de lourds nuages pluvieux, l'enseigne métallique représentant un rouage grinçait doucement. Les quelques fanions délavés par le soleil s'agitaient sous la brise, parsemés de jolies arabesques roses rappelant la couleur des cheveux ébouriffés de Mei. Les murs, d'un crème qui s'harmonisait parfaitement à ces nuances pastel, étaient quant à eux égayés d'ombres légères dues aux lampadaires cuivrés marquant la frontière entre trottoirs et routes – dédiées aux divers véhicules, qu'ils soient traditionnels ou à vapeur.
L'atmosphère était saturée d'humidité, inquiétant le garçon qui naviguait entre les acheteurs. Dans le sac qu'il serrait fort dans ses bras se trouvaient des bidules confiés par son père, Enji, dont il ignorait la provenance exacte et l'utilité. Ce dont il était certain en revanche, c'était qu'il le tuerait s'il venait à les perdre en pleine course sous les intempéries.
Âgé de dix-neuf ans, Shoto était le fils cadet de Rei Todoroki, gérante d'une maison de couture au coin de la rue principale. Elle était connue pour ses doigts de fée, aptes à restituer leur splendeur d'antan aux textiles qu'on lui amenait. Seulement, la veille, l'un de ses précieux outils avait rendu l'âme à cause de pièces défectueuses – que son mari lui avait promis de remplacer au plus vite...
Tâche finalement déléguée à leur progéniture, accaparé qu'il était par sa fonction de mécanicien renommé. Il aurait pu tenter de réparer lui-même la machine de sa femme mais, habitué aux composants massifs de ses propres étalages, il craignait d'aggraver la situation plus qu'autre chose.
« Mei a tous les engrenages imaginables. Elle saura nous aider à coup sûr. » avait-il assuré à son rejeton au petit-déjeuner.
Quand les premières gouttes s'abattirent sur son cabas, Shoto paniqua et se mit à courir afin de rejoindre la fameuse boutique. Il ne manquerait plus que son contenu ne soit davantage abîmé! La patronne de La Fabrique aurait besoin du meilleur état possible pour déterminer les références exactes.
Ses bottes en cuir serties de lanières dorées tintèrent le temps qu'il atteigne la porte. L'averse s'aggrava dans l'intervalle, trempant bien trop vite sa chemise ivoire et son veston orangé. Il s'empressa de pousser avec son épaule droite, déclenchant l'affolement de la clochette marquant l'entrée.
« Bonjour... » lâcha-t-il en reprenant son souffle.
Ses yeux vairons balayèrent enfin son environnement... et s'écarquillèrent.
Jamais il n'avait vu un tel amas de métaux! Il y en avait partout, du sol au plafond, destinés à des usages dont il n'avait pas idée. Des fragments nécessaires au bon fonctionnement des dirigeables et des maquettes détaillant la structure d'automobiles, achevaient de conférer à l'endroit une ambiance joyeusement bordélique qui, contre toute attente, l'émerveilla.
« Bienvenue! » le salua une voix provenant d'un comptoir au fond de la salle.
Shoto se tourna vers elle et, à nouveau, fut saisi d'une impression enchanteresse.
Devant lui se tenait un jeune homme d'à peu près son âge, pourvu d'une crinière ondulée aux nuances émeraude. Ses iris d'une teinte similaire, semblant aussi voilés d'incompréhension que les siens, étaient mis en valeur par des centaines de petites éclaboussures rousses qui s'étendaient du haut de ses pommettes au bout de son nez. Vêtu d'une tenue à la mode – chemise, veston, pantalon large et accessoires de cuir –, il s'approcha de son client.
« Q-que puis-je faire pour vous? » bégaya-t-il.
« J-j'ai besoin de remplacer ces objets... » expliqua Shoto, perturbé.
« Oh! Vous voulez bien me montrer lesquels? »
Le ton du vendeur avait subitement changé, débordant d'un intérêt certain. Sans attendre sa réponse, il rejoignit la réserve et en ressortit aussi vite, désormais affublé d'une grosse paire de lunettes enfilée sur son front.
« Ils proviennent d'une des machines de ma mère. » précisa son interlocuteur en lui donnant son sac.
« Rei Todoroki, n'est-ce pas? » supposa-t-il en s'en emparant. « Vous lui ressemblez, si je puis me permettre. »
Un sourire d'une gentillesse désarmante acheva de transformer son visage en adorable œuvre d'art.
« M-merci beaucoup. »
« Serais-tu en train de flirter sur ton lieu de travail, Izuku? »
Cette voix rieuse, que Shoto connaissait bien, le fit redescendre sur terre en une seconde.
« Mei! » s'exclama-t-il.
« Bienvenue! Je suis contente de te voir. »
La jeune femme, à peine plus vieille que lui, était souillée de graisse et d'huile. Ses vêtements, déformés par le labeur, paraissaient prêts à tomber en lambeaux au moindre geste brusque. Le garçon en éprouva aussitôt une nostalgie douce-amère, envahi par de lointains souvenirs.
« Je te présente Izuku Midoriya. » enchaîna-t-elle en désignant son collègue. « Puisque je n'ai plus le temps de m'occuper de la boutique, je l'ai engagé il y a quelques mois. Il est très compétent, tu verras! »
« J-je n'en doute pas. »
S'étant un peu isolé, le concerné marmonnait tout en tripotant les breloques apportées par leur client. Contrairement à celui-ci, il ne prêtait guère attention aux propos de la gérante.
« Je passe mes journées à l'atelier, en ce moment. Il m'est d'une grande aide, en plus d'attirer du monde! »
« C'est super si votre collaboration fonctionne. » la félicita Shoto.
« Il est si mignon. » soupira-t-elle. « Il séduit les curieux et les curieuses en mal d'amour, c'est un délice! Tu le verrais rougir dès que quelqu'un ose lui faire du rentre-dedans... Mes meilleurs fous rires! »
« J-je vois... »
Un silence qu'il estima fort gênant s'installa entre eux, sans que les iris topaze si particuliers de Mei ne se dissocient de son habituelle bonne humeur.
« On se connaît depuis longtemps, pas vrai? » reprit-elle en donnant un coup de coude à son ami.
« Oui. » acquiesça-t-il, rassuré que le malaise soit passé. « On allait souvent à l'école ensemble. »
« Rei et Enji ont toujours eu confiance en moi, pour une raison qui m'échappe... Le fait que j'aie quatre ans de plus que toi ne les dérangeait pas. »
« Tu t'es occupée de moi en m'accompagnant tous les matins, sans rien attendre en retour. Tu as été mille fois plus présente que mes frères et sœurs de sang, tu sais? »
« Je suis désolée que votre fratrie ait éclaté de la sorte. »
« Ce n'est pas de ta faute. On se débrouille bien à trois, maintenant. »
La rose se contenta de hocher la tête, un peu chagrinée. Puis, soudain, retrouvant son aplomb, elle déclara en souriant :
« C'est certes ta première venue ici, mais tu y es chez toi! »
« M-merci, Mei. » bredouilla Shoto, reconnaissant.
À vrai dire, l'environnement chaleureusement bordélique de La Fabrique lui prodiguait une vague de réconfort plus qu'opportune.
La brûlure qui marquait le côté gauche de son visage lui rappelait constamment l'accident. Suite à une erreur de manipulation, l'une des créations avant-gardistes de son frère aîné, Natsuo, avait définitivement endommagé ses traits. Dès lors, leur famille s'était disloquée, en désaccord permanent quant à l'implication de chacun.
Personne n'avait jugé bon de demander l'avis du blessé. S'il avait eu l'occasion de s'exprimer, il aurait pu éviter ce désastre monumental en jurant qu'il n'en voulait à personne. Ce genre de choses arrivait, on n'y pouvait rien.
« C'est génial! » cria alors Izuku en retirant ses lunettes.
« De quoi? » s'enquit Mei en allant observer par-dessus son épaule.
« Le numéro de série, juste là! »
« Mais non?! Par les dieux! »
Ils firent d'un coup volte-face et, sans se concerter, supplièrent Shoto en braillant :
« Laisse-les-nous, pitié! »
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Izuku était, à l'instar de sa cheffe, un passionné acharné.
Né dans un village obscur, il avait bénéficié d'une éducation de choix aux côtés d'un père trop heureux de transmettre son savoir. En l'accompagnant lors de ses déplacements, il s'était ainsi peu à peu fait la main auprès de ses voisins et de leurs machines vétustes – n'hésitant pas à se salir les gants, sous les mines fières de ses géniteurs.
C'était eux qui lui avaient offert cette merveilleuse opportunité de partir et de vivre son rêve.
Mei Hatsume lui était ensuite apparue comme une évidence. Sa réputation n'était clairement plus à faire, tant son talent et sa bizarrerie étaient flagrants. Sitôt ses valises posées dans son petit appartement situé à proximité de l'aérodrome, il avait donc rejoint son célèbre commerce dans le but de la rencontrer.
En à peine vingt minutes, il s'était vu confier, estomaqué, la tenue toute neuve de conseiller officiel de La Fabrique. Il avait dès lors mis au service des autres ses compétences, sans cesse étoffées par sa curiosité. Il avait même parfois la possibilité de participer aux travaux de sa bienfaitrice!
Véritable boute-en-train, elle l'avait épaulé dans l'enrichissement de son apprentissage, mais aussi dans le développement de sa personnalité. Il n'était plus seulement un villageois érudit et minutieux, non : il était Izuku, un citadin aux ambitions et aux envies nouvelles, ouvert sur le monde.
Il ne lui restait plus qu'une chose à trouver – la plus essentielle.
L'amour de sa vie.
Il rêvait d'une histoire aussi simple et belle que celle de ses parents qui, malgré les décennies, n'avaient jamais cessé de se chérir intensément. Selon leurs propres dires, ils s'étaient rencontrés au détour d'un événement rural quelconque, et avaient d'emblée su qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Il était juste normal pour Izuku de croire en la magie méconnue du coup de foudre.
Et c'était arrivé!
Ce jeune homme aux étranges cheveux bicolores de flammes et de neige l'avait cloué sur place à l'instant où il avait pénétré dans la boutique. Le simple fait qu'il tourne sur lui-même pour mesurer l'ampleur du matériel exposé lui plut – à l'instar de son air émerveillé lorsqu'il le détailla...
Lui, un anonyme fraîchement débarqué.
Mei l'informa qu'il n'était pourtant guère féru de mécanique. Scientifique né, il suivait d'importantes études à l'université du centre, résolu à devenir une sommité menant de grandes recherches. C'était la raison principale qui l'avait tenu éloigné de La Fabrique : il disposait de trop peu de temps pour le consacrer à d'autres.
Même à une vieille amie.
« Shoto est quelqu'un de bien. » lui avait-elle confié. « Il fait de son mieux pour réussir sa vie et aider ses parents. Il n'a pas eu une enfance facile, mais il s'en est sorti grâce à sa volonté et à sa bienveillance. »
Les jours ayant suivi sa première visite furent d'une exquise douceur.
Izuku fut ravi de le voir revenir après ses cours, soi-disant soucieux d'évaluer l'avancée des travaux. Il lui expliqua ainsi ce qu'il avait découvert sans se faire prier : des pièces anciennes aux propriétés perdues, dont le remplacement s'avérait quasi impossible. La seule solution était de les remettre en état – une tâche complexe et minutieuse, à la limite de l'horlogerie. Chaque millimètre de ces éléments se devait d'être examiné avec soin, avant d'être redressé ou comblé par les doigts experts des deux spécialistes.
Plusieurs fois, le plus jeune laissa Shoto assister à ses séances en solitaire, quand son aînée était trop occupée pour le guider. Mei avait placé sa confiance entière en son employé, dont elle ne s'embêtait plus à vérifier le travail.
« C'est terminé! » annonça-t-il un soir en enlevant ses lunettes fétiches. « Ta mère devrait pouvoir utiliser sa machine sans souci, maintenant. »
« Merci beaucoup, Izuku. »
Le timbre calme du bicolore le fit frissonner. Il vibrait en permanence d'un sérieux et d'une sincérité irréfutables, sans doute dus à ses nombreux oraux universitaires.
« Je t'en prie. »
Sentant ses joues chauffer brusquement, il se détourna et feignit de ranger les outils manipulés jusque-là. Une pensée fâcheuse résonnait en boucle dans sa tête, lui rappelant sans aucun tact que, maintenant que sa mission était achevée...
Je ne le verrai plus.
Ce magasin excentrique avait changé tant de choses en lui! Depuis qu'il y travaillait, il avait non seulement aiguisé ses réflexes d'ingénieur, peaufiné son discours à la clientèle... Mais, surtout, il était désormais apte à décortiquer ses propres émotions avec une précision inédite.
De ce fait, il avait très vite perçu un net recul de l'isolement qu'il s'était imposé au départ sans se l'avouer, trop engoncé dans ses précieux engrenages.
Mais, et le reste?
« J'ai beaucoup aimé t'observer travailler, tu sais. » chuchota alors Shoto en descendant du haut tabouret sur lequel il était perché.
« V-vraiment? » s'étonna Izuku en osant plonger dans son regard hétérochrome.
« Oui. Et, je... Je voudrais que... »
Tel un adolescent, il commença à jouer avec ses doigts, nerveux.
« Est-ce que... On pourrait continuer à se voir? » acheva-t-il en closant ses paupières.
Le vert n'eut pas le temps de répondre puisqu'il poursuivit :
« Je t'apprécie... Énormément. Depuis la première fois, en fait. Et, je... Je souhaite vraiment découvrir l'ampleur de ces... sentiments, avec toi. »
Il le savait. Ces mots n'étaient que la confirmation de ce qu'il avait compris dès que la clochette de l'entrée avait retenti, tandis que la pluie brouillait les sons du dehors.
Son âme sœur l'avait rejoint car, en tant qu'expert presque accompli, il était enfin prêt à l'accueillir comme elle le méritait.
« C'est sûrement prématuré, mais... » se risqua-t-il.
Sa clé à molette tremblait sous la fébrilité de son poing, son cœur lui fracassait les côtes...
Et, pourtant, un ravissant sourire étira ses lèvres lorsqu'il chuchota :
« Et si on se fabriquait une belle histoire, Shoto? »
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Cette petite histoire est ma participation au défi organisé par les bakudekurangers pour l'anniversaire d'Izuku! 🎂💚
C'est la première fois que je m'attaque à l'esthétique steampunk... J'espère ne pas avoir écrit trop de bêtises 🙈
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