Chapitre 3 : Dante

Les deux dernières semaines avaient été assez chargées. Nous préparions la soirée d'Halloween, dont nous faisions toujours un événement d'envergure, un vigile avait démissionné et j'avais dû lancer un recrutement pour le remplacer et notre fournisseur d'alcool avait été cambriolé, nous obligeant à trouver un plan B en urgence. J'avais donc mis la pédale douce sur mes activités sexuelles et j'avais bien l'intention de me rattraper ce soir. Il était encore très tôt et contrairement à mes habitudes, j'avais abandonné mes dossiers pour boire un verre au bar en compagnie de Stéphane.

Il me mixa un mélange à base de vodka qu'il souhaitait tester et me le tendit, avec un sourire en coin qui annonçait les emmerdes.

- Tu crois que ton minet sera là ce soir, mon pti chou à la crème ?

Je soupirai avec lassitude. Mes exploits avec le gamin n'étaient pas passés inaperçus, merci Karim, d'autant plus que le môme était venu chercher un verre auprès de Stéphane de la part du "grand brun ténébreux qui baise super bien, tu vois ? " Je m'étais fait lourdement charrier sur ma nouvelle tendance à me taper des twinks. Encore heureux que j'ai fermé ma gueule sur l'aspect dépucelage, sinon j'étais mal barré.

- Il était super mignon, n'empêche, commenta mon meilleur ami à la personnalité irritante d'un air rêveur.

Contrairement à moi, Stéphane craquait souvent sur des mecs fins et délicats, voir efféminés, et "chaton" était nettement plus proche de ses appétences habituelles que des miennes. C'est d'ailleurs cette exception à mon modus operandi qui l'avait poussé à rêver à une pseudo-connexion entre moi et le minet, et à me charrier depuis lors.

Je hochai les épaules sans plus épiloguer. Oui le gamin était canon, oui je l'avais baisé, non il n'y avait rien de plus à dire sur le sujet. Et même s'il se pointait à nouveau, je ne ferais rien de spécial dans la mesure où j'évitais de coucher deux fois avec le même mec. Par conséquent, si mes yeux avaient pris la foutue habitude de scanner la piste de danse toutes les cinq minutes et si je n'y trouvais personne à mon goût, c'était seulement en raison de mon état de fatigue avancée et pas du tout parce que j'y guettais une touffe de cheveux sombre et des yeux clairs.

La soirée battait son plein et mon humeur était en voie de dégradation rapide. Je me comportais comme un connard, j'en étais bien conscient, mais j'étais incapable de rectifier le tir. Après m'être pris la tête avec le chef de la sécurité, Kylian, avoir grogné sur la gamine qui gérait le vestiaire et houspillé notre dernier barman en date, tout notre personnel s'était passé le mot et usait de ruses de sioux pour ne pas se retrouver sur ma route. Stéphane, qui avait suivi de loin mon énervement, finit par intervenir et m'envoya manu militari faire de la paperasse dans mon bureau puisque, d'après lui, les livres de comptes étaient les seuls capables de me supporter à cet instant précis.

Je me dirigeais donc vers l'escalier, contournant la foule des fêtards déchaînés, quand j'entraperçu vaguement une tête juvénile couronnée de cheveux noirs. Je me figeai tout net, plissant les yeux à travers la pénombre traversée de flashs de lumière pour m'assurer que je ne me trompais pas. Le gamin était bien là. Il dansait comme un fou au centre de la piste où il paraissait désormais parfaitement à sa place. Je regrettai un instant la disparition de la chemise coincée et du pantalon trop large mais je devais bien être le seul. Avec un skinny noir et un tee-shirt sobre mais parfaitement ajusté, il était tout simplement à tomber.

Mon corps prit la direction des opérations sans laisser à ma tête la possibilité de donner son avis et sans l'avoir le moins du monde prémédité, je me retrouvai à fendre la mouvance des corps qui se balançaient pour le rejoindre. Arrivé derrière lui, je posai délicatement ma main sur sa hanche pour l'attirer contre moi et me penchai pour lui chuchoter à l'oreille.

- Salut chaton.

Je le sentis d'abord se figer de surprise puis il se laissa entraîner en arrière, son dos contre mon torse et ses fesses collées à mes hanches.

- Salut, grand brun ténébreux, sourit-il doucement.

- Tu as oublié : qui baise comme un Dieu.

Je le sentis tressauter de rire.

- Hey ça a marché, j'ai eu mon verre !

Sans savoir pourquoi, les mots sortirent tous seuls de ma bouche.

- Je m'appelle Dante, en réalité.

Il se retourna dans mes bras et je croisai enfin son regard perplexe.

- Dante ? Comme... ?

Il désigna la boîte d'un mouvement circulaire. Il était vif d'esprit. Nous étions obligés de brailler pour nous entendre et cela commençait à me fatiguer aussi, je désignai le zinc d'un mouvement de menton et il acquiesça avant de me suivre à travers la foule.

Arrivés devant le bar j'évitai soigneusement de croiser les yeux de Stéphane qui ne me lâchait pas du regard et arborait un grand sourire narquois et interrogeait mon compagnon :

- Que veux-tu boire ?

Il haussa les épaules, incertain.

- Je ne m'y connais pas trop, je te laisse choisir. Pas quelque chose de trop sucré, par contre, je ne suis pas fan.

Je réfléchis une seconde avant de m'adresser à Enzo, le second barman, laissant Stéphane s'en étouffer d'indignation.

- Deux Manhattan s'il te plaît.

Puis je reportai mon attention sur le jeune homme très à l'aise perché sur le tabouret à côté de moi. Dans la lumière plus claire que celle de la piste de danse, j'identifiai enfin la couleur de ses yeux. Un bleu soutenu, renforcé de deux cercles plus foncés et parsemé de paillettes grises. Mais quelle putain de belle gueule il avait.

- Donc Dante ? Comme l'écrivain ?

- C'est ça. Ma mère est d'origine italienne et elle a voulu rendre hommage à son grand-père. Il était passionné de littérature.

Je grimaçai.

- J'ai eu du bol. L'autre option c'était son prénom et je ne suis pas certain que j'aurai assumé Fortunato.

Il me répondit d'un grand sourire.

- Dante te va carrément mieux. Et alors, la Divine Comédie ? On est chez toi si je comprends bien ? C'est drôle, avant de venir ici la première fois je m'étais fait tout un trip à la con comme quoi j'allais me balader aux enfers et au final, je suis tombé sur toi...

- Je suis le patron de la boîte en effet, ainsi que Steph ici présent qui fait semblant de ne pas écouter ce que nous sommes en train de dire.

Il rit en regardant la mimique pseudo offusquée de mon ami qui succombant à sa curiosité de fouine, récupéra les deux verres tout juste prêts des mains d'Enzo pour nous les apporter.

- Salut joli jeune homme ! Quoi de neuf depuis la dernière fois ?

Le gamin lui retourna un sourire lumineux qui me provoqua quelques problèmes dans les parties inférieures. Il était sacrément sexy et il ne paraissait pas en avoir conscience, ce qui rendait les choses deux fois pires.

- Pas grand-chose, pas mal de boulot à la fac, c'est tout.

- Tu es étudiant ? Dans quel domaine ?

- Fac de médecine, en troisième année.

Je repris les rênes de la discussion pendant que mon pote s'extasiait. Après tout, Stéphane n'avait qu'à se dégoter son propre minet. Celui-ci était à moi, au moins pour ce soir.

- Wahou pas mal ! Mais tu as quel âge ? Je t'aurais cru à peine sorti du lycée.

- Dix-neuf, bientôt vingt. Mais j'ai une année d'avance, ceci explique donc cela.

Pendant que nous conversions, j'avais rapproché nos tabourets et j'avais laissé glisser ma main sur sa cuisse. Je commençais un mouvement déterminé vers le haut, en direction de son entrejambe, quand il me bloqua d'un air gêné.

- Euh Dante, excuse-moi mais je pense que ça ne va pas le faire en fait.

Je reculai comme si sa jambe était devenue brûlante, abasourdi.

- Tu n'as pas envie ?

- Pour être honnête si, carrément. Je ne plaisantais pas en disant que tu étais super sexy et tout, et franchement j'ai adoré la semaine dernière. Je n'avais pas vraiment prévu ça pour mon dépucelage mais c'était top, zéro regret...

Il me regarda, les yeux suppliants.

- Mais le truc c'est que j'aimerais bien essayer quelque chose de différent, genre dans un lit, tu vois... En prenant mon temps. Je pense que ce n'est pas trop ton genre, je me trompe ?

Comme je secouai la tête avec incrédulité, il prit un air désolé...

- C'est bien ce que je pensais, tant pis...

Il termina sa boisson d'un trait et me déposa un léger baiser sur les lèvres avant de sauter par terre avec détermination.

- Merci pour la boisson, et franchement j'adore ta boîte, c'est un endroit top alors bravo les mecs !

Il me regarda une dernière fois avec regret, salua Stéphane du bout des doigts et repartit en direction de la piste, me laissant seul et figé sur mon siège. Bordel mais qu'est ce qui venait de se passer ?

Stéphane, qui avait bien entendu guetté toute la scène, s'approcha, la mine défaite.

- Sérieusement, j'ai bien entendu ?

- Que je me suis pris un vent ? Ouais, à ce qu'il semble.

- Pas ça, connard... Tu as vraiment baisé le gamin en backroom alors qu'il était vierge ? Mais tu le savais ?

Je me frottai les joues, constatant que j'avais besoin d'un coup de rasoir. Sous les yeux plein de jugement de mon meilleur ami, je me sentis pour la première fois un peu gêné de la situation et ressentis le besoin de me justifier.

- Disons que je m'en doutais un peu... Mais hey, tu l'as entendu, il a dit que c'était top alors merde, je n'ai rien fait de mal.

Steph me regardait comme s'il m'avait vu donner des coups de pied à des chiots. Des chiots très petits et très mignons. Il secoua la tête avec désespoir et se barra en marmonnant, me laissant méditer sur mon coup foiré. Mais quand il revint après avoir servi quelques clients, il avait retrouvé un grand sourire.

- Hep Dante !

- Ouais ?

- C'est moi ou Monsieur le roi des dragueurs vient de se prendre un râteau de compétition par un gamin à peine majeur ?

Je lui répondis d'un doigt dressé universel et il rigola.

- N'empêche il me plaît ce môme, il a une sacrée personnalité.

Comme je ne répondais rien, il ajouta

- Ne fais pas la gueule chéri, si tu le veux tu sais exactement ce qu'il te reste à faire. La balle est dans ton camp, après tout.

Je le lorgnai sans rien comprendre et il leva les yeux au ciel puis me balança son torchon humide dans la gueule, récoltant une pluie de jurons indignés.

- Le gamin, et puisqu'on en parle ce serait pas mal que tu lui demandes son prénom, parce que ça devient juste ridicule à ce stade, ne t'a pas rejeté toi, abruti. Il a juste énoncé les conditions qui lui conviendraient. À toi de voir si tu acceptes de faire les choses à sa manière ou pas, mon pote...

Et il me planta sur mon tabouret, me laissant ruminer.

Après avoir terminé ma boisson j'avais fini par regagner mon antre d'un pas déterminé, bien décidé à les envoyer tous se faire foutre. J'avais décidé il y a déjà bien longtemps de ne jamais ramener personne chez moi. C'était une règle ferme et une simple question de bon sens. Laissez un coup d'un soir entrer dans votre intimité et il risquerait de croire que quelque chose de plus était possible. Je ne couchais pas deux fois avec la même personne pour les mêmes raisons, d'ailleurs. Je ne cherchais pas une relation, parfaitement satisfait de mon hygiène sexuelle hebdomadaire, merci beaucoup. Au final, je devais être reconnaissant au gamin de m'avoir rejeté. Il m'avait évité de transgresser ma propre ligne, ce qui était une bonne chose. Une excellente chose, même, et je me répétai ce mantra en boucle en faisant défiler frénétiquement les tableurs Excel sur mon PC. Je tins une bonne heure avant que ma résolution ne commence à s'effriter. Après tout, qu'est-ce que je risquais. Le gamin m'avait de toute évidence déjà cerné. Il ne s'attendrait pas à une quelconque suite si nous remettions ça une nouvelle fois, juste pour le cul. J'avais bizarrement besoin de me le taper encore afin de l'évacuer de mon organisme une bonne fois pour toute. Rien de mal à ça. Notre attraction physique était intense, je pouvais l'admettre, c'était donc assez naturel que mon corps en réclame plus et ce n'était pas révélateur de quoi que ce soit d'autre. Tout à mes réflexions, je regardai ma montre et sursautai. Il était déjà près d'une heure. Si je voulais le gamin, j'allais devoir me bouger le cul, en espérant juste qu'il ne soit pas déjà parti avec un autre homme. Cette pensée désagréable me fit bondir et je dévalai l'escalier en scannant la piste. Mon cœur et ma bite firent un bond en apercevant des cheveux noirs. Il était encore là. Je m'approchais rapidement et comme un peu plus tôt, je l'attirai par derrière. Il frémit et je me penchai sur lui pour lui chuchoter doucement :

- Comment tu t'appelles chaton ?


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top