Chapitre 5 Ex Hodos
Nous rentrons dans le hall du temple, il est vide. Seule une énième statue s'y trouve, représentant le dieu dans son plus simple appareil. Elle doit mesurer au moins cinq mètres de haut. Il tient un sceptre en forme de demi- lune dans une main et un soleil dans l'autre. Un lourd silence à la fois apaisant et inquiétant règne dans l'édifice.
- Prosterne-toi me chuchote Hermès.
Je m'exécute et observe cette immense pièce sans fioritures avec curiosité.
- Apollon, souverain de l'Olympe fils de l'Aurore, Dieu des arts, de la musique, de la poésie, de la médecine, conducteur des chars divinatoires et protecteur des neuf muses. Éclaire-nous de ta lumière et de ta beauté.
Un halo bleu se forme alors autour de la statue, puis une lumière intense m'aveugle. Lorsque je rouvre les yeux, Apollon se dresse devant nous. Il est grand, il me dépasse d'une tête. Moi qui fais déjà un bon mètre quatre-vingt-cinq. Il ne porte qu'une légère tunique, qui s'arrête à mi-cuisse, ne recouvrant le haut de son corps que par un bout de tissu qui part de son épaule gauche en diagonale jusqu' à sa hanche droite. Ses muscles sont saillants, sa chevelure est bouclée, dessus y est posée une fine couronne faite de feuilles d'or. Belle entrée, on ne pourrait pas faire mieux. Il est la parfaite illustration d'un dieu. De lui s'émane prestance, puissance, sérénité. Il force le respect, l'admiration. L'image utilisée de lui pour parler de beauté masculine n'est pas exagérée.
Je vais donc savoir ce qu'il me veut.
- Hermès, mon cher, je commençais à m'impatienter, déclame-t-il en nous faisant signe de nous relever.
-Voici donc notre Ex Hodos !
Je lis la surprise sur son visage lorsqu'il me voit et j'entends un léger doute qui vient altérer de façon subtile sa voix claire et résonnante. Je n'ai pas perdu ce qui a fait de moi un privé que l'on s'arrache, enfin que l'on s'arrachait. Ma faculté à lire les regards, les intonations de voix, les gestes est toujours là. Peu ont réussi à me tromper. Mais je n'avais jamais eu affaire à des dieux. Je vois bien qu'il ne me connaît pas, pourtant il m'a fait demander. Tout ça est vraiment étrange. En plus de ça, je n'ai pas l'air de lui convenir. EX Hodos, il a dit en parlant de moi ? C'est quoi ce truc ? Je regrette à cet instant de ne pas avoir fait du Grec au lycée.
Hermès s'avance vers le souverain des dieux encore auréolé d'un halo bleuté et me présente :
- Voici Nathan. Nathan Valence. Je ne doute pas une seule seconde qu'il saura vous donner satisfaction.
-Je l'espère...je l'espère.
La superbe d'Apollon en prend un coup, tandis que j'aperçois son regard perdu et son corps subrepticement s'affaisser, l'espace d'un instant. Mais le dieu reprend très vite ses esprits.
- Approche Nathan, que je te regarde, de plus prés.
Il a l'air vraiment curieux à mon sujet comme s'il n'avait pas vu d'âmes depuis longtemps. Cela confirme que je suis spécial à ses yeux.
Je me rapproche donc, hésitant. Apollon me fixe de ses grands yeux marrons, des millénaires les habitent. Les rôles sont inversés. J'ai l'impression qu'il lit tout de moi, il rentre par effraction dans mon être. Je me sens soudain insignifiant et à sa merci
Hermès, lui, est tout excité. Il volette au-dessus de nous, son sceptre tourne dans tous les sens et il le jette dans les airs à la façon d'une majorette.
- Alors qu'en pense Apollon notre souverain ? demande-t-il, avec un peu trop d'enthousiasme.
Le dieu des arts et de la beauté le regarde d'un air sévère et ne dit rien. Je ne pense pas avoir jamais été aussi stressé que maintenant. Peut-être, seulement lorsque je n'étais qu'une larve pathétique et informe, c'est-à-dire un adolescent, attendant les résultats de mon BAC. Ou peut-être la fois où Bérénice avait glissé sa main sous mon t-shirt et posé une capote sur le lit, comme l'on tamponnerait un faire-part. En l'occurrence celui de l'annonce de la perte de mon statut de puceau.
Allez ressaisis-toi mon vieux.
- Tu n'es ici que du fait de ma volonté, pour une mission bien précise, me lance Apollon marquant une pause histoire de rajouter un peu de tension sans doute.
Je vais être bref et direct, Écoute-moi bien et tu pourras ensuite me poser quelques questions sur ta mission. Pour les autres, Hermès y répondra.
J'opine du chef comme un enfant et me concentre afin d'étudier chaque mot qu'Apollon choisira.
- Ma sœur jumelle, Artémis a disparu voilà deux jours. Tu vas la retrouver.
D'accord, c'est donc l'enquêteur, le privé qui est demandé. Rien à voir avec mon âme ou des choses que j'aurais faites bien ou mal.
- Pour moi il n'y a aucun doute c'est l'un des nôtres qui est derrière ce méfait. Un des dieux d'Olympia. Pas un dieu secondaire non l'un des dix. Personne d'autre n'aurait les capacités de l'enlever, de la faire s'évaporer comme ça.
Waouh, pause là. Je dois enquêter sur le kidnapping d'un dieu par un autre dieu ?
Je note qu'Apollon a déjà beaucoup de certitudes et qu'Olympia n'est apparemment pas un si parfait paradis. Les choses prennent une tournure, pour le moins inattendues.
- Hermès sera ton guide. Je l'ai nommé responsable des investigations. Tu seras son scripte, une parfaite couverture.
Pourquoi une couverture ?
Hermès me prend par l'épaule et me serre contre lui comme si nous étions de vieux amis.
- C'est bien non ? me glisse-t-il à l'oreille tout sourire.
Je lui rends un timide sourire. Je suis abasourdi par ce qui m'arrive. Tout est allé trop vite entre le moment où j'ai vu mon corps gisant sur le macadam et moi maintenant chargé d'une enquête par Apollon le souverain de ce nouveau monde. Trop de zones d'ombres subsistent et je déteste être dans le flou.
- Je vais déjà répondre à l'une de tes questions. Pourquoi toi ? Hermès est le seul en qui j'ai vraiment confiance. Il est bien fâcheux que son esprit de déduction et de logique ne soit plus aussi performant qu'avant. Sans parler de sa tendance à se laisser emporter par les sentiments. Et de toute façon cette enquête doit être conduite par une personne neutre. Quant à moi je ne peux me permettre de me rabaisser à jouer les enquêteurs aux yeux de tous. De plus, si je me trompe et que d'aucun ici n'est responsable, alors il faudra chercher du côté du royaume de Poséidon et aucun dieu de l'Olympe ne peut y rentrer à part moi. Même si je le voulais cela me prendrait trop de temps à chercher le coupable dans les deux mondes.
Il a dit qu'Artémis était sa jumelle, il a donc un lien très spécial avec elle. Étonnant qu'il ne remue pas ciel et terre lui-même pour la retrouver.
- Pour finir, tu étais le meilleur sur terre pour résoudre les mystères, qu'il en soit ainsi, ici aussi.
Il est pragmatique lui aussi.
Une flèche d'argent apparaît alors dans sa main.
- Voilà ce que j'ai retrouvé sur le sol à quelques encablures de notre point de rencontre. Nous avions rendez -vous comme à chaque quart de lune pour aller chasser ensemble. Hermès t'indiquera l'endroit.
J'ouvre la bouche pour poser une question, mais Apollon me coupe dans mon élan.
- Je n'ai pas fini, me lance -t-il de façon autoritaire, avant de radoucir le ton de sa voix. Sache que j'ai effectué des recherches poussées moi-même dans les alentours. Cette flèche est le seul indice disponible. Des questions ?
Il n'est pas du genre à tourner autour du pot ni à se perdre dans un trop plein d'explication. J'ai le sentiment que je ne vais pas avoir la possibilité de lui poser toutes les questions qu'il faudrait. Il va falloir être malin, synthétiser, prioriser. Hermès s'est calmé, il me regarde soucieux. Apollon lui, a toujours ses yeux fixés dans les miens, il ne m'a pas lâché du regard depuis le début de ses explications. Je suis comme un de ces objets hight tech pour lequel on économise, se prive pendant des mois pour pouvoir se le payer. Puis vient le jour de l'acquisition et pendant qu'on le met en route, on prie en silence pour que l'objet soit à la hauteur de nos attentes, qu'il ne nous déçoive pas.
C'est quand même la classe. Mon flair, ma capacité à résoudre des affaires est reconnu dans l'au-delà. Je me lance.
- Quelle était la situation...
Comment dire sans l'offenser ?
- Amoureuse de votre sœur ?
J'entends Hermès déglutir alors avec vigueur à côté de moi.
Un quart des affaires comme celles-ci, implique un proche ou un amant, voire un courtisant. Je vais mener cette enquête comme je le ferais avec des mortels. J'ai vu que ma question a heurté Apollon, d'ailleurs il me répond de façon cinglante. Mais qu'importe.
- Artémis tout comme Athéna sont bien au-dessus des préoccupations charnelles ou amoureuses.
Le ton est sec et la position de son corps prend une posture défensive, cela me confirme que le sujet est plus complexe que ce qu'il voudrait me faire croire.
- Dieux, héros, demi-dieux, divinités secondaires tous ont tenté leurs chances avec ma sœur et tous ont été éconduits.
Hermès voyant Apollon tendu, tente un peu d'humour.
- Et puis tous ceux qui insistent un peu trop savent qu'ils se retrouveront sûrement avec une flèche plantée entre les yeux.
La boutade n'a pas vraiment déridé le dieu des arts et il poursuit sa diatribe.
- Ma sœur représente l'essence de la femme en représentant les trois plus importantes étapes de sa vie ; naissance, puberté et mort.
J'ai envie de l'informer que pour qu'il y ait naissance, il doit forcément avoir eu au préalable un minimum de rapprochement. Il me semble aussi que l'essence de la femme est teintée de beaucoup d'autres choses, dont la séduction, la sexualité. Mais bon, je ne confonds pas audace et inconscience. Je continue à l'écouter.
Apollon semble réfléchir puis me lance, comme s'il avait lu dans mes pensées ;
- Nous les dieux de l'Olympe, nous ne sommes pas de vulgaires humains !
S'il était Zeus, je pense qu'un éclair m'aurait foudroyé à cet instant précis.
- Nous sommes l'essence de ce qui fait l'humanité, chacun à sa façon et chacun avec ses domaines de prédilections.
Apollon semble s'être détendu, sa voix est plus ronde, il ne m'assène plus les phrases comme, on donnerait un coup de fouet. Il m'explique.
- Regarde Hermès, le guide, le messager. Sous ses airs juvénile et inconscient, il représente le commerce, l'échange, la négociation, les nomades, il en est l'essence, pas ce que cela est devenu au fil des siècles.
Hermès baisse la tête et me regarde d'un air désolé, comme pour s'excuser de ce qu'est devenu notre monde aujourd'hui ; gouverné par l'argent et le commerce. Hermès serait un altermondialiste ? Je manque de laisser échapper un rire à cette pensée.
- Athéna, elle est l'essence de la justice, pas de ses dérives ou de ses abus. Tu comprends ?
- Oui, répondis-je timidement.
- Pour revenir à ta question. Arès le dieu de l'arrogance, clame-t-il, l'ironie fortement appuyée, voulait, il y a peu, organiser un tournoi d'épée en l'honneur de ma sœur avec une partie de chasse à ses côtés comme récompense. Quelle impétuosité ! Bien sûr cela n'a jamais eu lieu. Il est peut-être devenu fou, qui sait ce qui se passe dans la tête de ce grand enfant capricieux. Je regarderai en premier de son côté.
Arès ne sera donc pas une de mes priorités. L'évidence mène très souvent dans une impasse.
- Pouvez-vous me fournir une liste des personnes les plus proches d'Artémis, ainsi que les endroits où on l'a aperçu les quelques jours précédents sa disparition ?
Apollon lance un bref regard à Hermès. C'est donc mon guide qui s'en chargera.
- Autre chose ?
J'aperçois Hermès qui gesticule là sur le côté en me faisant signe de ne plus poser de question. Il a sans doute raison. À ce stade, il paraît inutile d'en poser d'autres. Çà serait comme jeter un galet dans une mare desséchée en espérant faire des ricochets. Apollon ne sait clairement pas grand-chose et s'il avait pensé à des détails qui pourraient m'aider, il les aurait énoncés. Et puis je dois m'acclimater, découvrir ce nouvel environnement afin de poser des questions pertinentes.
- Je n'en ai plus, je me réserve le droit de les poser plus tard, si cela vous va ?
Apollon me toise quelques secondes et me tend la flèche d'argent. Le même halo bleu qui avait scintillé lors de son apparition, se forme autour de lui.
- Une dernière chose, vous avez trois jours pour retrouver ma sœur. Après cela vous perdrez le privilège que vous octroie l'Ex Hodos et votre âme rejoindra les enfers pour y être jugée.
Allez bam ! Ces paroles à l'allure d'avertissement viennent exploser dans mon cerveau comme un boulet de canon. La fameuse contrepartie. Le privilège des puissants. Bien sûr.
- Retrouver ma sœur et l'Ex Hodos sera éternel, me dit-il avant de disparaître dans un éclat de lumière.
Je me tourne vers Hermès, le visage décomposé. Lui, habituellement si joyeux, tire une tronche d'enterrement.
- Allez ! on va y arriver, je le sais. Qui peut résister à notre duo ? s'enthousiasme-t-il, changeant d'expression faciale à la vitesse de la lumière.
Mouai, merci pour la tentative, mais ce que je viens d'apprendre m'a mis un sacré coup derrière la tête.
- Prend le côté positif de la chose, L'Ex Hodos n'est accordé qu'une fois par millénaire et c'est à toi qu'il a été offert ! Tu ne te rends pas compte de ta chance.
- Mais c'est quoi cet Ex Hodos ? m'énervé-je.
- Et bien, je te l'ai dit, un privilège accordé à une âme, celui de ne pas être juger et d'accéder directement à Olympia, même mieux en ce qui te concerne au refuge des héros ; Léthium.
- Que deviennent les âmes après leurs jugements ? m'enquiers-je, m'imaginant déjà le pire.
- Au mieux, elles errent au pré de l'Asphodèle en perdant leurs substances au fur et à mesure que le temps passe, les souvenirs s'effaceront, ainsi que toutes forment de ressentis. Et bien sûr, tu n'auras plus d'enveloppe physique. Puis, un jour elles disparaissent dans un endroit que même nous les dieux nous ne connaissons pas.
ça donne envie.
- Tu peux aussi te retrouver au Champ du Châtiment, où comme son nom l'indique, tu seras châtié et ton âme expirera ses fautes, jusqu'à disparaître comme les autres.
Je crois que si j'échoue, c'est ce qui m'attend.
- Le pire pour finir ; le Tartare, tu dois être maudit des dieux pour t'y retrouver, c'est une prison faite seulement de souffrances et de tourments.
En vérité, c'est d'apprendre que le paradis n'est accessible qu'à une poignée de personnes qui me blesse le plus. Comme sur terre. L'au-delà profite à une infime minorité, certes aux âmes pures et vertueuses comme ils disent, mais quand même !
- Allez ! ne perdons pas de temps, nous discuterons en chemin. Où nous rendons-nous en premier ?
Je vais devoir passer au-dessus du choc et de la déception, si je veux finir ma deuxième vie ici.
- Nous allons là où Apollon a trouvé la flèche.
- Alors direction le Champ aux biches !
Hermès s'éloigne d'un pas joyeux en chantonnant.
« Le Champ aux biches, le Champ aux biches, tralala... »
Je suis quand même content de l'avoir à mes côtés, je dois l'avouer.
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