Chapitre 3 En route pour l'Elyséum

Après quelques minutes de marche, sans mot dire, dans cette vallée à la faune et la flore luxuriantes, Hermès s’arrête et se tourne vers moi. Peut-être surpris par mon silence.

Si je n’ai pas parlé depuis que nous nous sommes mis en route vers je ne sais où, c’est que je suis ébahi par toute cette beauté. Le ciel est bleu azur, des pans entiers teintés de couleurs pastel s’entremêlent sous les lumières de la lune et du soleil qui brillent au plus fort et en même temps. Leurs jeux de miroirs font naître un tableau à couper le souffle où l’aurore, le crépuscule se tiennent la main. Tout est chatoyant dans ce décor, véritable ode à la nature.
Je suis attiré par un petit groupement d’arbres, à l’écorce blanche, coiffés de couronnes fleuries du même ton. Ils sont posés sur un tapis d’herbes hautes qui se plie de façon nonchalante au gré du vent. Une estampe zen japonaise qui aurait pris vie. Hermès remarque que je commence à dévier de ses pas.

– L’Elyséum, me dit-il tout simplement.

Moi l’invétéré citadin, amoureux des néons, du bruit et de la foule. La nature vient de me mettre une énorme baffe et me fait regretter de ne l’avoir jamais courtisée. J’ai oublié les questions que je voulais poser au messager des dieux, d’ailleurs, il faudra que je lui demande si c’est bien ce qu’il est. Mes souvenirs de la mythologie sont assez brouillons, je dois l’avouer.

– L’endroit est un miroir à ton imaginaire, chacun y voit ce qu’il veut, enfin ce que ton inconscient veut, une sorte de baroud d’honneur avant qu’il ne perde de son influence…

Hermès stoppe net son explication, comme s’il en avait trop dit.

– Moi je vois des champs aux blés d’or et des nymphes nues qui les parcourent, plaisante -t-il, ou pas.

La magie et la magnificence de l’endroit commencent à s’estomper, au fur et à mesure que nous avançons. Je sens que ma peur et ma colère d’être ainsi laissé dans l’incertitude, ne vont pas tarder à prendre le dessus sur cette parenthèse enchantée. Je devrais me réjouir, mais je n’y arrive pas vraiment.

Et merde alors ! Dieux ou pas, ils me doivent des explications.

– Nous arrivons bientôt !

Le messager des dieux a un ton enjoué et le beau sourire qu’il affiche sur son visage mutin depuis le début, a eu pour effet de calmer mes ardeurs.

Attendons un peu pour voir.

Un petit pont de bois traversant un cours d’eau presque transparent, apparait devant nous. Je me demande si cela aussi est imaginaire ou si mon guide le voit également. Une biche arrive en même temps que nous. L’animal s’arrête pile à côté de moi. Il me regarde d’un air hésitant, comme s’il attendait de voir si nous allions nous engouffrer sur l’étroit pont en premier. Je me risque à lui donner une caresse de son cou à son flanc.

– Vas-y ma belle !

L’animal traverse le pont et s’éloigne en gambadant, j’ai la bizarre impression qu’il me souriait.

– Ne pose pas de questions et reste silencieux. Contente-toi de t’incliner devant la personne que nous allons rencontrer, me conseille Hermès d’un ton amical, alors que nous franchissons le pont à notre tour.

– Et où allons-nous ? demandais-je avec une voix mal assurée, pas du tout en adéquation avec l’énervement qui montait en moi, il y a quelques secondes.

– Là ! me répond-il, comme si c’était évident, en pointant du doigt, un mur gigantesque qui se dresse au loin.

Comment ? Je ne l’ai pas vu avant ?

– Très bien, mais vous allez m’expliquer…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, qu’Hermès m’attrape le bras et nous fonçons à toute vitesse dans la direction pointée précédemment.

Bon, je n’ai pas trop le choix, on dirait. Il faudra un moment ou un autre que cette habitude de me trimballer où bon lui semble et quand il le veut, cesse. Nous sommes devant le mur, il semble ne pas avoir de début, ni de fin, il s’étend à perte d’horizon, de gauche à droite et de haut en bas. Un homme blond est assis à une petite table, il boit un thé et nous regarde arriver, la tête haute, ses yeux fixés sur moi. Il n’est pas habillé d’une toge comme Hermès, mais porte une jupette plissée, une sorte de plastron incrusté d’or, des épaulettes de protection, bref comme un centurion que l’on voit dans les séries. À la différence que sa tenue en jette et qu’il a plus l’air d’un roi que d’un légionnaire. J’essaie de faire la liste des dieux que je connais ou qui habite encore ma mémoire. Je ne vois pas. Cet homme assis là devant l’immensité du mur n’est pas ici par hasard. C’est certain.

– Rhadamanthe, grand juge des âmes, gardien de l’Elyséum et du Mur, je te salue !

Hermès effectue une légère courbette et se tourne vers moi.

– Voilà notre homme, il se prénomme Nathan, clame-t-il avec un effet assez théâtral.

L’homme de quoi ?

Je commence à penser que je suis une sorte d’élu. Moi qui n’ai jamais eu trop de chance de mon vivant, j’en aurais dans ma mort ? Cette pensée provoque une sorte de frisson d’allégresse en moi. Je m’oublie un instant en lançant au type à l’allure royale :

– Salut !

Il me regarde à peine, pose sa tasse de thé et se lève.

– Hermès, je resterai silencieux sur les choix d’Apollon, tu dois te douter de ce que j’en pense.

Un sceptre apparaît dans l’une des mains du gardien et il le pointe vers le mur.

– Qu’Olympia accueille cette âme nouvelle, moi Rhadamanthe, je lui permets de fouler son sol sacré ! À peine la phrase terminée, des contours lumineux se forment éclairant des gravures que je n’avais pas remarquées avant. Une porte apparaît alors.

Il a bien dit Apollon ?

Voyant mon air peu rassuré et interrogatif devant tous ces mystères qui s’accumulent, Hermès se rapproche de moi.

– On y est bientôt, tu sauras tout ce qu’il faut savoir d’ici peu, me murmure t-il, en me lançant un clin d’œil.

Alors que la porte s’ouvre et que je m’attends à être aspiré à travers comme un vulgaire fétu de paille à la merci du vent, Rhadamanthe rajoute :

– Tu n’échapperas pas au jugement ! Aucune âme du monde des mortels ne le peut ! Il viendra un jour ou l’autre, c’est inéducable, tonne-t-il comme un avertissement.

– Il n’a pas l’air ravi de me laisser passer ?

Merci pour cette flippante sortie théâtrale, Rhadamanthe.

– Ne t’inquiète pas, allez viens, tente de me rassurer Hermès.

Raté, je ne suis pas du tout rassuré et cette tentative de bienveillance m’énerve plus qu’autre chose. Mais encore une fois, je n’arrive pas à l’exprimer autrement qu’à l’intérieur ; une tempête dans un verre d’eau.

Nous traversons la porte, sous le regard froid de mon futur juge. J’ai à peine mis un pied de l’autre côté, qu’une sensation bizarre m’étreint. Comme un souffle cosmique ou une essence de vie, enfin peu importe le nom, cette force me réchauffe de l’intérieur et dissipe cette sensation brumeuse qui m’empêchait d’être totalement moi jusqu’alors.

Finie la désagréable sensation que tous mes ressentis soient enfermés dans une prison à ciel ouvert et qu’ils ne puissent s’exprimer que partiellement. Mes souvenirs ne reviennent pas avec précision, cependant mes névroses, mes joies passées, mes amours, mes blessures, tout ça est en ébullition, là, à l’intérieur. Ça y est je suis de nouveau cet être complexe et unique, un véritable sac de nœuds, emmêlé de contradictions, de désirs, de luttes intérieures, de vie quoi !

Je réalise que j’ai crié ce dernier mot. Hermès me regarde pensif, il lève les sourcils et son visage affiche la plus parfaite des expressions interrogatives, dignes d’un jeu d’acteur du niveau d’un Jack Nicholson.

– Ah oui ! je vois. Ton âme est de nouveau liée à ton esprit et à ton cœur, c’est là le privilège d’être à Olympia, mon ami !

Tiens, il m’appelle mon ami ? Il veut me mettre en confiance ? Ou c’est désintéressé ? Olympia ?

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