Chapitre 2 Charon
Je peux voir maintenant le visage de l’homme qui vient si gentiment de confirmer ma mort. Il est sans âge, il a le teint grisâtre et ne renvoie aucune expression particulière, même ses yeux semblent être éteints. On dirait deux cailloux noirs que l’on aurait incrustés là pour faire illusion.
– L’heure du jugement est venue, m’annonce -t-il froidement.
C’est donc ça ! Tous ces fous avaient raison. C’est décevant, même dans l’au-delà, on est jugé, on doit répondre de nos choix, de nos actes. Pourtant, la force que j’ai ressentie avant d’atterrir ici était tout sauf manichéenne. Je ne comprends pas. J’ai envie de crier, de me rebeller. Mais je suis amorphe. Comme si mon esprit n’était plus lié à mon cœur.
– Avez-vous une pièce, pour la traversée ? me demande-t-il, main tendue et paume ouverte.
Soudain, les souvenirs flous de mes lectures d’adolescent sur l’antiquité, ses mythes, ses croyances, ses dieux, me frappent si fort que toutes mes certitudes et le monde d’après que j’avais imaginé sont menacés d’être pulvérisés, ici et maintenant.
Quoi ? C’est une blague ? Ça ne peut pas être. Je suis aux Enfers et ça, c’est Charon ? Je veux quitter cet endroit, ce simulacre. La mythologie grecque ! Ce foutoir à métaphores bidons, serait l’après vie ? Renvoyez-moi ne faire qu’un avec le cosmos et l’univers ! Je dois me tromper.
L’homme esquisse un sourire, comme s’il avait entendu mes pensées et tend la main.
– Avez-vous une pièce, pour la traversée ? insiste-t-il.
Je sens qu’il est inutile de parler, de lui poser toutes les questions qui me consument comme un brasier. Je m’apprête à lui répondre que non en regardant ma main machinalement. Une pièce s’y trouve. Une pièce d’argent qui brille intensément, un visage austère et barbu y est gravé. L’homme sans âge regarde la pièce l’air surpris, puis me fixe de façon étrange, il s’approche et soudain le ciel au-dessus de nous s’ouvre. Un filament scintillant se dirige droit par ici. Au fur et à mesure qu’il approche, je discerne le dessin d’un jeune homme. Il flotte vers nous, tout sourire, habillé d’une simple toge fermée par une large ceinture en or. Il a des sandales munies de petites ailettes qui battent à toute vitesse. Des plus grosses immobiles se trouvent sur son casque bombé. Il flotte à présent juste au-dessus de nous. Il me regarde intensément d’un air satisfait, puis pointe son sceptre dans ma direction.
– Charon, prend la pièce et laisse-le.
CHARON ! c’est donc bien ça, c’est confirmé, je suis aux enfers, l’au-delà, l’après-vie me livre son étourdissante vérité. Et merde, je m’attendais à tout, sauf à ça.
Je ne m’en remets pas. Toutes mes convictions s’effondrent à l’instant. Je plonge dans un abîme infini d’incompréhension.
– Tu sais ce que cela signifie n’est-ce pas ? rajoute le jeune homme volant, devant l’expression impassible du passeur d’âmes.
Je ne sais pas qui c’est celui-là, mais on dirait bien que c’est ma sortie de secours.
La pièce disparaît soudain de ma main et Charon remonte dans sa barque, sans dire un mot. Aussi vite qu’il était venu, il s’évapore dans l’obscurité. La lumière de la lanterne se transforme en moins de deux en une étoile brillante, au loin, juste au-dessus de l’eau.
– Je suis Hermès. Désolé, je suis en retard. Je vais t’exempter d’écouter tous mes titres, mais sache que je guide les âmes. Prends ma main, Nathan. C’est bien ton nom Nathan ?
Je n’ai ni le temps de répondre ou de penser que je suis entraîné par le dieu à l’aspect d’un adolescent, qui me traîne dans les airs, comme si je n’étais qu’une plume. Le ciel ouvert est paré de centaines d’arcs-en-ciel qui jaillissent de cette faille céleste. Quel contraste avec la tristesse et la morosité de l’endroit que nous quittons.
En route pour le paradis. Enfin j’espère.
Je suis choqué et étourdi par tout ce qui arrive, mais soulagé. Je vais juste accepter ce qui s’offre à moi, accepter cet univers. Les dieux grecs quand-même…
Hermès me lance un sourire, alors que nous arrivons dans ce trou lumineux et coloré. Tout devient flou.
Est-ce que tout ça serait une sorte de mise en scène ? Est-ce bien réel ? Peut-être que la force qui régit tout ça connaît Spielberg ou Nolan ? Et qu’il s’en inspire pour nous accueillir.
Qu’est-ce que je suis con parfois !
Allez ! C’est reparti, je suis encore aspiré par je ne sais quelle force. Je commence à en avoir un peu marre. Je ferme les yeux et me laisse guider. J’ai tellement du mal à réfléchir que c’est le mieux à faire.
Ça y est ! je vois la terre ferme. Une vaste plaine verdoyante s’étend maintenant devant moi. Hermès me dépose délicatement sur l’herbe soyeuse ; un océan de vert parsemé de fleurs aux couleurs multiples. Des papillons aux ailes argentées s’envolent dès que nous posons pieds au sol et tournent autour de nous dans un battement d’ailes gracieux, laissant s’échapper une fine poudre cendrée. L’air est si pur, le vent souffle juste ce qu’il faut pour être agréable, il ne fait ni trop chaud, ni trop froid.
J’avais raison, serait-ce le paradis ? En tout cas cela ressemble à l’idée que l’on s’en fait.
Hermès sautille devant moi comme un enfant, mais un enfant, lui, ne pourrait pas faire les petites vrilles qu’il effectue dans les airs à une vitesse phénoménale. Il remet son casque légèrement de travers et quitte son expression enfantine pour me lancer :
– Alors je sais que tu as beaucoup de questions à poser Nathan. Tu vas devoir patienter.
Il ne me laisse pas le temps de lui répondre et enchaîne.
– Nous allons faire équipe toi et moi, nous aurons le temps de parler. Pour l’instant, il faut se hâter nous sommes attendus.
De quelle équipe, il parle ? Attendus où ?
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