Chapitre 1 Ma mort

Je crois que je suis mort. Mon corps inerte est allongé là, sur le bitume. Tout autour de ma tête, des éclats de verre et des tâches vermillon qui brillent, éclairées par la lumière pâle d'un lampadaire. Mes jambes sont dans une position suspecte. Elles forment des angles que même un contorsionniste chevronné aurait bien du mal à reproduire. Je regarde cette scène morbide d'en haut. Oui d'en haut, quelques mètres, pas plus.

Je le sais maintenant, j'ai abandonné mon enveloppe physique. Drôle de sensation, c'est comme regarder le film de sa propre mort, sauf que là c'est bien réel. Je n'ai pas peur, je n'ai pas mal, je ne suis même pas triste. Je ne sais pas si cela dure depuis une heure ou depuis une poignée de secondes. Moi qui ai l'habitude d'aller sur les scènes de crimes, ça me fait tout drôle d'observer à présent la mienne. Enfin, ce n'est pas un crime. J'ai le vague souvenir d'une voiture qui zigzague et me percute.

Quelle fin médiocre , écrasé par un soûlard.

J'essaie de repenser à Margaux, à mes parents et aux choses qui vont me manquer, mais je n'y arrive pas. Tout est confus et brumeux. Moi le non-croyant énervé, l'athéisme chevillé à mon être, je vais savoir. Je vais obtenir la réponse à la question universelle et ancestrale; que se passe-t-il après la mort ? Chose rassurante, je suis encore moi, en tout cas une partie et je pense donc je suis, cette phrase n'a jamais été aussi importante que maintenant.

Je vois la voiture qui m'a sans doute renversé, redémarrer en trombe et partir s'enfonçant dans la nuit. Ses deux feux arrière rouges semblent ne pas s'éloigner, eux. Au contraire, ils grossissent et se figent dans les airs. Je n'arrive plus à penser à rien. Je sais à peine qui je suis et ces deux éclats incandescents aux couleurs d'un soleil crépusculaire, m'hypnotisent, m'attirent vers eux. Puis, ils dévorent tout, ils engloutissent tout ce qui les entoure , il n'y a plus qu'eux, ils m'appellent. Je suis si léger ! je me laisse à mon tour happer par cette force extraordinaire.

Tout est blanc à présent, un blanc lumineux qui rayonne faiblement, comme une caresse perpétuelle sur mon âme, sur moi. La lumière vacille et tout s'accélère. Je suis comme une particule, un atome qui explose, qui se détruit pour renaître différemment. Je suis un grain de sable et une montagne, je suis un nouveau-né et un vieillard, je suis une étoile, je suis une abeille, je suis tout, je ne suis rien, je suis l'amour et la haine, la joie et la tristesse, le début et la fin. Je suis mort, mais je n'ai jamais été aussi vivant. Puis, je suis aspiré de nouveau.

Après n'avoir fait qu'un avec l'univers, j'ai été avalé par une énorme étoile bleue. Il y en avait des centaines, toutes de différentes couleurs, pourtant c'est celle-ci qui m'a attiré à elle. Maintenant il n'y a plus rien, juste moi flottant dans un néant. Quand je dis « moi », c'est vraiment moi, avec mes grosses mains, ma barbe mal rasée, habillé comme lors de mes dernières heures. Il y a cependant un problème ; je ne ressens toujours rien, aucune réelle émotion n'arrive à s'écouler en moi. J'ai juste conscience de l'environnement, comme dans un semi- rêve.

Et si c'était ça, un rêve ?

Soudain, aussi vite qu'un battement de cil, un paysage me saisit, une terre me soutient , de l'air s'engouffre dans mes narines, un ciel s'offre à mes yeux. Le choc est difficile à encaisser, comme si c'était la première fois que je respirais. L'angoisse frappe à la porte de mon être, je le sais, je le sens, mais elle ne peut entrer. Toujours rien.

Qu'est-ce que c'est que cet endroit horrible ?

Le ciel est d'un gris des plus déprimants qu'il m'ait été donné de voir. Des restes de nuages éparpillés par-ci par-là, semblent former des visages à moitié découpés aux airs tristes, voire désespérés. Le sol est meuble, recouvert d'une brume qui entoure mes chevilles et m'empêche de voir mes pieds. Il n'y a rien d'autre. Quel contraste avec la sensation de plénitude et de paix qui vient de m'emplir de sa force créatrice. Je commence à paniquer, je repense à ces légendes ; les limbes, là où les âmes perdues errent indéfiniment. Cela y ressemble fortement.

Tandis que j'avance je ne sais où, cherchant à apercevoir un soleil ou une lune que je ne vois pas, un fleuve comme par magie apparaît brusquement devant moi. Il est aussi large qu'une mer et peu tortueux, encore deux pas et mes pieds s'y tremperont. L'eau est noire et sans reflet. Je m'étonne de n'avoir pas encore crié, pleuré ou juré putai...je n'y arrive pas. En fait je devine, je suppose ce que je ressens, mais rien ne se passe en moi. Les sentiments, les sensations ne sont plus que des mots spectraux , sans vie, sans relief. Pourtant, mon esprit lui bouillonne, je suis, sans être vraiment.

Je vois au loin une lumière qui tremble et flotte au-dessus de l'eau, lentement. Elle se rapproche et en quelques secondes, elle se retrouve devant moi. La lumière, une lanterne est tenue par un homme vêtu d'une de ces robes en chanvre que portaient les moines bénédictins . Elle est vieille et toute râpée, ceinturée par une simple cordelette jaunie. Il est debout sur une barque de fortune. Son visage reste dans l'ombre, bien qu'il tienne la lanterne à quelques centimètres de celui-ci. Un tsunami de questions ravage mon esprit.

Qu'on en finisse, pourquoi cet endroit ? Je suis damné ? Est-ce pareil pour tout le monde ? Pourquoi je ne me sens pas à ma place ? Pourquoi j'ai l'impression de ne pas être là où je devrais ?

L'homme amarre sa barque à un petit ponton en bois.

-Vous êtes mort, me lance t-il d'une voix frêle et sans aucune émotion.

Comme si je ne l'avais pas remarqué !

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