5› on met les voiles
8 DÉCEMBRE
- Tu as tout gâché.
- Je sais.
- ...
- ...
- Alors tu t'appelles Ana.
- Oui.
- A-N-A.
- Oui, Ana.
- Trois lettres, deux syllabes et deux sons.
- Trois putain de lettres, oui.
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi tu t'appelles Ana ?
- Mais j'en sais rien, moi ! Tu en poses de ces questions...
- Un hommage à une grand-mère ? À une tante peut-être ? Ou plutôt une référence à un personnage ? Je ne suis pas très cultivé cela dit... Ça pourrait être Anna Karénine ? Ou alors les lettres ont une signification pour tes parents. Oui, et c'est pour ça qu'ils ont choisi ce prénom.
- Ou alors ils trouvaient juste ça beau.
- Attends, tu ne le sais même pas ?
- Non ! Et puis les gens ne sont pas obligés de trouver une signification derrière tous leurs choix. C'est ridicule. Et c'est fatiguant. Les gens m'emmerdent avec leur manie de se justifier en permanence et leur pseudos significations hyper profondes vues et revues. Et là c'est que pour un putain de nom, mais ça vaut pour tout. Je m'appelle Ana, j'aurais pu m'appeler - je sais pas moi, Solange - ça n'aurait rien changé. Absolument rien. On en serait toujours au même point aujourd'hui, oui, ça n'aurait rien changé.
- ...
- ...
- C'est intéressant. Alors d'accord. J'accepte que tu t'appelles Ana.
- Oh, c'est trop d'honneur. Mais il n'y a rien à accepter. Je m'appelle Ana, et tu fais avec. Ou alors tu fais sans. Mais c'est plus compliqué.
- Je ferais avec, dans ce cas.
- ...
- Ça va ? Tu es moins souriante depuis quelques instants. Et tu ne poses plus de questions. Jusqu'ici, tu posais beaucoup de questions.
- C'est toi, tu l'ouvres sans arrêt aussi. Il te faut bien quelqu'un pour te relancer.
- ...
- ...
- Il va y avoir un blanc, et tu n'aimes pas les blancs, alors je te conseille de me trouver une question.
- J'en ai marre de poser des questions. À toi.
- OK. J'ai le droit d'en poser combien ?
- Tu viens d'en poser une. Il ne t'en reste plus que deux maintenant.
- D'accord, laisse-moi réfléchir. Je dois bien faire mon choix.
- Compris, je me tais.
- ...
- ...
- Les mouches ou alors les araignées... Ou non la... Puis je sais pas...
- Arrête de marmonner. Je n'aime pas les gens qui marmonnent.
- Tu veux bien me laisser réfléchir, s'il te plaît ?
- Bien sûr. Plus qu'une question, cela dit.
- Quoi ? Tu es vraiment... Ah ! Tu es vraiment une fille sournoise, Ana.
- Je sais. Toi par contre, pas du tout.
- ...
- ...
- C'est bon ! Je l'ai.
- De quoi ?
- Je te vois venir et je te déconseille d'essayer de me piéger à nouveau. Sinon je vais être obligé de te donner des ordres alors que je n'aime pas ça, pour éviter la forme interrogative.
- Des ordres, carrément.
- Oui, carrément. Maintenant écoute.
- D'accord, j'écoute.
- D'abord, laissons le silence appuyer ma parole.
- Et puis quoi enco...
- Chut !
- Va te faire foutre !
- ...
- ...
- ...
- ...
- Quelle est la différence entre vivre et mourir ?
- Quoi ?
- Selon toi, qu'est-ce que la différence entre vivre et mourir ?
- Qu'est-ce que tu racontes encore ? Tu pouvais pas me poser une question normale ?
- Une question normale ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Oui, bon, je me suis mal exprimée. Juste une question qui ne soit pas bizarre ou compliquée.
- C'est pourtant simple. Il y a la vie, il y a la mort, je te demande la différence entre les deux. Et qu'est-ce qu'il y a de bizarre ? Ça fait partie de la vie.
- On parle de prénoms et tu me poses une question sur la mort. Bien-sûr que c'est bizarre. Ou plutôt, tu es très bizarre.
- Non, ce n'est pas ça le problème. Le problème c'est ça te gêne d'en parler. Pas vrai ?
- Mais n'importe quoi ! Ça ne me gêne pas.
- Alors réponds.
- Non ! Passe à autre chose ! Je ne veux pas en parler, c'est tout.
- ...
- ...
- À ton tour de me poser une question, alors. Ça te va comme ça ?
- Mais oui. Je vais pas te bouffer pour une stupide question, t'inquiète.
- Ce n'était pas stupi...
- Laisse-moi te poser ma question !
- OK, je me tais. On appelle le silence ?
- Inutile. Tu es au lycée Saint-Phalle ?
- Attends, c'est ça ta question ?
- Oui, c'est ça. Et j'attends une réponse.
- Je n'appelle pas ça une question.
- Sauf que je m'en fous.
- Bien.
- Je vais répéter une dernière fois ma question comme tu as l'air d'avoir les oreilles bouchées. Et tu vas y répondre ou je t'étripe. Tu viens de quel lycée ?
- Ce n'est plus exactement la même question...
- Réponds-moi !
- Tu n'as pas répondu à ma question. Pourquoi je devrais y répondre, moi ?
- Tu as déjà oublié que je t'ai sauvé la vie hier ?
- Tu marques un point.
- Allez !
- Pour tout te dire...
- ...
- Je ne suis pas au lycée Saint-Phalle mais à François Premier. Et toi, tu es à Saint-Phalle parce que je ne t'ai jamais vue à mon lycée. Or, je remarque toutes les personnes très charmantes.
- Oh, tais-toi avec ça. Et tu es en terminale ?
- Qui a dit que tu pouvais me poser une autre question ?
- Moi.
- Ah, d'accord. La vérité c'est que je ne vais plus au lycée depuis un moment.
- Vu la tête que tu tires, j'hésite à te demander pourquoi.
- J'ai été viré.
- Oh, je vois. Et tu comptes faire quoi dans les six mois à venir ? Ça te laisse plein de temps. Trop de temps, peut-être.
- Rien pour le moment. Mais ce n'est pas grave puisque je ne regrette rien.
- ...
- ...
- Il est 21h00.
- Déjà ? Mon cours de tennis est passé vite, aujourd'hui.
- ...
- ...
- Bon, je vais y aller.
- À demain, alors.
- Demain ?
- Oui. Tu n'as toujours pas répondu à ma question.
- Et tu peux toujours te brosser pour que je le fasse ! A demain, Zach. Et tiens, c'est marrant, ton nom est encore plus moche quand je le dis à voix haute.
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