4 - Grand-Fissure


              Je me réveillai après peu de repos. Il n'existait certes aucune lumière naturelle dans les grottes, mais l'animation lointaine qui traversait le silence m'indiquait qu'il était une heure décente pour me lever. Je sortis de la chambre après avoir saisi une pile de vêtements et me dirigeai vers le fond du couloir désert.

Je n'avais pas fait dix pas que quelqu'un qui traversait le carrefour d'un pas empressé manqua de me percuter. Aussitôt un visage rondelet jaillit d'une montagne de tissus et je reconnus la petite femme qui nous avait servi le thé la veille.

— Par la Grandeur de Dana ! s'exclama-t-elle avant que j'eusse ouvert la bouche. Te voilà déjà debout !

— Bonjour, répondis-je platement, et je l'interrogeai sur un lieu où me laver.

— Ma pauvre enfant, tu dois être affamée ! s'écria-t-elle en secouant vigoureusement la tête. Viens avec moi. Le bain peut attendre mais c'est par l'estomac qu'on reprend des forces !

— Merci mais... je n'ai pas particulièrement faim.

— Assez, assez, voyons ! Ne sois pas timide !

Et déjà, elle passait son bras sous le mien.

— Nous t'avions préparé un plateau hier au soir, continua-t-elle en calant tant bien que mal sa panière au creux de son coude, mais notre petit Azelor nous a recommandé de te laisser seule.

— Désolée...

— Oh non, non, ne le sois pas ! Comment as-tu trouvé ta chambre ? C'est à peine si j'ai eu le temps de la dépoussiérer pour toi, vous étiez la grande surprise du jour ! Je suis Any, au fait. Ton père était si nerveux, je crois, qu'il a oublié de faire les présentations.

— Kaly, répondis-je machinalement.

La douceur qui transparut dans son sourire me surprit.

— Oui, je sais. Je t'ai connue quand tu n'étais pas plus haute qu'un farfadet !

Un instant très bref, je crus la voir hésiter comme si elle voulait ajouter autre chose ; puis cette expression disparut et une gaieté toute naturelle revint s'épanouir sur son visage. Any me parla d'elle : elle était une fée domestine et s'occupait des tâches ménagères et, dans une moindre mesure, de quelques travaux de couture au sein de la ville souterraine.

Nous eûmes rapidement fait de rejoindre le vaste hall qui formait le cœur de Grand-Fissure. De là, Any me conduisit vers l'une des alcôves où se faisaient entendre des voix indistinctes et des bruits de couverts.

La Baraque était le nom de la caverne où étaient cuisinés et servis les repas. Il y faisait très chaud ; plusieurs fourneaux étaient allumés et une odeur de céréales cuites embaumait l'espace. L'endroit était aménagé de longues tables simplement constituées de planches sur des tréteaux et disposées sur cinq rangées, chacune d'elle pouvant accueillir une cinquantaine de personnes.

Une seule table était à moitié occupée à cette heure ; car, ainsi que je l'appris plus tard, le premier service venait tout juste de débuter.

Dès que je mis un pied dans la salle, il y eut un court silence ébahi superposable à la veille.

— Eh bien, eh bien, rouspéta Any, ne mettez pas cette pauvre enfant mal à l'aise ! Faites-lui un peu de place, bande de rustres ! Tiens, ma grande, confie-moi ceci, dit-elle en me débarrassant de mon linge propre, et va t'installer, veux-tu.

Any releva ses jupes pour gravir la marche menant au comptoir des cuisines. Sans possibilité de recul, je me pelotonnai sur un rebord du banc, gênée des nombreux regards qui pesaient sur mon front. La perspective de rencontrer des gens m'effrayait quelque peu.

— Vous ressemblez beaucoup à votre père.

La femme qui avait parlé, assise à ma droite, avait une peau d'ébène tout comme ses cheveux, et ses traits lâches trahissaient un âge avancé. Son regard brun était empli de chaleur.

— Pardonnez notre accueil maladroit, continua-t-elle avec un rictus embarrassé. Il faut croire que nous sommes encore sous le choc de la nouvelle. Nous commencions à désespérer de vous avoir auprès de nous un jour.

Le reste de la tablée approuva aimablement. Sous le choc. À dire vrai, j'éprouvais le même sentiment. D'un jour à l'autre, ma vie avait été irrémédiablement bousculée sans espoir d'un retour en arrière...

Alors que je considérais en silence mes interlocuteurs, mon regard fut attiré par les articulations singulières qui saillaient du dos de la femme.

— Vos ailes, remarquai-je sans faire cas de la politesse.

Mais des ailes, elles n'en avaient plus que le nom. Seules de rares plumes abîmées les habillaient encore. Elle ne parut pas offensée par ma question, expliquant simplement :

— J'ai passé l'âge de me battre et, de toute façon, je n'ai jamais été très douée pour ça. Si mes plumes peuvent participer à l'effort de guerre, je suis heureuse de me rendre utile.

Ces plumes n'avaient d'autre vocation que constituer des réserves de flèches.

Je n'avais pas besoin de connaître le peuple des harpies pour comprendre, en voyant ces moignons incapables de voler, l'ampleur de ce sacrifice.

Un sourire édenté écarta les lèvres de la vieille femme et je pris soudain conscience de son allure chétive comme de son teint maladif. Je dus me faire violence pour m'empêcher de me détourner de cette vision misérable.

Pendant l'absence de la fée domestine, les autres convives se présentèrent à moi chacun leur tour. S'ils paraissaient intimidés, ils n'étaient pas du tout hostiles, voire faisaient même preuve d'humour et de sympathie. Tout ce que Vixe m'avait dit me revenait en tête : les Faucons Obscurs n'étaient que des résistants, et non un groupe de terroristes. Quand Any me gâta d'une écuelle généreuse de porridge, je me mordis la langue car l'odeur de la nourriture me révulsait.

Je fis preuve d'une timidité maussade le temps que dura ce premier petit-déjeuner. J'écoutai sans entrain, le nez vissé dans mon bol. Les prénoms entendus étaient entrés par une oreille et sortis par l'autre. C'est le propre de la douleur : on ne se concentre que sur elle.

Malgré toute ma bonne volonté, je gaspillai au moins la moitié de mon écuelle. Any eut la grâce de m'épargner d'un commentaire et me débarrassa en un claquement de doigts.

— Maintenant, jeune fille, aux bains ! annonça-t-elle avec entrain.

Elle m'accompagna tout en jacassant sur le chemin de la dernière fournée de poterie qu'une novice avait faite exploser en cours de cuisson pas plus tard qu'hier. Alors que nos pas faisaient écho contre les murs de calcaire, le son d'un cours d'eau s'amplifia. Any m'expliqua qu'une rivière coulait dans les circuits parallèles et s'ouvrait sur une aire de bain. Et de fait, au pied d'un étroit défilé de marches, le passage s'élargit pour révéler, sous un petit dôme naturel, une eau pure qui miroitait le dessin des parois crevassées.

— Voici pour toi, déclara la fée en me tendant un petit savon, tu pourras le garder. Velinka travaille sur de nouveaux parfums. Quand tu voudras te laver, pense à regarder la couleur de la lanterne dans le couloir : elle est bleue quand c'est l'heure des femmes, jaune quand vient l'heure des hommes. Maintenant donne-moi tes vêtements, je vais te les nettoyer.

— Ne te donne pas cette peine, dis-je en me penchant pour enlever mes chaussures, et je lui montrai les épaisseurs élimées, lardées de coups de griffes de kobold. Ils sont bons à jeter de toute façon.

— Oh non, non, surtout pas ! s'écria-t-elle, les yeux exorbités. Ce sont de trop belles pièces ! Aucune laine ne te protégera mieux du froid quand tu devras retourner dehors. Je ferai de mon mieux pour les raccommoder.

— Comme tu veux, lâchai-je d'une voix creuse. Moi, je ne les porterai plus...

J'ôtai devant elle mes vêtements poisseux de terre, d'humidité, de sueur et de larmes, salis par les souvenirs et les émotions. J'entendis Any s'extasier de la qualité des textiles qu'elle répéta à plus d'une reprise être de très bonne facture. Mon cœur fit un bond désespéré lorsque je sentis à mon cou le collier dont Seth m'avait fait cadeau ; c'est à peine si je m'étais rappelée sa présence. Je fis rouler le pendentif entre mes doigts, la gorge serrée au souvenir de cette nuit magique où il me l'avait offert.

Any s'éloigna dans le tunnel en fredonnant un air joyeux. Une fois seule, je m'avançai dans l'eau aussi lentement que je m'étais enfoncée dans l'Étang de Rêves.

Je puisai le courage de me savonner des pieds à la tête et me vêtis d'un pantalon trop grand que je dus retrousser par trois fois, en plus d'un large chandail bleu clair, avant de chausser une paire de mules qu'Any m'avait laissée.

Lavée et déjà profondément lasse, je revenais sur mes pas à la recherche de ma chambre quand je fus appelée par une énergie florale. Mes sens, curieux, me conduisirent jusqu'à un chemin de gravillons isolé de l'artère principale. La piste se prolongeait en direction d'une caverne brillamment éclairée et sous le dôme de laquelle s'étalaient des immenses plates-bandes de culture.

C'était un champ différent de celui que j'avais aperçu depuis les quartiers de Rehad : ici, du maïs brun et des tubercules y poussaient en abondance ; un carré était laissé en jachère où une terre saine et ameublie attendait de prochaines semailles.

Tandis que je m'étais accroupie pour observer les bases des plantations, l'aura d'une présence me fit froncer les sourcils.

Azelor se trouvait derrière moi.

— Oh ! lâchai-je, surprise. Bonjour.

— Salut.

Je restai bêtement dans ma position en lui rendant son regard. Il avait une mine reposée et presque souriante. Son éternelle cape avait quitté ses épaules ; une simple tunique en cuir épousait son torse mince au-dessus d'une chemise qu'il avait roulée jusqu'aux coudes.

— C'est un beau travail que vous avez fait là, lui fis-je part de mes réflexions. La terre a une bonne capillarité ; les racines ont toute la profondeur dont elles ont besoin pour puiser leur eau. Et vous avez bien rentabilisé l'espace.

— De ce qu'on m'a dit, il a fallu des années et une période de disette avant qu'on trouve la bonne combinaison. Quand je suis arrivé, les champs avaient déjà cette allure. Rehad met un point d'honneur à toujours s'occuper des premières mises en terre. Pour ma part, je n'ai pas encore saisi les subtilités de l'agriculture. Cependant...

Il cassa une branche et l'ouvrit avec sa dague avant de me la tendre.

— La qualité de nos céréales a tendance à se détériorer ces derniers temps. Leur goût est plus acide et on commence à avoir quelques problèmes de conservation.

Je picorai les graines contenues dans la pousse et les fis rouler sur ma langue.

— Rien de grave, annonçai-je en conclusion. Le sol est un peu trop riche en minéraux. Et dites à la personne en charge de la lumière de la baisser d'un cran.

Haussant un sourcil, le Faucon me considéra avec une lueur d'intérêt.

— Eh bien, on dirait que tu vas devoir prendre les commandes du jardinage. Bon, lança-t-il en se détournant impatiemment, par contre, la visite se fait maintenant ou jamais. J'ai mieux à faire que jouer les guides. Suis-moi.

Il partit aussitôt ; je lui emboîtai le pas.

— Il paraît que tu as rencontré des gens ce matin, dit-il. J'imagine qu'on doit ça à Any.

— Oui. Elle semble très gentille.

— Any est un peu la mère de tout le monde, acquiesça-t-il d'un ton radouci.

On entendait maintenant un grand brouhaha du côté de la Baraque mais Azelor n'y opéra pas de détour. À la place, il continua en direction du tunnel au nord pour me montrer la petite école où des enseignants accompagnaient leurs élèves dans divers ateliers. Les enfants étaient peu nombreux, moins d'une trentaine, répartis en trois classes en fonction de leur âge. Seuls les adolescents qui n'avaient guère d'affinité pour la magie ou le combat étudiaient encore ici. Cela me réchauffa le cœur de voir les dessins colorés qui barbouillaient les murs. Des dessins d'un soleil et de nuages qui n'existaient pas en ces lieux.

Grand-Fissure comptait au total quatre coins de plantations, me renseigna Azelor, et nous avions visité le troisième d'entre eux lorsque je découvris une richesse que j'étais loin de soupçonner : les Faucons possédaient une bibliothèque.

Celle-ci était de dimensions restreintes, borgne comme la plupart des pièces des souterrains, avec un plafond bas et des piliers sculptés grossièrement. Les lueurs des lanternes n'éclairaient qu'une partie des murs couverts de livres sur toute leur hauteur. Des parchemins, tantôt vierges tantôt noircis de notes, traînaient sur les tables près d'encriers délaissés. Je fus émue de contempler ce travail de longue haleine.

— Votre communauté est incroyable, reconnus-je, admirative, pendant qu'Azelor me conduisait plus loin dans le dédale troglodytique. Toute cette structure pour y vivre... Je ne m'attendais pas à ça.

— Nos architectes ont mis des décennies à creuser ces grottes, et ils continuent encore là où ils le peuvent... Et si tu savais ! Grand-Fissure n'est qu'un humble refuge. À l'Est, Les Gorges ne sont pas loin de nous surpasser et il existe un repaire encore plus grand que le nôtre à Asraell.

— Combien de camps possédez-vous ?

— Quatre conséquents sur les terres principales, hormis au Sud. Mais des petits regroupements foisonnent dans tout le Sidh. Certains d'entre nous ont suffisamment de chance pour vivre à l'air libre.

Des gnomes transportant des brouettes pleines de cailloux surgirent à un croisement et nous observèrent passer avec de grands yeux curieux. Azelor les salua avant de nous faire bifurquer dans un couloir.

— Tu dois sûrement reconnaître les lieux, annonça-t-il avec négligence. Ta chambre est de ce côté et ici et là, tout là-bas, c'est le reste des dortoirs.

— Je me sens mal de disposer d'une chambre pour moi toute seule. Il y a beaucoup d'habitants. Vous devez certainement partager les vôtres...

— Les familles vivent ensemble ou, s'il n'y en pas, au moins les amis. Tu sais, cette façon de vivre nous convient, ajouta-t-il comme je grimaçais, et ses yeux verts trouvèrent les miens avec au fond d'eux une flamme sauvage. Nous préférons ça à ce qu'on nous propose... là-haut. Nous préférons ça plutôt que nous soumettre.

— Et toi, tu as droit à ton quartier individuel ? demandai-je pour ne pas m'étendre sur le sujet.

— Non, hélas ! je dois me coltiner le lieutenant de la Brigade Azur. On est un peu à l'étroit mais on a quand même la chance d'avoir une porte digne de ce nom. Et puis...

Mon esprit épuisé commençait à s'égarer dans un vide intérieur, si bien que je cessai de l'écouter ; et je ne revins à moi que lorsque mon guide nous fit déboucher dans une caverne plus vivante que toutes les autres.

— Et voilà le terrain d'entraînement, indiqua Azelor.

Il était encore assez tôt ; aussi, il n'y avait dans la salle qu'une moyenne affluence. Près de l'entrée, une faune à l'air féroce chargeait tête basse sur son adversaire ; derrière elle, un homme de petite taille bourrait un mannequin de coups de pieds à une vitesse hallucinante. Des râteliers proposaient pour le combat des bâtons de coupes et de tailles diverses mais je ne distinguais aucune arme véritable, hormis quelques arcs et flèches laissés à disposition devant une rangée de cibles.

— Décidément, mon vagabond, s'écria une forte voix féminine, il va falloir que je me réhabitue à te voir ici !

Une main taquine surgit de l'arrière et vint décoiffer les cheveux du mage, en réponse à quoi Azelor se dégagea avec un râle de protestation – mais j'entrevis clairement le sourire en coin qui se profila sur ses lèvres. La nouvelle venue avait un corps musclé et trapu ; sa peau était d'un brun velouté et ses yeux étroits abritaient un intense regard bistre. J'examinai avec insistance les ailes aux plumes ocres repliées dans son dos aussi bien que les serres qui prolongeaient ses jambes. C'était une harpie, et une harpie en pleine santé à la différence de celle que j'avais rencontrée plus tôt !

La femme inclina poliment la tête dans ma direction.

— Je suis ravie de faire votre connaissance, Kaly, dit-elle d'une voix profonde. Nous avons tant entendu parler de vous !

— Voici Phiale, la présenta Azelor. Lieutenant de la Brigade Azur.

— C'est tout ? En voilà une description des plus banales. J'aurais préféré un : « Voici Phiale l'Illustre, Princesse du ciel et la meilleure des meneuses que le monde ait connu. »

— Oh, ferme ton bec, vieille pie, tu me mets mal à l'aise !

Mais il riait et les deux échangèrent quelques coups comme une vieille habitude qui n'avait pas besoin de se soucier de ma présence. J'essayais autant que possible de m'habituer au décor et de me repérer correctement. Comme à mon arrivée à l'Ordre.

Un nouveau départ. Retour à zéro, me dis-je.

Je me sentis perdre en vigueur à ce souvenir. Phiale me jeta un coup d'œil et s'éclaircit la voix avant de lever le menton.

— Nous n'avons pas les troupes de l'Ordre mais tous ici sont de vaillants guerriers et ont à cœur de défendre notre cause. À compter de ce jour, ma dame, ma brigade vous prêtera son soutien.

— Je vous remercie, dis-je sans parvenir à sourire.

Elle accueillit ma réponse d'un hochement de tête, asséna une bourrade complice à Azelor avant de retourner à son entraînement.

Le Faucon termina de m'instruire sur la topographie des lieux et acheva sa corvée de guide lorsqu'il me mena auprès d'un trio d'hommes licornes blonds soigneusement alignés devant une porte en bois. Leurs visages étaient tant similaires que j'en déduisis qu'ils étaient frères.

— Toutes nos salutations, Kaly des Quatre Terres, annoncèrent-ils en chœur, et les trois s'inclinèrent dans une révérence parfaitement chorégraphiée. Quel honneur, quel privilège de vous recevoir parmi nous !

— Oh, je vous en prie, ne faites pas tant de manières...

Trois paires de joues virèrent à l'écarlate et ils se répandirent en excuses :

— C-ciel, n-nous voilà confus ! s'exclama l'un d'eux en portant une main à sa bouche.

— Nous n'avions nulle intention de vous embarrasser, précisa un autre aux paupières brillamment fardées. Je vous prie de nous pardonner notre maladresse.

— C'est un dispensaire ? m'enquis-je en essayant de regarder à travers la fenêtre encastrée.

Puisque les trois unicornes me regardaient en se tortillant nerveusement les mains, Azelor leva les yeux au ciel et m'ouvrit la porte. La salle sur laquelle elle donnait était séparée en deux par plusieurs piliers et paravents de toile. Dans l'obscurité terreuse, l'endroit avait plutôt l'air d'une cellule.

Je me tournai vers eux.

— Est-ce que je peux vous aider ?

— Oh non ! Sainte Mère, c'est indigne de... !

— S'il vous plaît, insistai-je doucement, et Azelor se racla la gorge en les foudroyant d'un regard désapprobateur.

Je craignais que ma requête soit perçue comme un caprice, mais la vérité était que j'avais terriblement besoin de me trouver une occupation.

Ainsi fut décidé. Le mage me laissa en leur compagnie et les trois frères me firent visiter les lieux. Ils furent aux petits soins, m'avançant leur meilleur fauteuil, me proposant breuvages et coupe-faim tout en me présentant leur travail et déroulant les divers protocoles qu'ils avaient mis en place.

Je posai beaucoup de questions, l'esprit encore imprégné des enseignements d'Inhannaë. Au souvenir de ma tendre amie, mon cœur saigna. Des larmes se formèrent au bord de mes cils et j'eus toutes les peines du monde à m'en débarrasser.

Les faits voulurent qu'après une heure de conversation, la porte s'ouvrit sur Rehad.

— On m'avait rapporté que tu étais versée dans l'art de la guérison, dit-il en approchant, ses mains jointes dans le dos.

J'acquiesçai et me levai, rougissant d'être reçue avec tant d'égards. Le Premier Faucon promena ses yeux dans la pièce.

— Comment te sens-tu après avoir assimilé toutes ces informations ?

— Certes chamboulée, admis-je. Mais j'aimerais savoir ce que tu as prévu pour la suite.

Le visage de Rehad se tourna vers les frères unicornes qui, aussi immobiles que des statues de sel, semblaient retenir leur respiration ; puis il me fit signe de l'accompagner dehors.

— Il est encore trop tôt pour espérer renverser l'Ordre, déclara-t-il, une fois passés la porte. Nous devons continuer à agir avec mesure, frapper les points faibles de notre ennemi tout en développant nos alliances. Et ton aide serait la bienvenue, si tu le désires.

— « Trop tôt » ? répétai-je. De combien de temps penses-tu avoir besoin ?

— Je l'ignore. Autrefois, j'aurais répondu des années mais les Faucons sont désormais entendus sur les cinq terres du Sidh. J'ose croire que notre salut est plus proche que nous l'imaginons.

Je déglutis.

— La nouvelle ne semble pas te réjouir, remarqua-t-il d'un air soucieux.

— Non... Enfin... C'est que cela fait déjà plus de neuf mois que je suis ici et...

— Oh.

D'une seconde à l'autre, la lumière de son visage déclina.

— Tu ne veux pas rester dans le Sidh, comprit-il. Tu as l'intention de... retourner d'où tu viens.

— C'est une question qui me travaille, admis-je.

Le départ de Seth et de l'escouade m'avait fait reconsidérer l'idée. Pourtant, je ne désirais pas quitter ce monde dans ces conditions, sans avoir fait mes adieux, partir avec tant de non-dits, de rancune. Mais pourrais-je jamais les revoir ailleurs que derrière une ligne ennemie ?

Rehad posa une main sur mon épaule.

— Peut-être que ton séjour parmi nous te fera changer d'avis, Kaly, insista-t-il. Ce n'est pas parce que tu as souffert auprès de l'Ordre que tu ne connaîtras pas le bonheur ici. Je ferai tout pour que tu te sentes comme chez toi.

Je savais qu'aucun endroit de ce monde ne pourrait plus jamais devenir mon foyer ; mais je gardai cette pensée pour moi et me contentai de chuchoter :

— Merci.


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N'oubliez pas la petite étoile pour me soutenir si vous aimez suivre les aventures de Kaly ! Et bien sûr , je serais ravie d'avoir votre avis sur ce début si vous souhaitez le partager :)

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