J'eus l'impression qu'un poing glacé s'enfonçait dans mon estomac.
— Azelor ! m'écriai-je.
Je me précipitai jusqu'au bord du toit, prise de panique. Faites qu'il soit en vie, je vous en prie, faites que...
Oh ! je faillis fondre en larmes lorsque je l'aperçus : il tenait à bout de bras entre deux étages, son piolet planté dans le mur. Au-dessous de lui, le vide et la rue tout en bas. Et dans cette même rue...
Je repérai la coupable qui guettait son œuvre, les mains en l'air : une femme de la trentaine à la blonde chevelure. Une mage, de toute évidence. La femme fut saisie d'un mouvement de recul quand je dardai des yeux furieux sur elle, mais cela ne dura qu'un instant car sa résolution brilla de plus belle ensuite. Ses doigts se portèrent à sa ceinture et elle fit bouger ses lèvres...
Un voile écarlate brouilla ma vue. Le lierre qui enveloppait le Pot-au-Lait se déchaîna dans sa direction et la malheureuse fut précipitée contre la façade, des vrilles noueuses enserrant son cou.
Soudain, un juron étouffé attira mon attention. Azelor s'était plaqué contre la traverse d'une fenêtre. Un carreau d'arbalète venait de le rater d'un cheveu.
Son regard alarmé grimpa jusqu'à moi et j'y lus son ordre silencieux : « Va t'en d'ici. »
Il n'avait aucune chance de me rejoindre à temps ; il le savait. Même s'il parvenait à escalader le mur, il serait vulnérable pendant cet intervalle crucial, à la merci des projectiles. À moins que je lui vinsse en aide. Mais j'étais incapable de le couvrir et de me protéger tout à la fois. Et j'étais certaine que des calomnieurs étaient en route pour m'intercepter ; peut-être même étaient-ils déjà à l'affut derrière moi, prêts à me saisir...
L'un de nous y laisserait sa peau. Azelor avait déjà choisi. Il était prêt à se sacrifier pour assurer ma fuite. Il m'avait ordonné de suivre le plan. Coûte que coûte.
« Tu dois vivre. C'est la troisième règle. »
Mes lèvres se mirent à trembler. Je crus voir le soulagement inonder son visage quand nos regards se croisèrent pour la dernière fois. Je reculai à genoux dans mon cercle, prononçai en fermant les yeux le rituel de traversée pendant qu'un nouveau carreau se fichait près de lui...
L'instant suivant, il me vit sauter du haut du toit.
Je plongeai vers Azelor qui n'était plus qu'à trois mètres du sol, fis grandir et se mouvoir la végétation de la façade. Ma main trouva une accroche dans une liane et je me laissai glisser sur une étroite rampe faite de vrilles entrelacées.
Le Faucon, qui m'avait suivie avec un hoquet de surprise, se réceptionna d'une roulade à côté de moi. Il se remit debout en toute hâte, banda son arc et sa flèche fila droit vers l'arbalétrier malhabile qui l'avait pris pour cible de l'autre côté de la rue. Puis il fondit sur moi et me saisit rudement au col.
— Nom d'un crocotta ! me hurla-t-il à la figure. Qu'est-ce que tu fiches, pauvre idiote ?! Tu étais censée partir !
— Tu ne peux pas simplement me dire « merci » ?
Il me flanqua un regard écumant de rage, mais nous n'avions plus le temps. Nous étions complètement à découvert dans la capitale en effervescence. La ville retentissait du coup sourd des cloches. Des bruits de bottes approchaient. Azelor jura, mit la main à sa sacoche et libéra derrière nous une poudre qui s'épaissit sur le sol comme du lichen gluant.
— Cours ! m'ordonna-t-il.
Nous nous jetâmes ensemble, à corps perdu, dans la première allée qui se présenta à nous. Un groupe de civils s'écarta sur notre passage en poussant des exclamations effrayées. Le branle-bas de la milice s'était mis en marche ; le fracas des armes battant les ceintures et des cris emplissaient les rues.
Azelor, agile comme un cerf, menait la course, s'assurant régulièrement que je le suivais de près. J'ignorais quelles étaient nos probabilités de fuir sains et saufs. J'ignorais même s'il avait un but précis en tête et je me tenais prête à dégainer la cicconite si la nécessité se faisait ressentir.
Quand le Faucon s'engagea dans une ruelle à l'écart, nous vîmes avec horreur un contingent de gardes bloquer l'issue. Il voulut rebrousser chemin mais des renforts accouraient. Une sueur froide dévala mon dos et je jetai des regards paniqués autour de nous.
Dana ! N'y avait-il plus d'issue ?
Soudain, la voix de Sendo éclata dans mon esprit :
À droite !
Azelor devait l'avoir entendue aussi, car il freina brutalement des quatre fers et vira dans la direction indiquée sans faire montre d'hésitation. Nous déboulâmes à travers une porte cochère dans la cour d'un bâtiment sobre et silencieux, les yeux fous, comme deux détraqués. Des employés consternés nous interpellèrent avant de fuir ventre à terre en découvrant l'unité armée déployée derrière nous. Un terrifiant carreau d'arbalète ricocha contre l'arcade du portail à l'instant où nous plongions dessous.
Je concentrai autant que possible mon anima avant d'envoyer un jet de pouvoir vers l'arrière. Une épaisse barricade végétale bloqua les accès. Nous nous remîmes à courir.
Gauche, maintenant ! Dépêchez-vous. Sous le pont. Halte !
Azelor pila dans un tournant et fit un écart en m'entraînant avec lui. Il se tassa dans un renfoncement obscur, m'écrasant contre sa poitrine.
Mon cœur battait si follement que je devais faire taire mon souffle dans sa cape, de crainte que quiconque nous surprenne. Si près de lui, je pouvais presque sentir, à travers son foulard, sa respiration tout aussi saccadée. Nous tendîmes tous les deux une oreille attentive mais nos poursuivants se débattaient encore avec les obstacles que j'avais semés sur leur route. Le torse d'Azelor finit par s'abaisser et nous poussâmes en même temps un soupir de soulagement.
Nous nous séparâmes en silence pour regarder autour de nous. Nous nous trouvions dans un joli patio décoré de pierres et de faïence, fermé par une clé de voûte, qui ressemblait à une cour d'immeuble. Aucun accès ne donnait à l'extérieur, hormis la traboule dérobée que nous avions empruntée. S'il y avait des habitants ici, en tout cas les volets étaient clos.
Continuez tout droit ! nous urgea la voix de Sendo.
Nous reprîmes notre progression avec une diligence silencieuse ; et de fait, quelques pas plus loin, nous y retrouvâmes Sendo dans l'ombre d'un passage. Celui-ci respirait fort ; ses index tremblants tenaient ses tempes. La lumière rouge avait décliné dans ses yeux.
— Par ici, haleta-t-il en soulevant une grille.
Son geste mit au jour une échelle métallique qui disparaissait dans les ténèbres - vers les égouts, très probablement. Mes yeux s'étrécirent pour tenter de percer l'obscurité. Je n'étais pas bien favorable à l'idée de m'enfoncer à l'aveugle dans ce conduit. Toujours est-il qu'il valait mieux affronter l'obscurité que l'Ordre et je m'y engageai donc la première, pressée par Sendo, et Azelor nous suivit en refermant la bouche au-dessus de nos têtes. Quand il nous eut rejoint au fond, il abaissa son foulard.
— Mince, je n'ai pas la moindre fichue idée d'où on est, déclara-t-il d'un ton perplexe en se tournant vers Sendo. Et toi ?
— Si mes calculs sont exacts, nous devrions nous trouver à deux rues des thermes. Je n'ai jamais emprunté ce passage mais les galeries doivent communiquer entre elles...
Le Faucon s'épongea le front et nous regarda tous deux.
— Mais cela est sans importance. Vous devez filer, et vite.
— L'Ordre va descendre ici tôt ou tard, objectai-je avant qu'Azelor eût l'idée de répondre. Et plus tôt que prévu si des calomnieurs ont suivi nos traces. Ce n'est pas un endroit sûr pour vous... Et si je vous emmenais avec nous ? proposai-je dans un éclair de lucidité. Je n'ai que peu pratiqué la traversée avec trois personnes mais...
— Tu n'y arriveras pas, me contra Azelor d'une voix qui coupa court à toute réplique. À l'heure qu'il est, les paladins sont en train de se déployer autour de la ville. Même si tu nous fais atteindre les Rochers Creux, il faudra qu'on continue à pied et tu ne seras pas en état de maintenir l'allure bien longtemps.
Je me tus, tentant de réfléchir à une autre solution. Le Faucon avait beau réprouver ma présence ici, je le soupçonnais d'avoir répondu avec franchise. Je savais Azelor capable d'évaluer mes limites, lui qui connaissait certainement mieux que moi-même mes forces et mes faiblesses. Et à en juger par le pli soucieux qui lui ridait le front, l'idée de devoir nous séparer de Sendo dans cet endroit paraissait le contrarier.
Des pas martelèrent la grille au-dessus de nous. Les deux Faucons échangèrent un regard.
— Fiche le camp, Vagabond, articula sèchement Sendo. J'ai survécu à pire.
À mon grand étonnement, Azelor émit un avis contraire :
— Puisqu'on est là de toute façon, restons ensemble et tâchons de te trouver une sortie. On aura plus vite fait d'avancer à nous trois, expliqua-t-il devant la mine réprobatrice de son partenaire. Une fois que tu seras à l'abri, on décampera comme prévu.
Alors que je dévisageais le mage, muette de stupeur, Sendo inspira entre ses dents.
— Alors ne perdons pas de temps ! exigea impatiemment ce dernier comme s'il savait que toute discussion était vaine. Il faut qu'on avance vers l'ouest.
Il fronça les sourcils avec humeur avant de prendre la tête du groupe. Sans rien ajouter, Azelor se plaça derrière moi pour fermer la marche. Sa décision m'étonnait, je dois le reconnaître. Lui qui s'était montré d'une intransigeance à toute épreuve jusque-là, jamais je ne l'aurais cru capable de se détourner du plan.
Nous avançâmes dans le conduit en file indienne, longeant les parois à l'abri des stries de lumière. Une secousse ébranla tout à coup le plafond.
— Phiale va bien ? demandai-je avec inquiétude.
— Oui, répondit Sendo devant moi, qui s'autorisa enfin un petit sourire. Elle est furieuse. Elle dit qu'elle nous le fera regretter.
Il se tourna de profil et prit soin de préciser :
— À nous tous.
Un ploc-ploc régulier tombait des bouches enténébrées des canalisations. La lumière, tombant des grilles affleurant à la surface, peignait des hachures blondes sur le sol. Dans les rues, les pelotons expédiés à notre recherche se croisaient en tous sens et je manquais de sursauter chaque fois que des piétinements résonnaient au-dessus de nos têtes.
L'éclairage naturel faiblissait à mesure que nous avancions dans les égouts. Les lieux n'étaient pas entièrement tapissés de bitume et nous dûmes plus d'une fois patauger dans une matière visqueuse. Les bruits qui couraient sur les parois m'indiquaient que nous n'étions pas seuls. De temps à autres, de petits yeux phosphorescents brillaient dans la pénombre.
Sendo marchait en silence, abîmé dans des pensées impénétrables. Il ne consultait que rarement la carte, à peine troublé d'être contraint à déambuler au milieu des entrailles de la ville. J'espérais seulement qu'il ne nous menait pas à un cul-de-sac.
Au bout de plusieurs intersections, il s'arrêta devant une porte grillagée fermée par un lourd cadenas. Une affiche y était placardée avec, inscrit en lettres capitales, l'avertissement suivant : « Danger de mort ».
— Cette grille n'était pas là auparavant, fit remarquer le Faucon d'une voix lente, son visage cireux empreint de réflexion.
Azelor s'approcha de lui après avoir jeté un regard nerveux par-dessus son épaule.
— Tu es certain d'être déjà passé par là ? lui murmura-t-il.
— Oui. Absolument, j'en suis sûr.
— Il y a un autre chemin ? hasardai-je d'une voix plaintive.
— Cela supposerait de faire demi-tour. Hm, trop risqué à ce stade. L'avertissement est sûrement dissuasif.
— Il faut qu'on avance, trancha Azelor. Kaly peut sûrement ouvrir cette porte.
Ce que je fis, à l'aide d'un sort qui ne me posa aucune difficulté. Pendant que le mage sylvestre s'occupait de dissimuler les traces de notre passage, Sendo examina l'espace dans lequel nous avions abouti. Quatre marches usées dominaient un énième couloir qui se perdait au plus profond de l'obscurité. Heureusement, son hochement de tête satisfait laissait penser qu'il entrait en terrain connu. Un des ruisseaux, d'ailleurs, se poursuivait par ici.
La noirceur fut telle que je ne tardai pas à invoquer un peu de feu au creux de ma main. Si profondément enfouis, l'odeur se chargeait d'un mélange d'humidité et de pourriture. Aucune cheminée ne semblait communiquer avec la surface et on n'entendait plus que l'écho de nos pas dans le tunnel. L'écho de nos pas et... encore ces bruits discontinus. Comme des insectes qui se déplacent. Rien ne se distinguait dans le cercle lumineux de mon feu mais des ombres fugitives dansaient sur les parois. Et... avais-je tort de croire que des lueurs phosphorescentes nous guettaient, bien plus nombreuses qu'auparavant ?
À un moment, une flèche d'Azelor partit vers le plafond. On entendit un jappement strident et le bruit d'un poids qui s'écrase sur le sol.
— Sainte Mère ! souffla le mage. C'est moi ou ces bestioles ont pris de l'assurance ?
— Je suis d'accord, répondit nerveusement Sendo. Dépêchons-nous de sortir d'ici.
La chose qu'il avait transpercée - je l'appris plus tard - portait le nom de miasmoth. Ce sont des créatures noires des profondeurs, pourvues d'ailes membraneuses, avec une tête poilue et un corps visqueux. Elles ont tout l'air d'hybrides entre l'insecte et la chauve-souris, à ceci près que celle abattue était d'une dimension préoccupante - la taille d'Hip environ.
Nous continuâmes notre avancée. Sendo finit par se pencher dans l'ouverture d'une canalisation où il tenait tout juste accroupi. Le murmure du courant s'accentuait dans cette direction. Il se tourna vers nous, nous fit signe d'attendre et disparut dans la fente enténébrée, aussi silencieux qu'une ombre.
Azelor s'appuya au mur et me dévisagea. Pendant une longue minute, nos regards restèrent attachés l'un à l'autre. Je n'en avais fait qu'à ma tête, et pour cela, je sentais qu'il brûlait de m'assaillir de reproches. Le Faucon mâchonna sa lèvre, l'air de potasser sa réprimande, mais soudain ses yeux dépassèrent mon épaule. Lorsqu'il m'écarta, les faisceaux de son cristal révélèrent une forme étalée dans la boue et que nous reconnûmes comme un squelette.
Nous échangeâmes un regard inquiet, mais la voix basse de Sendo nous appela de l'autre côté.
Je me coulai dans le passage qui était très étroit, même pour moi, Azelor sur mes talons. Le tunnel bifurquait vers la gauche et se terminait en pente glissante. Nous débouchâmes dans une plus grande galerie où des alvéoles identiques à celle dont nous venions s'ouvraient en déversant les eaux usées de la ville.
La rumeur d'un cours d'eau s'intensifiait : les bruits du fleuve ! Sendo, à quelques pas de nous, désignait un point de lumière derrière un passage resserré, par lequel s'écoulait la rivière souterraine.
— Voilà la sortie ! exulta-t-il.
Nous nous précipitions vers cette promesse de liberté quand soudain un son creux résonna dans le couloir. Une dalle s'était enfoncée sous le pied de Sendo. Réalisant son erreur, le Faucon jura et recula prestement. Inquiète, je m'immobilisai à côté d'Azelor dont les doigts étaient verrouillés autour de mon poignet. Mon oreille capta d'abord un grincement sinistre au-delà du ruissellement du fleuve, puis un horrible bruit sourd déferla, qui recouvrit mes bras de chair-de-poule. Avec horreur, je vis une herse tomber brutalement devant nous. Je sursautai et me retournai à toute vitesse mais une deuxième s'était abattue à l'endroit par lequel nous étions entrés.
Un sifflement et des vapeurs se dégagèrent des parois.
C'était un piège.
Brandissant son cristal lumineux, Azelor s'élança vers l'avant. Aidé de Sendo, il chercha des prises sur la grille, tenta de la soulever. Sans succès.
— Kaly, cria-t-il, sors-nous de là !
Jamais je n'avais entendu une pareille angoisse dans sa voix.
Des nuages verts, qui n'auguraient rien de bon, s'exfiltraient des murs. Le sang se mit à cogner dans mes tempes et je fis marcher mon esprit à toute allure. Une traversée ? Non, le temps nous manquait. Nous serions morts - ou pire ! - avant. Il fallait improviser, à la manière forte. Des moisissures appelées par ma magie se développèrent sur les parois pour tenter de colmater toutes les failles par lesquelles s'échappaient les vapeurs inconnues, tandis que je puisais dans le sol bourbeux pour invoquer racines et algues, n'importe quoi susceptible de former une trame assez résistante.
Quand les matières premières furent assez nombreuses, j'enfonçai mes pieds dans la terre humide. L'anima flamboyait dans mon corps, une chaleur sourde qui prenait naissance dans mon ventre, traversait mes jambes et mes bras jusqu'au bout de mes ongles. Je rassemblai ce pouvoir et poussai de toutes mes forces. La herse se souleva dans un grincement. Je serrai les dents, expirai et recommençai. Les vapeurs enfumaient la pièce désormais. Plus haut, plus haut...
Enfin, la grille céda et s'éleva de nouveau, de quelques centimètres. Une brèche exiguë, mais suffisante pour nous permettre de nous y faufiler.
— Par ici ! haletai-je en m'y jetant à plat ventre.
Je rampai dans le passage aussi vite que mes avant-bras me le permettaient. L'air du fleuve était proche, si proche ! Une violente odeur de boue, de vase et de pourriture agressa mes narines mais je me ruai de plus belle vers l'extérieur, griffant mes mains et heurtant ma tête au plafond dans ma débandade.
Mon buste surgit finalement dans un boyau à l'air libre. Je faillis rire en apercevant le lit du fleuve et le scintillement du jour sur ses eaux paisibles. Encore un peu et...
C'est alors que quelque chose me tomba dessus. Un corps flasque se pressa contre mon dos et des pattes chitineuses passèrent autour de mon cou. Une autre masse noire surgit au coin de mon œil et s'agrippa à mes jambes, alors qu'une douleur me traversait la colonne comme si des couteaux cherchaient à me taillader.
Alors que je me tordais en criant, en proie à la panique, le chuintement d'une lame, suivi d'un bruit mou, se fit entendre. Les créatures insectoïdes qui m'assaillaient s'immobilisèrent, avant de s'affaisser mollement. Les longues jambes de Sendo apparurent les premières ; le Faucon dégagea les corps d'un coup de pied en appelant mon nom avec angoisse.
Transpirante, je roulai sur le flanc pour voir une nuée grouillante de miasmoths prendre la fuite, se précipitant comme une seule entité vers le conduit dont nous venions, vers l'intérieur des égouts. Le silence revint après leur départ, et on n'entendit plus que le bruit haché de nos respirations. Certains congénères gisaient sur le sol de la grotte, transpercés de flèches.
— Bon sang ! haleta Azelor en baissant son arc une fois certain que la menace fût écartée. J'en ai plein le dos de cet endroit !
— Vous allez bien ? me questionna Sendo avec douceur.
J'acquiesçai en retrouvant tant bien que mal mon équilibre. C'était une chance que les mandibules - ou qu'elles que soient les pièces buccales de ces choses - eussent déchiqueté mes vêtements avant d'atteindre ma chair. Mon dos me brûlait mais un rapide examen de Sendo m'indiqua que les blessures n'étaient que superficielles.
— Vagabond... reprit le Faucon d'une voix grave à l'adresse d'Azelor. Ils ont bien failli nous avoir cette fois.
Les yeux du mage se tournèrent lentement vers lui, jetant des éclairs.
— Ces salopards doivent avoir sacrément envie de se débarrasser de nous pour se donner tant de mal. Dommage pour eux, ajouta-t-il en esquissant un de ses rictus dont il avait le secret, leur mener la vie dure est un de mes passe-temps préférés.
Un frisson lécha mon échine. Sans prendre la peine d'essuyer mes mains sales, je m'agenouillai par terre.
— Nous avons trouvé la sortie, annonçai-je tout en préparant un cercle pour mon propre départ, car je n'avais aucune envie de m'attarder une minute de plus dans cet endroit. Dépêchez-vous de vous mettre à l'abri, Sendo.
— Je le ferai, approuva le concerné qui marqua une pause pour consulter son acolyte du regard. Tu l'as entendue, Az'. Pars avec elle maintenant. C'est ce qui était prévu, de toute façon.
Le front d'Azelor s'ombragea comme si son esprit cataloguait les différentes alternatives, mais il finit par hocher la tête. Lorsque je me redressai, prête à partir, j'eus la surprise de voir Sendo se jeter à mes pieds.
— Ma dame, dit-il d'une voix pleine de révérence, je n'ai pas les mots pour vous remercier des risques que vous avez pris pour moi. À partir de maintenant, je vous conjure de ne plus vous soucier de ma personne. Fuyez et ne vous retournez pas.
Ses cheveux argentés, collés par la sueur, lui tombaient sur le visage. Son front était incliné très bas. J'esquissai un sourire fatigué.
— Redressez-vous, voyons, lui dis-je gentiment. Nous sommes partenaires de propagande, après tout.
Mes mots lui firent vivement relever la tête. Une lueur de surprise traversa son regard ; son front s'éclaircit et une expression de tendre sympathie gagna son visage. Sans plus tarder, j'attrapai Azelor, qui était venu se placer près de moi, prononçant les paroles du rituel.
Mais alors que la magie opérait, Sendo écarquilla les yeux. Il me contourna pour bondir au travers de mon cercle.
Azelor cria son nom. Je sentis son bras fort se dégager de ma main, sa voix se perdre dans un bourdonnement ; et avant de disparaître, je vis le corps de Sendo plié en deux devant la silhouette d'un homme, svelte et armé.
Un calomnieur.
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