38.1 - Lune Sanglante


              Les sbires d'Harragan me manipulèrent comme s'ils avaient entre les mains une poupée de chiffon. Ma tête roulait mollement et ma gorge meurtrie ne laissait passer que des grognements inintelligibles. Entre deux battements de cils, j'aperçus une cage d'escalier en briques qui suintait l'humidité et nous aboutîmes dans une cave où se dégageait une odeur répugnante d'urine et d'excréments. Un boucan infernal sévissait – cris d'oiseaux, tintements de fer martelé, lamentations déchirantes –, si bien que je me crus tombée dans un entrepôt du diable.

On me lâcha sans prévenir sur un sol rugueux. Il y eut un grand bruit de ferraille et la clé tourna dans le cadenas. En cellule, avait dit Harragan. Bravo, Kaly, une fois de plus. Je faillis bien rire mais il n'en sortit qu'un son rauque proche de l'étranglement. Une meurtrière laissait entrer un rayon de lune qui fendait la pénombre crasseuse des cachots. Mes poumons se gonflaient et s'affaissaient encore avec peine mais je roulai sur le flanc, crachai ma salive et me remis à genoux.

Un à un, les bruits s'éteignirent.

Le silence s'était presque répandu quand un chuchotement féminin me parvint :

— Kaly, c'est toi ?

— Oui, répondit quelqu'un d'autre à ma place. C'est bien elle.

Mon oreille reconnut immédiatement ce timbre de voix particulier, aussi hardi que désinvolte. Un espoir fou me traversa et je me jetai contre les barreaux.

— Reska ? J'ai cru qu'ils t'avaient... !

— Quatre carreaux d'arbalète, rien que ça, lâcha le vampire avec un flegme à toute épreuve, à croire que ce qui lui était arrivé n'était qu'un léger contretemps. Voilà longtemps qu'on ne me l'avait plus faite. D'ici quelques heures je devrais pouvoir bouger à mon aise. Mais je suis touché de voir que ma mort t'a émue.

Je sentis mes lèvres frémir, étirées par le soulagement. Je me serais jetée à son cou si la situation l'avait permis ! Mes yeux s'accoutumèrent à l'obscurité. Il s'avéra qu'Hildegarde et lui n'étaient pas les seuls à partager la cellule d'en face : cinq corps aux formes familières étaient assis les uns à côté des autres.

— Jagga est un putain de génie, grogna Kreg à son tour, la main posée sur sa large poitrine. Sérieusement, cette cuirasse ne paie pas de mine mais sans elle, vous m'auriez retrouvé mort avec un poumon et un rein crevés.

— Crool, ta jambe..., murmurai-je, horrifiée, en voyant le lycanthrope avachi.

— Pour le moment rien n'est infecté, répondit Émïoka d'un ton grave. C'est déjà ça mais je pense que le loup souffre plus qu'il veut bien l'admettre.

Ce dernier leva une patte en guise de contestation mais ne répondit rien. Mes épaules se détendirent et je me laissai tomber sur mes talons.

— Je suis contente de vous voir...

Un silence s'installa.

— Et toi, ça va ? demanda Kreg. Tu as vu Seth ?

Mes joues tiraillaient comme si un coup de soleil les avait meurtries mais au moins mes yeux étaient intacts et je ne pensais pas avoir de plaie ouverte, outre ma lèvre fendue.

— Oui, je l'ai vu. Il... Il va bien. Ils ne lui ont pratiquement rien fait.

— Pourquoi tu es trempée ?

Même dans la pénombre, je pouvais sentir que Reska me dévisageait avec une intensité singulière. J'aurais voulu lui répondre de ne pas s'en faire, que ce n'était rien mais ce n'était pas la vérité.

— Laisse-moi deviner : ils ont décidé de s'en prendre à toi pour le faire souffrir, hein ? comprit rapidement Émïoka devant mon mutisme. Je ne sais pas ce qui s'est passé entre eux mais ce type là, leur chef, a clairement la haine contre lui.

Comme je me taisais, Hildegarde siffla un juron.

— Quel taré !

Je fermai les yeux, chassant au plus loin les souvenirs de mon visage plongé dans la bassine. Les barreaux étaient frais sur mon front.

— Crool ? l'appelai-je d'une voix tremblante. Je suis désolée. Tout est ma faute. J'ai donné notre unique bouton d'anima à un petit garçon qui nous a dénoncés. Il... On n'en serait pas là si je n'avais pas tant insisté pour qu'on lui vienne en aide...

Quelle idiote ! Malgré tous mes efforts pour les contenir, deux larmes silencieuses s'échappèrent sur mes joues.

— Ah..., entendit-on soupirer Reska. Je savais qu'on n'aurait jamais dû sauver ce môme.

— Et pourquoi on te jetterait la pierre ? objecta Émïoka à ma grande surprise. Je suis paladin et cet ozard m'a attrapée comme si j'étais une vulgaire charogne à lancer dans le nid de ses petits. C'est pour m'aider que Crool a sauté au départ.

— Et moi, murmura indistinctement le loup d'une voix rauque, j'ai pensé rendre un service mais tout bien réfléchi, je crois que cette furie n'avait même pas besoin qu'on la sauve...

— On est tous responsables de cette situation, trancha Hildegarde en nous regardant l'un après l'autre. Il y avait clairement quelque chose de louche et aucun de nous ne s'en est rendu compte avant qu'on soit pris au piège.

J'ouvris la bouche, prête à dire qu'elle avait sans doute raison, que c'était un fâcheux concours de circonstances et... pleurai de plus belle. Comme j'avais honte de me montrer si faible. Dans le silence qui s'éternisait, Reska finit par s'éclaircir la voix.

— Allez, va, dit-il gentiment, quoique d'une intonation hésitante, comme si me consoler constituait une tâche infiniment plus complexe que trancher des gorges. À tout problème ses solutions, c'est toi même qui me l'as dit un jour. Là, sèche tes larmes. Il ne faut pas que ce sadique qui leur sert de chef te voie dans cet état.

C'était vrai – oui, plus que vrai – et cela suffit. Je parvins à calmer ma respiration et reniflai une bonne fois pour toutes. C'était sans compter sur l'odeur : la puanteur des lieux était si prégnante que je dus réprimer mon envie de vomir.

— Vous croyez que l'Ordre est au courant de ce qui se passe ici ? demandai-je.

— On n'en pas été informés en tout cas, répondit Reska en examinant ses plaies, appréciant l'état de leur guérison. Soit cette prise de pouvoir est récente, soit l'Ordre a oublié de sortir de son palais depuis un moment. Je ne sais pas vous mais, moi, je commence à remettre en question l'intégrité de cette chère Ilil dont on nous vantait les mérites...

Il ferma la bouche, épiant le couloir.

— Nous ne sommes pas seuls, ajouta-t-il gravement. D'autres ont été fait prisonniers, probablement pour être vendus. Ou pour je ne sais quelle lubie qu'il vaut mieux ne pas savoir. Il y a des cages dehors en plus des cellules.

— C'est pour cette raison qu'il ne vous a pas tués ? Pour vous vendre ?

Sa façon de bouger rappela un haussement d'épaules.

— Moins que pour taper sur les nerfs de Vive-Lame, j'imagine.

— J'ai peur pour lui, admis-je, la gorge sèche.

Les autres s'abstinrent de relever. Ce fut Kreg qui répondit, tout en soupirant :

— On a beau raconter des histoires sur le capitaine, il reste un mortel. Certes, capable d'endosser tout un tas de saloperies mais un mortel fait de chair et de sang. Avec des émotions et des failles, tout comme nous. Et j'ai envie de dire tant mieux. Parce que s'il était un fichu golem incapable de ressentir et de saigner, personnellement je ne serais pas ici. C'est parce qu'il est un homme comme moi – quoique bon... mille fois plus doué et plus brave –, que j'ai envie de le suivre sur un champ de bataille.

Hildegarde, appuyée contre les barreaux, sourit doucement.

— C'est la chose la plus sensée que tu aies jamais dite, mon ami.

Émïoka l'admit à son tour d'un air rêveur et Crool émit un vague bruit qui ressemblait à un acquiescement.

— Maintenant, reprit Kreg en se redressant avec un grognement d'inconfort, on pourrait tous se disputer pour savoir qui se sacrifiera pour le capitaine mais franchement je tiens quand même à ma vie. Surtout que...

Ses yeux rouges se tournèrent vers moi et un indicible tressaillement me parcourut au moment où ses lèvres formèrent un sourire.

— ... Vive-Lame n'a pas dit son dernier mot.



Je dus m'assoupir un moment car je rouvris les yeux en sursaut. Des bruits de bottes se répercutaient dans la cage d'escaliers et des faisceaux de lumière frisaient les murs. Un épais silence avait envahi la rangée de cellules voisines. Harragan fit irruption à la tête d'un cortège armé qui gravitait autour de Seth. À sa vue, mon esprit embrouillé se mit soudainement en branle. Les poignets de mon capitaine étaient toujours entravés dans son dos mais il était surveillé de près, et avec un peu de crainte, me semblait-il, par les autres. La traînée de sang sur son visage formait maintenant une croûte qui sabrait son sourcil gauche.

Ses yeux scrutèrent intensément la cellule de nos compagnons et parurent soulagés quand ils me trouvèrent pelotonnée derrière mes barreaux.

— Pouah ! Ce que vous empestez, vous tous !

Harragan mima un geste de dégoût mais, plutôt que reculer, contempla les lieux d'un air suffisant.

— Vois, Seth, je n'ai pas menti. Toute ta joyeuse équipe vivante et au complet ! Pour combien de temps, ça, ça dépendra d'eux. Et peut-être un peu de mon humeur aussi, précisa-t-il avant de darder son regard vers le coin d'ombre où je me réfugiais. Bien sûr, je me suis permis de garder mon trésor à part...

Son sourire s'affûta, gorgé d'une sombre excitation. Avec une démarche prédatrice, il approcha de ma grille, qu'il déverrouilla, et entra dans ma cellule. Je regrettais de ne pas avoir mes pouvoirs pour le cribler d'épines empoisonnées.

— L'Igelune, articula-t-il religieusement, pareil à un sommelier qui savoure un grand cru. Comme c'est intriguant qu'un si petit bijou contienne tant de pouvoir. Le Don me fascine, fille de Fal. Comprends bien, on n'en voit pas beaucoup par ici. Personne n'a de magie dans les profondeurs du Sud, hormis les pauvres idiots qui ont vendu leurs services à l'Ordre. Les autres sont partis là où l'herbe est plus verte.

Il s'ébroua avec humeur ; sa bouche se figea en une ligne dure avant de s'étirer à nouveau dans un sourire malveillant. Enfin, il se pencha, mains sur les cuisses.

— Alors, femme, as-tu appris ta leçon ? Si tu es gentille, je consens à te détacher.

Ses doigts vinrent à ma rencontre mais au dernier instant je me dérobai à sa main et relevai le menton.

— Ah ! s'exclama-t-il avec une surprise satisfaite. Je reconnais là ce regard abyssal, je suis sûr que c'est ce regard qui te plaît, Seth ! C'est le même que celui de notre chère feu Tartoth ! Pourtant, je commençais à me dire que tu ne lui ressemblais pas trop.

Lorsque je lançai un coup d'œil nerveux à Seth, ce fut pour trouver son visage concentré sur la cellule d'en face. Ses paupières clignaient par intermittence. Plongé dans l'ombre, Reska lui répondait par les mêmes signes.

— Tu as connu Tartoth ? demandai-je rapidement pour le faire parler, soucieuse de leur offrir une diversion.

— Cette perfide créature ! continua Harragan sans se douter de rien. Je l'ai aperçue après qu'elle a maudit le Cristal de Fal. C'est pour vous dire, même au Sud, on était venu nous décrire son portrait. Avant même de voir son visage, j'ai su qu'elle était une personne d'exception : ah ce port droit ! Cette figure arrogante ! Elle était plus grande, aussi. Évidemment, sa tête promettait une grasse récompense. J'ai bien tenté de la capturer mais elle nous a filé entre les doigts. Longtemps nous avons essayé de la suivre jusqu'à ce qu'elle s'envole à dos de griffon. Un griffon, oui, oui ! Après coup, je me suis renseigné sur son compte. Il paraît qu'elle avait demandé des informations sur Tarael. À mon avis, c'est là qu'elle est allée.

« L'île des dragons ! Téméraire, cette sorcière des Sept Vents ! À une époque où les bêtes hurlaient encore au-dessus des nuages. Finalement, j'ai eu trop de respect pour elle. Et quand j'y pense, aujourd'hui mon empire est le fait de son œuvre. Mais elle est morte, quelle tragique affaire...

Il me regarda, fourrageant dans sa barbe.

— Et toi, qu'es-tu en comparaison ? Une petite sorcière qui ne sait même pas correctement utiliser le Don de la Source. Et où diable es-tu es allée fourrer ta langue pour avoir un accent aussi bizarre ?

Harragan émit un rire moqueur en se tournant vers Seth qui lui rendit un regard féroce. Puis sa bouche se pinça et ses yeux bruns gagnèrent en dégoût.

— Regarde-toi, dit-il en posant une main dominatrice sur mon crâne. Précieuse mais pathétique. Tartoth ne s'est jamais laissé attraper par quiconque à part pour le grand final de la Bansidhe et voilà que tous tes petits amis vont mourir juste pour te préserver. Tu fais honte à son souvenir.

— Et toi, tu crois que toute ta vie ne fait pas honte au souvenir de ton fils ?

La gifle qui suivit sembla me déboîter la mâchoire. Mais je n'en eus pas fini car Harragan la renvoya du revers de la main. Il empoigna brutalement mes cheveux en mettant son visage à ma hauteur.

— Tu. Te. Tais, articula-t-il, l'œil empoisonné de fiel. Si tu crois avoir tout expérimenté avec la noyade, je ne manque pas d'idées pour t'apprendre la discipline.

Mes joues me brûlaient ; des larmes irrépressibles me piquaient le bord des paupières. Le corps de Seth se tendit en arrière-plan comme prêt à se rompre...

— En voilà assez, intervint la voix de Reska. Ce sont des manières qui manquent cruellement d'élégance.

Harragan négligea tout à coup ses vœux de torture à mon égard et son visage hargneux se détourna centimètre après centimètre.

— Il y a une question qui me trotte dans la tête depuis le début, dit-il d'une voix dont le calme m'effrayait davantage que ses éclats de colère. Qu'est-ce que vous foutez avec un vampire ?

— Ah ça ! Je suis un être curieux et la curiosité, cher messire, est le trésor des grands esprits. Si tu savais comme les vicissitudes de ce petit monde me stimulent. Tant de maux et tant de débâcles !

— Un vampire, jeta Harragan avec mépris en direction de Seth. Toi et ta veine de cocu.

La main du bandit me relâcha. Il se leva, semblant oublier mon existence, et se déplaça jusqu'aux barreaux métalliques qui le séparaient des autres. Les muscles de son dos se mouvaient avec une rudesse sauvage. Ses brusques accès d'humeur le rendaient aussi dangereux et imprévisible qu'un ours.

— Dis-moi, souffla-t-il suavement à l'adresse de Reska, combien te donne ce cher capitaine pour jouer au vulgaire chien de garde ?

— Bien plus qu'un homme fauché comme toi ne pourra jamais me donner.

Harragan s'accroupit avec un sourire plein d'arrogance. Son comportement me laissait perplexe. À l'entendre, il ignorait qui était Reska pour l'Ordre.

— Mais avec moi tu ne serais pas obligé de bien te conduire. Pas de règles, pas de limites. Tu pourrais causer autant de bains de sang que tu veux, poursuivit-il. Gennessis te vénérerait... si tu m'aidais à y retrouver ma place.

— Mmh, une idée fort tentante... Mais tu vois, moi aussi je dois rendre des comptes à cette petite sorcière. Ma loyauté va à mes serments. Une fâcheuse habitude que j'ai gardée de mon passé de mortel.

— Mouais. De toute manière, tu sais ce qu'on dit : fie-toi à un vampire et il te bouffera dans ton dos, renifla Harragan en se relevant. On verra combien de temps tu tiendras avant de te jeter sur tes camarades. Peut-être qu'ils se débrouilleront pour te tuer les premiers s'ils ont un tant soit peu de cervelle.

— C'est ça, oui. Ou sinon j'ai une autre alternative...

Rejetant ses cheveux noirs en arrière, Reska passa la langue sur le coin de sa lèvre avec le sourire prédateur qui me hérissait toujours le poil.

— Je ne pense pas que Vive-Lame te ratera mais s'il le fait, c'est moi-même qui t'arracherai la tête et je danserai dans le geyser de ton sang.

Cela ne dura qu'une fraction de seconde mais je crus voir les sourcils d'Harragan frémir à cette perspective. Il ne fallut qu'un instant à son visage pour retrouver son masque de granit.

— Je pourrais te tuer ici même, immonde suppôt de l'enfer ! s'emporta-t-il en frappant les barreaux qui rendirent des échos terribles. Te trouer jusqu'à faire sauter ta tête trop pensante. Toi et tous les autres !

— Moi, je ne veux pas mourir ! protesta soudain Émïoka.

En temps ordinaire, j'aurais ri aux larmes. Ce cri jailli du cœur était d'un comique pour quiconque connaissait la cait sidhe fière et audacieuse. L'œil furtivement allumé de Reska me confirma que nous partagions la même pensée : elle jouait un rôle. Ce qui fonctionna puisque Harragan se prit d'intérêt pour elle.

— J'en ai rien à faire d'eux, continua-t-elle tout en se mettant debout et trébuchant, ses prunelles félines fixées sur Harragan, implorant sa grâce. On est juste des collègues de travail. Je faisais seulement mon boulot. Je ne veux pas finir comme ça !

— Approchez-la, ordonna gravement le brigand. Que je la voie dans la lumière.

Émïoka fut amenée dans le couloir devant lui, tête baissée, tremblant jusqu'au bout des ongles comme la pauvre petite créature inoffensive qu'elle n'était pas. Harragan attrapa son menton entre ses doigts et fit pivoter son visage dans un sens, puis dans l'autre.

— Tu veux déserter ? lui demanda-t-il d'une voix basse.

— Je veux vivre, messire. Peu importe ce qu'il m'en coûte. Je ne suis pas née pour mourir là. Croyez-moi, j'ai beaucoup à offrir.

Harragan parut considérer sa proposition et caressa ses oreilles de fauve. Nous savions tous qu'Émïoka détestait être touchée de la sorte, et la voir se soumettre à ce contact avec une docilité d'agneau me mettait moi-même sur le qui-vive. Immobile, Kreg paraissait se faire violence pour assister à la scène sans intervenir.

— Mmh, réfléchit Harragan. C'est vrai que tu es une mignonne créature. Sans doute pourrais-je tirer quelque chose de toi. Enfermez-la avec la sorcière, qu'elle ne soit pas le premier festin du vampire. Bon, ça ira pour ce soir. Je réfléchirai demain à votre sort. Partons, lança-t-il en filant dans l'escalier, cette puanteur me file la gerbe !

Alors que la grille de ma cellule se fermait derrière Émïoka, Seth échangea un dernier regard avec Reska avant de poser sur moi ses yeux où l'émotion se mêlait à la rage la plus sombre.

Quand enfin Harragan et lui furent hors de vue, je m'effondrai sur le sol. La douleur sur mes joues était cuisante et il m'avait fallu un immense courage pour lui tenir tête.

— Ne t'en fais pas, ils paieront pour ce qu'ils nous ont fait, se rembrunit Hildegarde.

— J'aimerais vous croire...

— Fais-nous confiance, répondit Reska. Cet idiot se pavane comme le maître du monde mais il ne sait pas à qui il a affaire.

Mon regard traduisait mon espoir à voix haute : « Est-ce que vous avez un plan ? »

Reska eut un sourire en coin.

— À ton avis, pourquoi Malve me voulait dans cette équipe ? Et pourquoi est-ce que je tiens tant à recruter ce petit bout de femme-chat ?

De fait, la femme-chat en question était déjà fort affairée dans mon dos. Je compris à quoi lorsqu'un éclat d'acier dégringola de son épaule, tombant à terre avec un cliquetis métallique : elle m'avait un jour parlé de la barrette de secours qu'elle gardait dans ses cheveux, aussi tranchante qu'un rasoir. Émïoka s'en empara méticuleusement. Ses doigts experts tranchèrent des points de faiblesse dans les cordages qui enserraient ses poignets. Je la regardai opérer avec une sorte de fascination. Tels étaient ses talents cachés et le sourire approbateur de Reska fit tout à coup naître en moi une drôle de pensée, à savoir qu'ils n'avaient peut-être jamais été les proies dans ce camp de bandits.

Pour finir, la cait sidhe releva la tête et m'adressa un clin d'œil malicieux. Elle se déplaça à genoux jusqu'à se trouver dos à moi et son épingle s'attaqua à mes propres liens.

— Non, chuchota-t-elle lorsque je voulus m'en défaire avec impatience. Pas maintenant. Quand le moment sera venu, tire de toutes tes forces.

— Quel moment... ?

— Je ne sais pas encore. Trop de choses peuvent aller de travers. Mais il y aura un moment.

Mon regard effaré se posa sur elle, quémandant une autre réponse. Cependant elle avait déjà clos les paupières.

— Tu ferais mieux de dormir tant que tu le peux.

Impossible de trouver le sommeil comme mon esprit travaillait à décortiquer ses paroles. À l'exception de Crool dont la respiration était entrecoupée de spasmes déchirants de douleur, les autres demeuraient silencieux. Avaient-ils tous foi en notre plan d'évasion ?

Épuisée, je regardai le ciel noir à travers la meurtrière. J'imaginais un rêve où je pourrais m'échapper et me réfugier dans le cocon d'une forêt cachée du monde. Où les fleurs s'épanouiraient. Où ma famille s'extasierait sur les merveilles du Sidh. Où Seth m'enlacerait sans avoir peur de ce que nous pourrions être.

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