30 - Himalaye
Debout face au miroir, je souris à mon propre reflet. Ma robe rouge rayonnait à la lueur des chandelles. Modèle à longues manches incrustées de pierres, l'étoffe fluide et luxueuse épousait ma taille avant de s'évaser jusqu'aux chevilles. Une fente sur le côté droit, à la fois discrète et provocante, dénudait ma jambe chaussée d'une sandale à talon. En plus d'un magnifique dos échancré scintillant, l'encolure en cœur venait redessiner ma poitrine. Inhannaë m'avait proposé un rouge à lèvres dont on lui avait un jour fait cadeau mais qui ne lui seyait guère, d'un rouge tout aussi profond que le tissu. Du reste, j'avais pris le temps dans l'après-midi de couper mes pointes asséchées et de brosser ma chevelure ondulée d'un roux dorénavant plus éclairci par le soleil. À présent, devant mon miroir, je redécouvrais une femme véritablement sensuelle.
Mais dans cette élégance, il me semblait me retrouver et me perdre à la fois ; mon sourire s'estompa quelque peu. Je n'étais plus la même qu'avant. La femme se tenait les épaules dégagées, elle avait un visage éveillé et sa peau avait pris des couleurs. Et notamment, son reflet renvoyait un regard d'onyx abyssal, plus perçant et plus dur. Mon corps, plus tendre autrefois, avait gommé ses rondeurs au profit de muscles fermes et sains. J'aurais tout donné autrefois pour avoir ce physique mais cela me rappelait douloureusement combien l'ancienne Kaly avait disparu et je commençais à oublier comment j'avais vécu avant d'arriver ici.
En cheminant dans le couloir vers le vestibule, je tombai par le plus grand des hasards sur le capitaine des paladins. Il eut d'abord, non sans aviver ma fierté, un mouvement de surprise en me voyant. Avec sa chemise claire et ses dossiers sous le bras, il avait presque l'air d'un humain.
— Bonsoir, me salua-t-il le premier.
— Bonsoir, répondis-je, mal à l'aise.
Incapable de lui tenir tête, je détournai le visage et me balançai d'une jambe sur l'autre avec nervosité.
— Tu es... ravissante, dit-il au bout de quelques secondes.
Quand j'osai lever la tête, son regard sérieux était rivé dans le mien. Je me mordis l'intérieur de la lèvre, probablement aussi écarlate que ma tenue.
— Merci. Hm... tu restes là ce soir ?
— Oui, j'ai encore des affaires à régler avant de partir pour le Sud.
Il jeta un coup d'œil entendu à ses dossiers. N'ajouta rien de plus.
— Bien, murmurai-je en passant une main frénétique dans mes cheveux. Je vais y aller, Vixe doit m'attendre. Bonne soirée.
Un muscle joua sur joue alors que ses yeux parcouraient mon corps, et sa poitrine se souleva sous l'effort d'une plus grande inspiration.
— Bonne soirée, Kaly.
Je me félicitai intérieurement d'être parvenue à repartir d'une démarche assurée et je jurai qu'il se retourna pour me regarder disparaître dans le tournant du couloir. Quel imbécile, pensai-je. Il faut savoir ce que tu veux !
Vixe m'attendait en effet dans le vestibule. Il me servit son éternel sourire.
— Êtes-vous fin prête, demoiselle ?
— Tout à fait, répondis-je avec la même emphase. Allons-y, mon cher ami et, au passage, je vous trouve fort élégant !
Son rire carillonna joyeusement dans mes oreilles. Je pris son bras comme un cavalier de bal et nous descendîmes les marches illuminées de braseros en direction de la fête. Disons-le, l'événement était de ces merveilles démesurées et formidables dont le faste échappe à toute description. Les organisateurs avaient savamment œuvré pour que Cérule flamboie comme un soleil au milieu de la nuit.
Soleil car partout la lumière pleuvait et ruisselait. Des guirlandes de lanternes et de fanions balisaient les chemins fourmillant de monde, où des mains d'artistes avaient déployé des tentures aux mille et une couleurs. Au-dessus des toits crépitaient des feux artificiels, nimbant le ciel noir d'une gigantesque couronne de brume irisée. Mon cœur émerveillé paraissait retomber en enfance. La musique lointaine des fanfares de sifflets et de tambours faisait déjà chanter mon sang.
— Je suis heureuse d'être avec toi, Vixe, dis-je en me serrant contre lui. Tu m'as manqué.
— Oh, tu sais, moi j'ai eu le temps de passer à autre chose. Les amis, ça va, ça vient... Je plaisante, je plaisante ! s'écria-t-il comme j'enfonçais mon coude dans ses côtes. Chaque jour j'ai dû prier Dana de te ramener saine et sauve.
— N'exagère pas non plus, le prévins-je, amusée.
La porte d'une loge s'ouvrit près de nous et une troupe d'acrobates en sortit avec un air d'importance en exhibant coiffures et costumes extravagants.
— Alors, lui demandai-je, est-ce que c'était aussi coloré dans ta ville ?
— Oh non ! L'ambiance y était aussi festive mais il y avait bien moins à faire qu'ici.
— Tu n'as pas envie de rentrer parfois ? Voir ta famille ? Et te connaissant, tu devais avoir plein d'amis.
— C'est surtout mon meilleur ami que je voudrais revoir. On était une équipe du tonnerre. Pour tout dire, c'est uniquement grâce à lui que j'ai pu me faire recommander aussi vite à Cérule. Je te jure, j'avais jamais donné un coup de poing de ma vie avant de le connaître. Il m'a botté les fesses pendant deux ans avant que je m'enrôle dans l'armée.
— Il est soldat lui aussi ?
Un mince sourire incurva les lèvres de Vixe.
— Non. On va dire que c'est... un mercenaire.
Le centre-ville était le siège d'un immense rassemblement. On eût dit que la capitale formait un noyau grossissant, passionné. Les gens, vêtus de leurs plus beaux atours, festoyaient dans les rues et depuis leurs balcons, riaient comme si l'avenir s'annonçait aussi radieux que cette nuit.
Et cependant, malgré le plaisir de toute cette joyeuse insouciance, je ne parvenais pas tout à fait à me défaire d'un sentiment d'insécurité. « Nous lui prendrons ce qui lui est cher »... Cette variable inconnue empoisonnait, parasitait mon esprit.
— Un problème ? demanda mon partenaire.
Ma main cramponna plus fort son bras et je lui exposai la raison de mon inquiétude.
— Je vois... Un message adressé à la Bansidhe en personne, réfléchit-il. Bizarre que les Piafs l'aient impliquée dans l'affaire. Si leur but était de te menacer, c'est plutôt à toi et toi seule qu'ils auraient dû envoyer ce message. C'est peut-être une nouvelle manière de ridiculiser l'Ordre.
— Je ne sais pas. Je n'y comprends rien, Vixe...
Remarquant l'attention nerveuse que j'avais portée autour de nous, il me donna une chiquenaude amicale sur le front.
— Ne gâche pas ta soirée avec ça, me rassura-t-il. Il n'y aura pas d'attentat le soir d'Himalaye. Tout va bien se passer, on est ensemble ! À condition que tu me plantes pas comme l'autre fois au Chaudron, hein !
Sa plaisanterie apaisa une partie de mes angoisses. J'adorais décidément ce lutin. Je l'adorais. Nous avisâmes Hildegarde au cœur de la fête. Entourée d'un groupe de paladins, la guerrière portait une tunique blanche brodée sur un pantalon sombre qui moulait ses jambes athlétiques, et des bottes hautes à revers. Ses cheveux blonds étaient enduits d'une pâte brillante et deux discrets traits de khôl soulignaient son regard argent. Une beauté androgyne. Vixe prit un air benêt.
— Ça alors ! nota-t-elle en nous détaillant tour à tour, un sourire narquois au coin des lèvres. Je n'imaginais pas que mes deux minus préférés auraient autant d'allure.
— Préférés ? rebondis-je d'un ton complice. On est tes préférés ?
Elle eut un mouvement de tête en direction de son groupe qui l'observait en gloussant.
— Ce n'est certainement pas pour me rendre populaire que je traîne aussi souvent avec des mijaurées comme vous.
— Que voilà des compliments ! s'exclama Vixe. Dites donc, votre voyage à l'Ouest a fait de vous des personnes différentes, non ?
Les yeux d'Hildegarde pétillèrent.
— En tout cas, il y en a un qui est bien resté le même. Allez-y sans moi, je bois encore quelques coups et je vous retrouve plus tard.
Vixe acquiesça et, avant de nous conduire autre part, se retourna insensiblement.
— Au fait, lança-t-il, tu n'es pas trop mal non plus.
On n'eut pas le temps de voir l'expression de la guerrière mais ses camarades l'accueillirent avec moult rires et sifflements.
Plus nous progressions et plus la fête se révélait un prestige. Cérule était exaltée. Chaque coin de rue fourmillait d'une animation entre spectacles de danse, représentations de chants, art en temps réel... Des concours de toutes disciplines se succédaient sur une estrade. De temps à autres, nous reconnaissions sur scène un soldat révélant un talent insolite. Vixe et moi commentions les spectacles en dégustant des apéritifs et des fruits glacés.
Pendant qu'un homme faisait jouer sur scène trois instruments par sa seule magie, je reconnus Reska parmi le public entouré de trois ravissantes jeunes femmes à la peau verte. Sa tête pivota dans ma direction dès qu'il devina mon regard sur lui. Une chemise bleu roi accusait son teint pâle sous une veste de costume noire piquée de broderies d'or. Avec un sourire plein de nonchalance, il s'excusa auprès de ses invitées et se déplaça jusqu'à moi.
— Eh bien, quelle sublime sorcière, elle m'a enflammé la vue !
Sa flatterie inattendue me choqua moins que le baisemain qu'il m'accorda ensuite.
— Quel charmeur, il m'a fait rougir, dis-je d'un ton effronté. Trois cavalières, messire Main Noire, vous êtes sûr que ça vous suffira ?
— Peut-être m'en faudrait-il une de plus, en effet, proposé si gentiment.
— Je vous sens d'aussi bonne humeur que... généreux ce soir, répondis-je avec une timidité que je regrettai aussitôt, car il en profita pour se pencher à mon oreille.
— Évidemment. Les sangs de fête sont des délices qu'il serait fou de manquer, murmura-t-il si bas que je crus le rêver.
Ses yeux vairons me scrutèrent pendant un moment avant de se désintéresser de moi. Je recoiffai machinalement mes cheveux et tombai sur le regard de Vixe à quelques mètres qui leva très haut les sourcils.
Les spectacles eurent tôt fait de nous lasser et nous nous dirigeâmes vers des stands de jeux. À son grand dam, mon ami crut bon de me défier au lancer de surins.
— Je t'ai battu ! m'écriai-je en bondissant, victorieuse. Va me chercher un verre, et que ça saute.
Vixe s'éloigna accomplir son gage en grommelant.
— Belle performance, p'tiote, dit une voix graveleuse à l'arrière. M'intéresserait d'voir ça en tenue d'combat.
Surprise, je me retournai pour découvrir un nain à la figure burinée. Je reconnus Jagga, l'armurier attitré des paladins. Une chope à la main, il contemplait d'un œil songeur les cibles marquées en leur centre.
— Vous croyez que c'est le moment de me vendre une armure ? répondis-je, à moitié amusée.
— Déjà fait. Vive-Lame m'a d'mandé une commission un peu particulière. Six cuirasses qu'il a commandées ; assez discrètes pour mettre des habits d'ssus mais pas trop pour éviter de s'faire planter par une flèche. J'lui ai dit qu'il y a que l'orichalque qui permet d'faire des cuirasses comme ça, et que l'orichalque ça court plus trop les rues depuis l'blocus de l'Est. Bah ! Le chef a même pas cillé d'vant le prix. Paladins ou pas, c'est pas tous les jours qu'l'Ordre dépense autant pour un escadron.
— Je suis navrée mais je ne comprends pas ce que vous me chantez, messire, prétendis-je ingénument.
— Ha-ha ! L'engeance d'la traîtresse, qu'on dit, et ça ment presque aussi bien !
Une lueur mesquine s'alluma dans les yeux de Jagga. J'agrippai le comptoir du stand, forçant mon visage à adopter un masque de froideur.
— Qu'est-ce que vous voulez ? articulai-je sèchement, comme si cette révélation (il savait !) n'allumait pas des dizaines de cloches d'alarme en moi.
— Mais rien... Rien, dit-il en levant ses mains devant lui. Juste me r'mettre en tête le portrait craché d'Rehad.
J'en fus coite. « Rehad » ? Qui était « Rehad » ? Mais Jagga carra les épaules et recula dans la foule qui ne tarda pas à l'engloutir comme une vague. Vixe revint avec nos boissons.
— À la tienne, s'exclama-t-il en levant son propre verre.
Longtemps je regardai l'endroit où le nain avait disparu. Lui qui m'avait dévisagée d'une manière si singulière le jour de notre rencontre, avait-il déjà compris qui j'étais ? À cause de cette personne ? « Rehad » ?
Mon verre toujours en main, je fus arrachée à mes songes par un concert d'exclamations juvéniles. À quelques pas de nous, un théâtre de marionnettes tenait en haleine un groupe d'enfants assis devant le castelet.
— .... Il n'y avait plus de Cristal ! La vilaine sorcière avait plongé le monde dans le désastre. (Le décor de la petite scène se mit en branle.) La pluie noya la terre ; le feu brûla les semences ; le vent hurla. Tous les paladins partirent en chasse et, quatre ans plus tard, certains la retrouvèrent alors qu'elle dormait au sommet d'une montagne. Cinq d'entre eux périrent au cours de leur vaillant périple pour la ramener à Cérule. Chaque jour elle invoquait le démon et riait de leurs malheurs.
« Ils revinrent ici même, là où tout avait commencé. La généreuse Bansidhe proposa de lui offrir le pardon à condition qu'elle rende au Sidh la pierre de Fal. Mais la sorcière refusa. Dana demanda qu'on la punisse, et punie elle fut. Depuis ce jour, l'Ordre veille sur nous et Bánh Malve s'efforce de restaurer le monde pour ses braves citoyens.
Je sentis mes sourcils se froncer et rattrapai Vixe au pas de course qui s'envolait vers une autre destination. Sur une place circulaire qu'on avait aménagée en piste de danse, une musique entraînante aux sonorités celtiques battait son plein. Les joues roses de plaisir, Vixe se tourna vers moi ; je devinai la suite d'avance.
— Viens, il faut danser, c'est Himalaye !
— Mais je ne connais pas les danses d'ici, protestai-je timidement.
— Pas grave, je vais t'apprendre. L'essentiel, c'est qu'on s'amuse !
Un argument classique, certes, mais qui prenait tout son sens dans la bouche de Vixe ; et l'ounya, de toute façon, me libérait quelque peu de mes appréhensions. Notre duo se positionna dans un premier temps derrière les autres afin de prendre la cadence, puis lorsque les danseurs se dispersèrent en couples, mon ami attrapa mes mains.
— Laisse-toi faire ! rit-il.
Il me fit exécuter une pirouette brutale et m'intercepta par le poignet. Tel le fanfaron qu'il était, il utilisa tout notre espace, bougeant sans cesse et nous ballottant de tous les côtés. Notre danse était joviale, et probablement ridicule, mais tout ceci était très amusant ; je m'abandonnais aux rires dans les bras de Vixe dont le comique théâtral divertissait la galerie. Son sourire éblouissant était comme une lumière suppléée à la fête.
— Et donc, tu regrettes d'être venue ? me demanda-t-il quand l'orchestre ralentit la danse.
— Hm... j'ai la chance d'être bien accompagnée. Mais à ce sujet, tu ne veux pas te rapprocher d'Hildegarde ? lui demandai-je, comme il ne cessait de jeter des coups d'œil à la dérobée à la vulkane qui concurrençait maintenant Kreg à un jeu de force. Monsieur « tu-n'es-pas-trop-mal-non-plus ».
Ma question le prit de court ; ses joues s'enflammèrent.
— Euh, je ne sais pas ce que ça donnerait... Elle a peut-être... Non, enfin...
— Qu'essaies-tu de dire ?
— Rien. Mais je... C'est un paladin ! Et je ne sais même pas si...
— Si... ?
— Je ne sais même pas si Hilda aime les garçons !
— Qu'à cela ne tienne ! Tu ne pourras jamais être fixé si tu ne tentes rien. Ça crève les yeux qu'elle te plaît. Enfin, tu l'apprécies, non ?
Vixe grommela quelque chose d'inintelligible sans faire mine de me lâcher. Une ride inquiète parcourut son front, vite effacée.
— Pas aujourd'hui, finit-il par répondre. En plus, j'ai promis de ne pas te laisser seule ce soir, je te rappelle.
— Qui a dit qu'elle était seule ?
C'était une voix ronronnante et suave, à l'intonation familière. Reska, tout juste apparu, s'inclina devant moi dans une brève révérence. Il me proposa sa main avec un sourire tiède :
— Danse avec moi.
Vixe s'était figé comme une statue, soudain très pâle, la sueur au front. Malgré ma propre stupeur, je le rassurai d'un hochement de tête avant d'accepter l'invitation de Reska. Ce dernier ne fit plus aucun cas du lutin ; il enserra ma taille, positionna ma main sur son épaule et glissa ses doigts dans celle qui me restait de libre avec une grâce fascinante.
— Je dois dire que ton choix d'amis n'est pas très judicieux, commenta-t-il en plissant ses yeux moqueurs. Ce gnome est près de mouiller son pantalon chaque fois qu'il me voit.
— Comme si la situation ne vous comblait pas de plaisir... Mais plus important. Pourquoi êtes-vous là ? Êtes-vous déjà lassé de vos charmantes partenaires ?
— Ah ! « Lassé » signifierait qu'elles aient d'abord un tant soit peu captivé mon intérêt. Et malgré ton côté enquiquineur, aucune de ces dames ne vaut le plaisir de ta compagnie.
Il nous déplaça avec un savoir-faire de valseur entre les couples et me fit virevolter comme s'il connaissait par avance les prochains coups de l'orchestre.
— J'ai l'impression que vous venez d'un milieu aisé, dis-je pour converser, mais son contact me faisait frémir.
Il se rengorgea de mon commentaire aussi ingénu qu'évident et découvrit ses dents blanches. Ses canines, pour une fois, étaient invisibles.
— Fils de vicomte, princesse. Je suis presque déçu que tu n'aies jamais mené ta petite enquête à mon sujet.
— Fils de vicomte... ?
— Absolument. Comme dans toutes les maisons nobles, les mondanités faisaient partie de mes obligations. Les bals sont des mines de conflits de pouvoir. L'art de danser est tantôt une frivolité, tantôt un formidable arsenal politique. En invitant, j'ouvre sur une perspective. Qui conduit à la menace... ou à la séduction.
Il me renversa en arrière et ses yeux s'assombrirent à la vue de ma gorge tendue. Je déglutis, trop consciente de l'émoustillement que sa prise ferme, avide, provoquait en moi.
— Comment trouvez-vous le temps de venir ? demandai-je une fois relevée. Je suis tombée sur Seth, il croulait sous la paperasse...
— J'ai des esclaves pour le faire.
Il avait cette façon mesquine de dire des aberrations au point qu'elles n'en paraissaient plus.
— Tu espérais une invitation de Vive-Lame ?
— Non. Et de toute façon, j'ai du mal à l'imaginer dans ce genre d'événement, rétorquai-je avec une indifférence qui n'aurait pu duper personne – et surtout pas lui.
— Oh ! détrompe-toi, même si je ne l'ai pas souvent vu venir avec des compagnes au bras.
Un tic nerveux sauta sur ma joue. J'ignorais si je devais me réjouir que mon capitaine ne fût pas un homme à femmes – ce dont je me doutais déjà – ou me vexer de ne pas valoir ses précédentes conquêtes. Mais de toute façon, cela ne me concernait plus. Ne m'avait jamais concernée, même. Craignant d'être trop lisible, je réagis par une pique :
— Vous n'avez pas non plus l'air de venir avec des compagnes au bras mais plutôt de repartir avec.
— Il y a tant de belles fleurs ci et là, j'ai l'embarras du choix... et toute la vie pour butiner, murmura-t-il près de ma tempe.
Son regard était devenu provocateur. Sur un changement de tempo, il resserra son bras dans la cambrure de mes reins et ses phalanges effleurèrent mon dos nu en y laissant une traînée de frissons. Mon souffle se coupa et ma main sur son épaule se raidit. Avec Reska, la danse avait une toute autre connotation, elle s'apparentait à une chasse diablement érotique. Et si j'avais fait semblant d'ignorer ses intentions, je les voyais clairement désormais : ce soir, c'était sur moi qu'il avait jeté son dévolu. Je soutins son regard et ne le repoussai pas.
Reska me fit alors tourner avec une délicatesse étudiée. Ses doigts pianotaient lentement sur ma peau. Il avait conscience de chaque centimètre dressé sous ses caresses, de mes muscles tendus pour les recevoir, des battements frénétiques de mon cœur, pompant le sang qu'il convoitait. J'ignorais si je désirais vraiment aller plus loin avec lui mais sa façon de me toucher était une promesse de plaisir et je me rappelais les propos qu'il avait tenus à l'auberge de Sazel. Une chaleur étonnante, insoupçonnée, s'éveilla pour lui au creux de mon ventre. Je crois surtout que mon cœur recherchait un réconfort léger et facile.
D'un geste d'une grande douceur, il écarta les cheveux de mon cou et parut regarder un univers qui ne s'offrait qu'à ses yeux de vampire. Sa voix était rauque quand il approcha son visage du mien, si près que nos souffles se mêlèrent :
— J'en ai envie tous les jours mais ce soir encore plus.
— Je croyais que c'était uniquement mon sang, pas mon corps qui vous intéressait, répliquai-je avec témérité.
Avec un petit rire polisson, Reska m'empoigna d'une main pour me retourner et pressa son corps contre le mien. Ses doigts parcoururent lentement mon flanc, mon ventre, à la limite de cette chaleur troublante et interdite. Je sentis son sourire contre ma nuque et son haleine fraîche hérissa ma peau.
— Seul un imbécile ne changerait pas d'avis.
Je me cambrai légèrement contre lui. Mon souffle était haché.
— Je voudrais le goûter, juste une fois, dit-il. Sentir sur ma langue le goût de la forêt et du sucre des fleurs pendant que je t'enverrais jouir plus haut que les étoiles.
Je retins de peu un gémissement tandis que ses doigts se crispaient sur ma hanche pour m'attirer plus près de son bas-ventre. La rigidité montante que j'y sentis me fit perdre la tête et je sus qu'il flairait mon émoi.
— Qu'en dis-tu, Kaly ? chuchota-t-il à mon oreille d'une voix langoureuse que je ne reconnaissais plus.
— Ce ne serait pas raisonnable, murmurai-je vaguement, l'esprit embrumé, à peine consciente de la musique et des gens. Vous avez failli me tuer une fois.
Il effleura du bout du doigt le trajet de ma carotide et je sentis un grondement vibrer dans sa poitrine.
— Cette fois, je ne te tuerai pas.
Quelle inconsciente irait se donner à un vampire ? Mais au moins, Reska acceptait ses désirs et je n'avais plus été touchée de cette manière depuis trop longtemps. Ce ne serait qu'une fois sans suite... Il m'obtint pour de bon quand ses dents s'enfoncèrent dans ma chair, me retenant contre lui par cette seule pression. Sa langue explora ensuite doucement les contours de l'hématome qui fleurissait et je me sentis haleter sans aucune pudeur.
Je l'aurais volontiers suivi dans sa chambre – ou qu'importe, dans son cercueil – finir ce que nous avions commencé si quelque chose, à ce moment, ne s'était pas brisé dans mon cœur.
Ce fut comme... comme un éclair qui éventre le ciel, un déchirement au plus profond de mon être, cette seconde suspendue dans l'immobilité de la stupeur avant que le temps, ce temps cruel et terrible ne reprenne son cours.
— Res..., commençai-je, vacillante.
Des chandelles dansaient devant mes yeux. Reska me retenait par le bras ; il me parlait mais sa voix était trouble et sourde. Je le poussai de côté et m'extirpai difficilement de la foule en jetant des regards paniqués autour de moi. Un indicible sentiment d'angoisse me nouait les entrailles.
Ce qui lui est cher...
Et puis, je la vis. La fumée dense qui s'échappait au-dessus de l'enceinte de la ville.
Mon sang ne fit qu'un tour.
Sans doute dus-je courir car j'arrivai aux jardins les poumons saturés et brûlants. Derrière les grandes portes de la muraille déjà ouvertes, un attroupement de personnes observait la catastrophe.
Ce qui lui est cher...
La forêt était en feu. Un immense feu s'étendant sur des kilomètres dont la lueur éclairait le ciel d'un orange sinistre. Mes genoux se dérobèrent sous moi.
— Non, non, non, murmurai-je d'une voix épouvantée.
Mes doigts plongèrent dans l'herbe et mes sens se mêlèrent à ceux de la verdure d'Asraell. La forêt hurlait sa souffrance alors je hurlai avec elle : toutes mes chairs semblèrent se consumer en même temps que la sève prenait feu et que les feuilles se réduisaient en cendres. Mais je devais être là, je ne pouvais la laisser seule. Cet incendie n'avait rien de naturel, je le sentais, elle me le disait...
Quelqu'un me saisit à bras-le-corps et me souleva d'une traite, me forçant à rompre le lien. Je me débattis fougueusement, en proie au plus violent désespoir, et quelque part sous nos pieds le sol se mit à trembler.
— Assez, dit la voix de Reska qui semblait venir de très loin. Ça ne sert à rien, tu te fais du mal...
Je cessai peu à peu de résister, secouée de sanglots, pendant qu'il me murmurait je ne sais quelles paroles rassurantes à l'oreille. Mais mon élément se mourait sous mes yeux. Il se mourait et je n'y pouvais rien. Il se mourait.
— Regardez ! lança soudain une sentinelle. Il y a quelqu'un !
Aussitôt, je me dégageai de l'étreinte de Reska et chassai mes larmes pour avoir une meilleure vue. Bien loin de là se tenaient deux silhouettes à l'horizon, regardant vers nous. Vers moi. Alors il s'agissait bien d'un incendie criminel ! Et l'on avait touché à ma forêt ? À ma nature innocente ?
Non... Ils n'en sortiraient pas indemnes.
Non.
Envahie d'une fureur sans nom, je commençai à dévaler la colline. La terre fut secouée d'un violent séisme d'une magie déchaînée.
Des voix près du mur crièrent de me rattraper mais il était trop tard.
Une énergie furieuse ébouillantait mes veines. Le sol se craquela pendant que des grondements sourds accompagnaient chacune de mes foulées. Je n'étais plus animée que par la haine, une haine viscérale et vengeresse. Kreg arriva à ma hauteur ; il se lança dans mes jambes et roula avec moi dans l'herbe avant de m'immobiliser en croix sur le sol. Mais personne à cet instant ne pouvait se mettre en travers de mon chemin.
— Kaly, tu es en train de tout détruire ! aboya-t-il pour couvrir les bruits du chaos tout autour.
— Lâche-moi ! hurlai-je.
Une onde incontrôlable me traversa et Kreg fut projeté en arrière. Il y eut des cris d'affolement tout autour, le fracas de pierres fissurées. Le tocsin sonnait à présent, hurlait au cœur de la ville dans une cacophonie dissonante –depuis combien de temps ? Je me remis debout, les yeux perdus sur la cime des arbres en feu. Oh, ma terre, ma pauvre terre adorée ! Elle avait si mal ! Elle avait si mal et je ne pouvais pas la sauver ! Mon cœur, meurtri, se rétractait en même temps que les racines de cette forêt dévastée tandis que je me tenais là, surplombée par ces flammes d'injustice. Impuissante.
Alors que je me griffais le visage, criant de détresse, Seth apparut tout à coup devant moi. Il prit mes joues entre ses mains chaudes et me força à affronter son regard.
— Calme-toi, dit-il. S'il te plaît, calme-toi.
Sa voix se fraya un passage à travers les tisons de ma raison calcinée. Ma vision se troubla et je me réfugiai dans ses bras en sanglotant, incapable de juguler le torrent de magie qui se déversait de moi. Mais alors qu'il me caressait les cheveux et que son parfum m'apportait un peu de réconfort, je sentis trop tard la présence de quelqu'un d'autre en arrière.
Un métal glacé se referma autour de mon cou. À travers un nuage rosé de poudre je distinguai le visage d'Armandiel, et l'instant d'après, ce fut le néant.
~ * * * ~
Je repris connaissance dans une atmosphère que je connaissais bien. La belle elfe guérisseuse passait un chiffon imbibé d'eau fraîche sur mon visage.
— I... Inha ?
Elle esquissa un doux sourire.
— Comment te sens-tu ?
— Nauséeuse, murmurai-je en me redressant.
Un vertige me fit pousser une plainte et je pris une inspiration en me frottant une paupière. Je remarquai alors la présence d'Armandiel qui, appuyé au bureau, me guettait d'un air grave, et de Seth assis sur un tabouret près de moi.
Instinctivement, je portai une main à mon cou. Il y avait...
— Enlevez-moi ça, prononçai-je d'une voix rauque.
— C'est trop tôt, objecta Armandiel en se tendant, sourcils éminemment froncés, comme si je pouvais représenter une sérieuse menace, tu...
— Enlevez-moi ça ! S'il vous plaît... Je vous en prie... Enlevez-moi ça !
Le sang rugit dans mes oreilles et je me recroquevillai autour de mes jambes. Mes doigts tirèrent inutilement sur le métal, le lacérèrent. Je sentis l'air me manquer...
— Au nom de Dana, retire-lui ce foutu collier, Armandiel !
La fureur de Seth avait jeté un silence dans la pièce. Il y eut quelques bruits de pas hésitants, puis une main approcha de ma nuque. Armandiel murmura une formule en langue ancestrale et le poids autour de mon cou céda.
Le soulagement ne m'empêchait pas de trembler de tout mon corps.
Seth se leva ; les lattes du lit grincèrent quand il s'assit à son bord et il enveloppa mes mains des siennes.
— Tout va bien, ma belle, dit-il très doucement. Rien ne te sera fait sans ton accord.
J'exerçai une faible pression sur ses doigts en retour, reconnaissante. Aucun mot ne me venait mais je ne voulais surtout pas qu'il me lâche. Quand je m'aventurai à lever la tête, ce ne fut pas pour tomber dans son regard. Ses yeux, étranges, étaient posés sur mon cou...
— Nous n'avions pas d'autre recours que l'Igelune, nous coupa la voix d'Armandiel qui tenait entre ses mains les deux moitiés du collier. La muraille allait s'effondrer à ce rythme.
— Désolée, murmurai-je. Je n'ai pas fait exprès.
— Fort heureusement.
L'archimage lâcha un profond soupir en allant reposer l'entrave. Inhannaë se tenait en retrait comme une vierge de Nazareth, le visage luisant d'émotion. Soudain je sursautai.
— Kreg n'a rien ?! m'écriai-je en pressant le bras de Seth.
— Rien de méchant. Il s'en remettra.
— Qui... ? demandai-je d'une voix vacillante. Qui a... ?
Je n'avais pas le courage d'aller plus loin. Seth échangea un regard avec Armandiel.
— A priori des Faucons. Une enquête est en cours, Reska lui-même est sur l'affaire.
Ses yeux dorés me regardèrent attentivement. Je baissai la tête en me mordant la lèvre avec rage. Sales Faucons Obscurs, comment avais-je pu croire un seul instant qu'ils œuvraient pour le bien ? J'étais profondément naïve, manipulable ; cet incident en était la preuve. Les Faucons étaient nos ennemis. On m'avait mise en garde depuis le début et tout le monde le savait ; c'était presque une maxime ici ! Alors pourquoi avais-je essayé à tout prix de justifier leurs actes ? Pour blanchir Tartoth ? Elle était comme les autres, une ennemie, une traîtresse, honnie à juste titre. À présent, je me sentais stupide. Stupide et leurrée.
La Bansidhe en personne ne tarda pas à faire son entrée dans la pièce, secondée de son maître des calomnieurs. Elle était bien la dernière personne que j'avais envie de voir et sa présence ne fit qu'accentuer mon malaise.
— Les sorciers des Quatre Terres ont la plus puissante harmonie mais leur plus grande faiblesse réside dans la vulnérabilité d'une partie de leur élément, annonça-t-elle d'une voix sans timbre. Par malheur, je n'avais pas envisagé de telles représailles.
— C'est dommage, lançai-je amèrement.
Son regard devint austère.
— Kaly, tu es dangereuse. À toi seule, tu as ébranlé les fondations du mur. Il nous faudra des semaines avant de restaurer ce que tu as détruit – des semaines où nous serons vulnérables, à la merci d'une offensive.
— Elle n'avait pas conscience de ce qu'elle faisait, ma dame, objecta sobrement Seth.
Il s'était redressé dès l'instant où Malve avait surgi des portes. Les muscles puissants de son dos formaient un rempart entre elle et moi.
Son intervention fit vaciller une lueur dans les yeux de la Bansidhe, mais très vite son visage retrouva son empreinte marmoréenne.
— Dans tous les cas, reprit-elle, il est impensable que tu puisses t'abandonner à de telles émotions. Tu renfermes un pouvoir si grand qu'il risquerait de devenir incontrôlable et...
— À ce que j'ai lu, les Sang-Premiers n'ont jamais été contrôlables, répliquai-je froidement.
Les mâchoires de Malve tressaillirent et cette fois la fureur parut traverser son regard. Malgré ma grave erreur de jugement sur les Faucons, mes sentiments à son égard étaient inchangés : Malve était un personnage enveloppé de trop de mystères et je ne pouvais lui donner ma confiance. J'ignorais encore ce qu'elle avait accompli par le passé, si elle avait menti, trompé et si elle avait été assassin.
Levant des yeux sombres sur elle, je me mis à la sonder. Elle avait été assassin : elle avait tué celle qui m'avait précédée.
— Comment avez-vous fait pour piéger Tartoth ?
Seul un silence prolongé me répondit. Je me levai et contournai Seth pour lui faire face. Il y avait encore peu, une confrontation avec la Bansidhe m'aurait glacée de terreur, mais je m'en moquais à présent.
— Quel stratagème avez-vous utilisé contre elle ? Une embuscade à l'Igelune pour mieux l'avoir à votre merci ? demandai-je en maîtrisant les tremblements de haine dans mes paroles.
— Tu ne veux pas le savoir.
— Si, je le veux ! m'écriai-je. J'en ai besoin !
Autour de nous, Reska et Armandiel bougèrent, se rapprochant de leur souveraine plus près que nécessaire. Je la regardai dans le blanc des yeux et ma voix se brisa, car malgré tout...
— C'était... c'était ma mère.
— Je comprends ton sentiment. Néanmoins, je juge préférable de garder pour moi cette information.
Malve avait redressé le menton dans toute sa digne condescendance. Sa déclaration me laissa bouche bée lorsque j'en compris la raison.
— Vous gardez un moyen de pression au cas où je deviendrais « incontrôlable »..., devinai-je en secouant la tête, abasourdie.
— Je n'ai pas le choix, Kaly. Tu es une Sang-Premier. Tu es un danger public, un danger pour nous tous. L'expérience avec ta mère m'a suffi comme leçon.
— Bien sûr, vous n'avez pas le choix.
Tout mon mépris pour elle transpirait dans ces paroles pendant que son œil d'azur froid continuait de me jauger avec une fixité terrible.
— J'en ai assez de n'être qu'un pion à vos yeux, laissai-je tomber.
— Alors, termine tes engagements et tu seras libre de faire ce que bon te semble.
Nous nous regardâmes plusieurs secondes en chiens de faïence. Finalement, je quittai la pièce en trombe et courus vers l'arène où j'éventrai un baudrier de dagues que j'expédiai avec toute ma fureur. Manipulée, j'étais manipulée dans les deux camps, le couteau sous la gorge. Les lames se fichèrent dans les cibles sans apaiser mes émotions et, lorsque mes munitions furent épuisées, je poussai un cri rauque et m'accroupis la tête entre les mains. Je ne savais plus ce qu'il était juste de faire ou croire. Je ne savais plus.
J'entendis le grincement du portail et un bruit de pas feutrés sur le sable. Les pas de Seth. Le cœur lourd, j'allai ramasser mes dagues en prenant soin d'éviter son regard. Probablement que Reska et lui avaient aussi connaissance de ce moyen de me nuire précieusement gardé ; je ne pouvais avoir confiance en personne. Même si Seth m'avait rejetée, je m'étais au moins persuadée qu'il s'était attaché à moi à mesure du temps. J'avais cru l'entendre dans ses mots, le lire dans son regard. Mais toutes mes croyances avaient disparu en l'espace d'une soirée. Toutes mes croyances et ma pauvre nature...
Seth me tendit en silence deux lames par la garde et j'hésitai avant de les saisir, les yeux baissés.
— Merci mais je me débrouille, murmurai-je d'une voix éteinte.
— Kaly.
Il m'arrêta par le bras mais je me dégageai et reculai d'un pas en me recroquevillant.
— Arrête de me fuir, m'implora-t-il, le visage défait.
— Et toi, arrête d'agir comme si je comptais pour toi !
Ma vue était floue, j'étais sur le point de craquer, à nouveau.
— Arrête de me faire croire que je suis importante..., soufflai-je.
Je me retournai aussitôt et marchai à grandes enjambées vers le reste des cibles. Seth, pour sa part, en était resté coi. Son mutisme ne fit qu'accroître ma colère et ma souffrance.
— Je pensais pouvoir te faire confiance ! Mais après tout, tu es capitaine de Cérule et tu es sous les ordres de Malve, et tu serais prêt à utiliser ce moyen de pression si elle te le demandait !
Ramassant mes dagues, je les rangeai furieusement dans leur étui.
— C'est pour ça que tu me surveilles de si près, c'est...
— Qu'est-ce que tu racontes ? s'exclama-t-il d'un air incrédule. Je ne savais rien à ce sujet !
Un sanglot m'obstrua la gorge. Je refusais de me faire manipuler par lui. Je ne m'en remettrais pas. Seth avança d'un pas prudent.
— Kaly, je n'ai aucune intention de te faire du mal.
— Pourquoi devrais-je te croire ?! répliquai-je comme une furie. Toi comme les autres, vous m'avez brisée une première fois dans cette prison, vous étiez sur le point de me tuer, même en sachant que j'étais innocente ! Et je t'ai pardonné parce que je te croyais différent et que tu m'as amadouée avec de belles paroles, alors qu'au fond je ne suis encore qu'une fichue prisonnière !
— Tu sais que c'est faux, je préférerais me tuer plutôt que te causer du tort à nouveau !
— Laisse-moi tranquille ! hurlai-je en pressant mes paumes contre mes yeux.
Désemparée, je m'enfuis vers une autre cible pour récupérer mes dagues. Pourquoi s'obstinait-il à rester ? Chaque seconde passée avec lui me détruisait le cœur en même temps qu'il l'exaltait, et je n'en pouvais plus, je n'en pouvais juste plus. Tandis que je rangeais en toute hâte les lames dans leur étui, une d'entre elles manqua de m'érafler le bord de la main et glissa au sol dans un bruit de cliquetis métallique.
— Ça suffit, tu vas te blesser !
Cela ne m'arrêta pas pour autant. J'avais besoin de m'occuper. Et au fond, j'avais besoin de Seth, besoin qu'il s'en aille et qu'il reste à la fois. L'esprit confus et brumeux, je ne vis pas, ni ne sentis mon capitaine s'approcher dans mon dos. D'un geste ferme, il attrapa mes poignets et me força à lâcher mes armes ; alors je protestai sans pour autant me débattre car je savais que si je le faisais, il m'aurait laissée partir. J'aurais dû le détester mais une part de moi me soufflait encore de lui faire confiance, cette part qui s'en remettait tout le temps à lui, mais je n'y arrivais pas non plus ; je ne savais plus ce que je voulais.
— Je ne veux pas que tu me mentes..., geignis-je.
Quelques larmes débordèrent de mes yeux et roulèrent sur mes joues. Je ne voulais pas de ce jeu là, je n'étais pas assez forte. Ses pouces vinrent caresser mes poignets et il se pencha au-dessus de mon épaule.
— Je t'en prie, Seth, ne me mens pas...
— Je te jure que j'ignore de quoi elle parlait, murmura-t-il contre ma tempe.
Sa poitrine se soulevait et s'abaissait régulièrement dans mon dos, donnant une cadence aux battements de mon cœur. Peu à peu, sa respiration imprima un rythme à la mienne et son étreinte se desserra progressivement pour se faire plus tendre. Il entoura mes épaules d'un bras et glissa sa main libre dans la mienne pour la serrer entre ses doigts. Cruelle douceur qui savait apaiser mes tourments ! Cruelle et nécessaire douceur qui me faisait tant espérer.
Au bout d'un moment, Seth finit par me retourner face à lui ; l'or de ses yeux était plus profond que jamais et il sécha mes joues humides.
— Je le jure, répéta-t-il à mi-voix.
— Puis-je te croire ? persistai-je à murmurer.
J'étais si perdue. Je voulais lui faire confiance mais la peur d'être trompée s'érigeait comme un rempart. Seth m'observa avec attention. Alors, sans promesse fallacieuse, il m'offrit le seul gage de sincérité que je pouvais obtenir.
Il pencha la tête sans cesser de me regarder et ses lèvres douces et chaudes se contentèrent d'abord d'effleurer les miennes. Ma respiration se coupa lorsque nos énergies – nos animas – se rencontrèrent, s'enroulèrent autour de l'autre, me donnant à la fois l'impression de me dissoudre et de rayonner en lui, avec lui.
Il se recula à peine comme pour me laisser décider de la suite, mais je l'attirai par la nuque et ce fut comme si une digue cédait en lui. Il entoura d'un bras le creux de mes reins, m'embrassant cette fois avec ardeur. Mon souffle se précipita sous les caresses de ses mains qui glissaient sur ma taille, le long de mon dos, et je me serrai contre lui en retour, longeant les lignes tendues de ses épaules, incapable de me rassasier de sa présence.
Ce baiser était une preuve : oui, je pouvais le croire. Je le sentais comme je sentais tout ce qu'il avait voulu noyer dans l'indifférence. Des inclinations naissantes, hésitantes, du désir, de l'étonnement de ce désir, de la frustration.
C'était une preuve. Et une preuve si douce et si douloureuse à la fois...
Quand nos lèvres se détachèrent et que la réalité nous tomba dessus, je le dévisageai, la respiration saccadée, et m'enfuis sans un mot.
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Merci de m'avoir lue ! :)
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