19 - Des énigmes à résoudre


            — Ouiiii, applaudit Edda tout en sautillant.

Je venais de modeler par la magie ancestrale une grande crevasse dans la plaine qui bordait Cérule. Encouragée par son enthousiasme, je poursuivis ma démonstration par un lancer de divers sorts.

— Fantastique ! Ta prononciation de la langue ancestrale est très bonne, me félicita la sorcière. Ton accent humain est à peine audible ; elle est assurément inscrite dans ton sang !

— Bien, nous allons pouvoir commencer à t'enseigner les rituels, dit Gunvor en tapotant la place à côté d'elle. Il est dommage d'avoir à sauter des étapes mais nos chemins vont bientôt se séparer.

Elle ouvrit son exemplaire du grimoire universel aux trois-quarts du volume. Edda, qui avait étalé sa longue jupe rouge sur la nappe, lisait au-dessus de nos épaules.

— Les rituels permettent une concentration accrue d'anima par le biais de la parole mais aussi par le biais d'écrits ancestraux, ces derniers étant représentés par les cercles d'invocation. Il faut savoir que chaque rituel a son propre cercle d'invocation.

— Les éléments figurés diffèrent selon la nature de la magie, dit Edda pour prendre le relais. Par exemple, les rituels de possession ont un cercle essentiellement composé de feu et de vent, ceux de bouclier de terre et de feu, ceux de traversée représentent majoritairement les éléments du vent et de la terre, ceux de...

— De « traversée » ? demandai-je en passant un doigt sur mes lèvres. J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ce terme.

— Parce que c'est notre métier ! dit Edda, rieuse. Gunvor et moi sommes des Passeuses. Cela signifie que nous sommes employées pour faire traverser les gens, c'est-à-dire les déplacer d'un endroit à un autre. Hm, voyons..., réfléchit-elle en voyant mon air égaré, tu es arrivée dans le Sidh par un portail, n'est-ce pas ? La traversée fonctionne sur un principe similaire. La plupart du temps, nous utilisons des cercles de rituels préétablis par nos pairs. C'est ce que les gens nomment communément des « cercles de sorciers ». Il arrive que, dans la nature, des fleurs ou des champignons se mettent à pousser à l'entour. Tu n'en as jamais vu ?

« Eh bien, voilà, conclut-elle comme je hochais la tête, ces cercles sont les ouvrages de notre peuple. Nous continuons toujours d'en produire. La traversée est de loin la magie sorcière la plus utile. Et ta question est la bienvenue car... c'est l'objet de notre leçon aujourd'hui !

Les deux sorcières attendirent ma réponse avec de larges sourires. Je cillai.

— Si je comprends bien, vous voulez que je me... téléporte ? fis-je d'un ton circonspect.

— Quoi ?

— Vous voulez que je me déplace d'un point A à un point B par le pouvoir de la magie ? développai-je en haussant les sourcils, mais l'absurdité de ces propos me soutira un rire moqueur. Non, je ne peux pas faire ça !

— Bien sûr que si, tu peux. Démonstration !

Edda retroussa les manches de son chemisier. Piochant dans sa boîte de craies, elle traça un cercle à la courbure parfaite sur le tissu de la nappe. Ses lèvres murmurèrent une formule ancestrale et... elle disparut sous mes yeux ! J'eus seulement le temps de lâcher un « Oh ! » théâtral qu'elle réapparut quelques mètres plus loin.

Elle revint vers nous à grandes enjambées, fraîche et légère comme un coquelicot aux premières floraisons du printemps.

— Cesse donc de ne croire qu'à ce que tu vois, ma jeune Kaly ! À présent, veux-tu bien écouter ?

Elle se rassit et parla.

— D'une manière générale, dit-elle à la fin, les rituels requièrent plus de temps et de pouvoir que les sorts mais ils sont également plus puissants. Les Passeurs sont d'ailleurs très recherchés sur les cinq terres. Aucun autre sidhe n'a encore réussi à faire preuve d'un don similaire. La traversée est une magie irremplaçable.

— Et une raison de plus de nous mépriser...

L'amertume de Gunvor me prit de court. La sorcière aux boucles rousses était absorbée dans la contemplation d'un insecte sur les coutures de sa bottine. Elle prit alors conscience du silence qui s'était formé, et s'expliqua :

— Pardon mais... Il y a une vérité dont tu n'es pas au courant, c'est que notre heure de gloire est passée, Kaly. Il ne fait plus bon de naître sorcier. Les mages ont pris le pouvoir sous prétexte qu'ils sont érudits ; ils nous méprisent d'avoir une magie aussi... innée, dirons-nous. Ces conflits étaient antérieurs à Tartoth, continua-t-elle en chassant l'insecte, mais elle a précipité l'inéluctable. Aujourd'hui, nous ne sommes plus employés à l'Ordre que pour les rares choses auxquelles les mages n'ont pas accès.

— Gun' chérie...

Avec une infinie douceur, Edda posa une main sur son épaule. Gunvor la serra en retour et lui adressa un regard d'excuse.

— Enfin peu importe, reprit-elle en se tournant vers moi, cette affaire ne te concerne pas. En tant que Sang-Premier, où que tu ailles, tu sauras te rendre indispensable.

Je portai mon regard au-delà des collines, sur la mer calme où scintillaient les reflets blancs du soleil.

— Pour tout dire, je n'ai pas l'intention de rester. Nous avons conclu un accord avec Malve : si je l'aide à rassembler le Cristal de Fal, elle m'aidera à retourner d'où je viens.

— Quoi ?

Alors qu'Edda s'était figée dans une expression de stupeur, Gunvor avait promptement relevé la tête. J'entrepris alors de leur confier toute l'histoire.

— Kaly, dit Gunvor sur un ton précautionneux, tu dois être consciente qu'il y a très, très peu d'Anima dans ton monde, seulement la partie qui a transité grâce aux portails. Mais la magie n'est rien là-bas, comparée à ici.

— Mais... Mais si tu t'en vas, la lignée ancestrale s'emportera avec toi...

La sorcière, si joviale d'habitude, avait pris un air déterré. Mon cœur se serra. N'avais-je pas gagné le droit d'être égoïste après tant de mésaventures ? N'était-ce pas l'objectif ultime de ma quête acharnée ? Mais cela valait-il la peine de faire disparaître la dernière lignée sorcière bénie par la Source ? Edda venait de soulever une responsabilité que je ne pouvais ignorer.

— Nous verrons en temps voulu, convint Gunvor qui avait bien palpé le malaise.

Elle eut la grâce de revenir au sujet principal de notre leçon du jour, s'attardant en particulier sur le tracé des cercles d'invocation. Edda retrouva bien vite le sourire si plaisant qu'elle arborait quand elle enseignait la magie.

— Tu ne peux effectuer de traversée qu'en des lieux que tu connais déjà car tu dois visualiser l'endroit où tu souhaites te projeter. Va, essaye, maintenant ! Rends-toi à cet arbre que l'on voit là-bas.

Les yeux attentivement fixés sur la page du grimoire, je saisis d'une main tremblotante la craie que me tendait Edda et recopiai avec force précautions les motifs du cercle.

— Le premier saut est toujours impressionnant, dit gentiment Gunvor en guise d'encouragement.

Je soufflai, posai mes mains à plat au centre du cercle, puis prononçai les paroles du rituel.

Brusquement, le sol parut se fendre en deux. Les couleurs autour de moi fondirent entre elles et fusionnèrent en un arc-en-ciel de nuances jusqu'à disparaître sous une lumière aveuglante.

Je recouvris alors la vue à l'ombre d'un arbre. La brise paisible m'effleurait la joue. Edda et Gunvor étaient deux silhouettes au loin dans l'herbe verte qui me faisaient signe.

— Félicitations ! dit la première d'entre elles en s'accroupissant pour me natter les cheveux, ce à quoi je me sentis incapable de protester, drainée d'énergie. Ma douce enfant, tu as encore beaucoup de progrès à faire mais, comme le souffle, la magie se travaille. Un jour, cette distance cessera de te fatiguer, et tu en parcourras une autre, de plus en plus loin, jusqu'à ce que plus aucune terre n'ait de secret pour toi. En cela, tu es différente de nous.

— Viens, dit Gunvor, retournons à la ville.

Je dormis une heure avant de me traîner aux jardins où j'entrepris ma course quotidienne. Après cinq tours, j'eus l'impression que mon cœur allait lâcher. Je me rendis à l'arène et cherchai Seth des yeux jusqu'à le trouver près des bancs de musculation. Torse nu et un poing maintenu dans son dos, il faisait des pompes sur une main. Je m'arrêtai sans le vouloir pour observer les nombreuses cicatrices qui striaient sa peau. Il ne s'en cachait jamais mais je me questionnais de plus en plus sur le passé sombre qu'il traînait derrière lui.

— Bonjour, dit-il alors que j'arrivais seulement et, pour une raison que je ne m'expliquais pas, je rougis.

Il termina sa descente et se releva. Un voile de sueur recouvrait son torse ferme et hâlé, ce qui m'assécha la bouche. Ce n'était pourtant pas la première fois que je découvrais ce corps à faire rougir les plus saintes, et Kreg était bâti avec autant de mérite, mais... Je devais être épuisée, sans doute.

Voyant qu'il ne prenait pas la peine de se rhabiller, je lui fis part de mon inquiétude :

— Vous n'avez pas peur que je vous touche ?

Un sourire qu'il tenta de réprimer déstabilisa son visage d'ordinaire si sérieux.

— Non.

Je me demandais s'il avait conscience de l'humiliation qu'il m'infligeait quand, son épée en main, il me fit une proposition des plus inattendues :

— Tu peux me tutoyer, tu sais.

J'en tombai des nues. Le tutoyer ? C'était... L'intensité de son regard me déstabilisa tellement que je préférai démarrer l'assaut plutôt que lui répondre ; et son sourire s'élargit l'espace d'une seconde avant qu'il ne s'appliquât à ma formation.

— Tout va bien ? demanda-t-il en s'interrompant après quelques passes. Nous ne sommes pas obligés de poursuivre si tu es trop fatiguée.

— Non, haletai-je. Non... tout le monde ici persévère. Je dois... persévérer.

Ses sourcils se rapprochèrent.

— Tu n'es pas comme tout le monde et tu suis un double entraînement. Il n'y aurait aucune honte à avoir.

— Ma décision est prise. Je... continue.

Je levai vers lui un regard que j'espérais ferme mais je devais être ridicule, essoufflée comme je l'étais.

— Alors nous faisons une pause, décida-t-il pendant que je m'empêchais de rendre mon dernier repas, et avant que je conteste : C'est un ordre.

L'ordre était le bienvenu, il me fallait l'admettre. En me dirigeant vers mes affaires, je fus étonnée de voir qu'il m'emboîtait le pas.

— Alors ? demanda-t-il pendant que je buvais à mon outre à grands traits. Qu'as-tu appris aujourd'hui ?

— Les rituels. J'ai été initiée à la traversée.

— Vraiment ?

— Oui. Mais pour le moment, j'ai bien peur de ne même pas pouvoir me rendre à ma chambre d'ici.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Je trouvais étrange d'avoir une telle conversation avec lui. Il fixa le sable à ses pieds pendant un moment avant de reprendre :

— Tes professeures ont l'air de sacrés personnages.

— Mes professeures ? Pourquoi ? demandai-je avec étonnement.

— Je vous ai vues près des vergers l'autre jour pendant une leçon. Une d'entre elles courait autour de vous avec... un cerf-volant.

Seth releva les yeux, comme s'il guettait ma réaction. Après une seconde de stupeur, j'éclatai franchement de rire.

— Oui, Edda voulait me montrer ce qu'elle attendait de ma part ! Et sans doute se dépenser un peu, sinon elle n'aurait eu qu'à lever le petit doigt... Ahah !

Quelle scène insolite nous avions dû former ! Je fus obligée de plaquer mon poing sur ma bouche pour m'empêcher de repartir de plus belle mais le visage détendu de Seth me fit pour une fois oublier les convenances.

Je cherchais une anecdote amusante à lui raconter lorsqu'un mouvement me perturba en périphérie de mon champ de vision. C'était la même sensation électrisante qu'une araignée sur un mur blanc. Et pour cause : Reska rôdait dans l'arène en prince des ténèbres.

— Qu'est-ce qu'il fabrique ? demandai-je sans pouvoir réprimer un froncement de nez.

— Il cherche des âmes à corrompre.

— Bon sang, vous êtes sûr qu'on peut lui faire confiance ?

Seth incurva légèrement ses lèvres en me regardant. J'avais l'impression de beaucoup le divertir aujourd'hui.

— J'ai conscience que Reska a certains troubles sociaux mais, oui, on peut lui faire confiance. Il a beau fanfaronner, il sera là le jour où nous aurons besoin de lui. Encore plus si c'est une occasion de briller.

Il me semblait que les deux étaient amis malgré leurs divergences. Le monde à l'envers. Seth lui fit un salut à deux doigts et nous nous remîmes au travail.


~ * * * ~


Je me réveillai en sursaut. Attendant que s'apaisent les battements anarchiques de mon cœur, je regardai fixement le plafond. J'avais rêvé de deux visages exsangues étranglés par des racines noueuses.

Le jour était encore loin d'être levé mais je fus prête avant l'heure et employai le reste de mon temps à contempler les jardins déserts depuis ma fenêtre.

Je rejoignis le reste de l'équipe aux aurores devant les portes de la cité, puis nous traversâmes la plaine de l'est pour atteindre la forêt d'Asraell. Sur les gouttes de rosée scintillaient les premiers rayons de l'aube dans un instant dont la gloire furtive ne le rendait que plus précieux – car hélas ! à peine sa beauté entrevue qu'il s'évanouissait déjà. Nous progressions comme l'astre levant, réveillant sur notre passage les murmures des sous-bois et d'une faune venue cueillir le jour. Quand les autres conversaient, Seth marchait souvent en tête, seul et enveloppé dans son aura silencieuse. J'appréciais être près de lui tout en avalant mon petit-déjeuner, sans que ni lui, ni moi ne trouvions nécessité de parler.

Ces moments me permettaient de saluer doucement la terre et d'entrer dans de nouvelles phases de méditation. À présent que j'étais familiarisée avec mes aptitudes, la forêt me communiquait une direction à laquelle je me fiais instinctivement. Les pulsations du Cristal, telles un cœur battant, résonnaient entre les feuilles et cadençaient ma route. Abîmée dans mes pensées, je me rendais à peine compte de la marche du temps car j'avais ouvert comme un troisième œil sur la nature, et chaque découverte m'émerveillait davantage. Arbre, je me délectais de la lumière sur mes feuilles et de l'humidité de la nature qui nourrissait mes racines ; fleur, je me laissais butiner. Ainsi je goûtais chaque vie, leur bonheur en cet instant.

En milieu de matinée, nous avions mis la main sur un cristal retenu entre les rochers d'une petite cascade naturelle. Hildegarde demanda à faire une halte, ce qui fut accepté. Seth s'adossa aux pierres verdies de mousse. Il fouilla la poche de son pantalon et tira une cigarette d'ataraxie qu'il alluma avec sa pierre à briquet. Je m'approchai de lui, une question sur les lèvres.

— Depuis combien de temps êtes-vous capitaine ?

Il tira sur sa cigarette et leva le regard vers moi.

— Je croyais qu'on en avait fini avec ça.

J'hésitai. Une spirale de fumée grise s'envola d'entre ses lèvres et je captai une lueur d'amusement dans ses yeux.

— Depuis combien de temps es...tu capitaine ? réitérai-je sans que cela sonne le moins du monde naturel.

Les coins de ses lèvres frémirent légèrement.

— Bientôt cinq ans.

— Comment se passe la succession ? Est-ce le second qui est promu ou tous les candidats sont-ils jetés dans une arène dans un combat sanglant pour se disputer le titre ?

— Juste ciel, tu as beaucoup d'imagination.

Il fixa les volutes de fumée qui serpentaient entre nous.

— En général, il est demandé au capitaine de sélectionner des candidats. Il n'y a pas de règle. Quiconque fait ses preuves peut être nominé au poste. Mais au bout du compte, le choix revient à la dame Malve.

Je l'observai pendant qu'il tirait une autre longue bouffée d'ataraxie.

— Combien étiez-vous ?

— Trois. L'une venait d'une famille où les femmes étaient sacrées paladins de mère en fille ; l'autre était un guerrier qui avait excellé dans de nombreuses offensives menées pour la paix. Les deux avaient toutes leurs chances et j'étais le dernier arrivé. Et pourtant, c'est moi qu'elle a choisi.

— Eh bien, elle ne s'est pas trompée.

Seth me regarda longuement. J'avais conscience que la franchise de Vixe m'avait un peu contaminée.

— Merci, dit-il contre toute attente.

Je lui adressai un sourire placide. Cela me faisait plaisir d'apprendre à le connaître.

— Dis-moi, petite chose, demanda Reska qui nous avait rejoints sans bruit, tu peux me dire où on va comme ça ?

— Vous êtes fatigué ?

Ma remarque n'avait en aucune façon été empreinte de moquerie mais on entendit Seth tousser après avoir avalé sa fumée de travers. Reska en parut froissé.

— J'aimerais autant que tu répondes plutôt que poser des questions aussi idiotes.

Je levai les yeux au ciel et lui indiquai un point sur la carte de la région près de la côte, proche d'un lieu nommé « Dent de l'Énigme ».

— Intéressant, fit le maître calomnieur en sourcillant. Vive-Lame, tu penses à ce que je pense ?

Seth tira une autre bouffée qu'il relâcha par petits à-coups.

— C'est improbable, répondit-il. Des équipes s'y rendent chaque année. Nous aurions été mis au courant.

— Improbable, dis-tu ?

Je leur demandai s'il y avait un problème mais, sans répondre, Seth écrasa son mégot et donna l'ordre de repartir.

Nous fendîmes les bois à allure soutenue et, midi venu, mangeâmes rapidement dans une clairière par crainte de nous mettre en retard. Hildegarde retrouva la trace d'un sentier qui nous permit de quitter la forêt en peu de temps.

Nous marchions sous un ciel gris, parcourant la lande inhabitée, quand des bruits de sabots se firent entendre. Un cortège de cinq individus en livrée bleue arrivait sur des bêtes semblables à des chevaux à petit galop, leurs casques ballottant au rythme de leurs montures. Émïoka émit un petit ricanement.

Rapidement, les cavaliers nous encerclèrent et, parmi eux, un homme svelte et plein de grâce, monté sur un animal vif, prit la parole.

— Halte ! L'Ordre demande qui va là.

Seth s'avança avec une tranquille assurance.

— Repos. Nous sommes paladins de Cérule.

Son interlocuteur plissa les yeux.

— La traversée des terres de dame Célestine, dit ce dernier d'un ton plein de morgue, est réglementée.

— Nous avons un sauf-conduit.

Il fallut un instant pour que le cavalier mît pied à terre. Ses compagnons demeuraient aux aguets, la main au fourreau. Avec méfiance, l'homme saisit le parchemin que lui tendait Seth, le déroula et commença à le lire. Il était rédigé et signé par la Bansidhe en personne. De nouveau il regarda celui qui lui faisait face et son visage s'éclaira.

— Des cheveux blancs... Des yeux comme le soleil, énuméra-t-il lentement. Que la Source me damne, vous êtes le capitaine Vive-Lame, n'est-ce pas ? Et... serait-ce, la Main Noire ? Alors, c'est vrai...

Il avait des yeux en amande, noirs et inquisiteurs. Il les déplaça sur le groupe jusqu'à s'arrêter sur moi. Il me toisa de la tête aux pieds avec tant d'insistance que je dus lutter contre la tentation de reculer derrière le dos robuste de Kreg. Son examen dura un certain temps et, avant de revenir à Seth, il plissa les lèvres avec quelque chose qui ressemblait à s'y méprendre à du dégoût.

— La rumeur court, dit-il, que l'élite d'Asraell a été choisie pour une mission de la plus haute importance. Et qu'ils sont accompagnés par une jeune sorcière sans réputation.

— Les braârei ont-ils si peu à faire pour colporter les ragots des venelles ? ricana Kreg.

Un éclair de colère embrasa le regard du cavalier. Kreg et lui se jaugèrent en chiens de faïence, puis le braârei renifla avec dédain.

— Tout est en règle. Vous pouvez circuler.

Il rendit avec brusquerie le sauf-conduit à Seth, qui ne broncha pas sous l'outrage, et mit un pied à l'étrier.

— Adieu, chers camarades, dit-il en montant en selle, puis m'administrant un regard froid : Et puissiez-vous bien tenir votre chienne en laisse.

Ses mots me heurtèrent avec la violence d'une gifle. Tout se passa très vite. Seth, qui jusque-là avait montré le plus grand sang-froid, empoigna l'intrus et le jeta à bas de sa selle. Un souffle brusque échappa à l'homme qui heurta le sol avec violence. Le casque tomba, révélant des oreilles d'elfe et une longue chevelure d'ébène.

Seth saisit le pommeau de son épée. La lame sortit en sifflant du fourreau.

— Qu'est-ce que tu insinues ? demanda-t-il, appuyant la pointe sous le menton.

Son visage était calme mais ses yeux brûlaient de fureur.

Les soldats qui se tenaient en arrière s'agitèrent pour prêter assistance à leur camarade, mais notre escouade était déjà en position, les dissuadant de tenter quoi que ce soit.

Le braârei menacé papillota des yeux ; le dédain avait cédé la place à la terreur.

— Messire Vive-Lame, inutile de...

— Parle ou tu rentreras à Braâr la tête détachée du reste de ton corps.

La pression de la lame s'accentua à hauteur de la gorge. Le soldat s'humidifia nerveusement les lèvres. Il tenta de former un sourire rassurant mais ne parvint qu'à esquisser une grimace effrayée.

— Eh bien, dame Célestine a... lancé des paris. Elle soutient que Bánh Malve n'enverrait pas ses hauts officiers loin d'elle si... si cela n'avait pas de rapport avec le Cristal de Fal. Et les Faucons ont dit des choses fort inhabituelles la... la dernière fois...

Sa pomme d'adam monta et redescendit, rasant la pointe de la lame. Il cligna des yeux dans ma direction.

— C'est vrai, elle... Elle n'a rien d'un paladin. Pour quelle raison une banale sorcière se trouverait parmi vous ? Il y a deux options. Soit elle est une Passeuse... oui... une Passeuse extrêmement douée, soit... elle est bien plus que ce dont elle a l'air.

Le visage de Seth ne trahissait aucune expression. Le silence s'allongeait et je n'avais aucune idée de ce qu'il allait faire. Quand, pour finir, il recula d'un pas, le soldat poussa une expiration tremblante.

— Cette rencontre n'a jamais eu lieu, dit mon capitaine. Toi et tes hommes, vous ne soufflerez un mot à personne de ce qui a été dit ici, et encore moins à la vicomtesse de Braâr. Si l'un de vous se montre trop bavard... n'oubliez pas que notre maître assassin a vu vos visages. Et croyez-moi, il a bonne mémoire.

Pour seule intervention, Reska sourit en agitant la main.

Le soldat déglutit avec inquiétude.

— Bien... Bien entendu.

Il se râcla la gorge et se remit debout, échevelé, oubliant son casque qu'Émïoka lui tendit avec un sourire froid. L'homme l'arracha de ses mains, clopina jusqu'à sa monture qui l'attendait au milieu de ses camarades non moins terrifiés, puis sauta en selle sans regarder en arrière.

Le cortège démarra dans un nuage de poussière.

— Quelle petite bande de prétentieux ! renifla Émïoka quand ils furent hors de vue.

— Des braârei, dit Hildegarde pour seule explication.

Seth ne m'avait pas lâchée des yeux. Je détournai la tête avec gêne en m'éclaircissant la gorge.

— J'ai cru comprendre que Braâr est la deuxième ville importante du coin derrière Cérule.

— Ouais, dit Kreg. Les braârei possèdent de bonnes terres agricoles et se démarquent notamment par leur culture de Nima'arbres – chanceux qu'ils sont ! Ces plantes ont la fâcheuse manie de pousser où bon leur semble mais, depuis des années, elles se reproduisent sur les lopins de Braâr comme des petits pains.

— La nouvelle vicomtesse nous pose certains problèmes en ce qui concerne la gestion de sa ville, ajouta Seth, rengainant son épée. Elle repousse sans cesse les limites que lui impose dame Malve, mais c'est un jeu dangereux auquel elle joue...

J'écoutai sans intervenir, en retrait et mal à l'aise. Puissiez-vous bien tenir votre chienne en laisse.

La route se divisa en deux sentiers : l'un, étroit, sinuait entre l'herbe rase jusqu'au sommet d'une éminence froide et désolée, et qui devait être une falaise si l'on se fiait à la carte ; l'autre allait en s'élargissant vers l'intérieur des terres jusqu'à un village dont les toits fumaient au loin. Nous nous engageâmes sur le premier.

La vue de la mer confirma bientôt que nous atteignions les limites du territoire. Le temps ici paraissait moins clément qu'ailleurs. Un vent d'ouest soufflait par rafales et des nuages grondants s'amoncelaient dans la zone. Le chemin aboutissait à un étroit belvédère qui faisait face à un immense rocher qui se dressait au milieu des vagues sombres comme une dent de géant. Les falaises noires tombaient en à-pic sur une mer aux ressacs bouillonnants.

Ici, l'énergie de la pierre irradiait à son comble. Mes yeux parcouraient les lieux en vue de l'auréole violette quand je distinguai quelque chose sur le rocher.

Une créature mi-femme, mi-bête s'était lentement dressée. Son apparence m'effraya. Elle avait un visage aux traits déments, un épouvantable rictus plaqué aux lèvres, et ses yeux démesurément exorbités paraissaient sans paupières. Bien qu'elle fût pourvue d'ailes plumées, son corps s'apparentait à celui d'une humaine décrépie dans sa moitié supérieure ; quant au bas de son corps, c'était celui d'une lionne. Elle était nue et sa nudité ajoutait encore à son apparence épouvantable.

— Bienvenue dans Notre territoire, humbles visiteurs.

Sa voix criarde était comme l'écho dans un puits, nulle part et partout à la fois. Je reculai sans le vouloir, percutant Hildegarde qui referma ses mains sur mes épaules.

Me oz falud, noble sphinx, dit Reska en s'inclinant, Maîtresse de la langue et Gardienne de la question Unique. Ici nous voilà, nous qui sommes venus à toi pour espérer conquérir l'un de tes trésors.

Je compris alors ce qu'il avait insinué plus tôt. Le sphinx demeura immobile.

— Lequel de Nos trésors convoitent ces visiteurs ?

— Un trésor trop précieux pour le Sidh, je le crains. Un fragment de la création de Falias.

— Un tel trésor Nous ne possédons pas.

— Reine du Précipice, le mensonge est indigne d'une créature aussi noble que toi.

La figure du sphinx parut amusée.

— Ha ! Un beau parleur tu es, élu des élus de Drak. Toutefois, le seul des élus tu n'es pas. Un dense Anima l'un de ces visiteurs dégage. Oui, il est vrai. Ce cristal que tu recherches Nous avons.

Et elle fit apparaître dans sa main la pierre en question. Le regard de Reska s'illumina d'intérêt.

— Pour l'obtenir, nous te défions, déclara-t-il.

Le sphinx dodelina de la tête en nous jaugeant avec un sourire sanguinaire. Je n'étais pas certaine de saisir tous les enjeux mais l'appréhension contracta mon estomac.

— Ainsi, répondit-elle, par l'Énigme, tout comme vos prédécesseurs, vous passerez. Une unique erreur Nous tolérerons et par le sablier s'écoule le temps. Avec le soleil renaît l'Énigme ainsi que renaissent vos chances.

— Que promets-tu si nous répondons juste à l'Énigme ?

— Alors Nous nous séparerons de la pierre.

Et son sourire s'élargit comme elle ajoutait :

— Mais en cas d'erreur, Nous sera livré au choix l'un de ces visiteurs.

— Assurém-, répondit Reska, que Seth interrompit sur-le-champ.

Non.

Reska poussa un soupir théâtral.

— Ô noble sphinx, vois comme mon ami manque du goût du défi. Que faire... Peut-être qu'un autre tribut te conviendra-t-il ?

Ce disant, il tira nonchalamment de sa poche le cristal que nous venions de trouver plus tôt dans la journée. Seth écarquilla les yeux. Il l'attrapa vivement par le poignet et secoua la tête. C'était sans compter sur la réponse du sphinx :

— La pierre en échange d'une vie, oui. Ton tribut Nous acceptons.

Reska eut un sourire de prédateur.

— Ainsi soit-il. Un moment, je te prie.

Sous le regard terrifiant de la créature, nous fûmes rassemblés à l'orée du sentier par lequel nous étions venus.

— Qu'as-tu en tête, Main Noire ? demanda Émïoka, les yeux étrécis.

— Erf, rien du tout. Le sphinx doit être battu à la loyale.

— Je suis ravi que tu prennes plaisir à ce petit jeu, s'agaça Seth, mais aucun de ceux présents n'a été sélectionné pour sa capacité à répondre aux charades. Je refuse de mettre en jeu un cristal.

Le visage de Reska s'assombrit.

— Je suis d'avis qu'il le faut. Elle n'acceptera rien d'autre si ce n'est un de vous pour vous dévorer. Je n'ai remis en question aucune de tes décisions jusque-là, Vive-Lame. Accepte la mienne pour cette fois. Qui plus est, tu sous-estimes grandement tes sous-fifres.

— Ne parle pas d'eux en ces termes.

Reska ne l'écoutait déjà plus.

— Homme-bouc, dit-il à Arion, je connais ton talent pour les devinettes. À toi seul, tu remportes neuf fois sur dix les défis de Beffroi à la taverne.

Le paladin cilla.

— Merci pour la considération, mais ...

— Si tu nous ramènes ce cristal, ton capitaine mettra en perce autant de tonneaux d'ounya que tu souhaites.

Les sourcils d'Arion se haussèrent. Il lança un coup d'œil à Seth qui grogna un assentiment résigné.

— J'ai une question, intervins-je un peu bêtement. Nous sommes huit contre un, n'est-ce pas possible qu'on l'accule ?

— On ne peut toucher un sphinx sans répondre à l'Énigme, m'apprit Hildegarde, et encore moins espérer la terrasser. Et un sphinx tient toujours sa parole.

— Toi, dit Reska à mon attention, rends-toi utile avec le carnet que tu promènes par monts et vaux. Tu seras le scribe.

Je plantai mes ongles dans mes paumes, offusquée, mais il se dirigeait déjà vers le sphinx qui patientait sur son rocher.

— Nous sommes à ton écoute, déclara Reska.

La créature eut un sourire de mauvais augure. Ses ailes se déployèrent et elle s'élança d'une poussée dans le ciel. Le cristal lévitait toujours dans une de ses mains. Un sablier de bien petite taille se matérialisa près d'elle :

— Voici l'Énigme :

« Venant d'un rien, je puis devenir tout,

Je traverse les terres et voyage par-delà les mers ;

Versatile je suis,

Distrayant ceux qui me croisent,

Souvent l'on m'a rencontrée,

Sans que quiconque ne m'ait vue. »

Le sphinx se tut aussi subitement qu'elle avait parlé. Quand le sablier se retourna, elle se pétrifia dans les airs. Un silence de mort tomba sur nous. Même le vent s'était tu et je pris conscience que l'herbe avait cessé de bouger, que les vagues au pied des falaises tenaient en équilibre entre la forme de la lame et celle de l'écume, comme si... comme si le temps autour de nous s'était figé.

Reska arracha mon carnet de mes mains et je fis preuve de retenue pour la seule et unique raison que le compte à rebours était engagé. Seth, Hildegarde et Kreg s'étaient mis à l'écart, renonçant à l'épreuve. Je me plaçai près d'eux car je n'avais pas la prétention de trouver la réponse.

Le sable s'amoncelait au fond du sablier. Après une longue attente, Arion ferma les yeux, les rouvrit et prit la parole :

— Une chanson.

Quelqu'un sursauta lorsque le verre du sablier se craquela et chacun comprit ce que cela signifiait.

— Pourquoi ! s'écria Émïoka. Une chanson ! Une chanson faisait sens !

Le dernier quart du sablier s'écoulait rapidement. Le délai était bientôt fini d'expirer. Comme d'autres, j'espérais vainement une révélation mais nous allions échouer, j'en avais peur.

— Venant d'un rien, je puis devenir tout, réfléchissait Arion en se massant les tempes. Versatile...

Tout à coup son regard s'éclaira. Les derniers grains de sable tombaient dans l'étage inférieur quand lui et Reska jetèrent d'un cri commun :

— Une rumeur !

— L'imagination !

Le sphinx les considéra avec son sourire épouvantable.

— L'homme-bouc a parlé le premier.

Kreg retint son souffle. Le sablier avait disparu mais, dans le silence, on aurait juré qu'un nouveau tour s'écoulait. La créature retroussa lentement ses lèvres sur un damier de dents effilées.

— Une rumeur était bien la réponse, annonça-t-elle. Approche donc, voyageur. Comme promis, ta récompense.

Arion échangea un regard avec Émïoka qui lui fit signe d'avancer, puis il alla à la rencontre du sphinx d'une démarche méfiante.

Cette dernière avança la main dans laquelle flottait le cristal et nous adressa un dernier sourire hideux.

La dague de Reska étincela. Elle fila dans l'air comme une flèche et se planta dans la poitrine du sphinx, mais la pierre chutait déjà dans le vide.

Arion jura dans une exclamation, beaucoup trop loin pour l'intercepter.

L'escouade se hâta afin de sonder le vide vertigineux. Aucun d'entre eux ne s'attendit à voir le cristal remonter tout à coup en une trajectoire verticale depuis les rochers. Ni à ce qu'il formât une courbe et fusât jusqu'à ma main grande ouverte pour l'accueillir. Je ne pus contenir un petit sourire suffisant. À en juger par les mines ébahies, mon sort de lévitation avait eu l'effet escompté.

— Je vous en prie, messire ? minaudai-je à l'adresse de Reska.

Tandis qu'Hildegarde dissimulait son amusement sous une quinte de toux, Émïoka salua mon impertinence d'un rire moqueur. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque les lèvres du calomnieur s'étirèrent, et qu'il prononça :

— Tout s'est passé exactement comme prévu.

— Tu mens comme tu respires, Vanor ! le charria Émïoka.

— Je croyais que les sphinx tenaient parole ? demandai-je pendant que Reska contemplait le cristal luire dans ma main.

— Oh, mais elle a tenu parole ! Elle n'a jamais dit qu'elle nous donnerait le fragment en mains propres. Elle l'a laissé tomber précisément parce qu'elle aurait plongé pour le récupérer. Et c'est pourquoi je l'en ai empêchée. Toi, chère sorcière, dit-il en me lançant un regard amusé, tu m'as évité d'aller prendre l'eau.

Eh bien ! Si j'avais su, je me serais dispensée d'intervenir.

Seth souriait, serrant l'épaule d'Arion.

— Bien joué, paladin, une victoire contre un sphinx sur la liste de tes succès. Tu auras mérité ta boisson.

Nous nous étions groupés sur cette note victorieuse lorsque la voix d'Hildegarde s'éleva à quelques mètres :

— Qu'est-ce que c'est que ça...

La vulkane s'était approchée d'un tronc d'arbre à la lisière des bois dans lequel était fichée la pointe d'une flèche au fût de bois noir. Un message y avait été harponné.

« Dans les pages de l'histoire, la vérité s'est consumée. »

Ça sent le Faucon à plein nez ! s'écria-t-elle.

Seth se déplaça à mon côté en un instant, le corps vibrant comme la corde d'un arc bandé. Un long moment, nous attendîmes, en garde, une éventuelle confrontation. Mais la forêt demeurant immobile, Seth finit par arracher la page pour l'examiner en détails. Il n'y avait rien noté de plus.

— Nous sommes observés, dit-il d'une voix tendue. Nous étions distraits par le sphinx. Pourquoi ne sont-ils pas passés à l'attaque ?

— Qu'est-ce que ça signifie ? questionnai-je à propos du message, intriguée.

Reska s'empara du parchemin, le parcourut rapidement.

— Encore des paroles empoisonnées, maugréa-t-il.

Il embrocha rageusement le papier par l'empennage de la flèche et fit mine de s'en aller.

Alors que le groupe rejoignait la route, j'hésitai et lançai un dernier regard au parchemin pour m'imprégner de ses inscriptions.


~ * * * ~


— Salut ! Tu viens me raconter tes exploits du jour ? m'accueillit Vixe avec un sourire ravi lorsque je me présentai à sa chambre.

— Entre autres, dis-je, vérifiant que le couloir était désert. J'ai besoin de te parler de quelque chose.

Vixe m'invita à entrer dans sa chambre dans un moindre état de désordre que d'habitude. C'était une exacte copie de la mienne : un lit simple, mobilier simple, au sol carrelé, quoique jonché de vêtements à la propreté douteuse. Je me dirigeai aussitôt vers son pouf ratatiné dans un coin.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il une fois la porte fermée.

Je lui contai brièvement l'épisode de notre succès contre le sphinx, préférant m'attarder sur la dernière partie de l'expédition. Je lui passai ensuite mon carnet ouvert à la page du message que j'avais recopié mot pour mot.

— « Dans les pages de l'histoire, la vérité s'est consumée », répéta-t-il.

— Pourquoi les Faucons se sentent-ils constamment obligés de parler un langage codé ? m'agaçai-je en décroisant les jambes.

— Aucune idée. Ou... peut-être pour que quelqu'un y prête attention ?

— Peut-être, oui.

Vixe fit rouler sa nuque, l'air préoccupé. Il était le seul avec qui j'osais parler ouvertement des Faucons. Les accusations que l'on avait fait peser sur moi dans les prisons me donnaient envie de mener mon enquête sur cet ennemi sans visage, tout comme l'identité de cette mère traîtresse...

— Ce que je n'aime pas, repris-je, c'est cette espèce de mystère qu'ils font planer autour du passé et d'une quelconque vérité qu'ils seraient les seuls à détenir. C'est pareil pendant les propagandes.

— Tu crois que ce message est à prendre au sens figuré ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Vixe se concentra sur les inscriptions.

— Bah, les « pages de l'histoire », dit-il en croisant mon regard. Moi, tout de suite, je pense aux archives.

— Dans ce cas, on pourrait le traduire par : « Dans les pages des archives, la vérité s'est consumée » ?

— Ne me regarde pas comme ça, je ne fais que des suppositions.

— Tu crois qu'on pourrait se rendre aux archives ?

— Toi, certainement. En ce qui me concerne, je n'aurai jamais les autorisations nécessaires. Et je ne suis pas certain d'avoir envie de risquer de mettre mon nez dans ce genre d'histoires.

Il fit une grimace contrite.

— Je peux comprendre pourquoi les Piafs t'intriguent, dit-il, puisque... tu sais... Mais je ne suis pas sûr qu'il y ait quelque chose de bon à en tirer. Enfin, ça ne m'empêche pas d'être un peu curieux. Si tu vas jusqu'au bout de ton idée, tu me tiendras au courant ?

— Bien sûr.

Je souris.

— Je suis contente de t'avoir pour ami, Vixe.

Ses yeux s'adoucirent.

— Moi aussi.

— Il n'empêche que ça me travaille. Les Faucons nous observaient dans les bois, ils auraient aussi bien pu s'en prendre à nous. C'était le moment parfait !

— Effectivement, c'est un peu bizarre, approuva-t-il avec un reniflement. Peut-être qu'au fond ils ne te veulent pas de mal.

— Honnêtement, je n'en sais rien. Et le Conseil qui continue de me tenir à l'écart... Seth m'a juste dit qu'il soupçonnait des traîtres. Tu imagines s'il y en avait à l'arène ? Ou dans ce couloir où on passe tous les jours ?

Vixe se releva prestement avec un de ses légendaires sourires qui le rendaient si attachant.

— T'as pas faim au lieu de te ronger les sangs comme ça ?

— C'est bon, j'ai compris le message... Allons au réfectoire, on prendra Hilda au passage.

— Ah, ma chère Hilda ! dit-ilen me chassant dans le couloir.

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