15 - Douë
Des bruissements se firent entendre non loin de là. Alerte, je ne parvins pourtant qu'à soulever les paupières avant de les refermer aussitôt.
— Kaly, murmura une voix familière.
— Hmm.
On me tapota la joue. J'ouvris difficilement les yeux pour reconnaître le visage de mon capitaine dans le clair-obscur de la nuit.
— Vous êtes revenu..., constatai-je d'une voix enrouée.
— Évidemment que je suis revenu.
Il sembla rassuré de me voir consciente mais ce moment prit fin quand son regard tomba sur ma jambe. Il poussa un juron.
— On ne peut pas t'enlever ça ici...
— Je suis désolée, chuchotai-je en sentant les larmes pointer au bord de mes yeux. Au moins, j'ai pu le récupérer, ajoutai-je en lui montrant le cristal qui était resté caché derrière mon dos. Je ne sais pas quand vous l'avez perdu.
Seth m'enleva doucement la pierre des mains. Au-delà de la souffrance, j'avais honte de cette situation ; il avait pourtant anticipé mon manque d'expérience.
— Ne t'excuse pas, répondit-il en relevant le coin de ses lèvres. C'est bien.
Du mouvement en périphérie attira mon attention et ce n'est qu'alors que je remarquai la présence d'Hildegarde qui scrutait à l'affût le couvert des arbres, et près d'elle, se tenant l'épaule...
— Sombre idiote ! me sermonna Kreg.
Un tissu tacheté de sang lui barrait la poitrine et il était courbé sous le poids de la douleur, mais ses yeux restaient vifs, brillant comme des braises. Malgré sa réprimande, le soulagement de le voir en vie me soutira un sourire tendre.
— Idiote et insouciante ! poursuivit-il entre ses dents serrées. Ne t'étonne pas d'avoir une flèche en plein dans la jambe !
Il souffla bruyamment mais un autre sentiment tempérait son visage durci.
— Sache que je ne t'aurais jamais permis de faire ce que tu as fait. Mais... Bon sang, tu m'as bien sauvé la mise, admit-il. Je te revaudrai ça un jour.
Il me tapota le crâne de sa main valide en disant ceci. Notre capitaine pencha ensuite son visage si près du mien que je sentis son souffle sur mes lèvres.
— Kaly, je vais tâcher de ne pas bouger la flèche mais il faut que je casse la hampe en deux avant de te déplacer. Sinon on risquerait d'aggraver ta blessure. D'accord ?
Je hochai la tête sans pouvoir me composer une expression moins effrayée et il eut la délicatesse d'attendre mon approbation. Le moment venu, cela fut quand même terrible. Je dus mordre dans ma veste pour m'empêcher de hurler quand le bois craqua d'un coup sec et vibra dans ma chair, et un voile rouge envahit ma vision.
— Voilà, c'est fini. C'est bien, m'encouragea-t-il en lissant mes cheveux en arrière.
Une fois qu'Hildegarde m'eut déchargée de mes armes, Seth passa un bras derrière mon dos et l'autre sous mes genoux afin de me soulever.
— Retournons au bateau, annonça-t-il, nous mettrons les voiles dès notre retour. Lorsque les Faucons se rendront compte que nous avons repris les cristaux, nous ne serons pas à l'abri d'une autre attaque.
Mon mollet lançait toujours mais l'étreinte de mon capitaine était une chaleur bienvenue et je me laissai aller contre le col en fourrure de sa cuirasse. En même temps, je découvrais pour la première fois son odeur agréable aux notes de cuir et de musc.
— Cet assaut était prémédité ! rouspéta Hildegarde. Ces salopards avaient du fumigon tout fait dans leurs poches !
— Il était peut-être destiné aux goules. Il est moins risqué de les combattre que d'affronter une escouade de paladins. Vois combien cette attaque leur a causé de pertes.
— Tu crois qu'ils n'étaient pas au courant de notre mission ?
— Vu la tronche de ces enfoirés, je parierais qu'ils ne s'attendaient pas à ce qu'on leur chaparde les cristaux, grogna Kreg, la respiration courte. Mais c'est sûr qu'ils savaient pour les goules. Encore une affaire pour les calomnieurs.
Un silence se forma entre eux. Mon prénom retentit ensuite sur une note inquiète.
— Kaly, m'appela Hildegarde à voix basse, ça va ?
— Je ne sais pas pourquoi je suis aussi... fatiguée, soufflai-je en m'efforçant d'entrouvrir les paupières pour la regarder.
Nous retrouvâmes l'embarcation bien plus tard ; du moins, à ce que j'en jugeai car ma léthargie me faisait perdre la notion du temps. Les trois paladins avaient certes vérifié à plusieurs reprises mon état de conscience, cependant mes lèvres engourdies peinaient de plus en plus à formuler des réponses. Il y avait une vive agitation sur le navire. Seth s'était arrêté ; je l'entendais vaguement échanger avec quelqu'un, plus concentrée sur les douces vibrations de sa poitrine que sur le contenu de la discussion.
Il finit par descendre à la cale pour me poser sur une couchette où le guérisseur nous rejoignit.
— Je dois retirer la flèche, m'annonça celui-ci en s'installant devant moi. Mais la pointe n'est pas ressortie. Elle est trop enfoncée pour l'arracher sans faire de dégâts. Il vaut mieux pratiquer une incision par l'avant et...
— Faites ce que vous avez à faire, marmonnai-je.
Il s'attela à écraser dans un mortier les pétales d'une fleur violette dont Inhannaë m'avait conté les effets. De la fleur de brume, un sédatif. Le guérisseur recouvrit sa préparation d'un liquide transparent, qu'il me fit boire avec patience. Il avait un goût floral, reposant et glissait sous la langue. Je me persuadai qu'il ferait effet tout de suite.
L'homme déchira le tissu du pantalon qui emprisonnait la blessure. Il sortit ensuite de sa mallette une pince ainsi que des lames de tailles et de formes différentes qu'il étala sur un tissu propre. Mon sang se mit à rugir dans mes veines.
— Tiens lui les jambes, fit-il participer Hildegarde.
Seth avait suivi la scène depuis le bas des marches avec une sorte d'hésitation, et il rencontra une dernière fois mon regard nébuleux avant de remonter lancer ses ordres. Je fermai les yeux comme si ce geste avait le pouvoir d'atténuer l'épreuve à venir.
À l'instant où le guérisseur enfouissait quelque chose dans mon mollet, une douleur sourde parcourut ma jambe et le monde se distordit curieusement entre mes paupières entrouvertes. Mes idées tourbillonnèrent ; d'immenses fleurs aux couleurs criardes s'ouvrirent entre les lattes du plafond tandis qu'un ruban rouge serpentait au-dessus de ma tête. Mes joues se trempèrent d'un liquide chaud – des larmes sans doute – et une nouvelle douleur me soutira soudain un cri. Mais quand je vis se pencher sur moi le visage d'Hildegarde comme étendu à l'infini, je sentis un sourire béat fendre mes lèvres.
Finalement la fleur de brume eut raison de moi et, en même temps que je sombrais dans les abîmes, que le monde vacillait et que les bruits devenaient des échos, je me souvins avoir déjà vu l'empennage de la flèche, un empennage mêlé de marron et de pourpre.
~ * * * ~
En ouvrant les yeux le lendemain, un haut-le-coeur me révulsa et je redressai sur mon séant, une main sur la poitrine. La douleur aiguë qui me traversa subitement la jambe me rappela en un éclair les événements de la veille. Il s'était passé en une seule soirée plus d'action que dans mes vingt-trois années d'existence.
J'inspectais le bandage autour de la blessure quand Seth descendit les marches, le visage préoccupé. En me voyant éveillée, ses traits se détendirent et il vint dans ma direction.
— Comment te sens-tu ? demanda-t-il en s'agenouillant.
— Ça va. Merci... d'être venu me chercher.
Il me considéra en silence avec un air grave, assez longtemps pour me faire rougir. J'eus une fraction de seconde la pensée déplacée et ridicule que mon chignon tout dérangé ne devait pas être bien séduisant.
— Nous t'avons cherchée avec Hildegarde en voyant que tu avais disparu, finit-il par dire. Nous aurions dû arriver plus tôt. Je suis désolé, tu étais sous ma responsabilité.
— On ne peut pas prévoir l'inattendu, déclarai-je avec un haussement d'épaules. Au moins, nous avons les cristaux.
Seth observa quelques instants ma jambe invalide avant de reprendre :
— Ce que tu as fait pour Kreg... C'était un acte courageux.
— Je n'ai même pas combattu. Je n'ai fait que courir, répondis-je en détournant le regard pour masquer mon embarras.
— Tu aurais pu mourir en faisant ça, Kaly.
L'intensité avec laquelle il appuya sur mon prénom fit palpiter mon cœur étrangement.
— N'est-ce pas ce que vous faites tous ? répondis-je, et une étincelle crépita dans ses yeux dorés.
— Si, dit-il doucement. Si. Peu importe, je te suis reconnaissant d'avoir fait ce choix.
À ce moment, je fus heureuse d'être toujours en vie pour l'entendre m'accorder son estime. Son regard revint sur moi.
— Que s'est-il passé, hier soir ? Nous avons entendu des hurlements à l'instant où nous rejoignions Kreg. Des hurlements terribles et le sol vibrer. Et quand nous t'avons retrouvée, il n'y avait que des armes qui gisaient à terre. Personne dans les environs... Comment t'es-tu débarrassée des Faucons avec ta blessure qui te clouait au sol ?
Je déglutis avec effort. Les souvenirs de cet incident étaient flous et beaucoup trop irréalistes. Je me rappelais un mouvement chaotique, les cris, les racines sortant de terre ; je me rappelais les branches couvertes d'épines, disposées tout autour de moi telles un bouclier.
— Je ne sais pas, murmurai-je. C'étaient... les arbres, je crois.
Ses épaules se raidirent.
— Les arbres ? répéta-t-il d'une voix blanche.
— Je... En vérité, je n'en ai pas gardé beaucoup de souvenirs, mentis-je.
Je ne voulais pas être regardée comme une bête curieuse. Ce qui m'était arrivé, je le sentais, revêtait une grande importance, et il me fallait pour le moment l'explorer seule. Sans rien ajouter, Seth hocha donc la tête. Il me souhaita un bon rétablissement avant de retourner à l'extérieur.
Je venais à peine de me laisser retomber sur la couchette que Kreg et Hildegarde dévalèrent à leur tour les planches des escaliers.
— Dans toute notre bienfaisance, nous venons tenir compagnie aux estropiés ! m'accueillit mon entraîneur avec un sourire en coin.
Il avait plutôt l'air en forme. Des pansements propres lui enserraient l'épaule ainsi qu'une partie du torse, et son bras gauche était tenu dans une écharpe.
— Merci de m'accorder cet honneur, ironisai-je sur le même ton.
Hildegarde contint avec peine son sourire. Elle déballa ensuite devant moi le paquet emmailloté dans un torchon qu'elle tenait contre sa poitrine, pour découvrir une miche de pain aux céréales qui me mit instantanément l'eau à la bouche.
— Ne crois pas que ce traitement de faveur se poursuivra dans l'arène, me prévint Kreg en s'asseyant, tandis que je mordais avec appétit dans mon encas. Tu as intérêt à retrouver l'usage de cette jambe. Et vite, j'entends.
Je levai le pouce pour lui signifier que j'avais compris. La bouche pleine, j'observai d'un nouvel œil le faldar installé en tailleur devant moi.
— Maintenant j'aurais trop peur que tu me mettes le feu, de toute façon, lançai-je dans une demi-plaisanterie.
Kreg se tapa la cuisse en éclatant d'un rire rauque.
— Aussi tentante que soit cette idée, je n'ai pas l'autorisation d'utiliser le douë dans les capitales. Il paraît que je suis trop dangereux ou quelque chose dans le genre...
— Ah oui ? C'est une règle qui concerne seulement les faldars ? demandai-je avec étonnement.
— Pas vraiment. Les sorciers non plus n'ont pas les pleins pouvoirs. Enfin, pour eux, c'est seulement ce qui veut bien arranger l'Ordre, à vrai dire. On était plus tranquille avant que Tartoth vienne foutre le bazar, mais qu'est-ce que tu veux...
Il épousseta son pantalon d'un air songeur, puis soupira et tourna de nouveau son regard vers moi.
— Bon, et sinon, il paraît que j'avais tout ce temps sous mon nez une pitchoune des terres humaines ?
Je manquai de m'étouffer sous le coup de la surprise.
— Seth lui a fait un résumé de la situation, m'apprit Hildegarde, tandis que je m'étais prise de contemplation pour mon morceau de pain.
— Tu ne l'avais jamais soupçonné ? demandai-je à Kreg après un silence.
— Il faut croire que je suis un sot. Ou alors c'est toi que j'ai pris pour une sotte si longtemps.
Kreg étendit une jambe en me regardant avec un air narquois, ce qui me fit sourire à mon tour. Je me gardai bien de lui dire qu'il paraissait décidément le meilleur entraîneur que j'aurais pu avoir.
— Il n'empêche, c'est vraiment moche ce qui t'est arrivé, lâcha-t-il quand j'eus terminé d'avaler ma miche de pain, d'une mine assombrie. On n'en a jamais reparlé mais... si j'avais su ce qui t'attendait, je ne t'aurais pas laissée seule aux portes de la ville.
Hildegarde approuva avec une moue renfrognée. Je me sentis perdre en vigueur et ma gorge se comprima douloureusement, comme elle le faisait tous les jours au rappel de cet enfer. Quand il n'y avait eu personne pour me secourir.
— Enfin, heureusement que Vive-Lame t'a sortie de là, sinon je ne lui aurais pas pardonné le coup fâcheux de la goule.
Je cillai avec étonnement et m'adossai aux planches de la cale en traînant ma jambe invalide.
— Je pensais devoir ma libération à Armandiel, avançai-je prudemment.
— Peut-être qu'Elvenn a quelque chose à y voir, dit Hildegarde, mais le capitaine t'a certainement négocié une entrevue avec la Bansidhe.
— Vive-Lame ne parle pas beaucoup mais, pour sûr, c'est un homme bien ! le vanta Kreg en souriant largement. Si ce n'était pas lui, je me serais demandé s'il n'avait pas un penchant pour les rouquines...
Mon cœur rata un battement candide et je me rattachai les cheveux pour dissimuler mon trouble. En même temps, une telle sollicitude de la part du capitaine de l'Ordre me touchait. Je me sentis tout à coup injuste de l'avoir accusé dans les bois alors qu'il était probablement le seul à jamais m'avoir aidée dans cette histoire... Pourtant, il avait lui aussi contribué au mensonge autour des portails. Ou plutôt, il ne m'avait rien dit le peu de fois où nous nous étions rencontrés...
— Alors, dis-nous tout, s'enquit Kreg pour changer de sujet, tu as manigancé avec l'autre minus ?
— Vixe connaissait la vérité bien avant vous, leur révélai-je avec un haussement de sourcils appuyé.
— Je ne sais pas pourquoi ça ne m'étonne pas, soupira Hildegarde, l'air à la fois sévère et résignée. Ce garçon saurait tirer les vers du nez des plus récalcitrants. J'espère au moins que tu l'as fait mariner un peu.
— Tu parles ! commenta Kreg avant d'émettre un léger rire. Ces deux-là sont bien partis pour faire les quatre cents coups ! Pas sûr que j'aie envie de me trouver au milieu de leurs histoires.
Les deux paladins restèrent avec moi une bonne partie du voyage, et aucun d'eux n'aborda jamais le sujet du Cristal.
~ * * * ~
Le visage grimaçant, Inhannaë déroulait le bandage autour de ma jambe.
— Oh là là, se désola-t-elle en dévoilant mes sutures, tu vas avoir une cicatrice, vous n'aviez pas de baume régénérateur à portée de main.
Je haussai les épaules. La plaie ne faisait pas bonne figure mais au moins elle était propre.
— Courir au-devant du danger n'est jamais sans risque. J'espère que tu as retenu la leçon, ajouta-t-elle en m'octroyant une tape sur la cheville.
Inhannaë s'affaira dans son placard pour en sortir un plateau de lotions, d'huiles et de pansements.
— Kreg ne s'abaissera pas à te le dire directement, mais il est très fier de ce que tu as accompli, me fit-elle savoir avec un vague sourire. Je dois admettre que ta témérité m'a surprise moi aussi. Tu es peut-être dans ton élément dans l'armée, après tout...
J'accueillis cette information avec un plaisir certain, mais le doute m'empêchait de me réjouir. Quoi qu'on en dise, j'avais fui ; mes mains s'étaient trouvées incapables d'agir.
— La bonne nouvelle, disait-elle plus tard, tout en m'appliquant un emplâtre odorant sous une attelle de bois, c'est que tu vas pouvoir te reposer ! Tu es dispensée d'entraînement jusqu'à nouvel ordre. Tu recouvriras l'usage de la marche d'ici quelques jours, à condition de ne pas trop t'appuyer sur ta jambe.
Les préparations sidhiennes avaient une efficacité prodigieuse quand plusieurs semaines n'auraient pas suffi à me remettre sur pied dans le monde humain. La guérisseuse me présenta ensuite une paire de béquilles rustiques.
— Inhannaë ? l'appelai-je avant de les saisir.
— Oui ?
Ses iris bleu ciel révélèrent leurs stries fabuleuses à la lumière du soleil. Elle m'observa patiemment réfléchir à la tournure de ma question.
— Je fais partie de l'armée et c'était mon choix d'y rester, commençai-je d'une voix vacillante, mais... comment dire... je ne sais pas si je pourrai un jour me résoudre à prendre la vie de quelqu'un. Je n'en ai pas eu le courage, même en voyant Kreg en difficulté...
« Dans mon monde, repris-je très vite, quand nous devenons guérisseurs, nous devons prêter serment de ne jamais nuire à quiconque. J'étais encore trop jeune pour le prononcer mais... N'est-ce pas hypocrite, d'un côté prétendre faire le bien, et de l'autre tuer ?
Inhannaë se radoucit en découvrant mon front raviné par l'inquiétude. Elle eut pour la première fois à mon égard un geste d'affection quand sa main délicate, raffinée, à la limite du divin, se referma sur la mienne.
— Ma chère Kaly, tu es tout à fait en droit de nuancer ta vision des choses.
Elle m'expliqua qu'elle ne croyait pas que la Mère nous eût créés uniquement pour servir et mourir, que la dévotion envers les autres ne devait pas être synonyme de sacrifice.
— Tu sauras quoi faire le moment venu, continua-t-elle. Quand il n'y aura plus d'autre option, que tu auras toi seule le pouvoir de sauver ta vie ou celle d'un être cher. Pour cela, Dana t'accordera toujours son pardon.
De telles paroles venant d'Inhannaë m'aiguillèrent dans mes réflexions. En très peu de temps, elle était devenue un modèle à mes yeux. Un sourire, toujours retenu mais qui n'en était pas moins honnête, rehaussa le coin de ses lèvres fines.
— Va, maintenant, me chassa-t-elle avec gentillesse. Tu as grand besoin de repos.
Je somnolais toujours en milieu de journée quand des coups rapides frappèrent à la porte.
— Oui ? criai-je depuis mon lit.
— C'est moi ! s'exclama Vixe en ouvrant à la volée.
Sa mine rieuse m'égaya aussitôt et je me décalai pour lui faire un peu de place sur mon matelas étroit.
— Je ne t'ai pas permis d'entrer mais puisque tu es là, ronchonnai-je pour la forme.
— Alors, cette blessure de guerre ?
— Tu n'en as pas l'air étonné. Tu es une vraie commère, toujours au courant de tout...
Vixe haussa les épaules avec des yeux malicieux, soulignant que ce trait de caractère m'arrangeait quand je le voulais bien.
— Ça guérira vite, répondis-je ensuite à sa question. Mais je vais être privée d'arène pendant quelques temps.
— Quoi ? Comment je vais pouvoir frimer sans te mettre au tapis ? s'offusqua-t-il.
— Essaye donc de te frotter à Hildegarde.
— Hilda, tu veux dire ? me corrigea-t-il avec un clin d'œil. Elle va me casser en deux au premier combat. Tant mieux, dans un sens, on pourra flemmarder ensemble comme ça !
— Je ne flemmarde pas ! répliquai-je en le tapant de mon pied valide, à quoi il répondit par une moue moqueuse. Mais dis-moi, tu ne vas pas avoir des problèmes en séchant l'entraînement ? le questionnai-je, car je me rappelais trop bien les châtiments qui m'avaient été réservés le jour où j'avais osé le manquer.
— C'est Kreg lui-même qui m'a autorisé à te rendre visite. J'ai dû louper un truc ?
— Ah ! si on veut...
J'entrepris donc de lui narrer le récit mémorable de nos aventures sur Sintu, omettant toutefois de lui mentionner l'étrange disparition de mes poursuivants au terme de notre cavalcade effrénée dans les bois. Vixe m'écouta parler avec grande attention, les mains croisées derrière sa nuque. À ce propos, un élément particulier surgit de ma mémoire :
— ... Et tu avais raison à propos du chien noir, dis-je à la fin. La flèche qui m'a touchée avait exactement le même empennage que celui qu'on a trouvé. Des plumes de harpies, je crois.
Mon ami ne dit mot ; il n'avait pas encore troqué sa mine pensive pour son expression de fanfaron habituel.
— Qu'est-ce que ça voudrait dire, s'ils avaient tué leur propre créature ? le relançai-je.
— Eh bien, je vois deux réponses à ta question : soit elle était devenue incontrôlable, soit... il ne s'agissait pas de leur créature.
— Mais il y avait l'oiseau, leur symbole.
— C'est vrai.
Je réajustai mon oreiller contre le mur.
— Est-ce que n'importe qui peut utiliser la magie noire ? m'enquis-je pendant que mon ami contemplait ses ongles d'un air absent.
— Non, il faut que ce soit quelqu'un qui possède déjà le Don. Et il faut de l'anima, beaucoup d'anima.
— Des vies, conclus-je.
— Ou du cristal..., répondit-il évasivement.
— Tu penses que c'est pour cette raison que les Faucons ont cherché à dérober les fragments ?
— J'ignore si c'était dans l'optique d'utiliser la magie noire ou pour les empêcher de tomber entre les mains de Malve. Ou les deux. Franchement, qui sait ce que les Piafs mijotent dans leur coin...
Sur ces entrefaites, Vixe regarda par la fenêtre et ses yeux s'écarquillèrent en voyant le soleil flambant qui avait nettement décliné depuis le début de notre conversation.
— Falias toute-puissante ! jura-t-il d'une voix aiguë. À tous les coups, je vais me prendre un savon ! On se voit ce soir... Non, pas ce soir, je suis de patrouille. Demain alors ! Promis !
Il se leva sans perdre une minute et courut hors de ma chambre en me laissant livrée aux réflexions.
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