12 - Mise à l'épreuve


            À la suite de l'incident, l'Ordre renforça ses protections. Le Quartier Général demeurait en alerte pendant que l'inquiétude planait au-dessus de Cérule. Quand je me rendais à l'entraînement, on s'alarmait que les Faucons Obscurs eussent pu duper nos défenses. Personne ne savait par quels moyens les ennemis parvenaient à s'introduire ; le bruit courait qu'ils vivaient déjà en ville, parmi les citoyens, parmi nous.

Les discussions furent en pleine effervescence les jours qui suivirent. Et comme le temps emportait tout sur son passage, les murmures s'apaisèrent jusqu'à ce que bientôt, l'on délaissât l'événement pour de nouvelles rancœurs.


La plaine qui bordait la forêt d'Asraell était calme. Les bourrasques des jours précédents avaient apaisé leur fureur et il ne subsistait à présent plus qu'un souffle délicat dans l'air.

— Hildegarde !

Vixe arriva derrière nous, tout essoufflé. Parvenu à notre hauteur, il se pencha en avant pour calmer son rythme cardiaque effréné.

— Nom d'un crocotta, on ne t'a jamais donné de surnom ? C'est épuisant de t'interpeller.

— Jamais, répondit-elle d'une voix monocorde.

Le lutin releva sur elle des yeux rieurs.

— Je ne vais pas t'appeler « Garde » quand même, ce serait un peu triste. Ni « Hilde », pas assez original. Hm, voyons...

— « Hilda » ? me sentis-je inspirée.

Vixe s'esclaffa sans retenue en regardant l'imposante guerrière de la tête aux pieds.

— Hahaha ! « Hilda », c'est trop !

Son attitude demeura parfaitement stoïque et je réprimai un sourire à mon tour car il était vrai que sa rudesse détonnait avec le surnom. Vixe calmé, il mit ses mains aux hanches et se tourna vers elle.

— Il n'empêche que j'aime bien « Hilda ».

Le regard que lui décocha Hildegarde aurait eu de quoi glacer un mort.

— Toi, je t'interdis de m'appeler comme ça, le prévint-elle d'un ton mordant, mais Vixe l'ignora superbement pour se remettre à marcher.

— Hilda, Kaly, nous avons du pain sur la planche, allez !

Je dus mettre mon poing devant ma bouche pour m'empêcher de hurler de rire. La guerrière rattrapa le petit homme en deux enjambées, empoignant sa capuche d'une main de fer.

— Tu vas le regretter, minus. Et c'est toi qui prends la charrette.

— Je sais que tu m'aimes bien, la taquina Vixe, et tandis qu'il se retournait pour soulever les bras de la voiture, j'aperçus les coins de la bouche d'Hildegarde s'ourler légèrement.

Décidément, Vixe était tout un personnage ! Ce jour-là, par un splendide hasard, nous avions tous les trois été assignés à la corvée de chasse ensemble. Seulement, Vixe en retard, les autres équipes avaient pris de l'avance sur nous.

Hildegarde prit la tête de notre trio afin de nous mener au terrain de chasse auquel nous étions affectés. Il faisait très beau, les bois dégageaient des effluves aromatiques tandis que les fleurs avaient ouvert leurs pétales à la lumière ; à la percée d'un fourré, nous aperçûmes un ours inerte au ventre feuillu dorer au soleil. À la fin, nous arrivâmes dans une portion de la forêt plus dense et Vixe abandonna la charrette dans les buissons épineux prévus à cet effet.

— Nous y sommes, annonça Hildegarde en chargeant une arbalète sur son épaule. Nous avons des plateformes de tir cachés dans les arbres, m'expliqua-t-elle, car je n'avais encore jamais chassé. Nous y montons en binôme ou seul, et puis nous nous armons de patience. Une fois ta cible abattue, il faut vite redescendre recueillir l'Anima avant qu'il ne se disperse. Le tri de nos ressources se fera aux portes de l'Ordre.

Je hochai la tête avec un brin de nervosité et grimpai donc au sommet d'un arbre avec elle par une échelle en cordages, tandis que Vixe s'éloigna seul choisir son poste. La vieille plateforme de bois était tout juste assez large pour deux personnes. Hildegarde et moi nous couchâmes sur le ventre et fîmes silence.

Après plusieurs minutes, une espèce de biche au museau en cœur fut la première à s'aventurer sous notre arbre. J'en fis le constat plus tard mais il s'avérait que certains animaux présentaient des similitudes frappantes avec ceux de mon monde. Mon hypothèse était qu'une poignée d'individus aient pu sans le vouloir traverser des portails, d'un côté comme de l'autre – à l'instar de l'écureuil qui m'avait entraînée dans son long voyage.

D'un signe de tête, Hildegarde me donna l'ordre d'abattre la biche. Mes doigts se firent moites autour de la gâchette de l'arbalète. C'est le cœur serré que je m'axai en priant pour lui épargner des souffrances inutiles.

Le carreau déchira les muscles déliés et la bête tomba avec un gémissement plaintif. Hildegarde descendit derrière moi pour m'enseigner le rite funéraire. Son regard voilé m'indiquait qu'elle tuait par nécessité, et non par plaisir. En caressant le flanc de la biche, elle plaça sous son museau une branche de Nima'arbre, dont les boutons liliaux s'illuminèrent avec une intensité graduelle. Je savais de quoi étaient constitués les fruits de ces végétaux, mais voir l'extraction d'une vie en temps réel les rendait plus beaux et plus précieux qu'ils ne l'étaient déjà. Pleine de respect, je portai ensuite le corps de l'animal sur notre chariot.

Par la suite se présentèrent sous notre arbre quatre lapins cornus, des renards à trois queues ainsi que des cochons d'Asraell. Hildegarde me laissait faire l'essentiel du travail ; elle s'attelait davantage à me superviser. Vixe nous retrouva plus tard avec un sac rempli de lapins et, puisqu'il nous restait encore un peu de place, nous convînmes de rallier la prochaine plateforme.

Nous suivions un chemin battu sous la voûte frémissante des arbres quand Hildegarde fronça son nez rectiligne.

— Vous ne sentez pas une odeur de brûlé ? demanda-t-elle.

En humant l'air, je lui donnai raison.

— Venez voir, nous appela Vixe, qui entre-temps avait grimpé en haut d'un épaulement.

Sa voix sonnait avec une gravité inhabituelle. En écartant une ligne de buissons, il avait ouvert la vue sur une prairie en pente complètement calcinée. Aussitôt, il s'y engagea.

— Que s'est-il passé ici ? interrogeai-je, abasourdie.

— Tu ne t'en souviens peut-être pas mais on entend souvent parler d'événements de la sorte, que ce soient des incendies de forêts, des glissements de terrain, des tornades, des tempêtes et j'en passe..., m'annonça Hildegarde, la mâchoire tendue. C'est à cause de l'Équilibre. Mais en général, cela survient peu à Asraell.

Nous descendîmes à la suite de Vixe pour inspecter le terrain. Les herbes restantes, qui m'arrivaient aux genoux, avaient pris une teinte jaunâtre et cassante ; une récente couche de cendres s'était déposée à leur surface et crissait sous nos pas. Pour une raison inconnue, la vue de la nature morte me vrillait le crâne.

— Au nom de Dana ! jura Hildegarde.

Elle avait porté son regard d'argent à ses pieds, dans les hautes herbes où était recroquevillé le cadavre d'une grosse bête au pelage charbonneux. La chose était morte après l'incendie ou, du moins, son corps n'en avait pas subi les conséquences. Une douzaine de flèches criblaient sa fourrure, dont la dernière, fatale, avait transpercé son œil et projeté à terre une gerbe de sang coagulé.

Vixe jura.

— C'est un chien noir ?

— Ça m'en a tout l'air...

Ce qui me troublait particulièrement était ses restes inodores, intacts, et autour desquels toute trace de vie avait disparu. Hildegarde s'accroupit pour examiner le corps de plus près, puis poussa un grognement. Je ne tardai pas à comprendre pourquoi : une marque délabrait son ventre, une représentation d'oiseau, la même que j'avais découverte sur le crocotta. À priori le sceau des Faucons Obscurs.

— De la magie noire, cracha-t-elle.

Elle se releva avec une moue de répugnance.

— L'Ordre ne nous l'a pas notifié. Je me demande qui l'a tué, il n'y a pas la moindre communauté dans les environs.

— Hm, j'ai ma petite idée, énonça Vixe d'une voix songeuse.

— Qu'est-ce qu'il va nous pondre encore...

— Ça, je pense que c'est l'œuvre de Piafs.

— Vixe, je te savais stupide mais pas à ce point, le contra Hildegarde d'un ton excédé. Ils ne peuvent pas avoir tué leur propre créature, ça n'a pas de sens. Peut-être des paladins en mission qui ont omis le signalement...

— Non, regarde. Sur ces empennages, ce sont des plumes de harpie, expliqua-t-il en cassant une hampe et en détachant une longue plume tigrée de marron et de pourpre. J'ai déjà vu ça. Pas moyen qu'on utilise ce genre de chose à l'Ordre. Et elle doit être sacrément dans le besoin, cette harpie pour sacrifier ses plumes dans la fabrication d'une arme... Tu ne penses pas ?

Vixe avait beau jouer aux pitres, il n'était pas un idiot. Ses yeux s'arrêtèrent sur moi quelques instants mais j'étais préoccupée par autre chose. Une obsession me tenaillait étrangement ; une obsession autour de la souffrance injustifiée de ces terres pourtant tellement fertiles...

— Hm, tu marques un point, dut avouer Hildegarde en y regardant de plus près. Mais ça ne prouve pas non plus que ce soient les Faucons, peut-être juste une bande d'exilés qui a la bonne idée de rôder encore dans les parages. Enfin, allons-nous-en, je n'ai aucune envie de ramener cette chose avec nous.

Quand ils quittèrent le cadavre maudit, je ne pus me résoudre à les suivre, immobile, contemplant l'herbe morte. Incitée par un irrépressible besoin, je me penchai pour en effleurer un épi. Une véritable décharge me traversa soudain le corps de part en part, se propageant dans mes doigts jusqu'à me percer le cœur, et un cri m'échappa alors que je retirais vivement ma main.

Vixe et Hildegarde revinrent sur leurs pas en courant.

— Qu'est-ce qu'il y a ? m'interrogea la guerrière.

Mais je ne l'écoutais que d'une oreille. Car en même temps que cette douleur perforante, j'avais perçu autre chose. Une chaleur plus douce, familière, battre près de nous... Sans un mot, je marchai à grands pas vers l'autre bout de la clairière.

— Tu fais quoi ? s'étonna Vixe, alors qu'avec une dague je m'étais mise à lacérer la terre sous un tronc mort tapissé de lichen.

Hildegarde s'était approchée et m'examinait en silence. Quand enfin ma lame heurta une surface plus dure, je creusai avec mes doigts jusqu'à extirper de terre une volumineuse pierre de couleur violette. Le Cristal.

Je me relevai. Vixe me considérait avec des yeux écarquillés ; quant à Hildegarde, son visage était devenu un masque de cire.

— Allons-y, leur dis-je d'une voix sourde.

Ils ne s'y opposèrent pas, abîmés dans leurs propres réflexions. Nous effectuâmes une partie du trajet en silence, récupérant au passage notre gibier sous le couvert d'un ciel qui se chargeait peu à peu de nuages. Pour finir, Vixe ne tint plus :

— Euh... tu peux nous expliquer ce qui vient de se passer ?

— Non, Vixe, murmurai-je, je ne peux pas...

Et c'était vrai. Je ne comprenais pas pourquoi, ni comment, mais il y avait eu un courant néfaste dans l'herbe souffrante, dont le contact m'avait révélé l'énergie de la pierre.

Ce furent les seules paroles que nous échangeâmes.

À notre retour à l'Ordre, nous passâmes en coup de vent signer le registre des cuisines ; ensuite, Hildegarde se débarrassa de Vixe devant l'office jouxtée à l'arène et m'entraîna à l'intérieur sans un mot. À cette heure, le capitaine rédigeait des rapports à son bureau. La pièce sentait la fumée froide d'une herbe que j'avais récemment appris à connaître, du nom d'ataraxie. Des mégots éteints s'effritaient dans un cendrier en argile. Notre irruption sans crier gare lui fit lentement relever les yeux, mais je sentis que nous avions tout son intérêt à l'instant où il me remarqua toute gênée aux côtés d'une Hildegarde à l'expression grave.

— Désolée de te déranger mais je viens d'être témoin d'un incident vraiment bizarre, avança cette dernière après s'être éclairci la voix.

Seth croisa les doigts devant son menton. Malgré sa tenue civile, je sentais affleurer dans chacun de ses mouvements les remous de sa puissance surhumaine.

— Continue, l'encouragea-t-il.

— Nous venions de tomber sur un chien noir déjà mort au milieu d'une partie des bois incendiée – un chien noir possédé par les Faucons, je précise –, quand Kaly a..., s'interrompit-elle en me scrutant, hésitante. Eh bien, a trouvé...

— Ça.

Je m'empressai de poser le cristal sur le bureau et revins aussi vite à ma place. Seth jeta à peine un coup d'œil à la pierre, préférant me toiser avec tant de profondeur que je sentis le sang affluer sous mes joues.

— « Ça », se contenta-t-il de répéter.

Hildegarde nous regarda tour à tour.

— Tu n'as pas l'air étonné, fit-elle remarquer à son chef.

— De moins en moins, c'est vrai.

— Mais elle... !

— Hildegarde, l'arrêta-t-il, nous aurons une discussion tout à l'heure. Pour le moment, je voudrais m'entretenir avec Kaly. Puis-je compter sur ta discrétion en attendant ?

Mon cœur se mit à marteler ma poitrine à l'idée de me retrouver seule avec lui. Hildegarde ne put s'empêcher de me jeter un regard lourd de curiosité, et malgré une frustration palpable, s'inclina avec un geste de salut avant de fermer la porte.

Je déglutis en tournant les yeux vers Seth qui me scrutait toujours d'un air des plus insondables. Je me sentis soudain terriblement nue et exposée. Quelles étaient ses intentions ? Allait-il encore m'accuser d'espionnage ? Me jeter une fois de plus aux sous-sols ? Il me désigna une des chaises de boiserie noire en face de lui, dont je m'approchai avec méfiance, et brisa le silence quand je me fus assise.

— Je t'en prie... Tu peux te détendre, je ne vais rien te faire.

Je baissai à peine les épaules, sans oser dénouer mes mains posées sur mes genoux. Il ne souriait pas mais son visage était tranquille.

— Est-ce que tu l'as trouvé de la même façon que les deux autres ? me questionna-t-il en faisant rouler le cristal entre ses doigts calleux.

— Oui, répondis-je d'une voix que j'espérais égale. D'un moment à l'autre, j'ai senti sa présence...

À ces mots, mon capitaine m'accorda un bref regard. Je retins ma respiration ; l'ambre de ses prunelles avait toujours eu ce quelque chose d'époustouflant. Il se concentra à nouveau sur la pierre, semblant réfléchir.

— Est-ce qu'il y a autre chose ? demanda-t-il ensuite. Est-ce que... cette aptitude n'est reliée qu'au Cristal de Fal ?

— Que pourrait-il y avoir d'autre ?

— Honnêtement, tout et n'importe quoi. Ça, c'est à toi de me le dire.

Le souvenir de la douleur aiguë qui m'avait saisie dans la prairie morte fit courir un frisson le long de ma colonne.

— Il n'y a rien d'autre, affirmai-je.

J'ignorais s'il avait décelé mon mensonge car un instant, il parut vouloir dire quelque chose. Mais il savait qu'il n'avait pas ma confiance, alors il ne tenta pas d'insister. Dans la lumière blême qui entrait par les hautes fenêtres, nous nous regardâmes un moment sans rien dire.

— Si vous n'avez pas d'autre question, il vaudrait peut-être mieux que j'y retourne, suggérai-je dans l'espoir de me défaire de cette situation.

Ses sourcils neigeux se rapprochèrent. J'enfonçai mes ongles dans mes genoux, craignant de l'avoir contrarié, mais au bout d'une attente interminable, il finit par me donner congé d'un mouvement de tête. Je dois confesser qu'il me coûta un grand effort pour ne pas me ruer vers la sortie.

Ma main allait atteindre la poignée de la porte lorsque je l'entendis prendre une légère inspiration.

— Je suis désolé.

— Pardon... ?

— Je suis désolé que nous t'ayons causé tant de torts. Je suis désolé que nous t'ayons retenue là-dessous et que nous n'ayons rien fait quand tu es tombée malade. Je suis désolé d'avoir failli te laisser mourir en sachant ce que je savais, continua-t-il dans son élan alors que je me retournais peu à peu, la bouche ouverte, et je vis une étincelle de douleur et de colère luire dans ses yeux. Je suis désolé d'avoir été aussi... monstrueux. Nous n'avons pas l'habitude de nous tromper au sujet de nos ennemis. Mais le concours de circonstances dans ton cas nous a induits en erreur, et nous avons manqué de discernement.

Il releva son visage dur et torturé.

— Je suis désolé, répéta-t-il.

Hébétée, je laissai courir mes yeux sur le carrelage noir, ne sachant pas quoi répondre à ces excuses qui, en vérité, me prenaient de court au vu de son rang. Tout ce temps, je m'étais crue trop insignifiante pour que des regrets me soient adressés. Malve elle-même ne m'avait jamais présenté d'excuses pour avoir failli me conduire à la potence, et voilà que lui le faisait...

Peut-être n'était-il pas comme les autres.

Je n'osais imaginer à quel point leurs ennemis étaient redoutables si l'on avait pu soupçonner un tel stratagème de ma part...

La gorge brûlante, je hochai faiblement la tête en évitant de croiser son regard, et me tournai dos à lui. En entrouvrant la porte, un étrange sentiment me poussa toutefois à suspendre mon geste.

— Vous n'êtes pas monstrueux, murmurai-je avant de me glisser dehors.

Il y eut un raclement de chaise à l'intérieur, comme s'il s'était levé, mais je refermai très vite le battant derrière moi. Une fois dans le vestibule, je m'adossai à un des piliers, le front moite et le cœur battant à tout rompre, et m'autorisai à relâcher toute la tension qui s'était accumulée dans mes épaules.

« Je suis désolé. »

Il n'était pas comme les autres.

Cette journée avait beau être déjà éprouvante, elle était encore loin d'être finie. L'envie me prit de retourner dans ma chambre pour ne plus en sortir jusqu'au lendemain, mais je gardais amèrement en mémoire la punition de Kreg la dernière fois que j'avais manqué l'entraînement.

Au moins, Hildegarde était aux abonnés absents lorsque je fus de retour dans l'arène. Ce n'était toutefois pas le cas de Vixe qui trouva bien vite un prétexte pour lancer des dagues près de moi.

— Que veux-tu savoir ? demandai-je dans un soupir.

— Laisse-moi deviner : c'est la raison pour laquelle tu es toujours parmi nous ?

Comme j'acquiesçai, il émit un petit sifflement admiratif.

— Wow ! La Bansidhe doit être aux anges, elle pense sans doute que la rédemption est arrivée.

— Je ne suis pas sûre d'être la personne à même de répondre à ses attentes...

— Ça, je n'en sais rien mais ça fait vingt-cinq ans qu'elle envoie des groupes d'expédition aux quatre coins du pays et que personne n'a fait preuve d'une compétence aussi... fabuleuse, termina-t-il sur un ton empreint de révérence. Il y a d'autres secrets de ce genre que tu caches ?

— En tout cas, pas dont je sois au courant, grimaçai-je.

Nous fîmes une pause pour aller récupérer nos lames plantées dans les cibles.

— Tu as dit que ça faisait vingt-cinq ans qu'elle mobilisait des troupes pour le Cristal, observai-je alors. C'était déjà Malve qui gouvernait à cette époque ? Sais-tu quel âge elle a ?

Vixe haussa les épaules.

— Seule Falias le sait mais je dirais bien plus de cent ans ! Les Bansidhes s'élèvent plus haut que le rang de simples mortelles.

La légende disait, me raconta-t-il, que Dana bénissait les Bansidhes pour leur permettre un long règne, presque aussi long que le temps qu'elle avait elle-même marché dans le Sidh. Cela me rappela, non sans m'amuser, que dans mon monde le hurlement des banshees était présage de mort.


L'entraînement de la journée fut aussi intense que d'habitude et nous finîmes tard pour rattraper le temps de la corvée de chasse. Kreg nous annonça le soir venu qu'il serait absent les trois prochains jours et que Vixe et moi serions par conséquent assignés à un autre tuteur. Frappée par une extrême lassitude, je ne pris pas le temps de me présenter au Refuge après le dîner. Assise sur mon matelas, je démêlais mes cheveux en me préparant à dormir lorsque des coups frappèrent à ma porte. Un soupir exténué m'échappa.

— S'il te plaît, on a dit qu'on ne jouait pas aux cartes ce soir, Vixe !

Les coups réitérèrent. Persuadée d'ouvrir pour fustiger mon ami, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me retrouvai nez-à-nez avec... le capitaine des paladins !

Il me détailla rapidement dans mon accoutrement de nuit, une chemise légère et un caleçon en toile si court qu'on aurait cru que je ne portais rien, avec les cheveux à moitié coiffés et le peigne brandi en l'air, et je sentis mes joues se teindre d'écarlate.

— Bonsoir, dit-il.

Je balbutiai une politesse, trop occupée à me demander si j'étais au milieu d'un cauchemar et à lister les raisons pour lesquelles cet homme pouvait se tenir à ma porte. Lui avait la même apparence que durant notre entrevue, comme si sa journée touchait seulement à sa fin.

— Écoute, attaqua-t-il sans préambule, ce qui s'est passé aujourd'hui m'a fait reconsidérer les choses.

Je le regardai sans comprendre. Où voulait-il en venir ?

— Une créature terrasse le village de Cizoma sur l'île de Sintu depuis quelques temps. Les habitants ont eux-mêmes initié une enquête mais les disparitions se multiplient. Ils nous ont contactés car ils sont convaincus que ce qui les attaque a ingéré un fragment de Cristal de Fal. J'ai décidé d'y aller avec quelques paladins. Et tu vas nous accompagner, m'annonça-t-il.

Cette nouvelle m'abasourdit. Une mission de l'armée ? Si tôt ?

— Mais... ma formation est loin d'être finie, lui révélai-je le fond de ma pensée.

Seth pencha la tête, releva un sourcil.

— Nous savons tous les deux que ce n'est pas pour ces aptitudes que je t'emmène.

Je croisai les bras pour me donner contenance et me représentai mentalement la situation, l'estomac noué. Pour quel genre de créature l'Ordre se dépêchait-il sur place ? Les mythes humains étaient remplis de bon nombre d'abominations.

Mon capitaine, devant moi, m'étudiait avec patience. C'était un ordre mais il attendait quand même une réponse. Alors je hochai la tête et, fronçant les sourcils, lui formulai ma première interrogation :

— Il y a une raison pour laquelle vous venez me le dire à cette heure ?

Ses yeux dévièrent à nouveau en direction de ma tenue et je jurai cette fois qu'il retint un sourire.

— Oui. Prépare ton sac, nous partons à l'aube.

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