Chapitre 4

- Cela n'est pas possible ! Me rassure ma camarade. Les postes de surveillance sont actifs jour et nuit. Personne n'a déclaré de présences étrangères et aucune attaque humaine n'a été enregistré.

- Pourquoi s'en prendre à des vaches et voler leur viande ? Je questionne.

- C'est ce qui arrive lorsque la faim gagne, répond Miranda. La situation au sous-sol doit être pire que ce que l'on pense.

- Ne peuvent-ils pas augmenter leurs rations ? Il y a à manger pour tout le monde ! Je m'écrie, pour tout le monde !

- Tu sais comment cela fonctionne...

La Tour laisse mourir de faim de pauvres employés et s'étonne qu'ils tuent pour nourrir leur étage, leurs familles, leurs enfants. Il s'agit là d'une exclusion orchestrée de toute part... j'en suis persuadé. A croire que la Régente et son gouvernement avait une longueur d'avance et ont sauté sur l'occasion pour éliminer des résidents à la pelle.

- N'oubliez pas que ce sont des rumeurs, lance Brady. Des bruits de couloir...

- Rumeur ou pas, dis-je, le problème de fond reste omniprésent. Les décalages sociaux nous divisent et cela ne s'arrangera pas avec le temps.

Nous finissons d'inspecter la muraille et rentrons enfin à l'abri du bâtiment. Il est bientôt midi, l'heure à laquelle la cantine des ouvriers lance son service. L'orage gronde et les tonnerres résonnent dans la cage d'escalier pendant que nous grimpons au premier étage. Derrière une double porte battante, aux hublots suintants, se trouve le réfectoire. Les murs y sont blancs, parfois jaunâtres, et paraissent sur le point de s'écrouler. Malgré ces quelques particularités, la salle est suffisamment grande pour restaurer les deux premiers palier. Je suis ravis que ma mère ne doive pas s'occuper du troisième et quatrième également car cela demande déjà assez de travail pour elle et son équipe.

Une odeur de bouillon de légume flotte dans l'air et je sens quelques saveurs diverses qui l'accompagne. Il n'y a pas grande monde pour le moment, ce qui nous permet de nous servir rapidement. J'en profite pour lancer un sourire à ma mère, que j'aperçois dans l'arrière-cuisine, puis nous nous installons à notre table habituelle. Elle se situe au fond de la pièce, dans un coin sans fenêtre et sans vis à vis.

La nourriture n'est pas mauvaise, mais pas excellente non plus. Les légumes ont un goût de plastique et sont caoutchouteux car ils ne proviennent pas des récoltes. La terre n'est pas productive en cette période de l'année. Seuls les pâtes gardent un goût similaire ainsi que les petites boules de pains qui accompagnent le plat. Je touche à peine à mon dessert, car je n'aime pas sa consistance crémeuse et amer, mais Brady s'en charge à ma place. Ses joues sont pleines de nourriture et il nous lance un sourire dégoulinant de bave. Des morceaux de yaourt glissent de ses lèvres et atterrissent sur la table.

- C'est désormais clair, dis-je, je n'en mangerais jamais !

Mes amis rigolent et Brady continue de faire le pitre. Il s'avance près de Miranda, les lèvres crispées comme pour l'embrasser.

Elle attrape sa serviette et lui plaque brusquement sur le visage. Elle se fixe à sa bouche collante de salive et de crème et je ne peux m'empêcher de rire lorsque le garçon se tourne vers moi.

- Un jour peut-être ! Dit-il après s'être nettoyé.

Sean esquisse quelques sourires, qui laisse apparaître une dentition incroyablement blanche, mais n'intervient pas. Il parle très peu et reste en recul, si bien que j'en oublie parfois sa présence. Il dégage pourtant une certaine stabilité émotionnelle qui, secrètement, me rassure. Lorsque je le regarde, je ne vois ni anxiété, ni peine, ni peur.

Beaucoup d'ouvriers ont pris place depuis notre arrivé. Le calme que nous offrait les lieux s'est transformé en un constant vacarme. Des discussions incessantes, des bruits de couteaux, de fourchettes et de mastication à tout va.

Les hauts-parleurs de la Tour, utilisés pour diffuser d'importantes informations, se mettent soudain à grésiller.

- Cher résidant... commence la Régente.

Sa voix fait écho et instaure un silence de plomb. Chaque transmission doit être reçu par tous le monde et c'est pourquoi chaque étage comprend plusieurs récepteurs. Il en est de même pour l'extérieur de la Tour, afin que les habitants, où qu'ils soient, puissent entendre le message sans jamais prétendre le contraire.

- Les citoyens que je m'apprête à citer seront exclus demain matin, à l'aube. Jeff Cornan, premier sous-sol... Elisa truman, premier sous-sol, Médina stallan, premier sous-sol...

La liste paraît infinie. Je regarde mes camarades, attristé,terrorisé. Les ragots étaient fondés. Je baisse les yeux et reste muet. Comment vont-ils survivre dehors ? Si nombreux ? Ils devront se séparer, se cacher... prier.

La gouverneure termine d'annoncer les accusés et continue son discours.

- Ce groupe d'habitant est accusé de maltraitance, violence et meurtre alimentaire, de vol de nourriture et de commerce illégal. Leurs actes et leur refus d'obtempérer sont une menace pour notre vie au seins de la Tour. Les crimes pour lesquels nous les déclarons coupables sont puni par une exclusion de second type. Tous les résidents inférieurs auront l'obligation d'être présent autour du pont d'exclusion. Terminé.

Un brouhaha d'indignation s'en suit. Brady écarquille les yeux, la bouche grande ouverte. Miranda repousse son plateau et Julian passe ses mains dans ses cheveux, nerveux. Même Sean, pourtant si imperturbable, se laisse émouvoir.

Le pont d'exclusion est l'endroit où les gardes jettent les criminels par dessus le mur, au milieu des Dégénérescences. Ils n'auront alors aucune issu... aucune échappatoire.

- Ils veulent nous intimider, affirme Julian.

- Pour quelles raisons ? Je demande, nous connaissons déjà les règles.

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