Chapitre 3
La sonnerie du réveil sature mes tympans et me fait sursauter, laissant une vague de palpitations chambouler ma respiration. Nous ne travaillons que rarement la nuit car la visibilité est trop réduite et cela peut devenir dangereux, bien que les créatures ne puissent pas rentrer. Dès que les premiers rayons de soleil apparaissent, quelques équipes, dont la mienne, sont envoyées sur le terrain.
J'engloutis un gâteau farineux et sucré, que ma mère concocte pour les petits creux, et tente de prendre une douche malgré que l'eau chaude ne soit pas encore accessible. Je tremble et claque des dents rien qu'en me déshabillant dans notre salle de bain humide. Le carrelage verdâtre et froid sous mes pieds n'arrange rien. Le savon est rêche, fissuré, et ne mousse que partiellement. J'arrive à faire ma toilette car je m'imagine plus haut dans la Tour, dans un grand bain d'eau chaude parfumée, embaumant une immense salle d'eau rempli de bougies à la vanille, de gâteaux au chocolat et de friandises diverses. Voilà à quoi ressemblerait mes douches si j'étais riche... mais comme ce n'est pas le cas, j'entoure ma taille d'une serviette rappeuse et prie pour ne pas attraper une pneumonie.
Mon manteau me protège à peine du vent lorsque je dévale les escaliers au pied de la Tour, les mêmes qui m'ont permis d'apercevoir mon père la veille. Je me dirige vers le parking de camionnette, qui est une simple parcelle de terrain rassemblant les véhicules nécessaires aux déplacements internes. Les voitures sont encerclées par un grillage bas de gamme dont la porte d'accès est fermée grâce à une chaîne et un cadenas rouillés.
Mes collègues sont déjà là et m'attendent de pied ferme. Mon équipe est composée de Julian, Brady, Miranda et Sean. Julian est assez mince pour un garçon de son âge, les épaules pointues et les cheveux longs lui donnent une allure longiligne singulière. Il est très bavard, plutôt rêveur mais perspicace. Brady, lui, est légèrement enrobé mais assez grand pour que cela lui permette d'être imposant. Ses cheveux roux s'enflamment sous chaque rayon de soleil et ses tâches de rousseurs s'étendent sur chaque centimètre de sa peau. Miranda, quant à elle, est une fille simple et peu coquette. Ses cheveux bruns sont rarement détachés et sa peau lisse et blanche lui donne l'air anémié. Elle porte de petites lunettes afin de soulager sa myopie naissante et cela la rend très studieuse. Aucun détail ne lui a jamais échappé. Ses habits sont larges mais cela semble lui convenir et la mettre à l'aise.Sean, pour finir, à la peau ébène et les muscles saillants. Il ne parle que très rarement et fait du bon travail. Il souhaitait intégrer l'équipe de sécurité mais n'a pas réussis les tests. Je les apprécie beaucoup et ils sont ravis de me voir, bien que l'expression sur leur visage me crie « Encore une journée de travail ! ».
La muraille s'étend sur plusieurs kilomètres. Toutes les bornes de connexion sont accompagnées d'un compteur respectif et sont présentes tout les cinq-cent mètres. C'est à ces endroits que nous intervenons. Il est interdit de se séparer pour finir plus rapidement car chacun doit être témoin du bon déroulement des opérations. Je contrôle les câbles et programme le courant sur une durée de huit heures pleines. Les grilles fonctionnent ainsi constamment mais nécessitent une intervention manuelle. La moindre surcharge pourrait faire griller le réseau complet. Chacune de ces bornes est associée à une parcelle du mur afin de réduire les dégâts lorsque l'une d'elle tombe en panne. Le courant n'est alors coupé que sur le circuit qu'il emprunte, laissant le reste de la muraille fonctionner correctement.
- Il y a de l'orage dans l'air, annonce Miranda.
Le ciel s'assombrit et l'air devient épais, lourd.
- Cela fera du bien au récolte, dis-je.
- Et cela remplira les réservoirs du toit ! Reprend Brady.
En effet, cela faisait un moment que la pluie ne s'était pas abattue sur la dernière Tour. L'eau qui est utilisée dans le bâtiment est divisée en deux parties. Celle du bas, inférieur au quinzième étage, et celle du haut, supérieure à ce palier. Deux systèmes de traitement des eaux usées permettent aux deux zones de bénéficier d'une eau potable et constante, grâce à un circuit fermé. Bien entendu, l'eau des ouvriers ne se mélange pas à celle de la haute bourgeoisie. Cela dit, leur vie entre quatre murs doit être si terne. Comment peuvent-ils se passer du plaisir que procure une promenade matinale ou de la fraîcheur d'une averse qui déferle sur les joues ?
Quelques gouttes tombent déjà sur le pare brise mais se font balayer d'un coup d'essuie glace.
- Vous avez eu vos enveloppes hier ? Je demande.
Ma question est à double sens. Je souhaite savoir si leur situation est stable.
- Tout va bien, ne t'en fais pas. Nous formons une équipe de choc ! Ils ne peuvent pas se passer de nous, rigole Julian.
- N'en soit pas si sur, réplique Brady. Il paraît qu'une vingtaine de personne seront exclus dans quelques jours. Ce sont les rumeurs qui s'ébruitent.
- Une vingtaine de personnes ? Reprend Miranda, nous n'avons jamais connu de telles exclusions !
Elle a raison. Chaque mois, une ou deux personne sont expulsées mais cela ne concerne que les résidents dispensables à la Tour. Nous sommes plusieurs centaines ici-bas. Ils ne peuvent pas se permettre de supprimer autant d'habitant de cette façon.
- Cela ne tiens pas la route, répond Julian, à ce rythme là, il ne restera plus personne.
- Qui sont les concernés ? Je demande.
- Je ne sais pas... mais il paraît qu'elles vivent toutes au premier sous-sol, affirme Brad.
Le premier sous-sol abrite les plus pauvres d'entre nous. La plupart n'ont pas de tâches fixes et aide un peu dans les champs ou au potager. Le couple de fermier a besoin de renfort physique. Toute main-d'œuvre est bonne à prendre. Pourquoi s'en défaire ainsi ?
- Ils veulent réduire les effectifs, lance soudain Sean.
Son intervention et sa voix roque me file la chair de poule.
- Enfin... je suppose, reprend-il comme pour nous rassurer.
Le reste du trajet se fait sous le grondement des tonnerres et les flashs aveuglants des éclairs.
Je me gare près du premier point de travail et nous enfilons un imperméable jaunâtre. Miranda s'assure de prendre un parapluie afin de protéger la borne et les fils électriques pendant l'intervention.
L'odeur morbide qui provient des corps en décomposition à l'extérieur n'est pas si terrible en soi. Elle est décuplée par la proximité mais réduite par la pluie et le froid. Ce qui est plus dérangeant sont les raclements de gorges, les cries et les voix qui s'entremêlent pour créer une symphonie diabolique. J'ai l'impression parfois que l'on me parle à travers le mur, que l'on me chuchote des mots imperceptibles et menaçants. La muraille est épaisse mais on peut sentir les coups portés sur le béton. Les Dégénérescences sont généralement violentes et se défoulent sur la pierre qui les sépare de nous.
- Je pense qu'elles sentent notre présence, signale soudain Julian. Vous entendez comme elles s'agitent à notre arrivé ?
- Oui ! On le sent ! renvoie Miranda mal à l'aise. Merci de nous rappeler que des milliers de monstres affamés se tiennent à quelques pas de nous !
Elle n'est pas rassurée... nous ne le sommes jamais.
- Je suis la pour te protéger, avance Brady d'un ton charmeur.
Il la prend dans ses bras car il sait qu'elle déteste le contact et les gestes affectifs. Elle le repousse, détourne la tête et souffle après le garçon.
- Dans ce cas, jetez moi par dessus la grille, je préfère largement cette option là.
Brad est un brin vexé mais aime la façon dont elle le rejette.
Être expulsé par dessus la grille est la sentence des condamnés. Ceux avec qui la justice n'a pas été clémente. Cependant, les exclusions dont nous parlions plus tôt consistent à abandonner les habitants dans des zones dégagées et qui sont desservies par les tunnels, accessible par l'arche derrière la Tour. Ce sont également ceux qu'empruntent les équipes de ravitaillement pour explorer les terres inconnus.
- Tout est bon ! Je signale. Le réglage est terminé.
Nous trottinons jusqu'à la voiture, impatient de nous réchauffer. Je roule doucement car la visibilité est très réduite. Nous traversons le potager surplombé de serres et juxtaposé à la ferme des Beranger. C'est ici que se trouve la seconde borne. Nous longeons le terrain sur une route de gravillons conçue pour nos passages fréquents. Les roues dérapent à certains endroits car le sol devient boueux. Les animaux se sont déjà mis à l'abri puisque les champs sont vides et silencieux. Seul quelques vaches se promènent encore sur l'herbe inondée. Nous passons devant la petite maisonnette du couple et apercevons de l'activité dans la cuisine.La vieille dame, Louise, doit préparer le petit-déjeuner pour son mari, Edouard. Ils n'ont jamais voulu intégrer la Tour et ont réussis à faire plier le système face à leur souhait de vie. Ils étaient plus jeune à l'époque où cela a commencé et étaient déjà paysans. Leur place ici était prête mais les conditions de leur entrée me sont inconnues. La communauté à laquelle j'appartiens n'avait pas l'argent nécessaire pour vivre ici. Nous avons été sélectionné.
Je me gare et nous reproduisons les mêmes gestes qu'à l'accoutumé. Nous achevons la procédure, repassons de nouveau sur le chantier traversant la ferme et apercevons Louise sur le seuil de sa porte.Elle nous lance de grands gestes hasardeux et tangue sur place.
- Le signal ! S'écrie Brady joyeux.
- Le signal ! Répétons-nous.
Je me gare sous un grand chêne, afin que les branches abritent un minimum le véhicule, et nous nous précipitons vers la petite dame.Nous la connaissons depuis si longtemps qu'elle semble faire partie de la famille. Plusieurs matins dans la semaine, excepté pendant les jours de repos, le couple nous attends pour nous offrir du thé ou du chocolat chaud. C'est une façon pour eux de nous remercier de notre travail. C'est devenu un rituel dont nous ne pouvons pas nous passer,surtout avec un temps pareil.
Nous rentrons dans leur demeure, déposons nos affaires et nos bottes,puis nous nous installons au chaud près du feu de cheminé .
- Comment vont mes petits ? Nous demande Louise, un plateau à la main.
J'entends les tasses qui tremblent avant qu'elle ne le dépose sur la table du salon.
- Je ne pensais pas vous voir ce matin, avec un orage aussi important. Faite attention à vous... l'électricité et l'eau mes enfants... c'est très dangereux. Non, je ne pensais pas vous voir ce matin... non, non. Il faut être prudent mes petits !
Son mari arrive dans la pièce, l'embrasse sur le front pour qu'elle s'apaise et nous offre un large sourire.
- Tout va bien ? Nous demande-t-il.
Nous acquiescions.
Le lait qu'ils nous servent est naturel. Il n'a rien de similaire à celui en poudre que nous avons l'habitude d'ingurgiter et qui provient du stock de nourriture du quinzième.
- Est-ce que vous avez entendu parler des exclusions prévues ? Questionne Julian maladroitement.
- Oh ! Des voleurs ! S'écrie Louise, Des voleurs !
Edouard lui attrape la main et la calme. Il reprend la parole.
- Ces voyous, dit-il, ont massacré deux de nos vaches pour en extirper la viande ! Je suis certains qu'ils l'ont revendu... dans leur sous-sol infecte. Nous leur avons offert notre confiance et ils en ont profité ! Ils ont attaqués notre gagne-pain et cela peut avoir de graves répercutions sur notre place ici !
- Massacré ? Murmure Sean, timide mais curieux.
Ses lèvres épaisses et rosées ne semblent même pas avoir bougé pendant sa prise de parole.
- Oui, et ce n'était pas beau à voir...
- En pleine nuit ! S'écrie soudain sa femme, en pleine nuit les fourbes ! Des voleurs ! Des voleurs !
Edouard l'embrasse de nouveau sur la joue pour l'a rassurer. J'ai peur que cette discussion ne les contrarie.
- Nous avons reporté cet incident aux gardiens qui l'ont retransmit à la Régente. J'ai essayé de décrire les silhouettes qu'il me semblait avoir vu ce soir-là et les coupables ont été débusqué !
- Ils prévoient d'exclure une vingtaine de personnes, leur annonce Miranda. Est-ce le nombre de silhouette que vous avez vu ?
- Non... bien sur que non... mais ces gens là travaille en équipe ! Ils sont tous coupable !
Je lance un regard désemparé à mes camarades. J'approuve la remarque de mon amie sur le nombre incohérent d'exclus. Pourquoi feraient-ils ça ?
Soudain,j'angoisse. Et si cela n'était pas un acte résultant du manque de nourriture de mes proches voisins ? Serait-il possible que la muraille ne soit pas aussi protectrice que nous le pensions ?
Je me lève en sursaut et remercie le couple pour leur invitation. Mes collègues ne rechignent pas à retourner travailler. Je m'installe devant le volant, les yeux perdu dans le vide.
- Farfelu cette histoire ! Constate Brady tout en passant la main dans ses cheveux flamboyant. Ils n'ont plus toute leur tête...
Je reste figé.
- Tout va bien Evan ? S'inquiète Miranda.
- Je...
J'hésite à poursuivre ma phrase car je ne veux pas les effrayer, mais je me dois de leur partager mon ressenti.
- Je pense qu'il y a des Dégénérescences dans l'enceinte de la Tour.
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