Chapitre 2



Une fois à notre étage, nous nous dirigeons vers notre appartement.Nous sommes très nombreux sur les quinze premiers paliers mais nous essayons de cohabiter tant bien que mal. J'imagine souvent ce que pourrait être notre vie si nous étions là-haut. Combien de place aurait ma mère pour ranger ses affaires ? Une pièce entière peut-être. La cuisine et la salle de bain doivent être si grande que nous pourrions y dormir à trois. Mais ce que j'envie par-dessus tout est la vue lointaine dont ces résidents profitent chaque jour.Ils n'ont aucune proximité avec les Dégénérescences.

J'ouvre la porte de l'appartement, toujours tracassé par l'idée que mon père puisse fréquenter des semblant de rebelles, et dépose mes affaires prêt d'un porte manteau qui tient debout par miracle. Une odeur de fleur d'oranger provient de la cuisine, là où ma mère concocte souvent des petits gâteaux. Son boulot dans la restauration de notre zone ne l'a jamais lassé.

- Que fait papa ? Je demande.

- Sûrement des points à éclaircir pour le travail, répond-elle.

- Sûrement...

Je prends une douche avant que l'eau chaude ne soit épuisée. La nuit est tombée depuis plus d'une heure lorsque mon père revient enfin à la maison. Je ne dis pas un mot et nous nous installons à table.Quelques boites de conserve et quelques morceaux de viande me requinque. Nous ne mangeons pas comme ça tout les jours. Les rations doivent être contrôlé. Pourtant, notre vie ici reste une« chance ».

La parcelle autour de la Tour, et qui s'étend jusqu'à la muraille, est divisée en plusieurs parts. La place publique où nous nous trouvions cet après-midi est proche du potager collectif. Lorsque nous traversons ce champ de légumes, nous atterrissons à la ferme des Beranger. Le couple d'agriculteur détient une maisonnette qui leur permet de gérer leur temps de travail comme ils le souhaitent.Une équipe leur vient en aide mais une seule terre d'exploitation et quelques élevages viennent difficilement à bout de la faim.D'immenses stocks de nourritures impérissables sont préservés surtout un étage. C'est celui-là même qui sépare notre communauté de la « Haute ». Cela permet aux équipes alimentaires d'approvisionner correctement la Tour sans se disperser. Un convoi de ravitaillement est souvent en mission extérieure afin de renflouer les réserves.

Vient ensuite un parc, parsemé d'arbres, de chantiers et de pinèdes. Il ressemble plus ou moins aux forêt que j'ai pu voir en photo, excepté qu'un mur en béton se trouve en son milieu et que la densité de végétation a été réduite par mesure de sécurité. Le terrain est grand et les enfants viennent souvent jouer avec les quelques chiens de compagnie qui vivent dans l'unique chenil situé à proximité.

Plus loin encore, derrière un grillage qui tient éloigné les habitants, se dresse une grand arche, une demi sphère qui sort de la terre comme un insecte sortirait de son nid. Il s'agit du tunnel qui mène au de-là de la frontière. Il est emprunté par les quelques groupes de courageux aventuriers, et malheureux employés, qui sont envoyés à la recherche de provisions diverses. Certains ne sont jamais revenu de leur excursion.

Des cabanes de surveillances sont positionnées aux quatre coins cardinaux et le reste des hectares contient un petit cimetière, un parking de camionnette dont la mienne à sa place, un stand de tir en plein air et des parcours militaires afin de former les prétendants à la garde de la Tour. Qui pourrait deviner ce qu'il se passe au loin, à quelques mètres de ces fleurs rougeâtres jonchant la muraille et dont les senteurs sont écrasées par la puanteur des créatures qui persistent à se frayer un chemin jusqu'à nous ?

- Je vais retrouver Emma et Josh au fourre-tout, dis-je soudain.

J'avale ma dernière bouchée et me lève en trombe. Je suis impatient de retrouver mes camarades, comme chaque soir.

Je claque la porte derrière moi et appuie sur l'interrupteur afin d'éclairer l'étage. Il y a très peu de passage lorsque la nuit est tombée. Les gens se complaisent dans leur cocon et aiment se ressourcer avant d'attaquer une nouvelle journée. Je marche doucement afin de ne pas faire trop de bruit et ne pas réveiller ceux qui dorment déjà. Je regarde ma montre et place ma main contre l'une des parois du hall, près de la cage d'escalier. Je sens des vibrations constantes, un bruit de moteur qui provient du quinzième étage et qui s'étend jusqu'au sommet du bâtiment. Il s'agit du confinement de protection donc la classe supérieur bénéficie chaque soir. Leurs étages sont scellés et leurs fenêtres dissimulées sous d'immenses volets fortifiés. Leur bloc complet devient impénétrable en cas de menace ou de danger.

Nous n'avons pas de système similaire en bas. De simples portes en bois séparent les étages d'habitations et seuls les paliers publiques comme l'infirmerie ou les cantines sont fermés.

C'est de cette manière que je peux retrouver chaque soir mes amis. Emma s'occupe de l'entretiens de surface des étages et possède un trousseau de clés variées. Il nous permet de ne retrouver dans un local où les habitants entreposent ce qui n'a pas de place chez eux.

C'est un mélange entre un grenier et un magasin d'antiquité, mais aussi d'un atelier et d'une salle d'exposition. Il y a tant de souvenir du passé et tant de bibelots que je ne connais pas. Des toiles et des œuvres d'art par dizaines, des livres par centaines, des machines à écrire et des vieux journaux d'époque. On peut aussi trouver des jeux de cartes et de jeux sur plateau dont les règles sont particulièrement amusantes bien que farfelues. Au fond de cette pièce, où je me sens étrangement à l'abri, sont disposés trois fauteuils bien distinct. L'un est en velours partiellement décousu et déchiré, un autre en cuir marron tachetés et un dernier en tissu floral décoloré.

Mes camarades sont déjà installés mais se lèvent pour me prendre dans les bras.

- Dis moi que tout va bien ? Me demande Emma impatiente.

- Oui, nous avons de quoi rester ici un bon moment encore.

Un large sourire se dessine sur leur visage.

- Et vous ? Je questionne.

- De même, répondent-ils en cœur.

Je m'assois et toussote car l'endroit est très poussiéreux. Cette odeur de vieux bois et de vieux papier me fait pourtant voyager. Le temps est suspendu, apaisant. Il n'y a que nous trois, nos voix, nos rires, nos moments. Je fouine à la recherche d'histoire, de souvenir dont je ne suis pas propriétaire. Je tombe sur des photos, des portraits de famille, des paysages envoûtants. Je passe mes doigts avec insistance comme pour sentir la mer et la chaleur du soleil, ou bien le sable qui glisse entre mes mains.

Le monde était-il meilleur avant ? Il m'apparaît si grand mais si divisé... par frontière, par pays, par culture. Les riches et les pauvres qui se partagent la Tour me semblent insignifiant face aux guerres dévastatrices de l'Histoire.

- Vous pensez que cela tiendra encore longtemps ? Je demande soudain avant de préciser, ce système...

- Vingt-cinq ans que la Tour est là, vingt-cinq ans que nous y sommes ! Répond Josh amusé, nous sommes les piliers de la longévité !

Il imite la voix de notre gouverneure car c'est devenu son slogan fétiche. Il n'a pas tord, nous sommes nés lorsque la muraille a fermé ses portes au monde et nous avons perduré malgré les difficultés. L'union fait la force.

Josh est un garçon altruiste et généreux. Il aime plaisanter même lorsque la situation ne s'y prête pas. Il est blond, les yeux verts,les épaules carrés et présente une silhouette très athlétique.Il fait partis des soldats de la garde et passe la plus grande partie de sa journée dans les cabanes de surveillances. Il nous fait souvent part de l'ennuie que lui procure son travail mais il prend plaisir à se sentir utile. Il ne nous parle cependant jamais de ce qu'il voit derrière les murs car cela fait partis du secret professionnel. Il nous a quand même avoué que le champ de vision est si restreint qu'il passe la majeure partie de son temps à veiller à ce qu'aucune Dégénérescence n'escalade les grilles électrifiées.

- Comment étaient vos journées ? Je demande.

- Une mâtinée banale, répond le garçon, puis le rassemblement mensuel et interminable.

Je souris.

- Nous avons passé plusieurs heures à préparer la grande place, avec mon équipe, répond Emma. Je ne suis pas sûr que cela ait plu à la Régente mais nous n'avions pas de tapis rouge sous la main.

Je rigole de nouveau.

- Ton estrade boueuse à fait fureur, s'amuse Josh.

- Et la façon dont elle se cachait le visage pour ne pas dégobiller, renchérit mon amie, je suis certaine qu'elle a brûlé son écharpe après ça !

- Elle doit encore prendre un bain à cette heure-ci ! Dis-je.

Nous plaisantons une bonne heure puis nous décidons de rentrer nous coucher. Je me lève très tôt demain pour ma ronde habituelle.

La nuit est courte et fraîche. Un léger courant d'air se faufile à travers la vitre et frigorifie mes pieds. Je m'engouffre sous la couette et tente de trouver le sommeil. Je fais des rêves insensés,colorés et ternes à la fois, sans lien logique. Il m'arrive d'angoisser lorsque je pense plus sérieusement à la menace grandissante qui nous encercle. Certaines nuits sont étouffantes,stressantes, vicieuses. Elles déforment notre environnement au grès de ses envies, développent nos craintes et nos peurs les plus profondes et intensifient les râles des Dégénérescences, me donnant l'impression qu'elles attendent derrière ma porte,impatientes de se jeter sur moi... sur nous.

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