Chapitre 1


Nous sommes réunis, comme à chaque fin de mois, au pied de la Tour. La régente prend place sur l'estrade, ajuste le microphone, se redresse et fait claquer ses talons hauts comme pour se fixer au sol. Elle humidifie ses lèvres d'un coup de langue et remue la mâchoire avant de prendre la parole.

- Mes chers citoyens...

Elle marque une pause afin que chacun se taise. C'est une grande dame, issu d'une famille bourgeoise et influente. Sa robe rose pastel et ses bijoux en pierres précieuses se dénotent face à l'assemblé qui se tient devant elle. Nous, simple ouvrier rampant sur le seuil de la pauvreté, réduit à vivre au pied du Building et à maintenir le confort de cette société dont eux seul profite. Nous avons cependant la chance d'être sains et sauf, nourri et logé. Les difficultés auxquelles nous devons faire face ici ne sont que peu différentes de celles du passés d'après mes parents.

Pour ma part, je n'ai jamais rien connu d'autre que la Tour et sa muraille infranchissable. J'ai grandi entre ces murs et il en est de même pour la génération qui m'accompagne. Seul les anciens ont connu l'extérieur, les montagnes et les océans, les immenses forêt ainsi que les monuments, les pays, les cultures. Ce qu'il reste ici n'est que l'ombre du passé. Une ombre qui tente de se reconstruire en imposant des règles et des lois qui ne sont que peu productives. Ceux qui ont le pouvoir nous contrôlent et tiennent fermement les ficelles.

- Un nouveau mois se termine et, grâce à vous, résidents de la Tour, nous avons accompli tous les objectifs fixés, reprend-elle.

La foule applaudit et répond par des cris de joies et d'encouragements mutuels. Les récompenses et les salaires vont être distribués et aucune pénalité ne sera retenue. Nous pourrons faire le plein de provisions et peut-être même garder des économies par prévention. Je suis soulagé, je souris.

Il y a pourtant un groupe de personne qui persiste à ne montrer aucun enthousiasme. Ils sont toujours au même endroit et regarde la scène avec recul. Le visage inexpressif, ils semblent juger et comploter entre eux. Il m'est bien sûr impossible d'entendre les messes basses qu'ils partagent mais les regards insistants qu'ils lancent à la Chef et son équipe sont déroutants. Ils se détachent des habitants, chaque fois un peu plus. Deviennent-ils des marginaux ?N'ont-ils pas peur des répercutions que cela peut engendrer ? Si le système s'aperçoit qu'ils ne suivent plus les rangs, cela peut leur porter préjudice. Pourtant je les reconnais, car je les aperçois chaque jour, acharnés à la tâche. Leur présent ne doit plus être à la hauteur de leur passé et cela les rend sûrement nostalgique. Ils me voient en train de les observer alors je détourne rapidement les yeux.

Je regarde notre gouverneure tenir difficilement sur place. Elle ne peut s'abstenir de couvrir son nez avec son foulard afin de ne plus sentir les reflux de viandes avariés qui proviennent du mur de protection.La population atteinte qui s'amasse derrière et que nous appelons les « Dégénérescences » libère une odeur nauséabonde à laquelle mes compagnons d'infortunes sont désensibilisés. La population aisée qui est installée à partir du quinzième étage n'a pas connaissance de ce problème, ni des râles et des hurlements qui proviennent du mur.

La Tour est composée de cinquante-quatre paliers d'après le descriptif du système, que l'ont doit apprendre dès le plus jeune âge. La transparence et le mot d'ordre du gouvernement et nous n'avons d'autre choix que de croire ce qu'il en sort. L'accès à ces étages nous est interdit. Nous appartenons à la classe inférieure et ne pouvons interférer sur le quotidien social des autres. Il en est de même pour eux, qui ne descendent jamais. C'est un gros effort pour la régente et son équipe de faire le point près de nous, sur ce podium en bois massif humide et terreux qui ne laisse aucune adhérence à ses chaussures hors de prix, et de prendre conscience de la misère dont la hauteur les éloigne.

- Les démarches habituelles seront effectuées près du point d'accueil et des enveloppes avec vos statuts mis à jour seront distribuées.

Ces« Statuts » sont le résumé d'un calcul global sur le rendement et la productivité de chacun. Notre place dans cette grande enceinte à un prix... et il vient dès notre majorité. Les enfants, quant à eux, sont éduqués et protégés car ils sont les futurs gardiens de la prospérité.

Je me souviens par bribe de ce que j'ai pu apprendre pendant les heures d'études et le plaisir que j'avais de partager mes connaissances avec mes camarades. Dans l'ancien monde, que me décrit si souvent ma mère, j'aurais pu devenir qui je souhaitais. Un professeur, un médecin ou bien même un artiste incompris et torturé. Mais ici, le libre arbitre n'existe pas. Des fonctions prédéfinies nous attendent, selon notre niveau de vie social, notre condition physique, notre profil psychologique et nos capacités d'adaptations.

C'est ainsi que je contribue, depuis plusieurs années déjà, à la stabilité et à la sécurité de la Tour. J'ai été placé dans la section du maintiens électrique. Je dois vérifier chaque jour, avec mon groupe, le bon état de la muraille dont les sommets sont prolongés par de longues grilles électrifiées. Si une panne de courant est répertoriée, les Dégénérescences ne pourraient toujours pas pénétrer les lieux. Les murs sont hauts et les grilles plus hautes encore. Cela me soulage de savoir que j'ai le temps de corriger un quelconque problème sans que tout ne s'écroule par ma faute.

Je dois aussi veiller à ce que l'électricité nécessaire pour le building soit chaque jour présente. Elle provient de générateurs internes ainsi que de panneaux solaires placés sur les murs du bâtiment et sur le toit. Je n'ai jamais eu l'occasion de m'occuper de ces derniers car des techniciens de hauts étages les surveilles quotidiennement. De gros moyens ont été mis à disposition pour construire et faire perdurer la Tour.

Mes parents n'ont jamais souhaité me parler de leur passé et du prix que notre entrée à du leur coûter. Pourtant, nous y sommes. Nous nous tenons dans cette enceinte, privilégiés malgré nos conditions et chanceux parmi les millions qui ont péri dehors.

Ma mère, Lily, travaille dans les cuisines du premier secteur. Les repas que son équipe préparent sont distribués dans les cantines des employés et dans le réfectoire scolaire des deux premiers étages. Mon père, Rayan, travaille dans la maçonnerie et renforce chaque jour les fondations du bâtiment ainsi que les légères brèches crées sur la muraille et provenant de la pression exercée par les dégénérescences qui se pressent contre le béton.

Chacun détient une place précise et doit apporter une pierre à l'édifice.Aucun électron libre n'est toléré. Il n'y a pas de prison.Quiconque s'éloigne des lois est jugé et exclus au de-là du mur.Certains ont seulement un avertissement mais ne peuvent récidiver sans conséquence. Chaque expulsion, quelque soit son motif, est poignante. Elle signifie la mort pour celui qui l'a subit car personne ne peut survivre dehors.

Je patiente dans la file d'attente interminable, aux cotés de mes parents. Lorsque je récupère mon enveloppe, je l'ouvre rapidement tout en libérant le passage.

- Tout va bien Evan ? Me demande ma mère.

- Oui, mes quotas sont corrects. J'ai assez de crédits pour rester avec vous au second étage.

- Tout est bon pour moi aussi ! Rajoute mon père.

Nous ne risquons pas de perdre notre place pour le moment. Nous avons assez de point pour garder notre petit appartement et la possibilité de manquer quelques jours de travail si l'un de nous tombait malade.

Tout me paraît si complexe lorsque je prends le temps d'y réfléchir. La mort naturelle n'existe plus... me dit-on. Le monde a sombré face aux Dégénérescences, qui ne sont rien d'autres que des êtres humains dont le cerveau et les fonctions cognitives ne fonctionnent plus. L'instinct primaire reprend alors le dessus et le corps,maintenue par une régénération cellulaire hors normes, obéit à des pulsions agressives et défensives. Tout m'a été transmis pendant les cours de biologie et cela ne m'a jamais surpris. Mes parents en revanche, ont connu un monde où la nature était un cycle infini. Mais petit à petit, sans que je n'en connaisse la raison initiale, le monde est devenu surpeuplé. Les catastrophes naturelles et les crises ont eu un rôle dévastateur et ont aussi contribué à la création de la Tour. Il s'agit d'un ancien Building rénové et amélioré afin de nous garantir une protection maximale. « C'est notre arche de Noé » Me disait ma mère lorsque j'étais enfant.

Quelques personnes nous quittent chaque mois, malgré que le trépas ne soit plus présent. La vieillesse, les maladies incurables, les troubles psychologiques potentiellement dangereux et bien d'autres critères engendrent une euthanasie qui consiste à rompre le système nerveux à l'aide d'un pistolet d'abattoir traditionnel. Ce sont les mêmes qui sont utilisés sur les animaux d'élevage dans la zone fermière située à l'arrière du bâtiment. Il est inutile de rajouter que les riches d'en-haut n'ont que peu de craintes sur leur avenir. Nous sommes pourtant tous égaux face à la menace qui nous entoure.

- Nous pouvons rentrer, dis-je, le soleil va bientôt se coucher.

Ma mère acquiesce.

- Partez devant moi, répond mon père, j'ai quelques affaires à régler.

Il tend ses papier à ma mère afin qu'elle les ramène dans notre dossier, à la maison.

Je le vois qui s'éloigne et nous faisons de même. Lorsque nous arrivons près de l'entrée de la Tour, sur les grandes marches qui l'a précède, je m'arrête et me retourne par curiosité. La foule s'est dispersée et la file d'attente pour les enveloppes s'est considérablement réduite. Je balaye la place d'un coup d'œil et je l'aperçois au loin, préoccupé par ses dites « affaires ». Il se tient au milieu du groupe en retrait que je fixais plus tôt et s'adresse discrètement à celui qui semble être le cerveau de la bande. Que peut-il bien leur dire ? Je n'avais pas connaissance de ce rapprochement. Voila qu'un frisson remonte de mes pieds et s'amenuise dans ma nuque. Mes poils se redressent et mon sang se glace. Je ne trouve rien de rassurant à le voir avec eux...bien au contraire.

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