Chapitre 8: Monsieur Mills
Georges Mills était un homme avec des principes. On l'avait éduqué pour qu'il devienne duc. Certes, ce titre n'était plus qu'une étiquette puisque les terres avaient été vendues, il y a bien longtemps. Sa famille s'était même installée en France depuis plusieurs générations. Malgré tout, son statut était important pour lui, c'était son héritage.
Ce fut donc dans cette même idée qu'il avait élevé son fils unique Henry, qui portait le nom de son grand-père. Le petit garçon avait toujours eu un caractère mutin. Lorsque sa mère était encore en vie, il émanait de lui une certaine douceur, qui avait disparue depuis.
Henry n'avait jamais été un enfant difficile. Il ne piquait pas de colère, faisait ce qu'on lui demandait et était bon élève. Il était parfois mou et passif, mais Georges était persuadé que ce n'était qu'une phase et que cela passerait avec l'âge. Il avait rencontré sa mère alors qu'il était à la gare. Elle flânait sur un banc et observait l'architecture de l'endroit.
La jeune femme avait le teint de porcelaine, une chevelure brune relevée en un chignon défait. Ses yeux verts papillonnaient, tandis qu'un livre était ouvert sur ses genoux. Sa tenue était simple. Un chemisier blanc brodé de perle, une jupe plissée qui tombait sur le bas des cuisses. Des souliers de cuir noir, des chaussettes montantes d'un rouge bordeaux. Un vent frais la faisait frissonner et un petit gilet de laine grise était posé sur ses épaules.
Georges avait ressenti quelque chose en la voyant ce qui, il faut l'avouer, arrivait rarement. Il s'était arrêté net, la bouche béante et l'avait observée, debout, pendant plus d'une heure. Lorsqu'elle s'était relevée, ses jambes avaient fait le chemin pour lui et sa bouche avait lancé un « bonjour », puis plus rien. Son cerveau l'avait laissé là, tout seul, les bras ballants devant cette femme qui le dévisageait avec une grimace d'incompréhension.
La jeune femme avait eu la politesse de ne pas partir en courant et de répondre à ses maigres questions. Elle s'appelait Marie et étudiait l'architecture à Bordeaux. Lorsqu'elle dut partir, Georges crut entendre son organe vital se briser. Lui qui avait toujours pensé ne pas avoir de cœur, l'amour n'ayant jamais été une priorité dans sa vie.
Le lendemain, le jeune homme n'avait qu'une obsession : la revoir. Il était allé devant son école, espérant la croiser. Le premier jour il ne l'avait pas vu. Alors il était revenu le lendemain, puis le surlendemain, jusqu'à ce qu'il la revoie une semaine plus tard. Sa beauté lui avait une nouvelle fois coupé le souffle, il n'avait plus d'emprise sur sa personne face à elle.
Ce jour-là, il sut qu'il l'épouserait et que ce serait la future madame Mills, et ce fut exactement ce qu'il se passa. Elle lui avait donné un fils. Le jour de la naissance, il fut comblé. Malgré son air stoïque, son petit cœur battait, celui-là même que Marie avait fait se réveiller. Peut-être que tout cela avait été trop beau ou trop parfait et que c'était pour cette raison que la vie avait décidé de lui arracher sa femme.
Henry était encore petit quand la maladie avait emporté sa maman et Georges avait tout fait pour que la perte ne le brise pas. Il s'était toujours demandé si la douceur de Marie n'allait pas être un vide dans sa vie, mais il n'avait pas eu le choix. Il avait fait plusieurs efforts au début pour remplacer sa mère pourtant, bien vite il dut abandonner cette idée. On ne pouvait pas cacher sa véritable nature, même pour le bien d'un enfant.
Georges était Georges, un homme impassible à la facette sévère et aux ambitions à la hauteur de son statut. Son cœur s'était endormi en même temps que sa bien-aimée et il savait que même le souffle d'un ange ne pourrait le réveiller. Il était livré à lui-même, avec un petit garçon aux yeux émeraudes sur les bras.
Ce garçon avait bien grandi aujourd'hui et Georges le comprit enfin lorsqu'il découvrit le mot. Ce mot qui lui expliquait que son unique fils était parti dans un pays étranger, pour une affaire qu'il préférait garder secrète et qu'il devait rentrer deux jours plus tard.
Monsieur Mills n'avait jamais été inquiet pour son fils. Il le savait débrouillard et intelligent, à quoi bon s'inquiéter ? Mais il avait seulement seize ans. Il n'avait pas encore toutes les connaissances et l'autonomie pour partir dans un pays étranger, seul.
La première question qu'il se posa fut, avec quel argent avait-il bien pu s'enfuir? La chaise lui revint rapidement à l'esprit. Il s'était alors précipité dans la chambre d'Henry et avait retrouvé son coffre secret dépouillé. La colère l'avait gagné en quelques secondes. Quelle ingratitude, quelle trahison de se faire voler ainsi par son propre fils, lui qui n'avait jamais manqué de rien.
Il s'était alors dit que son sort l'indifférait désormais, qu'il ne s'intéresserait plus à ce chérubin sans valeurs. Mais être père n'était pas un rôle dont on pouvait se débarrasser aussi facilement. L'inquiétude l'avait regagné rapidement, surtout lorsque le dong des deux jours écoulés avait sonné.
Le téléphone à la main, il était prêt à contacter la police quand il reçut un appel. Pensant que c'était Henry, il avait décroché, préparé à lui aboyer dessus. Contre toute attente, ce fut une voix féminine et hésitante qui le salua. C'était madame Jacobson, elle aussi était inquiète pour son fils qui avait disparu depuis quelques jours et dont elle n'avait aucune nouvelle.
Elle lui parla d'un mot, le même que Georges avait reçu et de la fameuse date qui était dépassée. Elle lui demanda si elle pouvait passer pour discuter, il accepta et quelques minutes plus tard, Jeanne toquait à sa porte.
— Merci de me recevoir, émit-elle, quand il l'invita à s'installer sur le canapé du salon.
— Je vous en prie, le sort de nos enfants est en jeu.
Jeanne déglutit. Elle n'avait de cesse de pleurer depuis qu'elle avait lu le mot. Paul était pourtant un garçon sage et réfléchi. Comment était-il possible qu'il puisse lui faire ça ? Et louper des cours en plus. Son premier réflexe avait été de contacter la police, mais ils lui avaient ri au nez.
Des adolescents qui fuguaient, c'était leur lot quotidien. Il fallait attendre au moins trois jours avant de réellement s'inquiéter. Jeanne leur avait rappelé qu'il était mineur et âgé de seulement seize ans, mais les policiers lui avaient déclaré qu'ils n'avaient aucune influence en Allemagne et qu'elle ne pouvait qu'attendre le retour de son poussin.
— Je m'apprêtais à prévenir la police lorsque vous m'avez contacté, déclara Georges.
— Cela fait plusieurs jours que je me suis rendue à la police pour les prévenir de la disparition de Paul, mais ils sont en Allemagne, alors la police française ne peut rien faire
et ils m'ont dit d'attendre, annonça Jeanne, attristée.
Georges parut surpris face à cette déclaration. Il n'avait pas réalisé qu'un adolescent en fuite dans un pays étranger allait être bien plus compliqué à trouver.
— Vous avez déclaré vouloir discuter, de quel sujet s'agit-il ? interrogea l'homme.
Madame Jacobson sembla surprise par sa question.
— Des garçons bien sûr. J'ai retourné la maison pour savoir quelle était leur destination précise et surtout leur but. Je voulais savoir si vous, vous aviez de quelconques indices.
— J'avoue ne pas avoir cherché, énonça Georges, je voue une grande importance à l'intimité et à la propriété intellectuelle.
Jeanne tremblait de tout son corps, cet homme l'avait toujours mise mal à l'aise. Si droit, si contrôlé, mais elle n'aurait jamais pensé qu'il le resterait au sujet de son fils. Elle s'était gravement trompée.
— Ne pensez-vous pas que pour le bien de votre fils, il faille dépasser cette résistance de votre part ? énonça Jeanne, en manipulant ses mots pour qu'ils puissent toucher son interlocuteur.
Georges lâcha un long souffle, un comportement bien inhabituel pour monsieur Mills. Ses principes le définissaient depuis toujours, aller à leur encontre était inimaginable pour lui, mais Henry était aussi important qu'eux à ces yeux. Peut-être la seule chose plus importante qu'eux. Il n'était pas un homme démonstratif, mais il était un père respectable et aimant à sa manière.
Après un long moment de réflexion, il déclara de sa voix la plus formelle :
— Suivez-moi.
Jeanne Jacobson vit pour la première fois la faille dans la posture de monsieur Mills. Il sembla soudain plus courbé. Elle le suivit dans les escaliers et pénétra dans l'antre du jeune fils Mills. Elle allait se diriger sans réfléchir vers les tiroirs de son bureau, quand elle fut interrompue par une main qui s'était placée sur son chemin.
— Promettez-moi de ne jamais lui en parler et de garder pour vous, tout ce que vous trouverez. Mon fils m'a certes volé et nos relations sont la majeure partie du temps, conflictuelles, mais sa confiance est très importante pour moi, déclara-t-il.
La femme fut surprise par cette soudaine déclaration, qui ressemblait par beaucoup à une confession. Elle fut prise d'une soudaine sympathie pour cet homme aux allures si guindées et à la vie bien contrôlée.
— Je vous en fait la promesse, annonça Jeanne, d'un sourire compréhensif.
Georges Mills, rassuré, s'écarta alors et se mit à la recherche d'indices pour retrouver son fils.
Il venait à peine de tourner le dos à madame Jacobson, qu'il put entendre:
— Je vous suis très reconnaissante de faire cela pour mon fils, murmura Jeanne.
Sans se retourner, Georges déclara à son tour :
— Je vous suis tout aussi reconnaissant de m'avoir ouvert les yeux pour aider le mien, conclut-il.
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