Chapitre 7: Le Chat

Les billets étaient réservés pour le lendemain, mais les trois gamins devaient trouver un coin pour dormir. Ils se mirent donc à la recherche d'un hôtel pas trop cher à proximité de l'aéroport. Le père d'Henry avait une autre qualité : il avait été prévoyant avec ces liasses de billets, dont la somme était assez astronomique pour trois adolescents sur les routes.

— J'ai faim, lança Joe.

Paul avait repéré un hôtel bon marché et bien placé. Ils étaient en chemin.

— Tiens, vas nous chercher des sandwichs, déclara Henry en lui tendant deux billets roses.

— Mais je parle pas le danois, bougonna le blond.

Henry souffla. Parfois, Joe aimait un peu trop jouer les assistés.

— Très bien. Prenez les affaires, je vous rejoindrai à l'hôtel avec de la nourriture.

Le garçon laissa ses amis et s'éloigna. Il chercha une échoppe qui vendrait des produits à emporter. Le ciel était bleu. Des goélands pleuraient dans le ciel, tandis que les habitants dans leurs cirés colorés, laissaient les quelques rayons de soleil les réchauffer. Une boutique attira l'attention d'Henry. Rose, avec un écriteau en bois dont il ne comprenait pas la signification.

L'adolescent pénétra dans le magasin. C'était une petite épicerie. Une fille, dont l'âge approximait du sien, se tenait à la caisse, juste à sa droite.

— Goodmorgen, lança-t-elle.

Il lui répondit par un sourire et s'avança dans les rayons. Les marques n'étaient pas les mêmes qu'en France. Alors, après avoir essayé de traduire plusieurs paquets en vain, il finit par attraper ce qui ressemblait le plus à du pain, de la brioche, du jambon et à un peu de beurre. Ses bras remplis, il se dirigea vers la jeune fille.

D'un beau sourire, elle encaissa l'argent qu'il lui tendait avant de le saluer d'une main quand il traversa le seuil. Le ciel se couvrait. Henry accéléra le pas, l'hôtel était encore à un kilomètre. Lorsque la façade apparut, la pluie commença à s'abattre et il pénétra au pas de course à l'intérieur.

Il rejoignit ses amis au cinquième étage. Un Joe à l'air hagard lui ouvrit la porte.

— Moi qui pensais que tu allais me faire la fête, lança Henry.

— Hum oui, désolé, c'est juste que, murmura le blond.

Un fond sonore résonnait dans la chambre.

— Entre, émit Paul, il faut que tu voies ça.

Le brun s'introduisit dans la petite chambre aux couleurs ternes. Il ne tarda pas à remarquer la télévision qui faisait défiler en boucle, les mêmes images depuis bientôt vingt minutes.

— On a vu ça en entrant.

Les portraits-robots de trois garçons leur ressemblant étrangement étaient affichés à l'écran. Ils ne comprenaient certes pas la langue, mais ce n'était pas nécessaire pour saisir l'information principale: ils étaient recherchés. Une journaliste interrogeait quelqu'un. Henry le reconnut, c'était le fonctionnaire. Sa gestuelle était très agressive et agacée.

— On va faire quoi ? demanda Joe.

La tension qui grimpait dans la chambre fut interrompue par un miaulement. Henry se tourna vers son propriétaire. Le chat avait son même regard assassin et semblait vouloir faire une déclaration. Peut-être que lui aussi voulait les dénoncer ?

— Comment ont-ils pu faire le lien aussi vite entre nous et Joséphine ?

— Je vous avais bien dit que la coïncidence était étrange, expliqua Paul, quelqu'un essaye de nous piéger.

— Mais on n'est personne ! se défendit Joe.

Le chat râla une nouvelle fois. Henry attrapa un morceau de brioche qu'il venait d'acheter et lui tendit.

— On en sait bien plus qu'on ne croit, déclara Henry.

— C'est vrai, affirma Paul, j'ai continué de lire le carnet et, soit ton oncle était complètement fou, soit il avait compris quelque chose dont personne ne soupçonne l'ampleur.

— Et vu la proportion que prend cette affaire, je commence à croire la seconde option, poursuivit Henry.

Joe avait attrapé les provisions qu'Henry venait d'amener et commençait à faire des sandwichs qu'il tendait au fur et à mesure à ses amis.

— Pourquoi ce chat est toujours là ? demanda Henry.

Le blond se frotta la nuque.

— On ne savait pas trop où le mettre. On va quand même pas l'abandonner dans la rue, lâcha-t-il, triste.

— Je savais que c'était pas une bonne idée de le prendre, dit Paul.

L'animal errait dans la pièce comme si c'était son royaume. On aurait pu l'appeler Monseigneur, tellement son attitude était pédante.

— De toute façon, demain on pourra pas l'emmener dans l'avion, déclara Henry.

Joe avait toujours eu beaucoup d'affection pour les animaux. Leur langage le fascinait depuis tout petit. Il avait étudié les chants des oiseaux, des baleines, des loups, le cri des hyènes et le comportement du chat, comme celui du chien. Le garçon avait toujours senti comme une connexion entre lui et le règne animal.

— Je sais qu'on a plein de trucs à régler et que le chat n'est pas notre priorité, mais on peut pas lui faire ça.

Henry réfléchit un instant en voyant la peine dessinée sur le visage de son plus fidèle ami. Quand une idée éclaira son esprit.

— Mets le chat dans mon sac, je sais exactement à qui je vais le laisser.

Le garçon sortit rapidement, capuche sur la tête, bébête miaulante dans le sac et rebroussa chemin. Il parcourut plusieurs mètres avant de reconnaître l'échoppe rose.

— Goodmorgen, lança-t-il, à la jeune fille qu'il avait vu une heure et demi avant.

Millie n'avait jamais voyagé. Le seul horizon qu'elle connaissait, c'était celui que le vieux port pouvait lui donner. Ses parents n'avaient jamais eu beaucoup d'argent et leur plus grande fierté, c'était cette petite épicerie qu'ils avaient acheté le lendemain de leur mariage. Elle était née ici et mourrait sûrement ici. Son avenir était déjà tout tracé et, alors qu'elle n'avait pas encore fini l'école, elle passait déjà la moitié de son temps libre à la caisse.

Lorsqu'elle vit le garçon ce matin-là, son cœur s'était comme illuminé. Ses yeux l'avaient transpercée, elle n'avait jamais ressenti ça auparavant. Son quotidien était habituellement gris et lorsque la nouveauté venait toquer à sa porte, son cerveau se mettait à pétiller. Elle aurait tellement aimé avoir une autre vie.

Ce garçon, lui, semblait avoir une vie pleine de couleur. Il ne l'avait même pas regardée. Sa peau de cellophane se confondait avec le mur de l'arrière-boutique. Ses yeux étaient gris et la seule couleur qui illuminait son quotidien, c'était le peu de rose qu'elle déposait sur ses lèvres chaque matin.

Alors quand elle avait vu le garçon revenir et la saluer de son plus beau sourire, son cœur avait implosé. L'accent qui résonna dans l'échoppe, réchauffa son corps. Elle tressaillit, serait-ce pour elle qu'il était revenu ? Avait-il ressenti la même chose ? Ses couleurs à lui allaient-elles la contaminer, elle ?

Il lui demanda si elle parlait anglais, elle acquiesça. Les langues étrangères l'avaient toujours fascinée. Elles lui permettaient de voyager un peu, peut-être qu'un jour elles lui seront utiles ? Le mystérieux garçon posa son sac à dos sur le comptoir. Curieuse, elle le laissa faire. Un étrange bruit émanait d'une des poches.

Quand il l'ouvrit, une tête poilue ne tarda pas à sortir. Elle sursauta, surprise. Pour la rassurer, le garçon eut le réflexe d'attraper sa main. Son sang ne fit qu'un tour. Millie demanda à Henry pourquoi il lui amenait ce chat. Il lui expliqua qu'il devait partir et qu'il ne pouvait pas l'emmener avec lui, mais qu'il ne voulait pas l'abandonner.

La jeune fille fut ravie qu'il pense à elle pour une telle requête. Elle observa l'animal qui déjà, s'était accaparé l'établie. Son air hautain plut instantanément à la fille aux yeux gris. Elle demanda à son ancien propriétaire, son prénom. Il lui annonça qu'il ne le connaissait pas.

Alors elle lui demanda son nom à lui, il lui répondit « Henry », elle comprit « Enrik », et c'est comme cela que le chat fut renommé. Cette fois-ci, ce fut Henry qui envoya son plus beau sourire à Millie en quittant l'épicerie. Il ne se douta jamais de l'impact que sa venue avait eu sur la vie de la jeune fille, mais cela, c'était une autre histoire.

Quand le garçon fut loin, la demoiselle alluma la télévision. Celle que cachait son père dans la réserve pour les soirs de match. L'autoportrait du garçon au chat, ainsi que celui de deux autres adolescents, s'afficha.
Elle poussa un cri avant de se ressaisir.

Enrik l'observait. Quand Millie croisa son regard, une sensation étrange la saisit. Elle coupa la télévision et revint à la caisse. Le garçon au chat n'avait rien à craindre, elle enterrerait son secret dans la tombe. 

Henry courait. Il avait pris beaucoup de risque en sortant, alors qu'il était recherché par tout Alborg. Il fut soulagé de savoir le chat en bonne compagnie. Il aimait bien les bêtes lui aussi. En arrivant dans la chambre, il apprit la bonne nouvelle à Joe et déclara qu'ils devaient préparer leurs affaires. L'avion était très tôt le lendemain matin et ils devaient partir quand la nuit était encore là, pour éviter de croiser des habitants qui pourraient les reconnaître. Ils devaient vraiment se faire discrets. 

Le sommeil ne vint pas. Nos trois aventuriers avaient les pensées bien trop emmêlées. Le froid était saisissant dans la chambre et malgré les couches de tissus, rien n'y fit, le sommeil était introuvable. Quand le réveil sursauta, les poches sous les yeux des garçons étaient creusées, leurs musculatures, raides, mais ils posèrent leurs pieds sur le trottoir extérieur à l'heure prévue.

— Il va maintenant falloir être plus vigilant les amis. Nous avons déclenché quelque chose qui est bien plus gros que nous, annonça Henry d'une voix ferme. 

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