Chapitre 6: Madame Mills
Cela faisait maintenant une longue minute que personne n'osait bouger. Henry et madame Mills se fixaient, plusieurs mètres les séparaient.
— Maman, répéta-t-il, c'est toi ?
La gorge serrée, la brune déglutit.
— Henry, je.
Les trois garçons reculèrent d'un pas. Elle connaissait le prénom du jeune homme, ça ne pouvait être qu'elle.
— Tu es vivante ? lâcha-t-il, au bord des larmes.
La femme se décida à approcher. La tête basse, les yeux tristes, elle laissa échapper un long souffle.
— Henry, je ne suis pas ta mère, annonça-t-elle.
L'adolescent la fixa et observa à la loupe chacun de ses traits. Il avait certes connu Marie à un âge où les souvenirs restent flous, mais il avait vu des photos. Cette femme était sa mère, il en était certain.
— Pourtant, tu.
Elle le coupa.
— Henry, je suis Joséphine. Marie était ma sœur.
Le poids qu'il ressentit manqua de le faire chuter. Sa sœur ? Il avait une tante ? Pourquoi son père ne lui en avait-il jamais parlé ?
— Mais, père a.
— Ton père et moi avons toujours eu une relation conflictuelle. Je ne serais pas étonnée qu'il t'ait caché mon existence.
— Vous lui ressemblez tellement.
Joséphine soupira, son minois était noyé sous la peine.
— Je sais. Nous avions pourtant quelques années de différence, mais tout le monde adorait dire que j'étais la version miniature de ta mère.
Un bruit se fit entendre. Quelqu'un approchait.
— Suivez-moi, nous serons plus tranquilles chez moi.
L'appartement était petit et lumineux. Les matériaux principalement chauds, lui conféraient un air douillet. Un chat avait élu domicile sur le canapé et observait d'un air dédaigneux les trois individus encore inconnus. Une odeur de lasagne embaumait la pièce.
— Installez-vous, je vais vous faire du chocolat chaud, vous ne devez pas être habitués à ce climat.
Les trois amis s'installèrent, l'un sur une chaise, un autre sur le tapis. Seul Joe eut le courage de s'installer près du chat, qui n'hésitait pas à jouer de ses griffes sur la souris en laine couinante. Fais gaffe, aurait-il pu miauler.
Le lait se fit bientôt entendre. L'odeur du chocolat fondu enivra leurs papilles. Joséphine approcha avec trois tasses fumantes sur un plateau d'argent.
— Servez-vous, annonça-t-elle avec douceur.
Joe se jeta dessus. Depuis le début du périple, l'alimentation n'était pas le domaine privilégié et la faim commençait à le gagner. Face à son engouement, la brune apporta des gâteaux et quelques produits laitiers. Paul et Henry, plus timides, finirent par craquer et avalèrent toutes les denrées présentes sur la table.
— C'est toi qui m'as envoyé le colis alors ? questionna Henry, qui avait presque oublié la raison de sa présence au Danemark.
Joséphine inspira.
— Oui, avoua-t-elle.
Les adolescents sentirent durant un instant, toute la fierté d'avoir retrouvé, non sans mal, l'expéditeur de ce colis mystérieux.
— Mais pourquoi ? Je ne comprends pas.
La brune s'asseya et se posta face à eux.
— D'abord, laissez-moi vous raconter notre histoire.
— Notre ? répéta Henry.
— Celle de notre famille, Henry.
Joséphine Mills était la cadette de la famille Portier. Sa sœur Marie, de cinq ans son aînée, était d'une insouciance à toute épreuve. Elle se déclarait esprit libre et se voulait sans attaches. Lorsqu'elle rencontra pour la première fois Georges, ce ne fut pas le coup de foudre. Elle avait raconté à Joséphine qu'elle trouvait cet homme taciturne et sans caractère, aussi lisse que les anglais du temps des Grandes Maisons.
Pourtant Georges revint à la charge chaque jour de chaque mois, pendant une année entière. Et lorsque le mois d'Août toucha à sa fin et qu'il lui promit un cottage près d'un lac, dans la ville qu'il aimait appeler Lugdunum, elle accepta contre toute attente. La famille entière fut surprise et déçue par cette décision.
Le mariage eut lieu trois ans plus tard. Le ventre rebondi de la jeune femme trahissait la raison de cette cérémonie. La robe était correcte, les fleurs jolies et le couple avait la décence de paraître heureux. Un mariage réussi en somme. Le véritable coup d'éclat de ce mariage fut la rencontre de Joséphine avec Sullivan, le grand frère de Georges. Ce fut le coup de foudre au premier regard et les deux amoureux volèrent la vedette aux mariés.
Un an plus tard, un autre mariage Portier-Mills fut célébré et ce fut comme cela que les deux sœurs portèrent le même nom de famille. Les relations entre les deux couples devinrent de plus en plus compliquées avec le temps. Georges n'étant pas le plus aimable des beaux-frères et Joséphine n'ayant pas le caractère docile et calme que sa soeur avait développé.
— Père ne m'a jamais parlé de sa rencontre avec maman, déclara Henry, l'apprendre de la bouche de ma tante dont je viens de découvrir l'existence, c'est très étrange.
Quand Joséphine avait appris la mort de sa sœur, le choc avait été tel, qu'elle s'était évanouie. C'était une période très particulière en France et dans le monde. Une épidémie étrange emportait un à un les humains. Les médecins travaillaient sans relâche pour retrouver la souche, mais en vain. Au bout de plusieurs années, les morts cessèrent. Marie et tant d'autres y avaient succombé.
Et puis un jour, alors qu'elle rangeait les quelques affaires de sa sœur et les cartons de son mari, Joséphine était tombée sur un carnet. Elle y avait découvert une facette de son amant qu'elle ne connaissait pas. Il menait en cachette des investigations sur l'entreprise Nutella, fermée depuis quelques années. Il y indiquait quelques ingrédients et des points d'interrogation en pagaille.
Au fur et à mesure des pages, on apprenait que dans le Nutella et dans ses produits dérivés se nichait un virus, le Liporex, qui s'appropriait le corps de son hôte pendant plusieurs années, avant de le laisser succomber en quelques jours.
Joséphine avait décidé de parler de ce carnet à Sullivan. Ce dernier lui avait expliqué que malgré la fermeture définitive de l'entreprise et la recherche de plusieurs médecins pour trouver un remède au virus, l'épidémie n'avait pas pu être évitée. Les morts prévues par le Conseil des ministres s'avérèrent, au millier près, juste.
— L'épidémie a eu lieu à cause du Nutella ? résuma Joe, ahuri.
Joséphine confirma d'un hochement de tête.
— Pourquoi veux-tu que l'on retrouve ce dernier pot alors ? interrogea Henry.
Sullivan avait été retrouvé mort quelques jours plus tard, dans le salon-salle à manger de la demeure conjugale. C'était Joséphine qui l'avait trouvé et qui avait appelé l'ambulance. Mais c'était déjà trop tard.
— J'aimerais que tu ramènes ce pot et qu'on l'analyse. Pour prouver les recherches de Sullivan et enfermer ceux qui ont tué mon mari.
— Pourquoi est-ce que toi, tu n'es pas partie à sa recherche ? Tu as autant d'indices que nous, voir plus, annonça l'adolescent, perplexe.
La brune se gratta le front, gênée.
— Surtout qu'à aucun moment, vous n'avez fait référence au virus, affirma Paul, si nous l'avions trouvé, nous aurions pu le déguster et en mourir.
La sueur s'empara du front de Joséphine.
— Je.
Sans prévenir, la femme s'écroula. Henry réussit à maintenir sa tête pour qu'elle n'aille pas taper contre la table, mais elle n'avait plus de pouls et ne respirait plus.
— Joséphine ! cria Henry, paniqué.
Le corps de la brune était allongé sur le canapé et reposait ainsi, livide. Ses yeux verts étaient encore ouverts et sa peau était encore chaude, mais tous les trois savaient qu'elle était morte. Henry tremblait. Encore sous le choc, il observa sa tante pendant plusieurs minutes. Que devaient-ils faire ? Appeler la police ? Les pompiers ? Leurs papiers n'étaient pas en règle et ils ne maîtrisaient pas la langue locale.
— Il faut que l'on s'en aille, déclara Paul, d'une voix froide.
Ses deux amis le regardèrent, surpris. Il ne semblait pas mal à l'aise face au cadavre. Pourtant, ce n'était pas lui le courageux du groupe.
— On peut pas la laisser là, déclara Joe.
Paul s'avança vers eux.
— Vous ne trouvez pas ça étrange qu'elle meure pile le jour où l'on vient, et au moment où elle nous apprend l'existence d'un secret gardé sous clé par l'état ?
Henry réalisa soudain la coïncidence un peu trop bien réglée.
— Tu crois qu'on l'a assassinée ?
— Je sais juste que l'on ne devrait pas traîner trop longtemps par ici. Alors attrapez vos affaires, je coupe l'eau et l'électricité et on y va.
Les garçons s'exécutèrent. Ils allaient sortir, quand Joe aperçut le chat. Moins tranquille que lorsqu'ils étaient entrés, assis sur le poste de télévision.
— Et on fait quoi du chat ? interrogea le blond.
— Bah on le laisse, émit Paul, d'un coup de main las.
Henry observa la bestiole et songea à l'odeur du cadavre qui ne tarderait pas à s'élever. Au manque de nourriture et à l'avenir de la petite bête à poils, certes non-sympathique, mais qui ne méritait pas un tel sort.
— On le prend, on verra ce qu'on en fait sur le chemin.
— T'es pas sérieux ! clama Paul, agacé par ce soudain intérêt pour le félidé.
Joe s'approcha et après un combat de griffes, il enferma la bête féroce dans son sac à dos. Il laissa une petite ouverture pour qu'il puisse respirer. L'animal miaula de rage, mais tous savaient que l'inconfort de ces quelques minutes, était toujours préférable à la mort lente qui l'attendait en restant ici.
— On fait quoi maintenant ? demanda Joe, lorsqu'ils furent tous trois plus le chat, dans la rue.
— Pendant que vous vous occupiez d'attraper cet animal ingrat, je suis allé chercher le carnet dont nous parlait Joséphine. Il était posé sur sa table de chevet, pas bien compliqué.
Henry félicita le bon réflexe de son ami et tandis que celui-ci lisait à haute voix les premières lignes, il observa les alentours. Les villageois n'allaient pas tarder à faire le rapprochement entre leur arrivée et la mort de Joséphine, ils devaient quitter le pays.
— Prochaine destination, la Sibérie, annonça Henry.
Il était temps de partir à la recherche de cette fameuse cave.
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