Chapitre 3: Le Carnet
La nuit s'en était allée quand Henry termina ses différentes recherches sur les contacts de son père. Quelques personnes parmi ses contacts avaient foulé l'Allemagne, mais jamais aux dates correspondantes. Il s'écroula de fatigue quand le soleil tapa contre sa vitre. Il fut secoué brusquement et ses yeux s'ouvrirent sur un visage familier.
Les yeux foncés de Joe le fixaient avec insistance, accompagnés d'un « allez mec, il est temps de te lever ! ». Le garçon ne se souvenait pas d'avoir fixé le rendez-vous du lendemain au petit matin. Il s'humidifia les lèvres d'un coup de langue et cligna des yeux longuement.
— Qu'est-ce que tu fous là ? Tu t'es pris pour Roméo en confondant l'alouette et le rossignol ou quoi ?
Son ami recula, dévoilant un Paul bien réveillé.
— Vous êtes tombés du lit ? interrogea Henry.
L'ami aux yeux bleus ramassa le carnet noir, étalé sur le sol.
— Je suppose que tu as étudié l'annuaire de ton père toute la nuit et que tu as roupillé toute la matinée.
Henry haussa un sourcil et regarda par la fenêtre, le soleil était à son zénith.
— Tu ne répondais pas aux messages et aux appels, alors on s'est dit qu'on allait venir te secouer les fesses, déclara Joe.
L'adolescent se leva, un peu vaseux et s'asseya sur la chaise de son bureau.
— J'ai rien trouvé. Aucun des contacts de mon père n'était en Allemagne à la période escomptée.
Paul frotta son menton de son index.
— J'ai réussi à trouver de quelle poste provenait le colis. Il vient de Francfort et on y trouve un aéroport. Le colis a donc pu y être déposé pendant une courte escale, tout est possible.
— Pourquoi est-ce que quelqu'un se donnerait tant de mal ? questionna le blond.
— Tout ceci est illégal, le simple fait de rechercher ce pot de Nutella pourrait nous causer des ennuis. La personne qui m'a envoyé ce colis devait avoir une bonne raison de le faire, mais là encore, il nous reste à savoir laquelle, s'enquit Henry.
Les trois amis étaient allongés sur le lit et observaient le plafond. Ils avaient émis un tas d'hypothèses, mais aucune d'entre elles ne tenait la route.
— Et si on allait à Francfort et qu'on allait demander nous-même au postier qui est venu porter ce colis ? émit Joe.
Les deux bruns tournèrent la tête en sa direction, les sourcils hauts sur le front.
— Tu rigoles ? demanda Paul.
Le garçon aux yeux foncés ne sembla pas vexé par sa remarque et continua sa réflexion :
— C'est vrai que ce colis a été envoyé il y a cinq ans, que les postiers ne sont sûrement pas les mêmes, qu'il y a peut-être une centaine de colis envoyés chaque jour dans une grande poste, mais imaginons que l'on se trompe. Imaginons que la chance infime que quelqu'un se souvienne de ce tampon précisément et de cette période puisse nous aider, est-ce que l'on devrait, par prétention, passer à côté ? Est-ce que l'attrait de ce dernier pot n'est pas plus fort ?
Henry écouta son ami et sa réaction se modula, il n'avait pas tort. Les indices étaient désormais limités, ils ne devraient pas cracher sur l'un d'entre eux.
— Je crois que Joe a raison. On devrait tenter l'aventure. Vous n'avez jamais eu envie de visiter le pays de la bière ?
Paul se releva et observa ses compères.
— Vous savez qu'on a cours ? Un week-end ça dure deux jours et aujourd'hui, je vais peut-être vous l'apprendre, c'est le dernier. En plus nous sommes tous les trois mineurs, comment voulez-vous qu'on se paye des billets d'avion, l'hôtel, la bouffe et tout le tatouin dans un pays dont on ne connaît pas la langue ?
Le rationalisme de Paul, son atout dans le groupe. Les adolescents allaient s'avouer vaincus, quand Henry se releva subitement et se dirigea vers la chaise en face de lui.
— Qu'est-ce que tu fais ? questionna Joe.
Une dizaine de secondes plus tard, il eut sa réponse en apercevant plusieurs liasses de billets atterrir à ses pieds.
— Le plus gros défaut de mon père a toujours été de me sous-estimer. Nous avons donc réglé le problème de l'argent. Quant à la langue, je parle anglais depuis ma naissance. L'une des rares choses pour lesquelles je suis reconnaissant envers mon père.
— Mais nous avons toujours seize ans et pas dix-huit.
— On me prend toujours pour plus vieux que je ne suis. Il suffira de mentir sur mon âge et je dirais que vous m'accompagnez, mon voisin fait de superbes fausses cartes d'identité, poursuivit Joe.
Henry n'eut pas fini d'écouter la réplique de Joe qu'il était déjà en train de réserver les billets d'avion pour la Germanie.
— Départ demain huit heures du matin à l'aéroport de Saint-Exupéry. On prendra un taxi, annonça t-il.
Les deux garçons se tournèrent d'une manière synchrone vers leur ami.
— Tu as de la fièvre ? interrogea Paul.
— Henry, ta spontanéité me réjouira toujours, continua le blond.
Paul était encore sous le choc.
— Qu'est-ce que je vais dire à ma mère ?
— Tu ne lui dis rien et tu lui laisses un mot, je ferai la même chose pour mon père, s'enquit Henry.
Des nuages étaient apparus et couvraient le soleil.
— On devrait rentrer pour préparer nos bagages. J'ai pas envie de me taper la pluie, lâcha Joe qui lui, n'avait pas de souci d'ordre parental, vivant chez sa grand-mère à la mémoire de poisson rouge.
Le brun à la chevelure frisée se fit mettre dehors en même temps que Joe. Même s'il était encore réticent quant à ce voyage improvisé, l'entrain de ses meilleurs amis le forçait à suivre le mouvement. Arrivé chez lui, il profita de l'absence de sa mère pour remplir sa valise. Il n'osa pas descendre quand il entendit Jeanne Jacobson rentrait chez elle et fit semblant de dormir pour ne pas avoir à l'affronter.
Le lendemain matin, il griffonna un mot, un, similaire à celui qu'Henry était en train d'écrire à quelques centaines de mètres de là. Une sonnerie retentit dans la chambre de Paul.
— Allô ? chuchota t-il.
— On se retrouve devant chez-toi dans dix minutes, j'ai commandé un taxi à ton adresse.
— Mais t'es fou, ma mère va s'en rendre compte, paniqua l'adolescent.
— Ne t'en fais pas, je l'ai commandé au numéro d'après, devant la maison de monsieur Graison.
Henry raccrocha et Paul se retrouva seul dans le noir et le silence de sa demeure. Il entendait le ronflement autrefois si rassurant de sa mère. Son cœur se pinça à l'idée de la laisser toute seule, avec comme seul au revoir un simple mot. Il n'arriva pas à se résigner et entra dans sa chambre couleur soleil.
Ses pas étaient légers et quand il arriva près de son lit, il se pencha et embrassa doucement son front, avant de quitter la pièce, puis la maison, sans se retourner. Ses deux amis ne tardèrent pas à le rejoindre. Leurs yeux étaient plissés de fatigue. Chacun tenait un bagage de même taille et de couleur identique au sien.
— Prêts pour l'aventure ? clama Henry, soudain enthousiaste en voyant la petite bande réunie au petit matin.
Des grognements de fatigue furent sa seule réponse. Une voiture avec un écriteau « TAXI » sur le dessus, ne tarda pas à les rejoindre. Ils pénètrent dans le véhicule rapidement et trois quarts d'heure plus tard, ils foulaient le hall de l'aéroport. Il y avait déjà bien du monde pour un horaire aussi matinal. Des enfants pleuraient, preuve d'une nuit écourtée.
On ne leur fit aucune remarque, que ce soit à l'enregistrement ou à l'embarquement. Le plan se déroulait à la perfection et les garçons purent même profiter du duty-free. Un livre pour Paul, du chocolat pour Henry et un coussin pour Joe. Leurs sièges étaient côte à côte et lorsque l'avion décolla, les mains hésitèrent à s'attraper.
— Ça y est, on peut plus reculer, déclara Paul d'une voix triste.
Joe était somnolent sur son coussin, tandis qu'Henry dégustait sa friandise. Il n'y avait que Paul qui relisait encore et encore la même page, nerveux et plein d'appréhension quant à ce voyage. Il abandonna sa lecture et laissa son regard errer entre les masses cotonneuses à l'extérieur de l'avion. Enfant, il voulait devenir ange pour pouvoir vivre sur les nuages. Sa mère, très cartésienne, lui avait expliqué que les cumulonimbus étaient formés de gaz et qu'il était donc impossible de marcher dessus, et encore moins possible d'y vivre.
— Paul, tu vas bien ? l'interrogea Henry, en remarquant sa mine déconfite.
Le garçon se tourna vers lui et déclara :
— Et si nous ne revenions pas vivants ? questionna t-il.
Son ami observa ses pieds et réfléchit. Il n'avait pas les mêmes craintes que Paul, car il ne s'était jamais vraiment accroché à la vie. Il ne désirait pas mourir, mais son sort l'indifférait.
— Tu ne devrais pas penser à ça, on ne peut pas savoir quand la mort viendra nous attraper.
Cela ne rassura pas Paul, mais il finit par s'endormir. Ensorcelé par la lumière blanche que renvoyaient les nuages.
Nous vous informons que nous n'allons pas tarder à atterrir. Veuillez attacher vos ceintures, relever vos sièges et vos tablettes et bienvenue à Francfort, Willkommen ! annonça le haut-parleur.
L'avion commença doucement sa descente et plus il perdait en altitude, plus le cœur des trois garçons s'accélérait. Joe reconnut le bruit mécanique qui annonçait que le train d'atterrissage était sorti, puis une secousse les prévint que l'avion venait de toucher le sol. Les ailettes se soulevèrent, le nez de l'avion s'abaissa et la vitesse diminua, jusqu'à ce qu'il ne s'arrête complètement.
Après plusieurs minutes, la loupiote au-dessus de leurs têtes leur signala qu'ils pouvaient se détacher et ils sortirent un par un de l'avion, suivant les autres passagers.
— Nous sommes à Francfort les gars, annonça Joe, en attrapant son bagage.
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