Chapitre 25: Larme Confuse
Georges n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Tout, absolument tout ce en quoi il croyait s'était évaporé à la seconde où il avait mis son nez dans cette affaire. Le Nutella, la cause de la mort de Marie ? Joséphine, la tueuse de son frère ? Il ne l'avait jamais aimé, mais de là à l'imaginer supprimer Sullivan, il y avait un pas. C'était Jeanne qui avait découvert tout cela en piratant plusieurs sites.
— Je rentre, annonça Jeanne en entrant brusquement dans la chambre de Mills.
L'homme se frotta le visage rapidement, avant de se tourner vers elle.
— Comment ça ?
Sa face était blanche, sa barbe mal rasée, ses yeux petits et cernés. Il faisait peine à voir. Son haleine sentait le whisky et sa chemise était froissée et humide. Quelques cendres avaient sali son pantalon haute couture.
— Le commandant nous a dit hier que nous n'étions plus soupçonnés de complicité de meurtre. Nous pouvons donc rentrer en France.
— Mais que faites-vous des garçons ? l'interrogea-t-il.
Jeanne était encore dans son peignoir de soie brodé. Sa chemise de nuit rose pâle mettait en valeur le lait de sa peau. Ses cheveux frisés étaient lâchés en bataille sur ses épaules et sa peau n'avait pas encore été lavée. Les deux adultes avaient passé beaucoup de temps ensemble ces derniers jours et ils partageaient désormais une sorte d'intimité.
— Petit, j'ai appris à mon fils que si un jour il se perdait, on se retrouverait toujours à la maison.
Madame Jacobson saisit un pan de son peignoir pour couvrir son décolleté plongeant, elle tourna les talons pour préparer ses affaires.
— Et s'ils avaient des problèmes ?
— Ils en ont déjà ! hurla-t-elle, épuisée.
Son visage lui faisait face, ses sourcils étaient suppliants, elle se retenait de pleurer. La rage était mêlée à sa tristesse.
— Vous ne comprenez pas ? annonça-t-elle. Nous ne les retrouverons pas. Il n'y a qu'eux qui peuvent nous retrouver. Ça fait des jours qu'on les recherche sans succès. Je suis fatiguée, je veux rentrer chez moi et retrouver la chambre de mon fils. Je veux sentir son odeur encore une fois. J'en peux plus de chercher et de trouver des horreurs qui m'éloignent à chaque fois un peu plus de mon bébé.
Georges Mills n'ajouta pas un mot. Il était bouleversé par cette femme, tout chez elle respirait la sincérité. Elle gardait si peu de chose en elle, elle exprimait tout et ça lui allait si bien. Il aurait aimé pouvoir crier lui aussi, crier sa peur, sa colère, sa profonde inquiétude, mais il ne le pouvait pas. Il ne le pourrait jamais.
— Vous avez raison, je vais de ce pas nous offrir un vol retour pour demain, tôt dans la matinée.
— J'ai déjà pris un billet d'avion, déclara-t-elle.
Monsieur Mills voyait le corps de Jeanne trembler. Il savait qu'elle était actuellement en pleine de crise de nerfs et à fleur de peau. Il se devait d'user d'un ton calme et assuré.
— Nous ne sommes pas pressés et un vrai repos à l'hôtel vous fera énormément de bien, comme à moi. S'il vous plaît Jeanne, laissez-moi faire ça pour vous. De plus, la première classe rendra votre vol moins pénible.
Madame Jacobson prit une grande inspiration. Elle devait impérativement se calmer ou elle allait perdre la tête. Juste un instant, elle devait oublier sa quête, juste une journée, une petite nuit. Elle avait grand besoin de se retrouver, de retrouver la femme qu'elle était.
— J'ai besoin d'un verre, annonça-t-elle.
Mills esquissa un sourire. Une mèche de cheveux ondulée prolongeait l'arête du nez de la femme assoiffée. Il se releva et saisit la carafe en cristal qui contenait la précieuse substance ambrée. De l'autre main, il attrapa un verre à Whisky et y versa l'alcool. L'odeur l'envoûta et il décida de s'en servir un également.
— Tenez, lui dit-il, en lui tendant un verre.
Elle le remercia d'un timide hochement de tête. Le calme revenait peu à peu dans son esprit. Madame Jacobson but d'une traite le liquide. La chaleur dans sa gorge l'enivra et la soulagea un instant. Elle ouvrit la porte vitrée et s'allongea sur le canapé de la terrasse. Le vent était frais ce matin. Georges approcha, son verre dans une main, un plaid en laine dans une autre.
Mills déposa sans rien dire la couverture sur les jambes découvertes de Jeanne. Sa face était impassible, son regard, loin dans le passé.
— Et si vous me parliez de vous ? questionna-t-il, dans l'idée de la distraire un peu.
Elle lâcha un souffle dans une grimace, un faux sourire qui ne lui allait pas.
— Il n'y pas grand-chose à dire. Ma vie, c'est mon fils.
Ses lèvres roses trempèrent dans le verre que Georges avait laissé sur la table basse à leurs côtés.
— N'avez-vous point de passions ?
Le cristal claqua lorsqu'elle le reposa sur le support.
— J'avais. J'aimais l'Art, la Littérature, lorsque j'étais plus jeune, articula-t-elle avec lenteur, comme si elle dégustait ces mots.
Elle ne se donna pas la peine de demander à son tour « et vous ? », elle n'en éprouvait pas l'envie. Georges comprit que le silence était requis et désiré, alors il déposa sa nuque sur le dossier du fauteuil en rotin et laissa le vent le rafraîchir.
La ville était si belle vu d'ici et si calme. Jeanne enviait ces habitants dont le quotidien devait être simple et heureux, comme l'était le sien il y avait encore quelques semaines. Pourquoi vouloir toujours ce que nous n'avons pas et rejeter ce que nous avons ? Ritournelle éternelle de l'âme humaine. Mon fils me suffisait, pensa-t-elle.
Elle aurait tout donné, même sa propre vie, pour la garantie de sa sécurité. Son impuissance la tuait à petit feu et la boule dans sa gorge lui présageait un malheur. Cette dernière ressortait toujours avant qu'elle n'apprenne une mauvaise nouvelle. Jeanne Jacobson se répétait en boucle que ce ne pouvait pas être au sujet de Paul. C'était impossible.
Le ciel ne lui arracherait pas son fils unique, son cœur, son bébé. Jamais. Dieu n'était pas si cruel, enfin, s'il existait. Elle n'aimait pas être athée dans ces moments de doute. Si seulement elle pouvait laisser ses supplications et ses espoirs à une instance supérieure, peut-être qu'elle se sentirait soulagée. Mais sa rationalité l'en empêchait et cela, depuis toujours.
Une larme roula sur sa joue, puis une seconde et bientôt, ce fut un torrent qui dévala sa face. Elle réfugia son visage sous le plaid, pudique. Un de ses hoquètements réveilla Georges qui s'était laissé aller au sommeil.
— Jeanne ?
Elle s'arrêta de respirer. Il s'approcha, penché, doux.
— Jeanne, vous allez bien ?
C'était une question idiote, il en avait conscience. Il gronda sa bêtise.
— Je vous apporte un tissu.
Sur ces mots, il alla chercher un mouchoir en coton. Il le tendit au-dessus du plaid, ne sachant pas s'il devait la découvrir ou simplement attendre.
— Vous pouvez sortir, vous allez manquer d'air là-dessous, annonça sur un ton taquin l'homme.
Madame Jacobson ne bougeait toujours pas. Elle ne voulait pas qu'il la voie comme ça. Elle était laide. Comme pétrifiée, elle attendit qu'il se lasse et la laisse seule, mais après plusieurs minutes, il n'était toujours pas parti. Elle céda, manquant d'air frais.
Jeanne sortit enfin son minois de sous la couverture. Ses cheveux étaient en bataille, électrisés par la laine. Ses sourcils en fouillis, sa peau rouge au niveau du nez, des yeux et du front. Ses yeux noisette semblaient usés. Elle tremblait, respirant à pleins poumons. Ses lèvres étaient roses framboise, elles les avaient mordillées avec nervosité.
Georges l'observa. Un rayon de soleil perçait à travers les nuages et venait se mêler à ses cheveux auburn. Elle était belle. Il la trouvait belle. Belle dans son chagrin, belle dans son authenticité. Son regard triste était perdu entre les peluches de la couverture. Il se demanda si elle était en train de les compter.
Le parfum orangé de son shampoing lui chatouillait le nez. Des souvenirs lui revinrent. Comment embrassait-on une femme ? Il avait la sensation de ne plus savoir faire, mais l'envie, elle, il la reconnaissait. Bouillante dans son ventre, dans sa gorge, sur ses lèvres. Il n'oserait pas, c'était si déplacé. Elle était si vulnérable.
— Puis-je vous embrasser ? demanda-t-il poliment, son envie ayant pris le contrôle de son esprit.
Jeanne releva son regard et y plongea avec intensité. Qui était cet être devant elle ? Comment pouvait-il être aussi étrange ? Elle continua de le scruter. Elle observait attentivement ses traits, remarqua un grain de beauté sur le pli de son ailette. De légères rides près des yeux. Il n'était pas laid. Elle approcha doucement son visage, comme pour le tester.
Son souffle réchauffait son menton. Elle fixait ses lèvres. Oserait-il ?
— Oui, souffla-t-il.
Il posa sa main froide sur sa joue et déposa un baiser doux et appuyé. Jeanne répondit avec plus de vigueur, ce qui le surprit, mais il suivit sa ligne de conduite. Elle ne pensait plus, elle ne voyait plus et ça lui faisait tellement de bien. Bientôt, le lit droit fut défait, les draps froissés et les vêtements éparpillés sur le sol.
Une once d'insouciance s'était infiltrée dans l'aération de la chambre d'hôtel et libérait l'esprit de Georges et de Jeanne. L'amour pouvait-il réparer ce qu'on ne savait pas encore brisé ? Le cœur de Jeanne nous le dirait bien assez tôt.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top