Chapitre 24: Sans Vie


Paul était allongé sur le sol. Sa peau brune était encore chaude, mais il n'avait plus de souffle. Henry était au-dessus de lui et continuait de crier. Inlassablement. Il criait. Joe ne bougeait plus. Son expression s'était figée à la seconde où Paul avait commis l'irréparable. En la chance, il ne croirait plus jamais.

Lydie quant à elle, observait. Elle ne connaissait pas Paul, mais elle l'avait beaucoup étudié. Elle avait capté de lui son caractère studieux, rigoureux, créatif et impulsif. Il savait être froid durant les moments de grand stress. Pourquoi donc avait-il agi ainsi ? Ça n'avait pas de sens. Pas venant de lui, monsieur le logisticien qui calculait chaque geste pour connaître le meilleur.

— Il faut qu'on s'en aille, nous faisons trop de bruit, expliqua-t-elle.

Aucun des garçons ne l'écoutait. Ils étaient pétrifiés. Paul ne pouvait pas être mort, c'était impossible. Paul était un garçon intelligent, pourquoi ferait-il ça ? C'était forcément une blague. Une blague qui durait trop longtemps à leurs goûts. Lydie s'approcha du cadavre et lui ferma les yeux. Elle aussi était restée pétrifiée au-dessus du corps sans vie de son père.

Mais s'ils ne voulaient pas eux-aussi, être refroidis, ils devaient partir. La jeune fille décida de prendre les choses en main, quitte à se faire détester par ses deux nouveaux amis. Elle saisit Henry par le cou et le fit reculer. Il protesta, grogna, hurla. Il ne voulait pas laisser Paul.

— Il est mort, annonça-t-elle, comprenant qu'ils avaient tous les deux besoin d'entendre ces quelques mots. Paul est mort, je suis désolée.

Lydie déchira le bas de sa robe en toile et couvrit le visage de leur ami. Elle ne laissa pas la larme rouler sur sa joue et se tourna rapidement, arc bandé et flèche armée.

— Maintenant, vous sortez ou je tire, déclara-t-elle sur un ton froid.

Joe sortit de sa torpeur, mais il fut en proie à un nouveau bug. Pourquoi les menaçait-elle ? Ils ne bougeaient toujours pas.

— J'ai dit dehors, répéta-t-elle plus fort.

Sur la même pulsion, les deux garçons remontèrent rapidement les escaliers, sans faire attention au bruit de leurs pas sur les marches en bois. La demoiselle saisit un morceau de verre avec le précieux Nutella, qu'elle emberlificota dans un autre morceau de toile. Elle envoya un baiser de la main à Paul et traversa la porte avant de l'observer une dernière fois. Son cœur se brisa. Il était seul maintenant et pour toujours.

Lydie n'avait jamais cru au paradis, son père ne lui en avait parlé que vaguement. Pour elle, la mort se résumait à disparaître et à ne plus être tout simplement. Votre âme se disloquait et s'évaporait avec votre dernier souffle. Elle imagina Paul, frigorifié dans un cocon et seul à jamais. Soudain, elle entendit des cris à l'étage.

Elle se ressaisit et grimpa quatre à quatre l'escalier, l'arc prêt à viser. Son baluchon était serré sur ses hanches. Elle vit quatre silhouettes. Quatre mains en l'air. Deux têtes sombres qui lui bloquaient la lumière. Elle reconnut le short de Joe et les cheveux d'Henry. Ils lui tournaient le dos. Face à eux, deux hommes les tenaient en joue, elle ne savait pas encore avec quelles armes.  

[TW - Scène choquante]

Elle cria et sauta de la dernière marche. Les deux garçons s'écartèrent dans un réflexe et elle tira sur les deux silhouettes masculines. La première flèche vint en toucher un au milieu du front, tandis que la deuxième embrocha le cœur de son collègue. Ils furent tués sur le coup.

[Fin de TW]

  — Courez, hurla-t-elle.

Les trois amis s'enfuirent à grandes enjambées, traversant d'abord le seuil, puis la forêt. Lydie surveilla sur plusieurs mètres leurs arrières pour savoir si on ne les suivait pas, mais il n'y avait personne. Ils continuèrent de courir malgré tout, jusqu'à ce qu'Henry trébuche sur une racine et ne tombe lourdement sur le sol dans un cri déchirant.

Il n'arrivait plus à respirer, sa gorge le brûlait. Son ami était mort. Paul était mort, décédé, plus en vie. Comment une telle chose avait-elle pu arriver ? Joe s'accroupit à ses côtés et l'enlaça, l'accompagnant dans sa douleur. Ils avaient la sensation que leur chagrin était infini, que jamais ils ne s'en relèveraient.

Lydie restait en retrait, pudique, elle n'aimait pas montrer ses émotions et elle avait peur que sa tristesse soit déplacée. Elle venait tout juste de les rencontrer et plusieurs fois déjà, elle les avait menacés avec son arc. Le temps défila. La nuit arriva et les larmes se tarissèrent, pas la tristesse. La jeune femme les poussa doucement à se relever. Il fallait qu'ils dorment au sec, même en deuil, la forêt restait dangereuse.

La nuit fut courte. Henry se réveilla les yeux rougis, tout comme Joe. Lydie leur apporta un petit-déjeuner «sibérien », des baies et quelques racines. Elle s'était dite que la viande d'écureuil n'allait peut-être pas être bien reçue en cette journée de deuil.

— Il faut que vous rentriez en France rapporter ce pot de Nutella. Les gens doivent découvrir la vérité, expliqua-t-elle.

Henry posa son regard sur elle.

— À quoi bon ? Personne ne nous croira. J'ai tué mon ami. Et tout le monde pense que nous avons tué ma tante.

— Tu n'as pas tué Paul ! gronda Lydie, c'est lui qui s'est tué. Cette quête l'a rendu fou, tout comme elle a rendu fou mon père.

— Ce n'est pas pareil ! râla Henry.

— Si, affirma la rousse, mon père s'est embarqué seul dans quelque chose qu'il savait dangereux. Il a pris trop de risques. Il n'était pourtant pas stupide, il savait tout ça. Mais il n'a pas pu, ou pas voulu s'en empêcher, tout comme Paul.

— Ne parle pas de notre ami comme ça, s'offusqua Henry.

Lydie se calma, il était trop tôt encore pour prononcer ce nom à haute voix.

— Vous devez rentrer en France le plus rapidement possible, poursuivit-elle, sinon tout ça n'aura servi à rien.

Joe releva son visage qu'il avait plaqué sur la paume de ses mains.

— Sauf que tu oublies que nous n'avons plus ce pot. Il est tombé par terre quand...

La jeune femme ne le laissa pas terminer sa phrase et attrapa le baluchon où elle avait stocké le précieux Nutella.

— J'ai eu le temps d'en prendre, mais si vous voulez qu'il en reste en arrivant en France, il va falloir vous dépêcher.

Les garçons fixèrent la toile et le morceau de verre rempli de pâte à tartiner.

— Pourquoi tu n'arrêtes pas de dire vous ? demanda soudain Joe.

Lydie baissa les yeux.

— Je... je ne rentre pas avec vous.

Le garçon aux boucles blondes eut l'impression de recevoir un coup dans la glotte. Il suffoqua.

— Quoi ? Mais pourquoi ?

— Je suis partie il y a si longtemps. J'ai vécu toute ma vie ou presque, en Sibérie. Je ne sais pas ce que c'est d'avoir une vie « normale » et je ne sais pas si je m'y ferai un jour.

— Tu peux pas nous laisser, lâcha-t-il dans un souffle.

Le chant d'un oiseau distraya un instant la demoiselle.

— Je suis désolé, je vous raccompagnerai jusqu'à la ville de Omsk et ensuite nos chemins s'arrêteront là, déclara-t-elle, ferme.   

Le silence reprit sa place dans le groupe. Chacun était perdu dans ses propres pensées. Ils se mirent en route, il allait leur falloir trois jours pour rejoindre la ville. Lydie était soucieuse pour ses amis, elle se demandait s'ils allaient se remettre de la perte.

Joe était confus. Il avait le cœur détruit, il avait perdu un de ses meilleurs amis, mais il le sentait pourtant battre fort dans sa poitrine et ce, à chaque fois qu'il regardait Lydie. Henry lui, était perdu dans ses souvenirs avec Paul. Les kilomètres défilèrent, la demoiselle surveillait les environs sous tous les angles, tandis que les garçons avançaient en fixant leurs chaussures.

Bientôt, le ciel se fit sombre et un campement sommaire fut installé. Ils dévorèrent comme à leur habitude quelques baies et racines pour le dîner et se blottirent dans leurs sacs de couchage. Lydie avait récupéré celui de Paul et s'y sentait très mal à l'aise. Son odeur était encore présente, elle ne saurait pas la décrire.

Les jours et les nuits défilèrent, jusqu'à ce que le petit groupe n'arrive à la lisière de la forêt. On apercevait les premiers bâtiments défraîchis de Omsk. Le cœur de Joe battait vite et fort, il ne voulait pas quitter Lydie. Il ne le pouvait pas. Henry semblait ailleurs, il ne restait de lui qu'un fantôme.

— Au revoir, dit-il simplement à la jeune fille, avant de saisir le baluchon de Nutella.

Lydie lui fit une bise sur la joue et se tourna vers Joe.

— Au revoir, dit-elle timide.

Elle n'aimait pas ces moments-là.

— Je. Lydie, est-ce que je peux te parler ? Seul à seul ?

Le garçon se tourna vers Henry, avant de regarder ses pieds. Curieuse, elle acquiesça et ils s'enfoncèrent dans la forêt afin d'y trouver un peu d'intimité.

— Lydie, je suis amoureux de toi, annonça-t-il directement.

Par réflexe, la jeune femme eut un mouvement de recul. Amoureux d'elle ? Ça voulait dire quoi ? Personne n'avait jamais ressenti ça avant pour elle. Son père n'avait jamais parlé de l'amour comme ça.

— Tu veux dire qu'on est amis ? questionna-t-elle.

Joe baissa les yeux.

— Non, je veux dire que je t'aime plus que ça.

La demoiselle sentit son souffle devenir court, elle ne comprenait pas ce que ça voulait dire.

— Je te demande pas de ressentir la même chose que moi, expliqua-t-il, je voulais juste te le dire avant de partir.

Lydie ne répondit rien et hocha la tête, ailleurs.

— Mais est-ce que je peux te demander une dernière chose ? interrogea-t-il.

La demoiselle reposa son regard sur lui et mima un oui.

— Est-ce que je peux t'embrasser, je veux dire, sur la bouche ?

Elle le regarda comme s'il lui avait dit venir de Mars. Embrasser un garçon ? Sur la bouche ? Quelle drôle d'idée. Ça ne lui semblait pas très propre.

— Ça te ferait plaisir ? dit-elle d'une petite voix, n'oubliant pas la tristesse qui le meurtrissait depuis plusieurs jours.

Il opina la tête, alors elle remua l'épaule pour lui montrer son accord. Joe saisit ses mains et s'approcha doucement de son visage. Elle le dévisageait avec son regard gris, mais ne bougeait pas. Il prit une grande inspiration et posa délicatement ses lèvres sur les siennes. La sensation qu'il ressentit fut la plus belle qu'il n'ait jamais connu.

Il lui semblait que des feux d'artifice explosaient dans son corps. Il se demanda si elle ressentait la même chose. Leur baiser était appuyé, la jeune femme avait les yeux fermés et réfléchissait à cette sensation nouvelle. Alors c'était ça être amoureux ? Ils finirent par rouvrir les yeux et sans ajouter un mot, ils rejoignirent Henry.

Il avait à peine remarqué leur absence.

— On y va, déclara-t-il, signe que Joe devait faire ses adieux.

Le blondinet s'approcha de sa belle et lui fit un chaste baiser sur la joue avant de lui glisser :

— On se reverra, j'en suis sûr.

Et c'est ainsi qu'ils quittèrent Omsk. 

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