Chapitre 23 : L'Après

Lydie s'endormit rapidement cette nuit-là. Elle avait retrouvé le lit tressé que son père avait fabriqué. Cette cabane avait été sa maison pendant si longtemps, y revenir était étrange. Le ronflement des garçons résonnait près d'elle. Ils ne savaient pas. La jeune fille avait été seule pendant si longtemps, isolée toute sa vie.

Eux, avaient débarqué un jour sur un coup de tête, et tout s'était accéléré. Elle était heureuse et soulagée. Enfin, elle allait pouvoir se venger, mais de l'aigreur résidait tout de même dans son estomac. Pourquoi son père avait dû mourir ? Pourquoi n'avait-elle pas eu le droit à une enfance normale ? Qu'est-ce qu'elle allait devenir après ?

Jamais elle ne pourrait s'habituer à leur quotidien à Lyon ou dans une toute autre ville. Elle avait arrêté l'école il y a bien trop longtemps. Elle était habituée au silence de la forêt, aux comportements animaliers, à l'air frais. Tout ce qu'elle ressentait en pensant à leur retour en France, c'était de la peur.

— Alors c'est décidé ? Aujourd'hui on entre dans la cave ? avait demandé Joe, alors même qu'il venait d'ouvrir les yeux.

La jeune rousse fit papillonner ses cils. La lumière n'arrosait encore que la cime des arbres, il devait être tôt.

— Oui, confirma Henry, nous avons largement dépassé le délai. Il est temps.

Paul hocha la tête, le crâne encore engoncé dans le sac de couchage. Lydie ne bougea pas.

— Comment allons-nous nous y prendre ? demanda le scout.

— J'ai pu entrer assez facilement. Il ne doit pas y avoir énormément de surveillance, on est dans une forêt de Sibérie tout de même, qui viendrait jusque-là ? annonça Henry.

— Mon père est mort ici, rappela Lydie.

Cette phrase fit frissonner les garçons. Ils oubliaient si vite. Ils rangèrent leurs affaires dans le silence. Ils ne devaient pas oublier. Quand ils furent prêts, ils partirent en direction de la cave. Tous étaient concentrés, les hommes qu'ils allaient affronter étaient armés. Si jamais ils étaient découverts, le même sort que le père de Lydie leur serait réservé.

Les adolescents avançaient en ligne et en binômes. Comme d'habitude Paul et Henry étaient devant, tandis que la jeune fille et Joe restaient en retrait. Lydie surveillait leurs arrières. Les garçons ne prenaient pas garde aux dangers de la forêt, tellement préoccupé par celui qui les attendait. Joe lui, s'attardait, désirant passer plus de temps avec la jeune fille.

Depuis qu'il avait compris ses sentiments, il ne savait plus quoi en faire. Devait-il lui dire ? Le garder pour lui ? En parler aux garçons ? Il n'avait jamais ressenti ça. Il avait l'impression que son cerveau était en mode replay, en continu sur la même idée.

Regarder Lydie se gratter le nez, sentir le parfum de Lydie, frôler Lydie, demander à Lydie si elle a vu quelque chose, aimer les yeux de Lydie. Le garçon ne savait pas qui de son cœur ou de son cerveau allait exploser en premier. Ses pensées furent interrompues lorsque la clairière apparut.

— Plus un bruit maintenant, ordonna Henry.

Tout le groupe obéit. Ils s'avancèrent vers la fenêtre et attendirent la suite des instructions, accroupis. Paul passa rapidement la tête et, remarquant qu'il n'y avait toujours personne, emmena tout le groupe vers la porte. L'arc de Lydie rebondissait sur ses hanches et les yeux de Joe trahissaient sa préoccupation du moment. Il fut rappelé à l'ordre par Henry, qui n'avait jamais vu son ami avec de telles manières.

— Qu'est-ce qui te prend ? lui murmura-t-il, depuis quand les filles t'intéressent ?

— De quoi tu parles ? déclara Joe, Lydie, c'est même pas une fille.

La remarque était puérile et facile, mais sur le moment le garçon n'avait rien trouvé de mieux.

— Je te connais Joe, je vois bien que quelque chose te perturbe, et ça a un rapport avec Lydie.

L'ami aux boucles blondes ne répondit pas et se rapprocha du groupe. La porte était ouverte, Paul l'avait entrebâillée et surveillait le couloir.

— Quand je vous le dirai, il faudra aller jusqu'au bout du couloir et prendre la porte tout au fond. On fait vite et discret.

L'ensemble du groupe hocha la tête. Paul était le seul à avoir pu entrer dans l'enceinte du bâtiment, ils lui faisaient confiance.

— Maintenant ! annonça-t-il après avoir inspecté pour la énième fois le couloir.

Les quatre adolescents pénétrèrent dans le corridor et le parcoururent dans le plus grand silence, en quelques secondes. Ils agrippèrent ensuite la poignée de la porte blanche et firent face à un long escalier descendant.

— J'y vais en premier. Joe, tu fermes la marche, ordonna-t-il.

Paul avait pris le groupe en main. Pour une fois que ce n'était pas Henry qui le gérait. Il avait l'impression de se découvrir, comme si avec cette aventure, une partie de lui avait pu s'exprimer. L'endroit n'était pas éclairé. Quelques marches plus bas, il ne voyait toujours pas le sol et sentait le bois craquer sous son poids.

— Venez, annonça-t-il.

Et tous, petit à petit, le suivirent. Joe dut fermer la porte et ils se retrouvèrent dans le noir. Chacun faisait très attention à chaque marche et s'accrochait avec force à la rampe en plastique. Paul faisait une rapide inspection à chaque pas. Puis après quelques minutes, il toucha enfin le sol.

Il tâta le mur avant de trouver l'interrupteur. Il le déclencha et dans un grésillement, les adolescents virent enfin l'endroit où ils avaient mis les pieds. La pièce était étriquée, des armoires aux étagères branlantes recouvraient les murs. Les toiles d'araignées, immenses et blanches, étaient étendues par dizaine dans tous les coins. Une porte rouillée et cadenassée les salua.

— Le pot de Nutella doit forcément être derrière, s'enquit Joe.

Lydie s'approcha et sortit une flèche de son porte-flèche en cuir d'écureuil. Elle la cassa en deux, et à l'aide de la pierre ciselée, elle lima le bois jusqu'à former une pointe fine et longue. Elle inséra ensuite le morceau dans la serrure et la tritura. Au bout de longues minutes, le cadenas céda et Lydie récupéra sa flèche brisée.

Sans se retourner, elle saisit la poignée et avec difficulté, elle ouvrit la porte lourde et rouillée. Une odeur forte de renfermé et d'humidité vint immédiatement lui piquer le nez. La pièce ne comportait pas de toiles d'araignée. Le sol en bois était gonflé, de l'eau devait régulièrement s'y infiltrer. La jeune fille avança encore, jusqu'à remarquer un élément poussiéreux sur une des étagères.

Sans attendre, elle le saisit à pleine main et le nettoya à l'aide de son haut. L'étiquette « Nutella » ne tarda pas à apparaître. L'émotion qu'elle ressentit fut si forte et confuse, qu'elle faillit lâcher le pot.

— Attention, était intervenu Paul.

Elle lui passa immédiatement et recula de quelques pas. Il fallait qu'elle souffle. Après toutes ces années de recherche, elle l'avait enfin retrouvé. Ce pot. Celui-là même qui avait conduit son père au bord de la folie et qui lui avait coûté la vie. Paul observa l'objet dans ses mains durant une longue minute.

— Et maintenant, on fait quoi ? questionna Joe.

Henry haussa les épaules, l'aventure avait été rude, les mensonges, multiples. Pourquoi sa tante avait-elle envoyé ce colis ? Pourquoi avait-elle tué Sullivan ? Et pourquoi avait-elle été tuée à son tour ? Tant de questions qui lui donnaient le tournis.

— Je ne sais plus. Tout ça n'a aucun sens, expliqua-t-il.

Paul dévissa le capuchon et découvrit la pâte chocolatée. L'odeur alléchante de noisette vint lui titiller les papilles.

— Alors ce serait ça, qui aurait décimé des familles entières ? s'enquit-il, ça a l'air si bon. Je ne comprends pas comment cela a pu devenir un poison.

Henry se saisit du pot. Il sentait que ses amis étaient en train de céder à la tentation.

— Les gars, ne faites pas les idiots, c'est dangereux. On ne doit pas en manger.

Joe releva les yeux sur son ami.

— Je croyais que c'était pour ça à la base que nous étions venus. Pour goûter cette fameuse pâte à tartiner.

Lydie s'approcha de lui.

— Tu es assez idiot pour croire que le poison à l'intérieur ne te tuera pas si tu n'en manges qu'une bouchée ? Sais-tu que c'est dans ce fameux pot que la dose la plus forte et la plus mortelle de Liporex est conservée ? Dans leurs labos, ils ont seulement des copies du virus et tu as pu voir sur Joséphine à quel point il était efficace.

Joe s'assombrit. Il avait oublié que la quête de Lydie était différente de la leur depuis le début. Paul restait fixé sur la pâte à tartiner, il lui semblait qu'elle lui parlait et lui murmurait des mots doux à l'oreille : mange-moi.

— Nous devrions l'emporter avec nous et le ramener en France, expliqua Henry.

Quand il se tourna vers Paul pour lui prendre le capuchon des mains, Henry eut juste le temps de voir son ami plonger sa main dans le pot et en ressortir avec de la pâte à tartiner plein les doigts.

— Non, cria-t-il.

Mais c'était trop tard. À peine eut-il le temps de se jeter sur lui, que le Nutella était déjà dans sa bouche. Dans un fracas, le pot en verre se brisa sur le sol en quelques gros morceaux et le précieux contenu s'étala sur le sol.

— Non, répéta Henry au bord des larmes.

Paul sentit d'abord le goût de la noisette, puis celui du chocolat. La pâte était un peu sèche, mais jamais il n'avait goûté une telle merveille. Il se demanda si son père avait ressenti la même chose en mangeant ses tartines matinales. Et puis soudain, il sentit sa gorge se resserrer, le visage d'Henry paniqué devint flou.

Désolé, pensa-t-il. Lui qui avait été toujours si prévoyant, lui qui avait toujours suivi les règles et qui mettait un poing d'honneur à les faire respecter. Il avait cédé à sa première folie, celle qui lui coûta la vie. Il savait, c'était idiot.

Mais faut-il toujours un sens ? Faut-il toujours une raison ? Paul n'était pas assez sage pour connaître la réponse à ces deux questions.

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