Chapitre 19: Au Féminin

La jeune fille sourit, ce qui ne lui était pas arrivé depuis plus d'un an. Lydie n'avait jamais pu avoir d'ami. Alors l'idée de partir à la recherche de ce fameux pot avec ces trois garçons la réjouit durant un instant, puis elle se souvint : pouvait-elle leur faire confiance ?

Son père lui avait longuement expliqué que les hommes étaient indignes de la confiance des femmes et qu'elle devait à tout prix les éviter. Pourtant, elle avait été électrisée la première fois qu'elle les avait vus, entendus. Leurs rires l'avaient faite rire, leur amitié l'avait faite rêver. Elle voulait faire partie du groupe, elle voulait être comme eux. Crier, grogner, râler, se pardonner, aimer.

— Comment puis-je savoir si je peux vous faire confiance ? demanda-t-elle, soudain suspicieuse.

Joe qui n'avait toujours pas bougé de son sac de couchage, se releva.

— Je crois que la personne qui a tué ton père est la même qui a tué la tante d'Henry.

Il le montra du doigt.

— Il a tué un fonctionnaire et a fait brûler la salle des archives. Si tu viens avec nous, on te promet de tout faire pour le faire payer, annonça-t-il.

Paul fut surpris par ce dialogue. En général, les promesses étaient faites par Henry. Lydie réfléchit. Toute seule, elle n'y arriverait pas. Ils étaient son unique chance.

— D'accord, mais vous devrez me laisser lui planter une flèche dans le cœur, déclara-t-elle, avec son air dur.

Henry eut un mouvement de frayeur, mais Joe ne moucha pas.

— Entendu, s'enquit-il avant de lui tendre la main pour sceller l'accord.

L'adolescente la saisit et de sa main terreuse, le pacte fut scellé.

Joe leva ensuite son regard.

— Comment tu t'appelles ? interrogea ce dernier.

— Lydie.

— Moi c'est Joe, lui c'est Paul et enfin Henry.

Ils firent de petits signes, comme s'ils venaient tout juste de se rencontrer, qui firent sourire la jeune fille.

— Maintenant que nous avons trouvé le terrain, que faisons-nous ? demanda Henry.

— Lydie a dit que les papiers avaient peut-être été falsifiés. Si au bout de deux ans son père n'a pas réussi à trouver la cave sur deux hectares, c'est que ce doit être exact. Nous devrions élargir le cercle.

— Je peux vous montrer où j'ai enterré mon père, annonça-t-elle, la cave doit être dans une zone à plus ou moins deux kilomètres autour je dirais.

— C'est une bonne idée, émit respectueusement Henry.

— Allez, en route mauvaise troupe, lança soudain Paul sur un air enjoué.

Joe lui envoya un regard furibond. Ne pouvait-il pas avoir un peu de respect pour les morts ?

La marche ne fut pas longue, deux heures tout au plus. Quand ils arrivèrent, un tapis de mousse fleuri faisait office de tombe. La pierre tombale, qui était le bâton enrubanné, avait souffert. Ne restait de lui que le morceau au plus près de la terre, tandis que le ruban rouge avait dû s'envoler il y avait bien longtemps.

— C'est la première fois que je reviens ici, expliqua-t-elle.

Elle s'agenouilla et laissa son arc à ses côtés. Lydie posa ses deux mains sur la mousse et ferma les yeux. Les garçons quant à eux, restèrent à l'écart, bien en arrière. Une fois recueillie, la jeune fille se releva et ils se séparèrent en binôme pour explorer les alentours. Ils se donnèrent rendez-vous ici même, quand le ciel commencerait à s'assombrir.

— Gravez les arbres avec des numéros pour revenir ici. On se perd très vite dans la forêt.

Les garçons retinrent l'information. Il fut décidé que Lydie partirait avec Paul et Joe avec Henry. Paul devait avouer qu'il n'était pas très à l'aise en compagnie de la jeune fille. En vérité, il n'avait jamais vraiment eu d'amies filles, il les craignait un peu. Les garçons en parlaient toujours comme de mystérieuses créatures qui pouvaient vous rendre fou en un regard et vous emprisonner en un sourire.

Il regarda Lydie et ne comprit pas pourquoi les adolescents étaient fascinés par les filles. Elle avait deux bras et deux jambes comme lui. Ses cheveux étaient certes longs, mais ils étaient sales et emmêlés. Ses yeux clairs contrastaient avec sa peau salie par la boue. Lydie n'avait rien de plaisant ou de charmant.

Sa démarche était presque sauvage, elle avançait comme un animal dans cette forêt, sans un bruit et se plaignait tous les trois mètres qu'il n'en fasse pas autant. Non vraiment, elle ne lui plaisait pas du tout.

— Tu ne t'es pas trop ennuyée ici ? l'interrogea-t-il.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? répondit perplexe Lydie.

Paul haussa les sourcils, la question était pourtant simple.

— Eh bien j'imagine que perdu ici, seul, on doit vite s'ennuyer. Il n'y a pas grand-chose à faire, à lire ou à regarder.

Lydie rit.

— Pas une seule journée n'est identique en Sibérie. Surtout lorsque tu dois chasser pour te nourrir, chercher du bois pour te chauffer et être vigilant pour survivre. On ne peut pas s'ennuyer dans ce monde, expliqua-t-elle.

Paul réalisa l'étendue des tâches dont devait se charger la nouvelle venue. Elle n'était certes pas élégante dans cet accoutrement, mais elle avait survécu seule ici, malgré son jeune âge. Il lui répondit simplement par un sourire.

De l'autre côté, Joe et Henry étaient en pleine discussion. Joe avait accepté sans réfléchir la demande de Lydie, celle où elle voulait planter une flèche dans le cœur du tueur de son paternel.

— Comment tu as pu dire oui ? s'exclama Henry, tu te rends compte de ce que c'est ? Cela se nomme un meurtre ni plus, ni moins.

— Il a tué son père et ta tante, s'insurgea Joe.

— Justement, tu ne crois pas que toute cette histoire est déjà suffisamment jonchée de cadavres ?

— Si. Et c'est pour cela que le coupable doit payer, annonça l'adolescent.

— Mais comment tu peux dire une chose pareille ? Je te croyais pacifiste, tu refuses même d'abandonner un chat grognon !

— J'ai changé, et contrairement aux êtres humains, les animaux sont des êtres innocents.

— Écoute, je me fiche de ce que tu lui as promis, moi je ne la laisserai pas faire.

— Et moi, je serai de son côté, énonça Joe.

La lumière commença à décroître et chacun regagna le point de rassemblement dans un silence presque total. Le conseil de Lydie fut fort utile pour les deux groupes et lorsqu'ils se rejoignirent, ils réalisèrent que chacun était rentré bredouille. Le lendemain, les binômes furent changés, Lydie était désormais affiliée à Joe et Henry, à Paul.

Joe aimait bien Lydie, il la trouvait courageuse et différente. Il aimait bien la manière dont elle tenait son arc, la manière dont elle s'arrêtait soudainement pour écouter la forêt. Il n'avait jamais vu personne évoluer aussi aisément en pleine nature auparavant et pourtant, il en avait fait des camps scouts.

Il restait en arrière quand soudain, il entendit un couinement. Curieux, il quitta le sentier et s'approcha du buisson qui émettait l'étrange son. Il pensa à un chat sauvage, ou peut-être à un louveteau. Il avait envie de savoir. Prudemment, il s'en approcha.

Lydie remarqua rapidement que le garçon aux boucles blondes ne la suivait plus. Exaspérée par son manque de discernement, elle souffla du nez et le chercha du regard. Cet idiot était en train de s'enfoncer dans la forêt, sans réfléchir. En deux sauts agiles, elle le rattrapa.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? chuchota-t-elle.

Leur placement n'était pas stratégique. D'ici, Lydie ne pouvait rien voir, ni rien prévoir. Elle était vulnérable et tout ça, à cause de cet idiot de garçon.

— Il faut que l'on regagne mon sentier, déclara-t-elle, de son air sévère.

— Attends, s'enquit Joe, je veux juste voir si...

Lydie n'eut pas le temps d'arrêter son geste, que Joe plongeait déjà la main dans le bosquet. Elle plongea à son tour la sienne pour la retirer, mais sans prévenir, elle se reçut un jet acide en plein visage. Elle lâcha un cri.

— Espèce d'idiot, hurla-t-elle, tu as surpris une mouffette.

Joe avait reçu le jet sur le bras et le torse. L'odeur était si puissante, qu'elle lui piquait les yeux.

— Il faut que l'on trouve une source, maintenant, je ne vois plus rien, expliqua la jeune fille.

Joe la saisit par le bras et rejoignit le sentier précédent. Il avançait vite et à grands pas. Il ne connaissait pas le coin aussi bien que son acolyte, mais il savait comment trouver un point d'eau. La terre était un élément essentiel. Lorsqu'après dix minutes de marche rapide, il aperçut de la boue et des traces de pas animales, il se précipita et Lydie manqua de trébucher.

— J'ai trouvé ! cria-t-il, fier.

Il la relâcha quand l'eau lui arriva au niveau des hanches. Lydie plongea sa tête sous l'eau et frotta son visage. Elle réalisa soudain, qu'elle ne s'était pas vraiment lavée depuis que son père l'avait quittée. Ils avaient pour habitude de veiller l'un sur l'autre, et lorsqu'il ne fut plus là pour elle, elle avait craint la vulnérabilité d'un bain.

Joe frottait lui aussi sa peau, il savait que ça ne retirerait pas l'odeur, mais qui pouvait savoir ? Des miracles se produisaient parfois. La Lydie sous-marine faisait une tâche marron au milieu de l'étang. L'eau était froide, mais claire. Le garçon se dit qu'il pourrait essayer de pêcher du poisson avec l'arc de l'adolescente, plus tard.

La jeune fille refit soudainement surface, mais ce n'était pas Lydie. Cette fille avait une chevelure frisée, longue et rougeoyante. Sa peau était blanche comme de la porcelaine et tachetée de roux. Ses traits étaient fins et son visage gracieux. Sa silhouette trempée révélait des formes féminines cachées et ses cils étaient noirs et fournis.

— Mais que... qu'est... tu, bégaya l'adolescent.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? demanda Lydie, qui était à des années-lumières de se douter de sa transformation physique.

— Je... rien, s'enquit Joe.

Alors la jeune fille sortit de l'eau et essora sa tignasse. Ses vêtements étaient lourds et froids. L'odeur était toujours présente, mais elle n'en faisait plus cas. La priorité était de regagner le camp pour pouvoir porter des vêtements secs avant la nuit. La température chutait rapidement en Sibérie, déjà qu'il ne faisait pas très chaud en cette période de l'année. Joe n'avait toujours pas bougé.

— Bon tu viens, je gèle, expliqua-t-elle.

Joe sortit de l'eau, intimidé. Il venait de comprendre quelque chose qui allait tout changer : il était amoureux.

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